L’Arche de Nova

Utopies poétiques pour futurs désirables. Et si c’était toujours l’heure de tout réinventer ? L’Arche de Nova embarque tout un bestiaire d’artistes pour un déluge de bonnes idées dans un monde déconfiné, via des hypothèses grandioses, des scénarios farfelus, des raisonnements magiques, des logiques insensées, de noirs vertiges… à contre-courant du pessimisme apocalyptique.

Musiciens, écrivaines, cinéastes, dessinatrices, humoristes, plasticiennes : chaque jour, en trois minutes, l’un.e des membres de l’équipage monte sur le pont et imagine la société de demain, le temps d’une note vocale très sérieuse ou complètement délirante. Il était un joli navire… en voyage vers l’avenir.

Un podcast imaginé et coordonné par Richard Gaitet, réalisé par Mathieu Boudon et Benoît Thuault.

par Richard Gaitet

Épisodes

Judith Duportail : « Demain, nous vivrons de grandes fêtes sans smartphone »

Comment draguer dans le futur ? Convaincue que « le swipe est un geste de droite », cette autrice et journaliste parisienne, spécialiste des applis de rencontres, rêve de flirts en mode avion et d’amour sans algorithme.

« La simple idée de me connecter à une application me glaçait le sang. Draguer un mec me collait de l’hypertension. J’étais clouée sur le banc de touche des grands brûlés de l’amour. » Dans Dating fatigue, son dernier essai publié ce printemps aux éditions de l’Observatoire, Judith Duportail, 34 ans, livre une enquête introspective sur cette forme « d’épuisement mélancolique » consécutif à « l’errance entre relations floues » nées des rencontres en ligne. Ce qui fatigue, c’est le fait de devoir « dérouler ce qu’on fait dans la vie à une table de café avec des mots déjà tant répétés qu’ils semblent caoutchouteux », slalomer parmi les nouveaux comportements numériques tels que le ghosting quitter quelqu’un en cessant brusquement de répondre à ses messages ») ou l’orbiting l’art d’ignorer une personne tout en continuant de suivre assidûment sa vie sur les réseaux et en réagissant strictement avec des émojis »), tout en espérant « construire des relations égalitaires entre hommes et femmes dans un monde qui ne l’est pas », « faire respecter son consentement, concrètement » et envisager, dans son cas, de se transformer en « hétéra : une hétéro qui veut kiffer les hommes hors des structures de domination et des enjeux de pouvoir, une hétéro qui baisse les armes ».

À l’avenir, au nom de cet ultra-libéralisme amoureux passablement dégoûtant, froid et déshumanisé en passe de devenir la norme, devra-t-on apprendre à se contenter de « miettes » sentimentales – avant de finir avec l’âme en mille morceaux ? Pour le savoir, Judith voyage, interroge. L’autrice de l’enquête de référence sur les coulisses de Tinder (L’amour sous algorithme, éditions de La Goutte d’Or, 2019) discute « d’anarchisme relationnel » avec un.e militant.e trans non binaire, sent l’électricité reparcourir son corps dans le recoin d’un immense résidence d’artistes à Berlin, mais s’inquiète que quelqu’un puisse poster une photo d’une soirée où elle tient la main de son ex.

Grimpant à bord de notre navire utopique, Judith Duportail se demande justement comment draguer dans le futur en rêvant de grandes fêtes réussies où le smartphone serait interdit, pour « tromper les apparences », « écrire sa propre histoire sans stories » et conjurer toute tentation de mise en scène de soi et se désintoxiquer de notre dépendance à la dopamine générée par les likes et les coeurs synthétiques. Convaincue que « le swipe est un geste de droite », la journaliste rêve ici de flirts en mode avion et d’amour sans algorithme. 

P.-S. : Pour le tout dernier épisode de ce podcast né une semaine après le premier confinement en mars 2020, miroir de nos espoirs et de nos angoisses durant quinze mois de crise sanitaire, terminer cette aventure sur l’image d’une fête pleine d’amour est un présent – un cadeau – hautement désirable que les deux pilotes de L’Arche de Nova accueillent à bras ouverts.

Réalisation : Mathieu Boudon.

Image : Les Rencontres d’après minuit, de Yann Gonzalez (2013).

01 juillet 2021

6:51

Iris Kooyman : « Demain, nous détournerons les pigeons-robots de la République »

Sensible à la théorie du complot selon laquelle TOUS LES OISEAUX seraient en réalité des drones de surveillance gouvernementaux, cette étudiante du master de création littéraire du Havre a mené l’enquête dans les volières secrètes de l’Hexagone, en remontant… jusqu’au Général de Gaulle.

Elle déclare, non sans panache, aimer « les bus de banlieue et les documentaires animaliers de la BBC ». Elle aurait dédié ses trois dernières années à enseigner le français dans une classe d’accueil pour adolescents non-francophones de La Courneuve (Seine-Saint-Denis). Étudiante du master de création littéraire du Havre, elle écrit désormais un roman sur quatre spécimens de copines présentant la particularité de savoir lever le coude en milieu bistrologique, dont l’une est « une assistante sociale au bord du burn-out ». Spoiler : c’est pas triste.

Voici l’essentiel, à ce jour, des pièces que nous pouvons verser au dossier concernant notre invitée du soir répondant au nom d’Iris Kooyman. Nouvel élément, peut-être décisif : ces derniers mois, l’intéressée a compulsé les discussions ornithologiques du forum américain Reddit, notamment à propos de cette vertigineuse théorie du complot, Birds Aren’t Real, selon laquelle les oiseaux « n’existent pas » et seraient en réalité des drones de surveillance gouvernementaux.

Sensible à cette hypothèse, Iris Kooyman a donc mené l’enquête dans les volières secrètes de l’Hexagone, en remontant jusqu’au Général de Gaulle et le prototype d’un « pigeon robotique de surveillance des frontières » baptisé Lucien, expérimenté dès 1945. Une technologie que tous les Présidents de la Ve République ont utilisée par la suite en contrevenant à toutes nos libertés fondamentales : observer « la calvitie de la population, afin d’évaluer le nombre et les turpitudes du stock national de chauves » (Giscard), assurer le soutien logistique de la FrançAfrique, notamment au Rwanda (Mitterrand), muscler nos « basses barbouzeries » (Chirac, Sarkozy), « traquer les chômeurs récalcitrants » (Hollande) ou enfin – les pigeons ayant été dotés de la précision des drones développée depuis une sinistre « birdcave » cachée dans les îles du Frioul – « filmer les banlieues, les piquets de grèves et l’intégralité des manifestations des Gilets Jaunes, voire certains concerts en plein air » (Macron).

Mais le gouvernement n’a pas su anticiper la sagacité d’un groupuscule de hackers, Les Oiseaux Rares, qui ont réussi tôt ou tard à « cracker les codes » de ces cyber-piafs… pour une belle révolte anticapitaliste, qui ne ménagera pas non plus les nervis et porte-paroles du crypto-fascisme contemporain, non sans un ultime scoop. Comme le déclamait Benoît Poelvoorde dans C’est arrivé près de chez vous : « Pigeon / Oiseau à la grise robe / dans l’enfer des villes / à mon regard, tu te dérobes. »

Réalisation : Mathieu Boudon.

Pour écouter la précédente utopie d’Iris Kooyman, c’est ici : https://www.nova.fr/news/iris-kooyman-demain-les-francais-deviendront-peu-a-peu-des-opossums-141627-12-05-2021/

Image : campagne d’affichage contre les oiseaux-drones, vue sur Reddit (2020).

28 juin 2021

7:00

Delphine Bretesché : « Demain, nous relâcherons les mâchoires »

À Nantes, cette plasticienne, poétesse et dessinatrice se jette dans les bras « immenses et chaleureux » de l’avenir, après une expiration « dé-sidérante » inspirée par la « puissance de la douceur » chère à la psychanalyste Anne Dufourmantelle.

« La chute / Lente / Le décordé / Le corps / Lentement / Le qui monte plus / Plus dure sera l’ascension / Qui prend fin / La tension / La corde molle / La corde dure / La corde au cou / À la taille / à la taille de qui… » C’était en octobre 2019, aux cafés littéraires de Montélimar. Une randonnée immobile de dix minutes avec la plasticienne, poétesse et dessinatrice nantaise Delphine Bretesché, étirant les motifs escarpés de la triste formule d’Emmanuel Macron, lors de sa première interview télévisuelle post-élection, cimentant son image de président des riches : « Je crois à la cordée, il y a des hommes et des femmes qui réussissent parce qu’ils ont des talents, je veux qu’on les célèbre (…) Si l’on commence à jeter des cailloux sur les premiers de cordée, c’est toute la cordée qui dégringole. »

Formée aux Beaux-Arts de Nantes, l’artiste posait pas à pas, parfois mot à mot, son contre-poème sur le culte de l’ascension. « Corps et corde / Tirée d’où / Tirée vers / Où / L’haut / L’en haut / Que t’auras jamais / Jamais / Autrement / Qu’au-dessous / À voir les culs / Du dessus / Ceux qui grimpent / Les mains / Arrachées / Grimpe / Grimpe / Grimpe / Avec tes dents / Celles qui te restent / Grimpe / Grimpe / Grimpe / T’auras marché sur / Suffisamment / Grimpe / Grimpe / Grimpe / De têtes / Peut-être / Pour imaginer… » Dans les crevasses de ce texte vivifiant paru aux éditions Apocope accompagné des dessins de Clara Djian et Nicolas Leto, il est aussi question de « léchage des culs du dessus », des « miettes aux petits chiens », mais également, ça alors, en contrebas, de « ceux qui s’allient », qui ont quitté l’ascension « depuis longtemps » et qui apprennent à « marcher ensemble ».

Depuis, Delphine a poursuivi son éloge du collectif avec Marseille festin ! (éditions Laskine, 2020), témoignage de cinq semaines de résidence dans la cité phocéenne dans cinq quartiers différents, avec le repas cuisiné puis dévoré en commun comme motif éternel de compréhension, de fraternité et d’harmonie. « Qu’est-ce qui se déplace quand on se déplace ? Qu’est-ce qu’on offre ? Qu’est-ce qu’on reçoit ? Qu’est-ce qui résiste ? Et si la rencontre est une nourriture ? » Ce principe appétissant sera renouvelé dans un ouvrage à paraître, Québec festin !

Grimpant pour la seconde fois à bord de notre Arche, Delphine Bretesché, qui anime aussi depuis deux ans des ateliers d’écriture à la faculté de médecine de Nantes, se jette dans les bras « immenses et chaleureux » de l’avenir après une expiration « dé-sidérante », inspirée par la « puissance de la douceur » chère à la psychanalyste Anne Dufourmantelle, titre d’une « courte méditation » publiée en 2013. Cette dernière écrivait : « La douceur allège la peau, disparaît dans la texture même des choses, de la lumière, du toucher, de l’eau. Elle règne en nous par de minuscules brisures de temps, donne de l’espace, enlève leur poids aux ombres. » Et que ne durent que les moments doux.

Réalisation : Mathieu Boudon.

Pour écouter une autre utopie de Delphine Bretesché, c’est ici : https://www.nova.fr/news/delphine-bretesche-demain-eliminera-le-pourri-la-hache-38963-15-05-2020/

Pour voir Delphine Bresteché performer Premiers de cordée en solo intégral, c’est là : http://tapin2.org/premiers-de-cordee?fbclid=IwAR3ZyjGMCr3LNU83ZlD9DJcaQPl19LmFKcUaa5dBUuWwvnmdPxT63Th5HDQ

Image : Maps To...

24 juin 2021

4:32

Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp : « Demain, des Amérindiens vont déconquérir l’Europe »

À Genève, ces douze musiciens anticonformistes se font l’écho du possible voyage, cet été, d’une centaine de zapatistes mexicain.e.s pour des rencontres entre mouvements de résistance, de l’Espagne à la Russie, visant à obtenir « la destruction du capitalisme ».

« We’re OK, but we’re lost anyway. » Le titre du cinquième album de L’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp, à paraître le 2 juillet sur le label Bongo Joe, mériterait d’apparaître sur des milliers d’affiches aux quatre cents coins du globe, tant la formule résume notre sentiment après quinze mois de crise sanitaire. Pas de grandes remises en question pour le très attendu « monde d’après », juste un retour à l’anormal et le durcissement des discours politiques. De quoi rester, en effet, « perdus, quoi qu’il arrive », comme le chante en 2021 les douze membres de cette fanfare exploratoire à géométrie variable formée quinze ans plus tôt par le contrebassiste Vincent Bertholet, qui confie parfois : « À la base, le but était de faire un groupe de rock avec de la marimba. » Divers instruments se sont greffés pour repeindre notre monde de couleurs funk, soul, jazz, pop, dub, post-punk, highlife ou samba.

Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp : le nom, déjà, ne laisse guère indifférent les amateurs de curiosités hybrides, brassant la fièvre de légendaires combos africains (OK Jazz au Congo, Poly Rythmo au Bénin) et l’héritage anticonformiste de « l’anti-artiste » autodidacte, peintre et plasticien pataphysic-oulipien, qui demanda un matin : « Faut-il réagir contre la paresse des voies ferrées entre deux passages de trains ? » Sur son morceau Flux, l’OTPMD, lui, vocalise d’un ton monotone, équipé d’une cadence afro-beat striée de riffs à la Tortoise : « Des containers européens remplis de pommes pour la Chine croisent dans l’océan Indien des containers chinois remplis de pommes pour l’Europe. Ah ? Ah ? De jeunes paysans africains partent ruinés vers l’Europe, pour cueillir des tomates qui sont envoyées en Afrique. Ah ? Ah ? Oui, oui, oui, oui. »

Grimpant sur L’Arche de Nova, Vincent Bertholet se fait l’écho du possible voyage, cet été puis cet automne, de zapatistes mexicain.e.s à travers l’Europe, de l’Espagne à la Russie. En janvier dernier, des insurgé.e.s du Chiapas publiaient une « déclaration pour la vie », appelant à des rencontres entre des mouvements de résistance avec, pour but, « la destruction du capitalisme ». Le 2 mai, le voilier « La Montagne » a quitté le Mexique avec à son bord « quatre femmes, deux hommes et une personne transgenre » en direction de Madrid, pour une arrivée prévue le 13 août, cinq cents ans après « la prétendue conquête du Mexique » ; cette aventure est d’ores et déjà racontée en bande dessinée par Lisa Lugrin, à lire sur le site de Mediapart. De nombreux collectifs, présents par exemple sur la ZAD de Notre-Dame des Landes, sont impatients de les accueillir.

Comme l’explique le magazine radical Basta !, ces sept dé-conquistadors devraient être rejoints par plus de cent militant.e.s, « aux trois quarts des femmes », puis par des membres du Congrès national indien et du Front des villages en défense de la terre et de l’eau. Le fondateur de l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp imagine alors les conséquences inespérées de « l’escadron 4-2-1 » : sanglots des dirigeants européens et « démantèlement des grands empires commerciaux au profit d’initiatives paysannes locales ». Soon, we’ll be OK !

Réalisation : Mathieu Boudon.

Pour lire la BD de Lisa Lugrin, c’est là : https://blogs.mediapart.fr/le-voyage-pour-la-vie

Pour écouter une utopie d’Iroquois anarchistes, contée par...

23 juin 2021

5:30

Laureline Mattiussi : « Demain, des chiens érudits nous apprendront la beauté et la camaraderie »

À Bordeaux, cette autrice de bande dessinée lève la patte pour une imminente civilisation de toutous philosophes, sagement inspirée par « Demain les chiens » de l’Américain Clifford D. Simak.

« Jean Cocteau. On vous accuse d’être un touche-à-tout, un dilettante mondain, un séducteur opportuniste, un poète superficiel et un fantaisiste. Votre œuvre ne suit aucune logique. Vos métamorphoses agacent. » Dans Cocteau l’enfant terrible, magnifique biographie dessinée parue aux éditions Casterman en septembre dernier, Laureline Mattiussi et François Rivière imaginent le jeune et le vieux Cocteau conjointement convoqués au tribunal de leur existence. « On vous manque souvent de respect. Peut-être parce que vous manquez de sérieux. A-t-on jugé votre œuvre avec trop de désinvolture, ou êtes-vous un imposteur, un être éparpillé, pris en défaut de profondeur ? » Dans un subtil entrelac de tableaux noirs et blancs tracés à la plume et au pinceau, la vie tumultueuse du poète se déploie sous nos yeux captivés, en empruntant autant à la réalité qu’à ses œuvres sulfureuses. « Si votre maison brûle, qu’emportez-vous ? », demanda-t-on un jour au réalisateur du Sang d’un poète (1930), son premier film, considéré comme scandaleux pour sa « curiosité érotique, plastique et suicidaire ». Cocteau répondit : « Le feu. »

Seize ans plus tard, en 1946, Jean Cocteau a besoin du corps d’un chevreuil pour le tournage de La Belle et la Bête. Deux assistants lui apportent deux chiens morts, pullulant de mouches ; « en les amenant chez l’équarisseur et en leur fabriquant des bois… » C’est le genre de choses qui n’arriverait pas dans le futur canin prédit, depuis Bordeaux, par Laureline Mattiussi. Grimpant à bord de L’Arche de Nova, le dessinatrice et scénariste a rouvert l’une des huit nouvelles qui composent le recueil Demain les chiens de l’Américain Clifford D. Simak. Dans ce classique S.-F. de 1952 – l’un des livres de chevet de Michel Houellebecq –, une société de toutous érudits, doués de parole, étudient et commentent les quelques « douze mille ans » du règne humain sur la Terre, jusqu’à douter de l’existence de ceux auxquels ils ont succédé. Chiennes et chiens élaborent alors, « avec une clarté d’esprit inédite », leur propre utopie basée sur « la beauté, la compréhension de cette beauté – et plus important encore, la camaraderie, comme nul n’en a encore jamais connue, ni homme ni chien ». Belles bêtes. Les métamorphoses peuvent reprendre.

Réalisation : Tristan Guérin.

Pour écouter une autre utopie de chiens savants, contée par Eva Bester, c’est ici : https://www.nova.fr/news/eva-bester-demain-nous-serons-gouvernes-par-des-chiens-42171-19-11-2020/

Image : Mr. Peabody & Sherman : les voyages dans le temps, de Rob Minkoff (2014).

22 juin 2021

5:28

Rocé : « Demain, nous allons fédérer les forces de résistance »

La plume la plus politique du rap francophone nous engage à tisser des « lianes solides » entre les mouvements « écologistes, féministes, anticapitalistes et panafricains », pour faire briller les énergies « cachées sous la brume des systèmes d’oppression ».

« J’suis pas un ouf, je suis en colère. Vous êtes des oufs de ne pas l’être. » C’était fin mai, près des platines de Sims sur Nova : le retour époustouflant de la plume la mieux renseignée du rap francophone, vingt minutes de live avec Rocé « l’intrépide » – dont le flow posé navigua entre quelques-uns de ses titres exemplaires (On s’habitue, En apnée) et des tranches de son nouvel EP, Poings serrés, à paraître vendredi sur le label Hors Cadres. « Les MCs appellent punchlines ce que j’appelle écrire. ». Un tel échantillon de rimes « simples, intenses » rappela, si nécessaire, que le hip hop hexagonal peut évoquer autre chose que la virilité toxique de machos matamores, une bien pauvre obsession pour l’argent et la réussite individuelle, ou de pseudos exploits criminels.

Sur le récent Cxpitxlistes, celui qui se nomme à l’état-civil José Youcef Lamine Kaminsky écrit par exemple : « J'aimerais transformer le malheur en fleur / pour voir qui ferme le poing sur les épines / Tout ce qui y est bon dans cette vie se fait descendre / Mais on ne fera pas du feu avec des cendres / Ils ont cassé humanité et jambes / de l'Afrique à la cordillère des Andes (…) On est mangé par du capitalisme, alors on meurt sur du capitalisme (…) Ce monde nous vend le dépassement de soi / Pas pour le sport mais pour un poste en stage / Comme ça tu t'exploiteras toi-même / Pas pour l'oseille mais pour pas être en marge. »

Sur Tenir debout, ce « Russo-Algérien panafricain » né en 1977 à Bab-el-Oued, catapulté sept ans plus tard dans le 9-4, se demande : « On laissera quoi aux gosses à part une vie de start-up ? Des cagnottes, des hold-ups, des ragots et des carottes ? Aucune bonne intention, pas de projet de société, ils ne cherchent pas à protéger, ne cherchent pas à s’auto-gérer. » Puis Rocé égrène à toute vitesse la liste de ses principales références politiques et littéraires – Frantz Fanon, Miriam Makeba, Rosa Luxembourg, Aimé Césaire, Che Guevara… –, en passant par son père, Adolfo Kaminsky, résistant et spécialiste dans la fabrication de faux-papiers pour peuples en révolte aux quatre coins du globe.

Toujours disposé, depuis 2001, à « changer le monde », Rocé grimpe avec panache à bord de L’Arche de Nova et nous engage à « tisser des lianes solides » entre les mouvements « écologistes, féministes, anticapitalistes et panafricains », ainsi que d’inclure « l’Histoire des vaincus à l’école », pour faire briller les énergies collectives « cachées sous la brume des systèmes d’oppression ». Tandis que les gauches rament à s’unir face à l’effarante montée de l’extrême-droite aux multiples visages, le rappeur nous incite, si, on peut le faire, à « briser l’inertie ». 

Pour réécouter Rocé chez Sims, c’est là, à partir de 41’00 : https://www.nova.fr/news/sims-sur-nova-30-avec-roce-142902-24-05-2021/

En concert le 9 juillet à Roubaix (La Condition publique).

Image : Rocé photographié par Ousmane Diaby, tous droits réservés.

21 juin 2021

5:34

Christophe Siébert : « Demain comme aujourd’hui, les diamants brillent mieux dans la merde »

À Clermont-Ferrand, ce romancier de l’apocalypse, qui flippe à mort dès qu’il entend parler d’utopies, nous offre une visite guidée de sa Gotham City post-soviétique : la « République indépendante de Mertvecgorod », dégueulasse et corrompue, où les kebabs ont enfin ce goût d’hydrocarbure dont il rêve la nuit.

Ce sera, probablement, le bouquin le plus poisseux de la rentrée. Son titre, déjà : Feminicid, en librairies le 16 septembre, deuxième tome des chroniques de la « République indépendante de Mertvecgorod », un an et demi après Images de la fin du monde, tous deux publiés aux éditions Au Diable Vauvert. Dédié aux victimes de l’authentique féminicide perpétré dans la ville-frontière de Ciudad Juárez au Mexique depuis 1993 (quatre cents femmes assassinées, six cents disparues), le nouveau roman de Christophe Siébert est une sorte de Millenium craspec, à la sauce ruskoff. Son héros, Timur Maximovitch Domachev, est un fouille-merde, un résidu de journaliste spécialisé dans « les égouts et le caniveau », sans « aucune conscience sociale ni politique, aucune culture ». Son destin bascule le jour où il est contacté par des « aktivisti » énervées représentées par la mystérieuse Lily (ses loisirs : la techno hardcore, le chamanisme, la sexualité sacrée, les drogues synthétiques artisanales). Au prix d’une balle dans la tête, Timur enquêtera avec elle sur les milliers de meurtres atroces qui frappent les dames de Mertvecgorod.

Mertvec-go-quoi ? L’auteur décrit sa Gotham City comme « une mégapole déliquescente de sept millions d’habitants, post-soviétique et pré-apocalyptique, dévorée par la pollution, perdue dans la toundra, pourrie jusqu’à la moelle, criblée de surnaturel. La version russe du Los Angeles de Blade Runner. Le Londres de Jack l’éventreur déplacé à la frontière ukrainienne. » Depuis sa (vraie) ville de Clermont-Ferrand, ce prince des ténèbres de l’underground littéraire, qui depuis plus de vingt piges propose via sa prose macabre un « réalisme critique et une forme de naturalisme social qui mêle horreur, pornographie et gore », très justement récompensé du prix Sade pour sa Métaphysique de la viande (2019), nous offre une visite guidée de sa contrée « où ça grouille, ça pue et ça braille », « purement, totalement soumise aux passions humaines : orgueil, avidité, narcissisme, impulsivité, égoïsme, libido ». Quelque part, oui : un futur désirable.

Réalisation : Mathieu Boudon.

Pour en savoir plus sur le parcours de Siébert et la « fabrication » de cet écrivain, c’est ici : https://audiable.com/boutique/cat_document/fabrication-dun-ecrivain/

Image : Joker, de Todd Philipps (2019).

17 juin 2021

6:01

Maya McCallum : « Demain, chaque jour, une heure à ne rien faire, rideaux tirés »

À Paris, cette dessinatrice franco-écossaise esquisse le « service civique d’inactivité », un rendez-vous quotidien obligatoire avec l’ennui et « l’immobilité inefficace », sans écrans ni yoga. Zéro injonction à être zen. Une heure pour que dalle, nada, walou. Waou !

Un arbre lui pousse dans le cœur. Pour Faune et flore, l’un de ses autoportraits à l’encre noire sur fond blanc rassemblés dans l’exposition Double Trouble visible à la galerie parisienne Arts Factory jusqu’au 26 juin, Maya McCallum se représente assise, le sein gauche à l’air libre, entourée d’angelots chérubins qui peignent ou croquent des fruits défendus, dans un ardent buisson de mains élastiques et de fleurs vaginales. Pour Sacré-cœur, son alter ego s’accroche à un myocarde en flammes, que trois cosmonautes en apesanteur semblent analyser ; les anges se sont démultipliés et cette forêt de symboles ésotériques devient de plus en plus inquiétante. Enfin, sur Printemps 2020, elle apparaît via trois versions d’elle-même masquées et ligotées sur une chaise, tenant un crayon, un sablier ou la planète Terre, avec es œufs sous cloche et un pangolin dont on ne voit que la queue ; tout autour, sept anges dansent en regardant tourner des horloges.

Mais qui est Maya ? Selon ses propres mots, cette dessinatrice franco-écossaise de 43 ans est une « enfant de la Goutte d’Or », qui vit et travaille à Bagnolet (Seine-Saint-Denis), après avoir « écumé dès 1995 la scène rock indépendante avec de nombreux projets à l’esprit Do It Yourself largement assumé ». Très tôt « fascinée par le surréalisme, le psychédélisme ou la dimension médiumnique de certains artistes issus de l’art brut », elle pose ses guitares début 2014 pour reprendre le dessin, via des « fresques érotico-baroques réalisées à la limite de l’état de transe » ou de « foisonnantes frises aux motifs hérités de la Renaissance », entre esthétique punk-rock, iconographie judéo-chrétienne et décorum fétichiste.

Pour Double Trouble, expo qui l’associe au dessinateur Jean-Luc Navette, elle revisite donc l’art de l’autoportrait, via des dessins qui saisissent par la luxuriance minutieuse de leurs détails. « Ma technique me demande des heures (des jours, des mois) pour finir un dessin. Cet appel impératif et obsessionnel des détails, des petits traits noirs, m’apporte une qualité de concentration proche de la méditation. Ce temps long et suspendu est devenu le refuge évident de ma pensée, une accalmie salvatrice, à contre-courant d’un monde qui me semble souvent trop peuplé, trop bruyant, trop rapide pour ma nature plutôt contemplative. »

Ces accalmies, un soir, lui ont donné une idée, qu’elle esquisse ici : le « service civique d’inactivité », un rendez-vous quotidien obligatoire avec l’ennui et « l’immobilité inefficace », sans écrans ni yoga. Zéro injonction à être zen. Une heure pour que dalle, nada, walou. Waou !

Réalisation : Mathieu Boudon.

Galerie Arts Factory, 27 rue de Charonne, Paris 11e.

Pour écouter une autre utopie improductive signée du musicien Floyd Shakim, c’est ici : https://www.nova.fr/news/floyd-shakim-demain-on-applaudira-tout-ce-qui-est-rate-foireux-mal-prepare-130414-25-02-2021/

Dessin : Maya McCallum, fragment de Vanité (2019).

16 juin 2021

7:21

Camille Brunel : « Demain, plein les villes, des chênes centenaires »

Lauréat 2020 du Prix de la Page 111, cet écrivain de Châlons-en-Champagne nous branche sur un plan de reforestation de l’Europe, pour planter des cèdres ou des saules à la place des champs de monocultures qui servent, majoritairement, à nourrir le bétail. 

« Il nous faudra des millénaires pour démanteler les anciens dieux, et le démantèlement virera au culte. Mais pour la Terre, ça s’achèvera comme ça. Les cerfs croisant à nouveau les belettes au milieu des forêts ; des renards leur filant entre les pattes à l’affût des poussins protégés par leur mère, aux plumes rousses – sans personne pour les broyer, les abattre ni les enfumer. » Paru en septembre aux éditions Alma, récompensé sur Nova du très convoité Prix de la Page 111, Les Métamorphoses, le second roman de Camille Brunel, se déroule dans un avenir proche où une pandémie transforme soudain les humains en bestioles, au hasard. En hyène, en écrevisse, en brebis, en taon. La société toute entière s’en trouve assez naturellement bouleversée. « Et dans l’Amazonie, dont on n’arrivera pas à croire qu’on ait pu l’incendier sciemment, il n’y aura plus personne pour épier les lamantins croisant les dauphins croisant les piranhas(…) J’ai rien compris, mais je t’aime. »

Pour sa septième utopie à bord de L’Arche de Nova, ce drôle d’oiseau de Châlons-en-Champagne (Marne), qui publiera bientôt un Éloge de la baleine aux éditions Rivages, nous branche sur un plan de reforestation de l’Europe, pour planter des cèdres ou des saules à la place des champs de monocultures qui servent, majoritairement, à nourrir le bétail. « Il y aura plus de forêts en France qu’on en a vues depuis la Préhistoire. Ce qu’on prenait pour des édens arboricoles – la Colombie-Britannique, Yellowstone, ce genre de spots de rêve – ce sera chez nous. La Chine regardera l’Europe comme Manhattan regarde le Yukon. L’Europe sera le far-west ré-ensauvagé de l’Asie, et non cette espèce de plaque de béton pullulant de promoteurs immobiliers et de pilotes de bulldozers. Elle ne sera plus tartinée de monocultures comme aujourd’hui, qui font parfois ressembler la Champagne au Sahara… la poésie des champs de blé à perte de vue, c’est mignon deux minutes, mais quand on pense aux forêts dont ils ont pris la place, on réalise qu’on a raté de peu l’époque où les paysages français étaient autrement plus touffus que ces dunes de céréales qui lissent l’horizon. Mais un jour, on pourra arrêter de se dire qu’on est arrivés après la désertification… puisqu’on sera nés après la reforestation.»

Autre idée de l’écrivain, qu’on aimerait bien aussi voir prendre racine, pour calmer tout le monde : « Quant aux éoliennes qui fonthurler les réacs, on ne les voit même plus. Cachées par la canopée. »

Réalisation : Mathieu Boudon.

Pour écouter la précédente utopie de Camille Brunel, c’est là : https://www.nova.fr/news/camille-brunel-demain-la-variete-de-lespece-humaine-explosera-143223-25-05-2021/

Image : Le domaine des dieux, de René Goscinny & Albert Uderzo (1971).

15 juin 2021

5:57

Romain Dutter : « Demain, les murs seront remplacés par des ponts »

Ce travailleur social organisa pendant dix ans des concerts à la prison de Fresnes, en invitant Gaël Faye, Vaudou Game, Youssoupha ou Sofiane Saidi. Co-auteur d’une BD sur cette expérience électrique, il aimerait maintenant, d’un geste, faire sauter les barrières de béton.

« Dix ans que je suis derrière les barreaux. Enfin, je me lève chaque matin pour aller en prison. J’en sors en fin de journée, rassurez-vous. » Dans Symphonie carcérale, sa première BD dessinée par son ami Bouqé paru en 2018 aux éditions Steinkis, Romain Dutter raconte son travail de coordinateur culturel au sein du Centre Pénitentiaire de Fresnes (Val-de-Marne), l’une des plus vieilles zonzons françaises en activité, la deuxième en termes de taille et de capacité : 3000 personnes y sont incarcérées. Au quotidien, sa mission consiste à mettre en place des ateliers (théâtre, écriture, musique) et, pour ce mélomane compulsif également batteur d’un groupe de cumbia, d’organiser des concerts. Parmi les invités de ses « Journées Zébrées » de barreaux, notons le nombre éclatant d’artistes joués sur Nova : Youssoupha, Vaudou Game, Gaël Faye, Sofiane Saidi, Arat Kilo, le Congolais Jupiter Bokondji et son orchestre Okwess, leurs compatriotes du Staff Benda Bilili, Scred Connexion ou David Neerman.

« Au fil des années, la prison est un peu devenue la deuxième MJC de la ville », écrit Romain surnommé « Romano », à qui la direction fit entièrement confiance en termes de programmation. Dans ce « monde béton, inhumain, rétréci, sans aucun lendemain » chanté par Trust dans sa chanson Le mitard, le trentenaire a bien conscience que ces lives, difficiles à monter, ne sont « qu’un infime pansement sur toutes les plaies carcérales ou sociétales », tout en sachant que cette « goutte d’eau est vitale » pour certains détenu.e.s. À la fin du livre, ce travailleur social s’avoue cependant « usé ». « Tous ceux qui s’intéressent un tant soit peu à la prison partagent le même constat depuis des décennies : la prison ne réinsère pas (ou peu), elle détruit les personnes qui y séjournent, la peine de prison reste trop souvent sans contenu et l’oisiveté y règne en maître, conduisant notamment à des phénomènes de violence et/ou de radicalisation », écrit encore Dutter, en citant, par le biais d’une étude de l’Observatoire international des prisons, le modèle suédois, qui maintient un minimum de quatre à cinq heures d’activités culturelles par jour aux personnes incarcérées, dont près de la moitié participe aux ateliers.

Préparant avec Bouqé la sortie de Good bye Ceausescu, leur seconde BD sur la « révolution » roumaine de 1989 (à paraître en septembre 2021, toujours chez Steinkis), attelé à l’adaptation du roman Le jour d’avant de Sorj Chalandon (avec le dessinateur Simon Géliot), en pleine écriture d’un quatrième scénario (sur sa passion pour l’Amérique latine), Romain Dutter grimpe à bord de L’Arche de Nova pour faire péter les murs et les transformer, selon les vœux d’Isaac Newton, en ponts.

Souvenons-nous alors, dans un murmure – pardon, dans un pont-pont – des vers de l’Haïtien James Noël, dans son long poème en prose La Migration des murs en 2016 : « Devant les murs, les pans de murs, les murs pour rien, les murs en masse, les murs en pente élevés comme pour rire, le monde s’embrouille, roule sa barque dans la farine, s’enfonce gravement dans la théorie du mortier et la pratique du gravier strict. La Terre se défonce, s’ensable platement dans l’asphalte (…) Il faudrait un peu méditer sur les murs des maisons qui parfois sont sans fenêtre, ni porte de secours. Nulle vue qui ne donne sur l’humain (…) Solide absence de liens, solide absence de ciment social des espèces et des espaces. Fortement critique, le cas clinique du monde au pied du mur (…) Viendra un jour un peuple de maçons de dernière heure qui se retournera d’un seul bond, en...

14 juin 2021

5:42

Balaphonics : « Demain, toute philosophie de distinction entre les races sera pour toujours discréditée »

Tandis que les thèses d’extrême-droite n’ont jamais eu tant d’écho dans l’Hexagone, cette fanfare afro-groove francilienne relit les mots du dernier empereur d’Ethiopie, Haïlé Sélassié, prononcés à la tribune des Nations-Unies en 1963.

« La musique guérit nos âmes égarées depuis la nuit des temps. » Dix ans déjà que Balaphonics, réunion en fanfare de neuf musiciens franciliens sous le signe de l’afro-groove, soigne nos corps et nos esprits. Leur dernière ordonnance est épicée : Spicy Boom Boom, second album sorti ce printemps, nous prescrit des prises quotidiennes de highlife, d’éthio-jazz ou de rumba congolaise, antidotes possibles aux thèses d’extrême-droite qui salissent de plus en plus souvent le débat public hexagonal. Enregistré à Bamako et à Pantin (Seine-Saint-Denis), le disque séduit par son idée du métissage et la joie contagieuse de ses arrangements, amplifiées par la présence de nombreux invités : le griot malien Moriba Diabaté, le rappeur jamaïcain Franz Von, la chanteuse burkinabé Kandy Guira ou les Congolais menés par Jupiter Bokondji (présents cette semaine dans notre Chambre noire).

« Faire écho pour nous rassembler, échanger », entend-t-on sur le morceau Onalala. Par la voix du batteur Florent Berteau, ces ambassadeurs du balafon baladeur prolongent cette pensée pacifiste en relisant pour L’Arche de Nova les célèbres paroles prononcées par le dernier empereur d’Ethiopie, Haïlé Sélassié, à la tribune des Nations-Unies en 1963, qui seront littéralement reprises et adaptées par Bob Marley sur sa chanson War (1976). « Tant que la philosophie qui considère qu’une race est supérieure et une autre inférieure ne sera pas finalement et en permanence discréditée et abandonnée ; tant qu’il y aura des citoyens de première et de seconde classe dans une nation ; tant que la couleur de la peau d’un homme aura plus de signification que celle de ses yeux… » À se remettre en tête avant d’aller voir Balaphonics en concert, le 26 juin à Oignies (Pas-de-Calais), le 16 juillet à Massy (Essonne) ou le 24 juillet à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines).

Réalisation : Mathieu Boudon.

Pour voir le magnifique clip animé de Demain, dès l’aube réalisé par Mathieu Choinet, c’est ici : https://www.youtube.com/watch?v=d7Kg8t3uMO0&ab_channel=BALAPHONICS-afrobrassband

Image : drapeau levé pour Haïlé Sélassié lors d’un concert de reggae à Saint-Elizabeth, Jamaïque (2012).

10 juin 2021

3:56

Sarah Biasini : « Demain, la vérité nous sautera aux yeux »

Avant de reprendre le rôle de « Mademoiselle Julie » au festival d’Avignon, la fille de Romy Schneider nous incite à porter des lunettes extra-sensorielles, les « Véri-Verres », qui révéleront instantanément les émotions de notre entourage, telle une « réalité augmentée adaptée aux relations sociales ». Vu ?

Elle a joué Feydeau, Sweig, Shakespeare. Du 7 au 30 juillet au festival d’Avignon, Sarah Biasini reprendra le rôle de Mademoiselle Julie, tragédie en cuisine du Suédois August Strinberg (1889) sur la lutte des classes et les jeux de pouvoir et de séduction entre trois personnages à la veille de la nuit de la Saint-Jean, mise en scène par Christophe Lidon avec Déborah Grall et Yannis Baraban. À 42 ans, cette native de Ramatuelle a fait ses preuves en tant que comédienne, mais les gens ne lui parlent que de sa mère (y compris à la maternité, en devenant mère à son tour, pendant l’accouchement, entre deux contractions), à laquelle elle ressemble certes beaucoup et qu’elle évoqua, en tout début d’année, dans un livre : La Beauté du ciel, aux éditions Stock. « Si j’écrivais ici le nom de ma mère, j’aurais l’impression de parler de quelqu’un d’autre, d’une étrangère. Son nom d’actrice, de travail, ne lui appartient presque plus et j’ai l’impression qu’à moi, il n’a jamais appartenu (…) L’appeler ma mère, il n’y rien de plus beau. Personne à part moi ne peut le faire. Je ne vais pas m’en priver (…) Personne ne veut oublier ma mère, à part moi. Tout le monde veut y penser, sauf moi. Personne ne pleurera autant que moi si je me mets à y penser. »

Dans l’impressionnante filmographie de Romy Schneider, Sarah Biasini voit et revoit, « entre peur, gêne et fascination », La Piscine (Jacques Deray, 1969), César et Rosalie (Sautet, 1972), Le vieux fusil (Robert Enrico, 1975) ou Une histoire simple (Sautet, 1978). Elle adore aussi son sens du tempo dans la comédie d’espionnage What’s New Pussycat ? (Clive Donner, 1965). Et dans Les Choses de la vie (Claude Sautet, 1970), une scène apparemment anodine retient son attention. Romy interprète Hélène qui, devant sa machine à écrire, au petit matin, ne sait plus comment traduire de l’allemand le mot « mentir ou, non, pas mentir ; tu sais, quand on invente des histoires ? » Et Michel Piccoli, en peignoir, clope au bec, répond : « Affabuler. »

C’est peut-être de là, de ce bref moment d’intimité de l’Histoire du cinéma, qu’est venue à Sarah l’idée des « Véri-Verres », des lunettes spéciales, « bioniques, extra-sensorielles », qui révèlent instantanément les émotions authentiques de notre entourage. « Une petite machine sensible, intelligente, qui nous aiderait à VOIR les gens AUTREMENT. La réalité augmentée adaptée aux relations sociales. Pour que la vérité nous saute aux yeux. »

Réalisation : Mathieu Boudon.

Mademoiselle Julie, du 7 au 30 juillet au Théâtre des Halles, chaque jour à 16h30, 4 rue Noël Biret, Avignon.

Image : Invasion Los Angeles, de John Carpenter (1988).

09 juin 2021

6:35

Blandine Rinkel : « Demain, se couper la parole sera gage de bêtise »

Dans un livre d’entretien baptisé « Tout tremble », cette écrivaine parisienne, chanteuse et danseuse du groupe Catastrophe, aligne des idées pour un monde « plus sensible, sans se laisser aliéner par le pouvoir, l’argent, la technique ».

« Dans un monde qu’on dit sans espoir, nous essayons de rester malicieux (…) De ne pas laisser la sidération gagner la partie. De déjouer la fatalité, mais avant tout celle qu’on éprouve en soi-même. C’est en ce sens, mathématique, que nous sommes positifs. » Dans un livre d’entretien baptisé Tout tremble, co-écrit avec le journaliste Jean-Marie Durand et publié ce printemps par les Presses Universitaires de France, Blandine Rinkel confie sa peur d’une « massification » de la bêtise, « celle qui consiste à répéter mécaniquement des choses qu’on n’a pas comprises ». L’autrice parisienne de 30 ans admet bien entendu qu’il lui arrive –comme nous tous – de tirer des conclusions de la simple lecture du titre d’un article, de répéter des opinions toutes faites, « des insultes ou des indignations », « d’imiter, de jouer à, de mentir parfois », comme la narratrice de son dernier roman en date, Le Nom secret des choses (Fayard, 2019).

À moins d’un an des élections présidentielles, la parolière, chanteuse et danseuse du groupe Catastrophe s’effraie de cette attitude (« qui gagne du terrain ») consistant à « abdiquer toute personnalité » en se ralliant « à une même formule, à un même cliché ». Ces comportements moutonniers lui rappellent aussi le brillant film d’animation de l’Américain Charlie Kaufman, Anomalisa, dans lequel, dit-elle, « un homme est si sclérosé par l’aspect mécanique de sa vie que pour lui tous les humains ont exactement le même timbre de voix. Jusqu’à ce qu’il rencontre quelqu’un – une autre voix – pour la première fois. » Dans ses lectures adolescentes, Blandine Rinkel a entendu « des aveux d’imperfection, des refus de n’engager que des relations de pouvoir » et la leçon fut la suivante : savoir dire je ne sais pas, assumer sa vulnérabilité, développer une pensée propre.

« La jeunesse n’a d’autre choix que la responsabilité. » Tandis que Catastrophe repart enfin en tournée à l’affiche notable ce jeudi 10 juin du festival des Inrocks à l’Olympia avec La Femme et les Hollandais turcophiles d’Altin Gün, sa meneuse de revue énumère à bord de L’Arche de Nova des propositions pour un monde « plus sensible, sans se laisser aliéner par le pouvoir, l’argent, la technique (…) où cultiver sa conscience, son imagination, serait considéré comme souhaitable. » C’est sur ces mots, quasiment, que se conclut Tout tremble.

Réalisation : Mathieu Boudon.

Catastrophe jouera Gong ! et autres surprises ce mercredi 9 juin à Rennes, le 15 à Saint-Brieuc, le 18 à Marseille, le 26 à Mayenne ainsi qu’un peu partout en France jusqu’à mi-novembre.

Image : Anomalisa, de Charlie Kaufman (2015).

08 juin 2021

5:48

Yves Pagès : « Demain, grêveuses, grêveurs, le système va imploser en douceur »

À Paris, cet écrivain et éditeur fomente la révolte « horizontale » de « l’an zéro virgule un », lors d’une « panne d’oreiller interactive » des Français.es, épuisé.e.s par « les excréments de langage » et « la guérilla psychique du capital-risque ». 

Son livre est délicatement dédié « aux quantités négligeables ». Dans Il était une fois sur cent, drôle de recueil de « rêveries fragmentaires sur l’empire statistique » publié ce printemps aux éditions La Découverte, Yves Pagès rassemble des centaines de pourcentages glanés pendant des années sur un carnet, l’oreille tendue, l’œil alerte, en lisant les journaux, en écoutant la radio. « Vertigineux inventaire », qu’il se hasarde à interpréter pour insuffler du vivant et des « utopies discordantes » et « traquer les failles implicites » au pays des chiffres. « Il était une fois – entendez une fois sur cent – un seul aristocrate au sang bleu parmi cent Français de toutes extractions sous l’Ancien régime ou, pour revenir à notre immédiat contemporain, un rare mec développant un cancer du sein pour quatre-vingt-dix neuf femmes atteintes d’une tumeur mammaire. De même, il n’est qu’un rouquin de naissance pour chaque centaine de têtes blondes, brunes, auburn, châtaines, qu’un seul mâle repenti à s’être fait retirer son tatouage ou qu’une adulte sur cent sondées de sexe féminin à se déclarer bisexuelle. Pareil pour l’infime proportion d’ados sachant siffler au moyen de 2 fois 2 doigts calés à la commissure des lèvres, sans négliger que, sur les millions de courriers publicitaires envoyés dans nos boîtes aux lettres, 1% d’entre eux reviennent à l’envoyeur avec la mention N’habite plus à l’adresse indiquée. »

Et que faire du 1% de diagnostiqués schizophrènes, de bouddhistes pratiquants, de citoyens gardés à vue dans un commissariat, « de petiots non encore scolarisés en maternelle », de « kleptomanes aux deux tiers plutôt woman », d’« automobilistes sans permis d’ainsi se conduire », de femmes « encartées dans une société de chasse », ou de « profils Facebook s’affichant à titre posthume » ? Peut-être sont-ils liés, allez, par un sentiment commun d’aliénation qui commence sérieusement à leur courir sur le haricot (bio à 66,66%). Celui d’être épuisé.es par « le grand bla-bla managemental » qu’Yves Pagès décrit avec humour dans cette vision d’anticipation en hommage à L’An 01, cette merveilleuse bande dessinée signée Gébé en 1970, où la société dans son ensemble se met à l’arrêt pour réfléchir – influence première de L’Arche de Nova.

Co-directeur des éditions Verticales, auteur d’une quinzaine de livres (romans, essais, photos), l’écrivain parisien fomente la révolte « horizontale » de « l’an zéro virgule un », lors d’une « panne d’oreiller interactive » des Français.es devenu.e.s « grêveuses et grêveurs » en quête d’« anonymaginaires en libre partage ». Suivons-le à 100% !

Réalisation : Mathieu Boudon.

Yves Pagès sera statistiquement présent ce jeudi 10 juin à 19h à la Maison de la Poésie de Paris lors d’une rencontre animée par Sophie Joubert, ainsi que samedi 12 juin à 17h pour un goûter-lecture à la librairie L’Atelier, 2 bis rue de Jourdain, métro Jourdain, Paris.

Image : L’An 01, de Jacques Doillon, Alain Resnais et Jean Rouch (1973).

07 juin 2021

6:44

JoeyStarr : « Le monde de demain, on attend toujours »

Pour les trente piges du premier album « authentik et radical » du Suprême NTM, le Jaguar Gorgone déclame a cappella les paroles de leur hit emblématique initial, qui incitait l’élite à « regarder sa jeunesse dans les yeux ».

« Je suis le haut-parleur d’une génération révoltée prête à tout ébranler / même le système qui nous pousse à l’extrême / Mais NTM Suprême ne lâchera pas les rênes. » 3 juin 1991 : date-clé pour le hip hop francophone via la sortie d’Authentik, premier album d’un posse de Seine-Saint-Denis appelé à devenir légendaire. Déjà familiers des studios de Radio Nova via leurs passages dans l’émission Deenastyle de Lionel D et Dee Nasty, les deux principaux MCs nommés JoeyStarr et Kool Shen, 23 et 24 ans à l’époque, affirment « combattre pour la jeunesse, pour faire valoir leurs droits » face au « pouvoir institutionnel », « armés » de leurs textes urgents et portés par la production plaquée or de DJ S

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Quelques mois plus tôt, le 9 octobre 1990, le groupe a publié un 45-tours à succès intitulé Le monde de demain qui, tout en samplant T stands for Trouble de Marvin Gaye, évoque le « point critique » des tensions en banlieue suite à des décennies de mépris de la part des élites politiques. « La délinquance avance », la violence aussi, clament les rappeurs du 9-3 dans cet « appel » à ceux « qui commandent en haut-lieu » ; un vrai morceau de « lanceurs d’alerte » comme on dirait aujourd’hui, pour dire le risque de guerre civile nourrie par l’exclusion, le racisme systémique et le désir consécutif de « tout foutre en l’air ».

Trente ans plus tard, c’est avec ce hit emblématique initial que JoeyStarr conclue cette journée anniversaire sur Nova, au cours de laquelle il joua les programmateurs très spéciaux. Grimpant à bord de L’Arche de Nova, l’expert de la maison-mère relit pour nous, a cappella, les paroles du monde de demain – tandis que vient de s’achever à Paris le tournage de la série du même nom sur l’épopée Nique Ta Mère, réalisée par Katel Quillévéré et Hélié Cisterne, à découvrir prochainement sur Arte en 6 épisodes de 52mn. Le film Suprêmes, mis en scène par Audrey Estrougo, sortira en salles, lui, le 24 novembre 2021. « Le monde de demain, quoi qu’il advienne, nous appartient… on attend toujours », lâche le Jaguar à notre micro, sans illusion.

Propos recueillis par Reza Pounewatchy. Réalisation : Mathieu Boudon.

Pour écouter les quatre saisons du podcast Gang Stories raconté par JoeyStarr, c’est ici : https://www.deezer.com/fr/show/901962

Image : extrait du clip du Monde de demain, réalisé par Stéphane Sednaoui (1991).

03 juin 2021

4:42

Lo’Jo : « Demain, du haut de l’âge, nous lancerons des pétales sur les ruines »

Du côté d’Angers, le généreux chanteur et « poète-à-chapeau » de cette caravane de fieffés bourlingueurs-funambules cherche le « perfect timing du mouvement de nos existences » à l’écoute des dernières splendeurs du pianiste sud-africain Abdullah Ibrahim.

« Tout est si minuscule. Ce vieux piano bancal qui parle d’océan. Et le reste, il s’en moque. » La voix grave pose en quelques mots un décor de « rafiots rouillés », soutenue par des chœurs angéliques. Plus tard, « un matelot naufragé construit une voile de plumes. Tout est majestueux. » Sur Transe de papier, seizième album des nomades angevins de Lo’Jo paru en décembre sur le label Yotanka, une chanson peut tout à fait « flâner dans le jardin », en sentant « le lys et le jasmin », tout en « prenant le pouls des solitudes, car… », dit Denis Péan, « … je suis l’incertain qui dérobe le parfum au deuil de quelques roses ». Ces tendres vers seront repris à la fin du disque, en français s’il lui plaît, par l’immense ami anglais Robert Wyatt, tandis que le batteur légendaire de l’afro-beat, le regretté Nigérian Tony Allen, secoue ses fûts sur deux titres qui compteront parmi ses ultimes enregistrements.  

Oh, mais qui est Lo’Jo ? Depuis trente ans et selon leurs propres termes : « Un grand souk acoustique qui proposerait au chaland esbaudi arômes de guinguette et effluves tziganes, valse apache et bamboche rasta, blues berbère et swing africain, rock et danse du ventre, groove et vaudou. Un sacré Bazar Savant avec henné et barbe à papa, muezzins et camelots ». « Une caravane de fieffés bourlingueurs-funambules-globe-trotters » dont le « charme aventureux » reposerait sur « ces violons aux coups de reins voluptueux, ces cascades de kora agile, ces chœurs féminins virevoltants et ces percussions acrobatiques, arômes polyrythmiques, petites fleurs pentatoniques ». Sans oublier, donc, les textes d’un chanteur et « poète-à-chapeau », le père Péan, « mélange de sabir guttural et de poésie à la Desnos, entre fables de griots et aphorismes humanistes, mêlant français, espagnol, arabe, créole ou anglais » ; un lecteur sûr, bluffé pour toujours par la prose d’Henri Michaux ou plus récemment par le « néo-langage » du roman S.-F. Les Furtifs d’Alain Damasio.

Pour L’Arche de Nova, Denis Péan s’accorde une nouvelle pause à L’hôtel du souvenir, cette chanson méditative où ce tout jeune sexagénaire paraissait « hypnotisé » par sa « vie de bohème ». Il revient sur l’utopie de Lo’Jo, cette maison communautaire des environs d’Angers qui accueillit dix-sept ans durant des artistes des lointains, « havre de paix, quartier général des fantaisies, bouée pour quelques humains en rupture de ban, école quotidienne pour le partage ». Puis s’interroge avec sagesse sur le « perfect timing du mouvement de nos existences » à l’écoute des dernières splendeurs du pianiste sud-africain Abdullah Ibrahim, en solo sur Dream Time (2019). Avant de laisser un ami musicien, Scott Taylor, chanter « l’oubli » et le passage de « trois anges » en s’accompagnant au sanza. Tout est majestueux.

Réalisation : Mathieu Boudon.

Lo’Jo sera en concert le 18 juin à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), le 9 juillet à Miramas (Bouches-du-Rhône) ou le 28 août à Pézénas (Hérault).

Image : Lo’Jo, tous droits réservés (2017).

02 juin 2021

6:12

Marcelle Gaitet : « Demain, travaillez raisonnablement pour vivre raisonnablement »

Dans l’Ain, cette bouchère à la retraite – qui vient de fêter ses 90 ans et se trouve être, ça alors, la grand-mère du créateur de ce podcast – découpe des conseils sur-mesure pour les générations futures.

La scène rappelle un peu Un dimanche à la campagne, de feu Bertrand Tavernier. Passage express ce week-end à Miribel (Ain), près de Lyon, pour célébrer comme il se doit les quatre-vingt dix printemps de ma grand-mère paternelle, Marcelle Marchand, benjamine (sur cinq enfants) d’un tourneur-ajusteur et d’une femme de ménage. Dans sa prime jeunesse, Marcelle est l’employée d’une usine de tissage, tout en participant pour ses loisirs à des ballets, aux ateliers de gymnastique rythmique, au groupe théâtral – elle joue Feydeau – et surtout à la chorale de l’union laïque, où elle chante Étoile des neiges et rencontre un garçon « toujours dans les bagarres », René Gaitet.

Une fois marié, le couple reprend puis tient de 1952 à 1974 la boucherie-charcuterie des parents de René. Tranches de confidences : « Je n’y connaissais strictement rien, pas capable de différencier le veau du bœuf ! J’ai débarqué comme ça. Pendant que René faisait ses tournées en camion à la campagne, moi je tenais le magasin. Au début, les clientes en profitaient un peu, je coupais pas comme il faut, j’abimais la viande, mais c’est rentré, à force. Fallait se lever à 4h du matin, tout préparer pour l’ouverture, jusqu’à 20h, du mardi matin au dimanche midi avec quand même une fermeture en milieu de journée, pour nettoyer la machine à jambon. Le lundi, le grand-père allait chercher ses bêtes à la ferme et il les tuait dans notre abattoir. Puis fallait faire la tripe, détailler, tirer parti de tous les organes commercialisables. Aujourd’hui, c’est moins difficile : les bouchers se font livrer. On a travaillé bien deux ans sans personnel. Après, on a pris un employé, qui désossait. Mais après, on arrivait à trop travailler, donc j’ai proposé à René d’abandonner ses tournées, qu’on travaille que tous les deux, sans personnel, sans femme de ménage. J’aimais le contact. J’achetais des kilos de bonbons pour les gosses qui passaient dire bonjour. Et chaque premier de l’an, les clients arrivaient de leur réveillon pour boire le café. C’était dur, mais tellement sympa. »

Désormais aussi âgée que William Shatner, l’inoubliable interprète du Capitaine Kirk dans Star Trek, Mémé grimpe à bord de L’Arche de Nova et découpe des conseils sur-mesure pour les générations futures. « Faut pas demander l’impossible, hein ! Je rêvais pas d’aller sur une autre planète, par exemple. On a bien assez de la Terre. Et j’ai jamais eu de vélo ! »

Réalisation : Mathieu Boudon.

Image : Jacqueline Bouvier, mère de Marge Simpson, dans Les Simpsons de Matt Groening (1989).

01 juin 2021

6:01

Grödash : « Demain, la République Démocratique du Congo sera le socle de la cohésion planétaire »

Entre Paris et Kinshasa, ce rappeur-producteur prêche avec ferveur son désir d’unité mondiale inter-espèces « win-win, spirituelle et égalitaire », via un texte coécrit avec sa mère, la scientifique et militante féministe congolaise Georgette Biebie Songo.

« À chaque nouvelle rime, j’écris mon futur NostraDashmus / Certains ont pris ça comme un don / D’autres m’appelaient l’rêveur », rappait-il à la rentrée 2020 sur son morceau Casablanca. Branchons-nous sur les visions de Freddy Biebie dit Grödash, « artiste humaniste et producteur engagé ». Né en 1981 (comme Radio Nova), ce fils d’intellectuels congolais opposés à Mobutu grandit au Congo Brazzaville et arrive en France à 14 ans, direction Les Ulis (Essonne). « Au lycée, j’étais en cours avec Diam’s et c’est un petit peu elle qui m’a boosté en premier. Elle écrivait déjà, elle me faisait écouter ses trucs. On a commencé à gratter avec Fik’s, Bobby, Sinik… » Ce qui donna, depuis son premier enregistrement au « mental de mercenaire » en 1999, depuisson passage en solo en 2008 après l’aventure collective Ul’Team Atom, « des poignées de punchlines » parfois devenues des classiques, comme l’inoxydable et si puissant Charme du ghetto.

Invité récent d’une session de freestyle aux côtés des platines de Sims sur Nova, Grödash y présentait des éclats de son dernier EP sorti en avril dernier, Ghetto littérature, porté par les samples de son compère Coazart, où son flow est irrigué à plusieurs reprises par sa relation complexe au continent africain. Sur Jeux pervers, qui détourne et « fait chialer » la guitare mélancolique du Wicked games de Chris Isaak, le tout jeune quadragénaire écrit : « Africa je t’ai détesté de toutes mes forces, depuis que t’as baissé la garde, que t’as traité de sorciers tes gosses. T’as préféré viser le Nord, délaissé nos cités d’or. Tu t’es trompé de Léopold, fallait enseigner du Senghor. » Grödash lui fera « un doigt d’honneur » pour avoir « bafoué les droits de l’homme », avant d’avouer à l’Afrique qu’il « l’aime depuis le placenta » et rêve de se « blottir dans ses courbes » tandis qu’à Paris, il « crève de froid ».

Pour L’Arche de Nova, Grödash signe un beau prêche utopique d’unité mondiale inter-espèces… avec sa mère, la Congolaise Georgette Biebie Songo, professeure de toxicologie ayant œuvré dans la recherche du vaccin contre le virus Ebola, « aînée d’une famille de vingt-et-un enfants dont quatorze filles » devenue militante acharnée pour la promotion des droits humains et des droits de la femme en particulier, lauréate en 2016 d’un prix décerné par l’ONU pour son combat en faveur de l’égalité des sexes et de l’autonomie des femmes africaines. En 2008, afin de lutter contre « la pauvreté excessive » de celles-ci, ce « diamant brut » a fondé à Kinshasa une mutuelle d’épargne et de crédit d’appuis au développement, prolongée depuis 2017 avec la GBS Fondation, qui promeut l'entrepreneuriat féminin, le micro-crédit et l’accès pour toutes à la téléphonie connectée. Sa lutte a également permis d’inscrire la parité et la condamnation des violences sexuelles en tant que crimes contre l’humanité dans la constitution de la République Démocratique du Congo. Changer le monde, en mieux, avec verve et panache : une mission poursuivie de mère en fils.

Pour en savoir plus sur les actions de Georgette Biebie Songo, c’est ici : https://www.gbs.foundation/

Pour écouter Ghetto littérature, c’est là : https://music.youtube.com/playlist?list=OLAK5uy_khv-lxzOo_QvUETMSHInwRqTBFcLTl1IA

Réalisation : Mathieu Boudon.

Image : Kinshasa, de Guillaume Jan (2009).

31 mai 2021

5:25

Morgan Navarro : « Demain, le monde ira-t-il mieux sans les différences sexuelles ? »

À Grenoble, cet auteur de BD prolonge avec sa langue les aventures coquines de son célèbre ourson érotomane, pour interroger les frontières du genre et les limites de la fluidité.

Trouble des sens sur la planète bleue. À Brooklyne, ce bon vieux Teddy Beat, l’ourson baiseur au grand cœur dont la peau est de la même couleur que les Schtroumpfs, a sacrifié son corps sur l’autel de la science « afin de percer le mystère de la jouissance féminine ». Par la magie d’une opération de chirurgie esthétique aux bons soins du Docteur Ragoût, ce Casanova a casquette est devenu « Jamie-Lee », sculpturale bimbo aux longs cheveux roses en mini-jupe jaune. Et inévitablement, « ça dérape ». Sa recherche insouciante du plaisir se transforme en expérience du sexisme ordinaire, du harcèlement de rue, avant un viol sinistre – et le « vol de sa bite » chapardée par un chanteur cafardeux, que Teddy cherche à récupérer par tous les moyens. Mais comme l’apprendra ce nounours « femâle » lors d’une scène splendide d’épiphanie psychédélique : « La route de l’excès mène au palais de la sagesse. »

Ecrit et dessiné par Morgan Navarro, Sex Change, troisième tome des aventures sexuelles de son érotomane favori (qui lui valut en 2012 le prix de l’audace au festival d’Angoulême), est sorti en mars aux éditions Les Requins Marteaux au sein de leur coquinette collection « BD cul ». Pour L’Arche de Nova, ce Grenoblois de 45 ans livre avec la langue une sorte d’épisode-bonus, où Teddy rencontre une femme-oiseau, en interrogeant les frontières du genre et les limites de la fluidité. Si vous n’êtes pas d’accord, sachez que Morgan Navarro sera en dédicace ce vendredi de 17h à 19h à la librairie BD Net Bastille, 26 rue de Charonne dans le 11e arrondissement.

Réalisation : Mathieu Boudon.

Illustration : Sex Change, de Morgan Navarro (éditions Les Requins Marteaux, 2021).

27 mai 2021

3:21

Salvador Dali « L’architecture du futur sera comestible, molle et poilue »

[Archive.] Toute sa vie, le surréaliste peintre catalan tressa des lauriers aux « beautés terrifiantes » de son compatriote Antoni Gaudí, créateur de la Sagrada Família ou de structures « aussi visqueuses qu’un foie de veau ».

« Dresser des tours de chair et d'os à vif dans le ciel vivant par excellence de notre Méditerranée, telle a été l'architecture de Gaudí. » En 1933, Salvador Dalí érige un cryptique et mystérieux palace de mots et de louanges à son compatriote catalan, Antoni Gaudí, créateur de la mythique Sagrada Família de Barcelone, disparu sept ans plus tôt. Publié dans la revue Minotaure avec des photographies de Man Ray, son article, intitulé De la beauté terrifiante et comestible de l'architecture modern style, exprime le désir d’une architecture « phénoménale » qui reposerait essentiellement sur une « dépression très accentuée de l’activité raisonnante, allant jusqu’aux confins de la débilité mentale », une « imbécilité lyrique positive », « échappement, liberté, développement des mécanismes inconscients », « grande névrose d’enfance, refuge dans un monde idéal, haine de la réalité », « folie des grandeurs, mégalomanie perverse », « besoin et sentiment du merveilleux et originalité hyper-esthétique », « impudeur absolue de l’orgueil, exhibitionnisme frénétique du caprice », « aucune notion de mesure », « réalisation de désirs solidifiés », « éclosion majestueuse aux tendances érotiques ».

Où sont aujourd’hui les « maisons pour les fous vivants » réclamées par le peintre surréaliste à moustache qui rebique ? Ces « tartes et gâteaux ornementaux » ? Ces « grottes aux tendres portes en foie de veau » ? La « dynamique-asymétrique » de ce style « gothique méditerranéen » capable de se « métamorphoser », « par une certaine fantaisie involontaire », « en hellénique, en extrême-oriental, en Renaissance » ? L’édifice de mes connaissances en architecture contemporaine est bien trop fragile pour répondre à la question. Réécoutons alors Dalí, via ce montage de deux interviews télévisées de 1958 et 1964, tresser des lauriers à Gaudí.

(P.-S. : Une exposition « immersive » baptisée Gaudí, architecte de l'imaginaire, créée par le studio Cutback et visible jusqu’en janvier 2022 vient de s’ouvrir aux Ateliers de Paris, 38 rue Saint-Maur dans le 11e arrondissement. Le prospectus annonce : « Par un jeu de matières et de lumières, l’Atelier prend les formes de voûtes hyperboliques, de piliers obliques, de façades ondulées et s’ornent de motifs organiques et de mosaïques de verre et céramique. En une dizaine de minutes, au rythme des courbes musicales de Gershwin, le matin se lève sur le parc Güell, éclairant le visiteur au milieu des moulures ou chapiteaux mais surtout de la texture des rochers, du parfum des plantes, de la couleur des fleurs, du chant des oiseaux. » Et les foies de veau, caramba ?)

Réalisation : Mathieu Boudon.

Pour écouter la précédente archive du futur, avec Marguerite Duras, c’est là : https://www.nova.fr/news/marguerite-duras-demain-tout-recommencera-par-une-indiscipline-140475-04-05-2021/

Tableau : Réminiscence archéologique de l’Angelus de Millet, de Salvador Dalí (1934).

26 mai 2021

3:17

Camille Brunel : « Demain, la variété de l’espèce humaine explosera »

Lauréat 2020 du Prix de la Page 111, cet écrivain de Châlons-en-Champagne a lu les travaux de l’éthologue new-yorkais Carl Safina et attend d’arrache-patte notre mutation façon X-Men, quand nous aurons des plumes ou des nageoires.

« Si mutation il y a, elle vient de l’esprit. Du cerveau, naissance du désir. Ce sont les micro-événements électrochimiques qui nous donnent l’impression de penser plus et mieux que les animaux (…) C’est la vanité qui a fait les premières victimes (…) Le retour des animaux a nettoyé le monde comme les arbres absorbent le carbone (…) Pourquoi pensez-vous que Greta Thunberg a fini cachalot au milieu de l’Atlantique ? (…) La honte nous élève, elles nous rend meilleur.e.s (…) Nous nous transformons, aléatoirement (…) Je peux changer de corps, d’espèce, de sexe (…) Si je deviens lionne, vous pourrez vous moquer de moi, car alors je devrais égorger pour vivre (…) Femme ou lionne, je n’apporte rien de plus à l’univers que mouvement et chaleur. »

Paru en septembre aux éditions Alma, récompensé sur Nova du très convoité Prix de la Page 111, Les Métamorphoses, le second roman de Camille Brunel, se déroule dans un avenir assez proche où une pandémie transforme soudain les humains en bestioles, au hasard. En hyène, en écrevisse, en brebis, en taon. La société toute entière s’en trouve assez naturellement bouleversée. « Des dizaines de milliers de grues regagnaient le Sud. Isis n’en avait jamais vu autant, ne pensait même pas qu’une telle concentration d’oiseaux si grands fût possible (…)

C’est mes oiseaux préférés, s’enthousiasma Augustine. Est-ce que c’est des humains ?

- Oh, probablement, lui répondit sa marraine. »

Pour sa sixième utopie à bord de L’Arche de Nova, ce drôle d’oiseau de Châlons-en-Champagne (Bourgogne), qui publiera bientôt un Éloge de la baleine aux éditions Rivages, a lu les travaux de l’éthologue new-yorkais Carl Safina et attend d’arrache-patte notre mutation façon X-Men. Suite à l’observation des aras rouges du Pérou par ce dernier, Camille Brunel rappelle que « la beauté des humains tient sur un spectre de variations très restreint : la couleur de peau varie, la forme des yeux et du nez, allez, les cheveux, mais ce sont des détails. Du côté des oiseaux, en revanche… la distance sera toujours plus grande d’un albatros à une autruche – ou même d’une tourterelle à un faucon – que d’un Marseillais à un Ouïghour. »

L’auteur des Métamorphoses projette ici son roman dans le réel et rêve pour demain d’hominidés dotés « d’ailes de peau multicolores entre le coude et le bassin », quand d’autres, « capables de modifier la couleur de leur peau en fonction de la lumière, survivront aux canicules », quand d’autres « auront développé des plumes, des yeux immenses, vifs comme des joyaux », ou « douze doigts, qu’ils emploieront pour jouer leurs sérénades au piano », ou développeront encore la capacité « de se boucher les oreilles comme on ferme les yeux – les manchots ont fini par apprendre, pourquoi pas nous ? »

Réalisation : Mathieu Boudon.

Pour écouter la précédente utopie de Camille Brunel, c’est là : https://www.nova.fr/news/camille-brunel-demain-leuthanasie-sera-la-seule-facon-de-mourir-heureux-137806-15-04-2021/

Image : X-Men Apocalypse, de Bryan Singer (2016).

25 mai 2021

5:39

Niteroy : « Demain, internet va crasher »

À Rennes, ce jeune musicien d’origine brésiliano-portugaise court-circuite les réseaux pour imaginer un tissu social planétairement déconnecté, où nous essaierons de retrouver dans le réel les habitudes prises avec Facebook, Twitter ou Tik Tok.

La jumelle de Rio de Janeiro. C’est ainsi que l’on surnomme parfois la ville de Niterói, située à quinze kilomètres à peine de la mégalopole carte-postalesque du Brésil. Plages, collines, lagunes, possible douceur de vivre : tout pareil en plus calme, avec quelques-unes des prouesses architecturales signées Oscar Niemeyer, dont un célèbre Musée d’art contemporain en forme d’énorme soucoupe volante posée au bord de l’Atlantique. Ce printemps pluvieux, Niterói inspire aussi le pseudonyme d’un musicien français d’origine brésiliano-portugaise, Tiago Ribeiro, rebaptisé Niteroy, qui depuis Rennes s’apprête à publier, à 24 ans, son premier mini-album solo, Dia de chuva, à paraître cette semaine via le label Yotanka.

« Cette ville est le symbole de mon enfance. C’est là que vit ma grand-mère, c’est là que ma mère a grandi, je m’y rends tous les ans », confie l’artiste. Né d’un père portugais et d’une mère brésilienne, Tiago Ribeiro s’émancipe ici de la pop anglophone de son groupe Born Idiot (toujours en activité) pour des chansons plus personnelles qui racontent « l’angoisse du passage à l’âge adulte », certains fantasmes féminins ou l’éloignement propre à ceux qui vivent coupés de leurs proches. Dans la vidéo d’Amores Nostalgia, constituée d’images tournées au caméscope, on le voit petit garçon, en vacances en famille à Niterói, baignant dans la lumière carioca avec une insouciance irrésistible. Sensations qui lui permirent de glisser un parasol de groove dans le mojito de sa bossa-nova lusophone aux chœurs enchanteurs – à boire sans modération, surtout les jours de pluie.

Pour L’Arche de Nova, ce chanteur, guitariste, bassiste et claviériste breton provoque le crash de tous les serveurs Internet à cause d’un frappuccino renversé par un agent d’entretien de la Silicon Valley, auquel il rend hommage en esquissant une chanson inédite – sans oublier au préalable d’imaginer la panique générale puis les détails d’une nouvelle société planétairement déconnectée, où nous essaierons de retrouver dans le réel les habitudes prises avec Facebook, Twitter ou Tik Tok. Tudo bem.

Réalisation : Mathieu Boudon.

Pour voir le clip d’Amores Nostalgia, c’est là : https://www.youtube.com/watch?v=rjFt6H6uOQU&ab_channel=NiteroyNiteroy

Image : Effacer l’historique, de Gustave Kervern et Benoît Delépine (2020).

24 mai 2021

5:20

Félix Jousserand : « Demain, peut-être, le cri du paon »

« En direct » de Rome et d’une Villa Médicis peuplée de volatiles impromptus, ce poète nous propose un pitch possible pour le monde de demain matin.

« Est-ce que le tamanoir déterre lui-même dix mille fourmis par jour derrière sa cage ? * Le seul journaliste qui m’interviewe a l’air plus fou que moi. » Pour Les Plaies d’Occident, son dernier livre publié ce printemps aux éditions Au Diable Vauvert, Félix Jousserand a noté, chaque jour de l’étrange année 2020, ses pensées, par bribes, réduites à l’essentiel, à l’os comme on dit – à l’écoute de son monologue intérieur, de l’actualité géopolitique, économique ou sanitaire, de ses amis, de son éditrice, de la radio. Florilège : « Nouvel an chinois annulé, l’année ne commencera jamais. » « Le week-end pose problème. » « Jouer au con m’a bien aidé mais c’est fini. » « Tempête. Vents violents. Guyotat meurt. » « Si j’étais médecin je tuerais les hypocondriaques. » « La mendiante n’a plus de clients, aux rares passants elle dit que sa carte bleue vient de "se faire avaler". »

Pionnier de la scène slam française des années 2000 (à propos de laquelle il écrivit une anthologie, intitulée Blah) avec le collectif Spoke Orkestra, auteur de nombreux recueils de poésie, de pièces de théâtre ou d’albums musicaux, ce Parisien de 43 ans, qui vit désormais à Montpellier, nous appelle de Rome. Pensionnaire de la prestigieuse Villa Médicis pour la saison 2020-2021, Félix Jousserand y écrit en ce moment « un oratorio découpé en cinq pièces de poésie, de cinq actes chacune, en vers mesurés, retraçant les grandes heures de la dynastie des Antonins, suivant le règne des cinq empereurs qui conduisirent l’Empire romain à son apogée avant d’accompagner sa chute : Trajan, Hadrien, Antonin, Marc-Aurèle et Commode ». Entre deux séances de travail, il nous propose un pitch possible pour le monde de demain matin, en compagnie d’oiseaux.

Réalisation : Mathieu Boudon.

Image : Junon et le paon, d’Alfred Hitchcock (1930).

20 mai 2021

3:32

La P’tite Roberte : « Demain, l’Académie française sera saupoudrée de paillettes linguistiques »

À Paris, les deux créatrices de ce dictionnaire téléphonique aux accents féministes revitalisent notre passion des mots rares et des néologismes, tout en blâmant le charabia libéral de la start-up nation. Fantasmagorique !

« Bonsoir. Merci pour votre appel. Savez-vous ce qu’est une belladone ? » Nous sommes lundi, il est 18H39 et je viens de composer le 07 58 25 10 43, la hotline de La P’tite Roberte, ce dictionnaire téléphonique aux accents féministes créé en 2020 par deux mystérieuses justicières du langage, Nadiam’s et Louise Aloupic. Ces derniers mois, leurs autocollants fleurissent un peu partout en ville, clamant que la centrale d’appel est joignable du lundi au vendredi de 18h à 20h. Timide, je me hasarde à répondre que la belladone est peut-être un opéra italien au sujet d’une jolie dame. Perdu. Il s’agit d’une plante parfois surnommée « la cerise du diable », qui a pour effet immédiat, une fois consommée, de « dilater la pupille » ; elle peut provoquer « des transes et des hallucinations » et les sorcières du Moyen-Âge l’utilisaient pour des rituels de magie noire avant que la Renaissance n’en fasse un onguent susceptible de soigner le système digestif. Par extension, la dilatation du regard chez certaines Italiennes et leur capacité à « susciter le trouble auprès de la gent masculine » aboutira à la naissance de l’expression « avoir une coquetterie dans l’œil ». Je raccroche, pas déçu du voyage. Florian, l’un des assistants de la rédaction de Radio Nova, découvrira quant à lui l’existence de la « sitophilie », qui désigne l’excitation sexuelle produite par la nourriture. Miam. Merci La P’tite Roberte !

À bord de L’Arche de Nova, Louise Aloupic et Nadiam’s remplacent l’Académie française (« et ses dix trains de retard ») par une nouvelle institution collective inclusive intitulée « Hop-hop-hop, t’as dit quoi, là ? », pour revitaliser notre passion des mots rares et des néologismes, tout en blâmant le charabia libéral de la start-up nation, sans oublier de citer Chloé Delaume, Virginie Despentes ou la poétesse et essayiste queer afroféministe américaine Audre Lorde (1934-1992), pour « virer les galimatias qui mentent, détruisent, uniformisent » et « remettre au centre de nos interactions les tchatches qui unissent, éduquent et partagent ».

Enregistrement : Benjamin Macé. Réalisation : Mathieu Boudon.

Pour écouter une autre utopie langagière, c’est ici : https://www.nova.fr/news/mattia-filice-demain-tous-les-mots-seront-payants-79150-16-12-2020/

Image : Girl 6, de Spike Lee (1996).

19 mai 2021

5:48

Jean d’Amérique : « Demain, la poésie sortira de l’usine »

Entre Paris et Bruxelles, ce poète et dramaturge haïtien jette les bases d’une « politique de poétique publique », où des ouvriers du verbe fabriqueront à la chaîne des sandwichs composés « d’un morceau de cœur, d’une tranche d’âme et quelques pincées de rêves ».

« Ma mère me raconte qu’à une époque, prendre la plume pour donner des ailes à un cœur était élégance, que longtemps on a écrit des lettres à l’autre, on a déclaré sa flamme sur le papier, et c’était si beau, incandescent. Je suis depuis deux ans face à une feuille que je voudrais remplir de tendresse. Je ne quitterai pas le chantier. J’écrirai à ma lune avant la tombée de la nuit. Je lui écrirai car je ne sais quoi faire d’autre. Il y a longtemps que je cherche un chemin vers mon cœur-miroir, la fille appelée Silence, mais son père fait écran, il la garde sous son aile à l’école ou l’enferme dans une maison luxueuse protégée par un mur immense et une cohorte de barbelés. Que faire ? Lui écrire ? Je m’y mets. »

Dans Soleil à coudre, son premier roman publié ce printemps aux éditions Actes Sud, le poète et dramaturge haïtien Jean d’Amérique, 26 ans, décrit les turpitudes de Tête Fêlée, habitante d’un quartier « enveloppé d’une odeur de charogne et d’un cortège de mouches », qui brûle de désir pour l’une de ses camarades de lycée, mystérieusement surnommée Silence ; alors l’amoureuse rature, déchire et reprend sans cesse sa lettre, en espérant parallèlement que l’école saura « la tirer de ce bidonville crasseux ». 

À bord de L’Arche de Nova, Tête Fêlée trouvera peut-être la solution à ses problèmes d’inspiration. Entre Paris, Bruxelles et « un peu » Port-au-Prince, l’auteur de Cathédrale de cochons ou de Nul chemin dans la peau que saignante étreinte jette ici les bases d’une « politique de poétique publique », où des ouvriers du verbe fabriqueront à la chaîne des sandwichs composés « d’un morceau de cœur, d’une tranche d’âme et quelques pincées de rêves », en se figurant lui-même employé de ses futures manufactures parnassiennes dirigées par un certain… Karl Marx. Au passage, Jean d’Amérique rend hommage à ses maîtres, en particulier René Depestre et son « état de poésie », tout en déclamant pour Nova son Discours du champ brûlé, semé dans le recueil Atelier du silence (Cheyne, 2020) et tranché dans le bois de sa « pensée-forêt ». Timber ! 

Réalisation : Mathieu Boudon. 

Image : Factotum de Bent Hamer, adapté du roman de Charles Bukowski (2005).

17 mai 2021

5:30

Iris Kooyman : « Demain, les Français deviendront peu à peu des opossums »

Faire le mort en cas de danger, manger n’importe quoi et dormir énormément : tirons des leçons de ce marsupial ami qui n’a jamais le seum, conté par une étudiante du master de création littéraire du Havre.

Elle déclare, non sans panache, aimer « les bus de banlieue et les documentaires animaliers de la BBC ». Elle aurait dédié ses trois dernières années à enseigner le français dans une classe d’accueil pour adolescents non-francophones de La Courneuve (Seine-Saint-Denis). Étudiante du master de création littéraire du Havre, elle écrit désormais un roman sur quatre spécimens de copines présentant la particularité de savoir lever le coude en milieu bistrologique (bref : elles se retrouvent au bar, et c’est pas triste), dont l’une est « une assistante sociale au bord du burn-out ».

Voici l’essentiel, à ce jour, des pièces que nous pouvons verser au dossier concernant notre invitée du soir répondant au nom d’Iris Kooyman. Dernier élément, peut-être décisif : enfant, l’intéressée lisait La Rubrique-à-brac de Marcel Gotlib, avec une attention accrue pour les fiches zoologiques du Professeur Burp. Souvenons-nous de l’épisode poignant consacré à la hyène, qui sut défaire la sombre réputation de ce charognard rigolard, car il est faux de dire : « là où y a de la hyène, y a pas de plaisir ».

Que savons-nous des opossums ? Que veut dire, en anglais, « playing possum » ? Collectionnant les photos insolites de cet animal « omnivore et opportuniste », fréquentant assidûment les groupes Facebook à propos de cette bestiole pour qui l’expression « un certain manque de motivation » semble avoir été inventée, Iris Kooyman nous conte une parabole relatant l’invasion imminente de la France – et ses conséquences socio-culturelles inévitables – par un posse de marsupiaux amis qui n’ont jamais, ô grand jamais, le seum. Merci.

Réalisation : Mathieu Boudon.

Pour écouter la précédente utopie d’Iris Kooyman, c’est ici : https://www.nova.fr/news/iris-kooyman-demain-peter-les-plombs-au-guichet-permettra-de-chauffer-tout-un-quartier-137690-14-04-2021/

Image : L’Âge de glace 2, de Carlos Saldanha (2006).

12 mai 2021

7:51

Hadrien Klent : « Demain, nous travaillerons moins sans gagner moins »

Trois heures de taf quotidien, au max ? Des salaires compris entre 1500 et 6000 euros, pour tous ? Un candidat à la présidentielle qui s’engage pour revitaliser notre droit à la paresse ? C’est le programme de cet écrivain marseillais, auteur d’un roman énergiquement utopique.

« Nous ne laisserons plus le travail nous imposer sa loi. Nous ne serons plus des fourmis laborieuses, pressées, empressées, compressées. » Dans Paresse pour tous, son troisième roman publié la semaine dernière aux éditions Le Tripode, Hadrien Klent conte la campagne présidentielle d’un économiste marseillais, Emilien Long, qui pourrait bien de devenir le nouveau maître des horloges de l’Elysée en 2022 – sans bouger le petit doigt, ou presque. Depuis son hamac avec vue sur la Méditerranée, ce prix Nobel crée l’événement avec un essai qui réactive les thèses de Paul Lafargue et son célèbre Droit à la paresse ; en 1883, ce journaliste français dénonçait déjà « cette folie de l’amour du travail, la passion morbide du travail, poussée jusqu’à l’épuisement ». Emilien Long appelle les Français.es à « construire leur propre rapport au temps, ne plus le subir », en les incitant par la suite à devenir « tous candidat.es » à ses côtés.

Trois heures de taf par jour, quinze maximum chaque semaine. Dans le bouquin, l’idée fait son chemin en passant par les travaux de grands hostiles au labeur imposé : Sénèque, Breton, Aragon, Debord, jusqu’au Comité invisible de Tarnac. « L’utopie est là : devant lui. » Des « ateliers du temps libre » essaiment partout en France, le samedi après-midi, pour réfléchir « à une société plus mûre, dégagée de l’esclavage salarial ou autoentrepris ». L’emporteront-ils ?

De Klent, nous savons peu de choses : cet homme vit à Marseille, écrit sous pseudonyme et aime « la mousse au chocolat, l’humour subtil, les îles bretonnes ou l’écrivain chilien Roberto Bolaño ». C’est à bord de L’Arche de Nova qu’Emilien Long a choisi d’officialiser sa candidature à l’élection présidentielle. Très énergique (pour un paresseux professionnel), le personnage évoque, par la voix tonitruante de son créateur, le bouleversement du code du travail, des salaires mensuels encadrés et son prodigieux slogan : « Travailler moins pour gagner moins. »

Réalisation : Mathieu Boudon.

Pour écouter notre précédent plaidoyer en faveur de la paresse, signé Luc-Michel Fouassier, c’est là : https://www.nova.fr/news/luc-michel-fouassier-demain-les-feignasses-simposeront-mollement-42229-23-11-2020/

Image : Gaz de France, de Benoît Forgeard (2015).

10 mai 2021

5:27

Claire Richard : « Demain, nous interdirons la reconnaissance faciale »

Contre la banalisation d’une technologie liberticide, cette autrice et journaliste parisienne en appelle à la mobilisation générale pour crever l’œil de Big Brother. Ne souriez plus, vous êtes filmé.e. 

« Qu’est-ce qui fait qu’une image qu’on a rencontrée par hasard vous suit pendant toute une vie ? » Claire Richard, l’autrice des Chemins de désirs, ce podcast d’Arte Radio doublé d’un splendide petit essai sur son rapport aux images pornographiques et la manière dont celles-ci ont formé et orienté ses fantasmes et sa sexualité (éditions du Seuil, 2019), a deux mots à nous dire sur la reconnaissance faciale. Figurez-vous que cette journaliste parisienne a également dirigé à mi-temps le site Digital Society Forum, consacré aux cultures et usages numériques. Sensible aux combats de l’association La Quadrature du Net, elle en appelle à la mobilisation générale pour crever l’œil de Big Brother, contre la banalisation d’une technologie liberticide. 

Souvenons-nous au passage des « tours panoptiques », terrible invention tirée du premier roman d’Alain Damasio, La Zone du dehors (1999), où chacun.e peut venir, à sa guise, espionner son prochain. « Ces salles étaient surtout pleines la nuit. S’y installaient sans honte une pléthore de voyeurs, hommes et femmes, d’épouses soupçonneuses et de maris trompés, de pères qui surveillaient leur fille et de filles qui surveillaient leur père, de curieux. S’y complaisaient surtout des pervers, des vicieux, des flics dans l’âme, des délateurs payés à l’hôtesse dénoncée et des honnêtes hommes faisant leur devoir de citoyen en enregistrant tout scène leur paraissant suspecte ou de nature à porter atteinte aux bonnes mœurs… Une fiche tactile (facultative) trônait sur la table. Pouvaient y être reportés les faits observés avec le lieu de l’action et les références du timecode. Chose remarquable, aucune case n’était prévue pour le nom de l’observateur. Ça n’avait pas d’importance : seul ce qui avait été observé comptait. À moins que l’observateur se trouvât déjà lui-même observé, enregistré et noté… si bien que son nom importait peu. » 

Réalisation : Mathieu Boudon. 

Pour écouter la solution de Philippe Garnier contre la reconnaissance faciale, lors d’un épisode précédent de L’Arche de Nova, c’est là : https://www.nova.fr/news/philippe-garnier-demain-nous-porterons-deux-masques-38791-04-05-2020/

 

Image : Black Mirror S1E3 – Retour sur image, de Jesse Armstrong (2011).

05 mai 2021

7:30

Élodie Milo : « Demain, les voies migratoires aériennes seront sacrées »

Tout juste rentrée au nid après sa participation au tournage, en Mauritanie, d’un documentaire sur les oiseaux migrateurs, cette musicienne mystique posée en Normandie nous offre une chanson inédite.

« On court, on coule / on croule, sous nos poids. » Sur son dernier album, Sous la lune, sorti en octobre 2019, Élodie Milo invitait à écouter « les louves qui hurlent en nous » via six incantations fort sabbatiques teintées de guitares surf, de pop songeuse ou de rythmiques sud-américaines, écrites et composées pour « explorer de puissants archétypes féminins » : la vierge, la sorcière, la maman ou la putain. Le disque s’accompagne d’un spectacle, Lunas, mélange de théâtre et de chansons, d’humour et de féminisme, cabaret barré élaboré au diapason des quatre phases du cycle menstruel, conçu avec la danseuse Delphine Dartus et mis en scène par Loïc Deschamps.

« Elle a le serpent qui change de peau, l’aigle qui plane là-haut / Chant de la terre, de l’air, de l’eau. » Ce printemps, cette musicienne et comédienne a quitté son nid forestier de Basse-Normandie pour voler vers Iwik, en Mauritanie, les pieds dans la vase « riche en mollusques » du parc national du Banc d’Arguin, où elle fut invitée à « jouer les couteaux-suisses » sur le tournage de Flyways, ce documentaire de l’Australien Randall Wood sur les multiples pièges tendus par la modernité sur la route d’oiseaux migrateurs menacés d’extinction, produit par Arte et Zed Productions. L’ornithologue néerlandais Jan Van Gils y suivra notamment, grâce à « de touts petits satellites », le trajet intégral d’un piaf en danger, de l’Arctique à l’Afrique.

Tout juste rentrée au bercail, Élodie Milo nous incite à « prendre soin de tout ce qui migre », forte de son désir de « faire inscrire au patrimoine mondial de l’humanité les neuf voies aériennes naturelles » – tout en nous livrant une chanson inédite, Les Rives de l’oubli, accompagnée au clavier par Rodrigo Gonzalez-Miqueles.

Réalisation : Mathieu Boudon.

Pour voir la bande-annonce de Flyways : www.flywaysfilm.com et www.globalstory.tv

Pour écouter la précédente utopie d’Elodie Milo, c’est là : https://www.nova.fr/news/elodie-milo-demain-nos-paroles-nous-apparaitront-comme-le-fil-de-laraignee-39219-29-05-2020/

Pour écouter Sous la lune, c’est ici : https://elodiemilo.bandcamp.com/album/sous-la-lune

Image : Le peuple migrateur, de Jacques Perrin, Jacques Cluzaud et Michel Desbats (2001).

05 mai 2021

8:03

Marguerite Duras : « Demain, tout recommencera… par une indiscipline »

[Archive.] En 1985, l’autrice d’« India Song » souffle à Michel Drucker son cauchemar pour l’an 2000 : écrans partout, surinformation, « tout sera bouché, investi », mais… « il restera la mer et la lecture », puis des « héros » qui prendront « un risque ».

« Dans cent ans peut-être, ou moins, ou plus, après qu'un continent civilisé aura sauté sur lui-même, dans un désert retrouvé, deux femmes se rencontrent. L'une d'elles trimballe avec elle un objet qu'elle veut jeter : le dernier guerrier. Elles se parlent. Elles ont perdu la mémoire des événements mais il leur reste celle de presque tous les mots. » En 1968, à 54 ans, Marguerite Duras signe un curieux texte d’anticipation : une pièce de théâtre intitulée Yes, peut-être, conte philosophique post-apocalyptique pour dire ce temps où l’être humain aura, peut-être, tout perdu : « sa colère, sa douceur, sa faculté de haine, sa faculté d’aimer ». Dans un bunker entouré par les océans, les deux femmes explorent ce qui reste avec la curiosité des enfants ; l’homme, lui, « l’œil fixe comme un œuf au plat », veut encore se battre.

Dix-sept ans plus tard, le 29 septembre 1985, alors que la bombe n’a pas encore tout irradié, Marguerite Duras répond sur Antenne 2 à une question posée par Michel Drucker – sacré Michel, toujours dans les bons coups –, qui l’interroge sur l’an 2000. Et Marguerite songe soudain à nos algorithmes. « L’homme sera noyé dans l’information. Elle sera constante : sur son corps, sa santé, sa vie familiale, son salaire, son loisir. Pas loin du cauchemar. » (…) « Il y aura des postes de télévision partout. Dans la cuisine. Dans les water-closets. Dans les rues. (…) Tout sera bouché, investi. » Mais… « Il restera la mer et la lecture (…) Un homme, un jour, lira. Tout recommencera. On repassera par la gratuité. Les réponses seront moins écoutées. Ça commencera par une indiscipline. Un risque. L’homme sera seul avec son bonheur et son malheur, qui lui viendront de lui-même. Ceux qui se tireront de ce pas seront les héros de l’avenir. » Merci Maggie. Tous à la plage !

Réalisation : Mathieu Boudon.

Pour écouter notre précédente archive du futur avec Isaac Asimov, c’est là : https://www.nova.fr/news/isaac-asimov-demain-nous-voterons-mieux-en-connaissant-les-problemes-et-leurs-solutions-138820-22-04-2021/?fbclid=IwAR07-Ep32Mvt5YtC_O7H0Z5yTHb5pjObjMNwr_A3sfu-mGC1ophFFsckaeQ

Image : India Song, de Marguerite Duras (1975).

04 mai 2021

3:56

Carl Agité : « Demain, tu tueras toi-même, toujours, l’animal que tu veux manger »

Retranché dans son chalet alpin situé « en 2081 », cet énigmatique ermite se souvient de la petite mort du désir carnivore, le jour où les Etats obligèrent les viandards à se rendre eux-mêmes à l’abattoir. #MeatHook !

L’enregistrement que vous allez entendre nous est parvenu par la grâce liquide d’une bouteille de génépi, déposée en évidence à l’entrée des studios, fin août 2020. L’étiquette indiquait : « Pour votre Arche. » À travers le verre, un petit coffre en plastique flottait dans l’alcool de plantes. Le soir même, il fallut trois heures à notre équipe pour boire avec bravoure la boutanche entière, qui tomba en même temps que l’un de nos animateurs, et se brisa. Le coffre roula, s’ouvrit, révélant une pochette étanche, abritant elle-même une clé USB, contenant enfin plusieurs messages audios d’un certain « Carl Agité ».

Après débat au sein de la rédaction, il a été décidé de partager avec nos auditeurs ces « témoignages du futur », situés « en 2081 », cent ans exactement après la création de Radio Nova. L’auteur s’y présente sous les traits d’un ermite, « vieux sage et vieux singe », habitant un modeste chalet au pied du mont Blanc. Surprise, agréable : à « son » époque, le monde ne s’est pas encore écroulé.

Dans ce nouveau message, notre mystérieux moine des montagnes se souvient de la petite mort du désir carnivore, le jour où les Etats obligèrent les viandards à se rendre eux-mêmes à l’abattoir. « En 2022, un slogan devint viral. Si tu veux vraiment de la viande, tue l’animal toi-même. Au départ, on parlait d’un canular, d’un happening antispéciste de bobos énervés. Mais les rayons des supermarchés, les étals des bouchers, des charcutiers, des poissonniers, se vidèrent aussi vite qu’une balle de fusil. » Dévalisés, mais pas réapprovisionnés ; sauf en steaks de soja, en boulettes végétales ; des imitations, pas forcément insipides, mais plus de vrai jambon, plus de vrai poulet, plus de vrai saumon, « si tant est que le mot vrai, dans la grande distribution, signifie encore quelque chose », précise l’ermite.

Agité raconte : « En périphérie des villes, les abattoirs étaient ouverts à tous, les machines et les outils mis à disposition, les bêtes en liberté. Les employés n’avaient d’autres responsabilités que de veiller à leur sécurité des bestiaux, les nourrir, les soigner. N’importe quel citoyen-consommateur pouvait venir – sans arme, néanmoins – tuer à sa guise, avec le matériel habituel, un veau, un porc, un canard, et repartir avec sa cargaison de viande (dans des limites fixées à l’avance, pour éviter les abus). »

Détail : aucune aide n’était fournie pour “réussir” ces assassinats. « Chaque personne devait abattre, elle-même, les yeux dans les yeux, le bœuf tant désiré et lui arracher les côtelettes à la main. Aucun professionnel ne venait vous expliquer comment buter puis déplumer soi-même le poulet du dimanche. Il y eut des carnages, un gâchis effroyable, des scènes horriblement violentes et honteuses relayées sur les réseaux. » Mais cela ne dura guère. Viandard ordinaire, Carl évoque l’abandon de son propre régime carnivore rien qu’à l’idée de se « rendre en banlieue pour griller le cerveau d’un cochon, pour ensuite le découper en tranches, pendant des heures, avec du sang et des boyaux partout, juste histoire d’avoir trois saucisses » pour accompagner sa purée.

Le déni de la souffrance animale, qui nous permet depuis des millénaires d’engloutir trois tonnes de bidoche à chaque raclette, à chaque méchoui, à chaque barbecue, mua en évidence. On nomma ça la révolution #MeatHook, du nom d’une chanson de The Cure. « Le hashtag #MeatHook se répandit comme une traînée de poudre : 92% des humains se montrèrent incapables de faire clamser un animal si leur survie n’en dépendait pas. Bien sûr, aux quatre coins du globe, les mouvements pro-chasse et...

03 mai 2021

6:14

Martine Guillaud : « Demain, la parole aura valeur de contrat »

À Paris, cette comédienne et coach en oralité articule un futur « 100% éloquent » où chacun(e) connaîtrait, dès la naissance, tous les mots du dico, tout en maniant l’art de la rhétorique à la perfection. Si bon bla-bla, zéro tracas ?

Vous allez adorer prendre la parole ! C’est le titre d’un recueil d’« astuces » pour apprendre à parler en public, signé Martine Guillaud et publié ce mois-ci aux éditions Robert Laffont. « Enfant de la balle », fille des créateurs du Centre culturel du Marais, cette Parisienne pratique très tôt les claquettes, la comédie musicale ou le piano, puis monte avec sa sœur une compagnie, qui accouche d’une quinzaine de pièces de « théâtre visuel, avec peu de paroles ». Les spectacles deviennent sa « thérapie ».

Au cinéma, on l’aperçoit dans de petits rôles chez Alain Resnais (La vie est un roman) ou Bertrand Tavernier (Autour de minuit), elle joue sur scène sous la direction de Pascal Rambert ou Bob Wilson, puis sa voix devient sa voie : Martine Guillaud contribue à des pièces diffusées sur France Culture et sera pendant dix-sept ans l’identité vocale de la chaîne France Ô. Mais celle qui « enchaîna de nombreuses séances d’orthophonie » pour venir à bout d’une « sérieuse dyslexie » tombe hélas gravement malade suite à une « détonation accidentelle dans le cerveau », et doit « réapprendre à parler » pendant de longs mois.

Cette « cassure », ce brutal « reset », l’amène à mieux « apprivoiser ses doutes, son stress, ses émotions ». Elle met alors en place un « Lab’Oratoire » à l’université de Paris-Sarclay, des « ateliers d’éloquence » destinés aux étudiants scientifiques. Aujourd’hui, Coach Martine forme à la tchatche et à la respiration aussi bien du côté d’HEC qu’à l’Assemblée nationale. Ses conseils : « Pensez à écouter votre deuxième cerveau, le ventre. » « Ancrez-vous dans l’instant présent, la tête droite et la poitrine bombée. » « Soyez sincère, authentique. » Ou encore : « N’oubliez pas de tenir compte de votre interlocuteur. »

Grimpant à bord de L’Arche de Nova, Martine Guillaud articule un futur « 100% éloquent » où chacun(e) connaîtrait, dès la naissance, tous les mots du dico, tout en maniant l’art de la rhétorique à la perfection. Si bon bla-bla, zéro tracas ?

 Réalisation : Mathieu Boudon.

Image : Astérix et Obélix : mission Cléopâtre, d’Alain Chabat (2002).

29 avril 2021

5:03

Blumi : « Demain, on ne sera ni femme ni homme, mais les deux »

Pour en finir avec le genre, cette musicienne parisienne déménage chez les « Getheniens », un peuple hermaphrodite imaginé en 1969 par la romancière américaine Ursula K. Le Guin.

« I see people change. » Elle voit les gens se métamorphoser. Sur I know about you, l’une des quatre chansons de son premier mini-album de folk sombre à paraître le 30 avril, Blumi observe des personnes qu’elle croit connaître, mais qui s’avèrent « aveugles » et manifestement paumées dans leurs désirs. Le beau vibrato de sa voix nous avertit d’un « froid » qui envahit tout, comme la marée qui monte, porté par d’étranges notes de claviers distordues – avant l’envolée des chœurs, vaguement psychédéliques, réclamant davantage de vérité dans les relations, « en attendant plus ». À la fin, le morceau The Dream nous conte, lui, le rêve d’une rencontre dans l’obscurité, lors d’un « anniversaire effrayant » où tout arrive « à l’intérieur, sous la peau ».

Parlons d’identité, tiens. Dans la brume de Blumi, une femme. Introducing Emma Broughton, trentenaire parisienne ayant étudié le jazz vocal ainsi que la flûte traversière au conservatoire, entendue aux côtés de Bon Iver, Mina Tindle ou Melissa Laveaux, poly-membre de trois groupes : Thousand, Orouni et O (mené par Olivier Marguerit). La musicienne s’affirme aujourd’hui en solo via cet EP délicat, qui paraît explorer – sans se lamenter – des chagrins enfouis.

Pour L’Arche de Nova, Emma Broughton rêve d’en finir avec le genre et déménage chez les « Getheniens », un peuple hermaphrodite imaginé en 1969 par Ursula K. Le Guin. Dans La main gauche de la nuit, la romancière américaine téléporte un Terrien sur la planète Nivôse, pour convaincre ses habitants d’adhérer à une organisation commerciale intersidérale. Ce voyageur découvre une nation asexuée et pacifique, cédant chaque mois à des « poussées hormonales » très libres, dont les mœurs firent du livre, dès sa sortie, un classique de la science-fiction. Les hommes peuvent tomber enceints, « l’abstinence est volontaire et le plaisir toujours licite, traumatismes et frustrations sont l’un et l’autre exceptionnels » et la société s’organise « devant les tourments et les joies de la passion ». C’est l’utopie sans blues et mi-mi, mi-homme mi-femme, de Blumi.

Réalisation : Mathieu Boudon.

Pour voir la vidéo de I know about you, c’est ici : https://www.youtube.com/watch?v=io20Iy2TeZ8&ab_channel=Blumi

Image : Laurence Anyways, de Xavier Dolan (2012).

26 avril 2021

7:14

Nicolas Ker : « Demain, nous vivrons 500 ans »

Crooner gothique, le chanteur et parolier parisien de Poni Hoax nous a laissé un message d’avenir, dans lequel il est question de nanotechnologies, d’un « contrat social mondial » et d’apocalypse ordinaire.

« Entre dans la lumière noire. » Enter The Black Light. C’était l’un des meilleurs moments d’Empire, second album né du mariage musical improbable entre Arielle Dombasle et Nicolas Ker, sorti en juin 2020. Une ballade lugubre, totale Doors, où la voix profonde et légèrement cassée du chanteur de Poni Hoax se demandait, sous la lune, en duo avec l’extravagante diva rohmerienne, si « l’information a une fonction ». Peut-être faut-il entendre, dans ces paroles cryptiques, la perplexité du genre humain à tirer des leçons de ses erreurs innombrables. La lumière noire serait alors la couleur du futur : flippante. Dans le clip de la dernière chanson du disque, We bleed for the ocean, des sirènes crèvent étouffées par les détritus plastiques, prisonnières de filets de pêche abandonnés. Mais Nicolas Ker, sous ses lunettes fumées, n’a-t-il pas répété plus tôt, lors d’une autre complainte goth-rock marquée par les Murder Ballads romantiques de l’Australien Nick Cave, que nous ne sommes « pas obligés de nous noyer, pas obligés de mourir » ?

Optimiste ? Kerrement. Né à Phnom-Penh en 1970 d’un père français et d’une mère cambodgienne ayant fui les Khmers rouges, le crooner cuir, qui vécut au Caire, à Istanbul, à La Réunion ou à La Courneuve, le dit franchement : « Je ne suis pas inquiet. » À bord de L’Arche de Nova, ce Roi-Lézard des désarrois sentimentaux, qu’on dit passionné par la physique quantique ou la théorie des cordes, confie sa fascination pour la nano-médecine qui pourrait nous permettre de vivre cinq siècles. Il esquisse aussi un modèle pour une plus juste répartition des richesses, un « revenu minimum humain, pour se loger et se nourrir, en vivant raisonnablement, voire comme des rois – si on était un peu moins stupides ». « Sinon, ce sera sanglant. »

Réalisation : Mathieu Boudon

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Pour voir la vidéo de Deconstruction of the Bride, réalisée par Arielle Dombasle, c’est ici : https://www.youtube.com/watch?v=6skv7vRPy_Y&ab_channel=arielledombasleVEVO

Image : L’étrange histoire de Benjamin Button, de David Fincher (2008).

26 avril 2021

4:22

Isaac Asimov : « Demain, nous voterons mieux, en connaissant les problèmes et leurs solutions »

[Archive.] En 1974, l’écrivain russo-américain des « Robots » posait les bases d’une démocratie participative planétaire, renforcée « grâce à un surplus de technologie et une « meilleure éducation », tout en privilégiant « la liberté et le danger » plutôt que « le contrôle et la sécurité ».

Durant l’été 1964, Isaac Asimov visite l’exposition universelle de New York. Déjà considéré comme l’une des voix majeures de la science-fiction avec son cycle des Robots ou la saga Fondation, l’écrivain russo-américain constate que l’expo « écarte du monde de demain l’hypothèse d’une guerre nucléaire ». Rassuré, il imagine alors à quoi pourrait ressembler notre planète un demi-siècle plus tard, en 2014. Ses prédictions sont tantôt effrayantes, tantôt enthousiasmantes. « Les communications se feront par visioconférence et vous pourrez à la fois voir et entendre votre interlocuteur. L’écran vous permettra également d’accéder à des documents, de voir des photographies ou de lire des passages de livres. Une constellation de satellites rendra possible les appels directs vers n’importe quel point de la Terre, même en Antarctique. »

Hélas, « Les hommes continueront à fuir la nature pour créer un environnement plus à leur convenance ». Cependant, « il y aura des cités souterraines pleines de potagers sous lumière artificielle. La surface gagnée sera dédiée à l’agriculture à grande échelle, aux pâturages et aux parcs. » Nous découvrirons les premiers « modèles de centrales énergétiques dans l’espace, collectant les rayons du soleil à l’aide d’immenses paraboles, puis renvoyant l’énergie sur Terre ».

Mais « le monde aura encore rétréci », avec « des autoroutes surchargées », des « transports de plus en plus aériens » et un usage courant de « l’hydroptère », un appareil qui glisse sur l’eau via quatre jets d’air comprimé (les voitures pourront aussi surfer sur l’eau de cette façon, « bien que les arrêtés locaux décourageront cette pratique ».) En outre, les véhicules seront munis de « cerveaux-robots » configurés pour atteindre une destination « sans l’interférence des lents réflexes d’un conducteur humain » (hello, Super-GPS). « Pour les voyages de courte distance, des trottoirs mobiles surélevés (avec des bancs de chaque côté) feront leur apparition. » Et n’oublions pas que « des tubes à air comprimé transporteront biens et matériaux ; les aiguillages qui achemineront ces cargaisons seront une des merveilles de la ville. »

« Tout n’est pas rose », prévenait Asimov dans ce texte précieusement traduit par le site Framablog. « La population mondiale sera de 6,5 milliards. » (Elle était de 3 milliards en 1964, nous sommes plus de 7,5 milliards aujourd’hui.) « Toute la Terre ne sera qu’une unique ville comme Manhattan d’ici 2450 et la société s’écroulera bien avant. La pression démographique va forcer l’urbanisation des déserts, des régions polaires » et des fonds marins. « L’agriculture traditionnelle aura beaucoup de difficultés à s’adapter. » Nous fréquenterons des « bars à algues, dans lesquels seront servis des imitations de dinde et des pseudo-steaks. Ce ne sera pas mauvais du tout (si vous pouvez supporter leur prix élevé) ».

Et les robots alors, Isaac ? « La situation empirera du fait des progrès de l’automatisation. Seuls persisteront quelques emplois de routine, pour lesquels les machines ne remplaceront pas l’être humain. L’humanité leur sera asservie. Les écoles devront être réorientées dans cette direction. » Conclusion : « L’humanité souffrira sévèrement d’ennui, un mal se propageant chaque année davantage et gagnant en intensité. Cela aura de sérieuses conséquences aux niveau mental, émotionnel et social. La psychiatrie sera de loin la spécialité médicale la plus importante, en 2014. Les rares chanceux qui auront un travail créatif seront la vraie...

22 avril 2021

10:32

Carl Agité : « Demain, la gauche l’emportera avec ce slogan : Méditation, Massage, Masturbation »

Retranché dans son chalet alpin situé « en 2081 », cet énigmatique ermite nous rappelle les grands axes de la campagne des 3-M, qui permit à l’union de la gauche de gagner les présidentielles de 2022.

L’enregistrement que vous allez entendre nous est parvenu par la grâce liquide d’une bouteille de génépi, déposée en évidence à l’entrée des studios, fin août 2020.L’étiquette indiquait : « Pour votre Arche. » À travers le verre, un petit coffre en plastique flottait dans l’alcool de plantes.

Le soir même, il fallut trois heures à notre équipe pour boire avec bravoure la boutanche entière, qui tomba en même temps que l’un de nos animateurs, et se brisa. Le coffre roula, s’ouvrit, révélant une pochette étanche, abritant elle-même une clé USB, contenant enfin plusieurs messages audios d’un dénommé « Carl Agité ».

Après débat au sein de la rédaction, il a été décidé de partager avec nos auditeurs ces « témoignages du futur », situés « en 2081 », cent ans exactement après la création de Radio Nova. L’auteur s’y présente sous les traits d’un ermite, « vieux sage et vieux singe », habitant un modeste chalet au pied du mont Blanc. Surprise, agréable : à « son » époque, le monde ne s’est pas encore écroulé.

Dans ce nouveau message, notre mystérieux moine des montagnes nous présente l’étonnante idée d’une certaine Célestine Briochin, 49 ans, massothérapeute à Nantes et sympathisante du Parti Socialiste, « qui décida, le 21 avril 2021, de parcourir la France en train, au mépris des amendes, pour réveiller les réunions du PS, des verts, des communistes ou des insoumis », jusqu’ici incapables de s’entendre pour contrer l’inévitable duel Macron-Le Pen, « avec trois mots, trois lettres, trois M : Méditation, Massage, Masturbation ».

Le programme de Briochin était limpide : « L’union de la gauche s’engagera à assurer chaque jour, à tou.te.s les Français.es et sans exception, même aux SDF, l’accès encadré aux 3-M. » « Chaque mâtinée comprendra 45 minutes de méditation, par groupe de trente, dans toutes les entreprises, toutes les écoles, toutes les facs, au sein de tous les corps de métier, avec un.e professeur.e agré.é.e et rémunéré.e par l’Etat, pour plonger en soi, lâcher prise, chasser les pensées négatives, apprendre à vivre ensemble en silence. » Puis, vers 17h, « chaque Français.e bénéficiera aussi d’un massage individuel de 30 minutes avant de quitter son lieu de travail ou dans des espaces dédiés ; ceci n’aura absolument rien de sexuel, toute forme d’indécence de la part du massé envers le masseur sera signalée et, si le comportement perdure, il sera puni. Ce soin sera gratuit, mais obligatoire ; car le simple fait d’être touché.e en profondeur fera retomber les tensions de soixante-trois millions de personnes tous les jours.»

Enfin, « le ministère de la santé organisera de grandes campagnes médiatiques (spots, affiches, happenings) sur les bienfaits d’une masturbation quotidienne juste avant de s’endormir », à tous les âges de la vie, pour encore un apaisement des tensions, une meilleure connexion avec soi-même – dans l’idée évidente de meilleures relations avec les autres, Célestine Briochin ne manquant jamais de souligner « les milliers d’emplois » qui résulteraient d’une telle « révolution de la conscience corporelle ».

Or, poursuit Carl Agité, « quand l’union de la gauche réalisa que les seules idées qui les rassemblaient, celles sur lesquelles ses membres ne s’écharpaient jamais et dont ils/elles avaient puissamment envie, étaient celles de Briochin… », celle-ci fut vite mise en avant. On cita aussi ses vingt ans dans l’humanitaire au Bénin, son éloquence sur les plateaux télé, son élégance vestimentaire, ses six recueils de poésie dédiés à Léopold Sédar Senghor, ses trois enfants issus de trois unions, son histoire d’amour naissante avec Pierre Niney et son amitié de...

21 avril 2021

6:13

Iván Repila : « Demain, nous devons détruire le capitalisme »

L’auteur espagnol du « Puits » nous incite à anéantir au plus vite la matrice économique de toutes les inégalités, en déboulonnant au passage les partis d’extrême-droite et les écoles religieuses.

« Impossible de sortir, on dirait. Mais on sortira. » Deux jeunes frères coincés au fond d’un trou. Comment sont-ils arrivés là ? Réussiront-ils à s’en tirer vivants ? De quoi ces enfants piégés sous terre sont-ils la métaphore ? D’où vient cette écriture poétique, que la romancière cubaine Zoé Valdès compare à celle Saint-Exupéry ? En 2014, Le Puits, premier roman espagnol de cent vingt pages, agit comme un classique immédiat à offrir à la pelle (pour creuser notre imagination). Son auteur, Iván Repila, est un parfait inconnu en nos contrées ; né à Bilbao en 1978, il serait éditeur, graphiste et administrateur culturel. Quatre ans plus tard, les éditions Jacqueline Chambon publient Prélude à la guerre, à propos d’un architecte ambitieux dont le monde s’effondre, préfacé par Éric Chevillard qui voit là « le récit d’une lente apocalypse, le naufrage d’une utopie » en soulignant que « l’homme occidental » y apparaît comme un « être famélique abusant d’une civilisation fertilisée dans la gangrène ».

« Et pourquoi les femmes s’entêtent à lutter pacifiquement contre le patriarcat ? », demande l’antihéros de son dernier roman, ironiquement intitulé Un bon féministe, publié en janvier chez la même éditrice. « Avec cette tactique, d’après mes calculs, vous allez bien mettre trois ou quatre cents ans. Je ne comprends pas. Vous avez fait vœu de modération pendant vos sabbats ? Conduis lentement, mais sûrement ? Serre, mais sans étouffer ? La révolution sera féministe ou ne sera pas. Vous comptez détruire le système en demandant l’autorisation ? » L’homme qui parle ira trop loin. Déboussolé par l’avancée des combats post-MeToo pour l’égalité totale entre les sexes, qui bouleverse sa conception du monde et son éducation de macho ordinaire accro au porno, ce journaliste trentenaire sans envergure devient plus royaliste que le roi et fomente dans l’ombre un groupuscule « phallique » pour créer les conditions d’une vraie guerre des sexes, en vue du changement. On croirait une excroissance tordue du « Projet Chaos » de Fight Club, de l’Américain Chuck Palahniuk, auquel Repila semble répondre vingt ans plus tard – l’écriture est d’une nervosité palpable, méchante et sans répit, remarquablement traduite par Margot Nguyen Béraud, déjà à l’œuvre sur les deux romans précédents.

Mais quelle peut bien être la vision du futur d’un si « sombre prophète », selon la formule de Chevillard ? Pour le savoir, L’Arche de Nova a envoyé un télégramme en direction de la province de Burgos, au nord du pays, dans l’Espagne « vide ». Sans surprise, Iván Repila voit le monde qui arrive comme « obscur, difficile et mortel », en citant les classiques de la dystopie : 1984 de George Orwell, Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley ou La Servante écarlate de Margaret Atwood. Il considère que nous vivons déjà une dystopie, avec le coronavirus et la « catastrophe politique et humanitaire » en cours. Mais l’écrivain incite ici chaque citoyen.ne. à s’attaquer à la racine du problème : le capitalisme, matrice de toutes les inégalités. Et se prête au passage à un exercice d’imagination, en concevant pour l’Espagne la fin des écoles religieuses, « qui disparaîtront lentement, comme certains insectes », en laissant l’enseignement de la foi aux espaces prévus pour cela.

Réalisation : Mathieu Boudon.

Traduction : Amélie de Castellan.

Voix : Judah Roger.

Image : Fight Club, de David Fincher (1999).

20 avril 2021

6:09

Rim Battal : « Demain, nous élèverons nos enfants à quatre, six, huit, douze »

Marocaine et Parisienne, cette poétesse de l’intime suggère aux parents de davantage « daroner en post-tribu », par mutualisation des compétences et des attentions, dans de grandes colocations. Ainsi, « fini l’enfant-roi, la mère poule et le père démissionnaire ! »

« Quand j'étais enceinte de ma fille, j'avais envie de lire des textes qui poseraient des mots crus, directs et précis sur l'expérience existentielle de la maternité. Je n'en ai pas trouvé. J'ai commencé à prendre des notes, c'est devenu L’eau du bain. » En 2019, Rim Battal publie aux éditions Supernova (promis, nous n’y sommes pour rien) le journal poétique de sa grossesse, de son accouchement et de ses premiers mois en tant que mère, en évoquant frontalement, par exemple, la douleur de l’épisiotomie. Elle raconte aussi d’autres pressions. « Vas-y Maman, avale-moi. Je reviens vers toi, molle, cuite à point. Sors les couverts, je vais te faire les petits-enfants dont tu rêves tant. Je te les léguerai dès la naissance. Ils t’appartiennent déjà. »

Née à Casablanca en 1987, diplômée de l’Ecole Supérieure de Journalisme de Paris où elle vit depuis huit ans, Rim Battal a laissé tomber l’information et les médias traditionnels en 2012 pour tenter de faire entendre, pleinement, son regard de « féministe inconditionnelle » à travers ses textes, poèmes et photographies – tout en co-dirigeant le « Bordel de la Poésie », une série de rendez-vous feutrés dans des endroits élégants (du monde d’avant-la-pandémie) où, « habillée en putain d’un autre temps », il lui arrive de murmurer sa prose rose à l’oreille de spectateur.ice.s troublé.e.s ; cette pratique, dit-elle, a depuis « recouvert son travail d’une fine couche d’érotisme ».

En février dernier aux éditions du Castor Astral, Rim Battal a publié Les quatrains de l’all inclusive, composés dans un hôtel pour touristes « de masse » de Sardaigne, en vacances avec ses filles. Du bord de la piscine (qu’elle envisage de dynamiter : on y subit Despacito trois fois par jour), elle se pose parfois des questions vertigineuses : « Qui du maître ou de l’esclave / vit plus longtemps / vit plus heureux / vit plus vaillant / L’esclave connaît mieux le repos, le soleil et le contentement / Le maître est un mystère. » Avant de recommencer à interroger la parentalité : « Le parent a l’avantage d’être né avant / Il a ce coup d’avance des dieux / et comme les dieux essuiera tôt ou tard / la merde sur les murs de la foi qui détale. »

Grimpant à bord de L’Arche de Nova, Rim Battal suggère aux parents de davantage « daroner en post-tribu » par mutualisation des compétences et des attentions, dans de grandes colocations qui accueilleront aussi, outre des amis savamment choisis, des aîné.e.s ou des personnes dénuées de la moindre progéniture. Ainsi, « fini l’enfant-roi, la mère poule et le père démissionnaire ! » « Pour éviter que ne pèse sur deux personnes – et souvent sur une seule – la charge de maintenir en vie, soigner, éduquer, divertir un enfant ou deux ou trois », l’autrice marocaine conseille de partager les tâches au sens large et de mettre en commun « meubles et mètres carrés, jouets et vêtements » pour que les marmots puissent « courir, cuisiner, jardiner, apprendre une langue ou à coder », entourés d’autres adultes qui leur fourniront « d’autres modèles et une diversité de points de vue ». Conclusion savoureuse : « Pendant ce temps-là, les parents se réfugieront dans des boudoirs pour vaquer à des occupations plus personnelles. »

Réalisation : Mathieu Boudon.

Pour voir Rim Battal lire un extrait de L’eau du bain, c’est là : https://vimeo.com/388248675

Image : Le grand appartement, de Pascal Thomas (2006).

19 avril 2021

6:24

Camille Brunel : « Demain, l’euthanasie sera la seule façon de mourir heureux »

Lauréat 2020 du Prix de la Page 111, cet écrivain de Châlons-en-Champagne décuple notre espérance de vie, le temps d’une utopie où l’on pourra « guérir de tout » en choisissant le jour de son décès après cent, cinq cents ou mille ans d’existence.

« "Tobias est mort hier." Augustine et Margot ne réagirent pas. Elles n’avaient jamais été proches de leur arrière-grand-père, dont le grand âge les avait toujours intimidées, aussi gentil fût-il envers elles. Isis, leur marraine, se sentit terriblement vieille, moribonde et seule (…) "Qu’est-ce qu’il est devenu ?", demanda Isis, écrasée de lassitude. "Rien", répondit Timothée. "Il est resté humain, il est juste mort" (…) Timothée avait fini rongé par ses mauvaises décisions, toujours prises malgré lui. La dernière en date concernait la dépouille de son père, qu’il avait donnée aux vautours, comme cela se faisait encore dans certains coins du Tibet. »

Paru en septembre aux éditions Alma, récompensé sur Nova du très convoité Prix de la Page 111, Les Métamorphoses, le second roman de Camille Brunel, se déroule dans un avenir assez proche où une « pandémie de métamorphoses » transforme soudain les humains en bestioles, au hasard. En hyène, en écrevisse, en brebis, en taon. La société toute entière s’en trouve assez naturellement bouleversée.

Mais si les copains et les copines devenaient de glorieux éléphants, hériteraient-ils de leur longévité ? Prendraient-ils le chemin de leur légendaire cimetière pour s’y laisser mourir, comme ces élégants pachydermes ? Pour sa cinquième hypothèse futuriste, cet écrivain de Châlons-en-Champagne, honorant avec panache sa carte blanche d’une durée de 11 mois et 1 semaine sur notre antenne, dit merde à la mort. Admirateur de Lautréamont, auteur d’un Eloge de la baleine à paraître aux éditions Rivages, Camille Brunel, 35 ans, décuple notre espérance de vie le temps d’une utopie où l’on pourra « guérir de tout », en choisissant le jour de sa mort après cent, cinq cents ou mille ans d’existence. « L’euthanasie sera la seule façon de mourir heureux. Les suicides seront extrêmement marginaux – qui préfèrerait s’ouvrir les veines ou se jeter sous un train plutôt que de contacter l’hôpital pour en finir en douceur ? Mais si un gosse ou une ado contacte l’hosto pour en finir, on ne lui refilera pas sa dose de curare comme ça ; on en parlera d’abord, longtemps, beaucoup et bien. Est-ce que tu es sûr de ne pas vouloir rester en vie ? Regarde, tu n’es pas obligé de faire cinq siècles comme tes parents. Essaie au moins d’en faire un seul comme tu le veux toi. »

Réalisation : Mathieu Boudon.

Pour écouter la précédente utopie de Camille Brunel, c’est là : https://www.nova.fr/news/camille-brunel-demain-on-aura-mange-toute-la-viande-133330-16-03-2021/

Image : Cocoon, de Ron Howard (1985).

15 avril 2021

5:16

Iris Kooyman : « Demain, péter les plombs au guichet permettra de chauffer tout un quartier »

Et si l’administration publique était équipée de « pompes » réglées sur l’énervement de ses usagers ? C’est l’invention brillante de cette étudiante du master de création littéraire du Havre, qui entend « recycler » nos colères face aux délais d’attente délicieusement longs.

Elle déclare, non sans panache, aimer « les bus de banlieue et les opossums ». Elle aurait dédié ses trois dernières années à enseigner le français dans une classe d’accueil pour adolescents non-francophones de La Courneuve (Seine-Saint-Denis). Étudiante du master de création littéraire du Havre, elle écrit désormais un roman dont l’un des personnages est « une assistante sociale au bord du burn-out ». Voici l’essentiel, à ce jour, des pièces que nous pouvons verser au dossier concernant notre invitée du soir répondant au nom d’Iris Kooyman. Dernier élément, peut-être décisif : l’intéressée aurait visionné dans son enfance, à de très nombreuses reprises, Les douze travaux d’Astérix. Rappelons que ce long-métrage d’animation des années 70, qui catapulte nos Gaulois dans un pastiche sous LSD de la mythologie grecque, possède l’une des plus jouissives allégories des tortures labyrinthiques de l’administration que la culture francophone, sous toutes ses coutures, ait pu engendrer à ce jour ; nous pensons bien entendu à la huitième épreuve, celle de « la maison des fous », à la recherche du fameux laisser-passer A-38.

Est-ce en souvenir des sévères pétages de plomb d’Astérix et Obélix aux différents guichets de cet établissement romain qu’Iris Kooyman a eu l’idée révolutionnaire qui fera chauffer, à plus d’un titre, les neurones du futur ? Ou cela provient-il, comme le veut la rumeur, d’une fréquentation excessive de la préfecture de Bobigny (Seine-Saint-Denis) ? Difficile de statuer. Toujours est-il qu’on lui doit la création d’une start-up en énergies renouvelables, « Tech-Heat », délivrant un système breveté de pompes « réglées sur l’énervement » généré par des délais d’attente délicieusement longs, des agents du service public remarquablement inattentifs ou des pièces à fournir savoureusement indisponibles. Pompes qui permettent « de chauffer les bâtiments d’un quartier grâce aux particules dégagées par la colère ». Le succès semble inévitable.

Notons qu’Iris Kooyman est aussi à l’origine, au cours de cet épisode, de plusieurs autres inventions brillantes : « le méthaniseur à crises conjugales, qui absorbe toutes les rancœurs, les non-dits et les exaspérations du quotidien afin de produire du gaz naturel », « la turbine managériale, afin de subir injonctions contradictoires de votre n+1, mais pour la bonne cause », ou encore « l’embrouillegorithme, qui enferme des personnes choisies au hasard dans une pièce, où une intelligence artificielle leur fournit des sujets de disputes –  le végétarisme, l’avortement, "pas tous les hommes", les vaccins ou le travail du sexe –, au cas où la production énergétique s’effondrerait ». Le prochain concours Lépine promet d’être chaud-chaud.

Réalisation : Mathieu Boudon.

Pour réécouter les travaux de la Professeure Postérieur évoqués dans cet épisode, c’est ici : https://www.nova.fr/news/professeure-posterieur-demain-la-danse-fera-tourner-le-monde-41032-30-09-2020/

Image : Les douze travaux d’Astérix, de René Goscinny & Albert Uderzo (1976).

14 avril 2021

7:51

Louise Browaeys : « Demain, on saura mieux dire non, je t’aime, je me suis trompée, je perds ma culture »

Cette écrivaine, agronome et permacultrice parisienne sème des graines comportementales (et de la roquette) pour un avenir où notre empreinte carbone sera « divisée par quatre », et où « l’oppression des femmes et l’oppression des sols auront concomitamment cessé ».

Au tout début de son premier roman, La Dislocation, paru en septembre dernier aux éditions Harper Collins, Louise Browaeys cite douze types de dislocation, parmi lesquelles : celle de la banquise, celle des amitiés adolescentes ou celle de l’adversaire militaire, avant de s’arrêter sur la dislocation psychique, qui peut provoquer « des hallucinations, un langage délirant, hermétique ou chaotique », une pensée désorganisée, des affects perturbés. Son héroïne se réveille après trois mois – ou trois ans ? – de traitements par électrochocs à l’hôpital, la mémoire en gruyère, épuisée par un « vide » qui demeure à l’intérieur d’elle. Reste un mois au lit, sans ouvrir la bouche. Retrouve peu à peu l’usage de la parole, soulage son « cœur oppressé » en fréquentant des libertins, en vivant une agréable bisexualité, jusqu’à ce que les souvenirs lui reviennent. Il sera question – SPOILERS, NE LISEZ PLUS, DANGER DE MORT – d’une « pyramide » antiatomique de verre et de métal, « imperméable à toutes les pollutions », bâtie dans la jungle guyanaise, propriété autosuffisante d’une secte écoféministe new age des années 80 « confinée » à perpétuité, abritant pléthore d’écosystèmes à protéger et baptisée… « L’Arche II » ; la première étant celle de Noé, et non celle de Nova.

(VOUS POUVEZ REPRENDRE LA LECTURE DE CET ARTICLE. TOUT RISQUE DE RUPTURE DU PACTE NARRATIF EST DÉSORMAIS ÉCARTÉ.) Née à Nantes, fille de pépiniériste devenue ingénieure agronome et permacultrice, la Parisienne Louise Browaeys, 35 ans, est l’autrice d’essais sur l’agriculture et de nombreux livres de cuisine écolo. À bord de notre navire utopique, elle sème des graines comportementales (et de la roquette) pour un avenir qui sera « aussi merveilleux, aussi irrespirable, aussi tragique qu’aujourd’hui ». Mais où notre empreinte carbone sera quand même « divisée par quatre ». Où « l’oppression des femmes et l’oppression des sols auront concomitamment cessé ». Où nous écrirons de nouveau des lettres, tout en pratiquant la broderie. Après la dislocation, le temps du tissage.

Réalisation : Mathieu Boudon.

Image : La Belle Verte, de Coline Serreau (1996).

13 avril 2021

4:35

Benjamin Fogel : « Demain, nous attendrons une heure pour faire le moindre commentaire sur Internet »

Auteur d’un roman sur le cyberharcèlement et la misogynie « incel », cet écrivain et éditeur parisien rêve de remodeler les réseaux via une éthique de patience et de transparence, pour mieux libérer les paroles et faire circuler les savoirs.

« Mei avait imaginé qu’Internet deviendrait la plus grande place de discussion jamais créée, une université gigantesque où circulerait librement l’information et où se régleraient les problèmes du monde. Adolescente, elle avait pour héros les hackers des années 2000, Aaron Swartz et Edward Snowden en tête. Aujourd’hui, la cacophonie, les sophismes et les guerres de chapelle qui règnent sur Internet la répugnent. Même l’anonymat lui apparaît comme un agent phare de la confusion générale. »

Dans Le silence selon Manon, son second roman publié début avril aux éditions Rivages, Benjamin Fogel décrit, dans un futur très proche, une vague d’attentats misogynes perpétrés par des « raclures » du mouvement incel – contraction de cette expression anglo-saxonne qui désigne les « célibataires involontaires », soit des « personnes incapables de trouver des partenaires amoureux, malgré leur désir de vivre en couple », « persuadés que la libération de la femme est à l’origine de leur célibat forcé », en « haïssant les personnes sentimentalement et sexuellement épanouies ». Fogel aborde la question du cyberharcèlement pratiqué en masse par cette meute de dangereux frustrés, poussant souvent leurs victimes à la dépression et au suicide, en imaginant qu’« à partir de 2022, les attentats misogynes se sont généralisés aux Etats-Unis et au Canada ».

La Manon qui donne son titre au roman est une militante féministe, sourde, fondatrice d’une association d’« Insurgés de l’Espace Sonore », qui constate que « les réseaux sociaux ont ouvert un nouveau monde aux sourds, les mettant sur un pied d’égalité avec les entendants », et songeant parfois à ne vivre « que dans le monde virtuel, cachée derrière son ordinateur ». Lors d’un apéro dans un bar, où son interlocuteur communique avec elle par des messages écrits dans un carnet, ce dernier s’étonne que l’anonymat soit toléré sur Internet « comme s’il s’agissait d’un monde parallèle », en considérant qu’y apparaître sous son propre nom, si cela devenait la norme, « n’empêchera pas de mal se comporter, mais au moins on saura tracer les connards ».

Grimpant à bord de L’Arche de Nova, Benjamin Fogel prolonge ici sa réflexion en rêvant de remodeler les réseaux via une éthique de patience et de transparence, pour mieux libérer les paroles et faire circuler les savoirs. Cofondateur et directeur des éditions Playlist Society (qui publient des essais réjouissants sur Kanye West, les sœurs Wachowski, le studio Ghibli ou Terrence Malick), ce Parisien studieux s’inspire ici du regretté Aaron Swartz (1986-2013), génie de l’informatique et hacktiviste new-yorkais, en lui donnant le nom d’un réseau idéal, le réseau Aaron.

« Pour faire renaître les ambitions originelles d’Internet, il faut ajouter du contrôle : de la modération, des contraintes d’identifications, telles que l’interdiction de posséder plusieurs profils, la nécessité de recourir à des comptes préalablement vérifiés, voire à sa véritable identité, le tout avec toutes les précautions à apporter sur le droit à l’oubli, en pouvant notamment déterminer quand chacune des traces que nous laissons disparaîtra automatiquement. Il faut savoir qui parle et depuis quel bord politique. » Autre piste esquissée par Benjamin Fogel : « Il faut ralentir le flux. Diminuer le bruit. Interdire les réponses spontanées. Faire de l’expression tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler une obligation : si les internautes sont obligés d’attendre une heure pour répondre, cela les poussera à digérer les échanges, à laisser la tension retomber, à travailler leurs réponses, à ne conserver que...

12 avril 2021

6:25

Chris Vuklisevic : « Demain, septembre sera pour tous un mois de solitude »

Autrice d’un stimulant premier roman d’heroic fantasy, cette écrivaine parisienne supprime pour toujours la rentrée au profit de quatre semaines d’ermitage individuel obligatoire à dimension « salvatrice », pour apprendre à « voir en nous-mêmes la réalité crue ».

« En plein jour, les ténèbres emplirent la terre. Les vagues de l’océan engloutirent les oiseaux du ciel. Il n’y eut plus de voix humaine pendant douze jours et douze nuits. Le tonnerre couvrait les cris de terreur. Au matin du treizième jour, la lumière vint éclairer à nouveau la mer. » Dans son premier roman, Derniers jours d’un monde oublié, qui vient de paraître aux éditions Gallimard à l’occasion d’un concours lancé pour les vingt ans de la collection Folio SF, la lauréate Chris Vuklisevic imagine qu’une île, comme une poignée de chanceux, a miraculeusement survécu à ce déluge mondial. Mais « des étrangers » surgissent à l’horizon. À bord du navire, deux femmes tout à fait primordiales : une capitaine pirate, Judith Kreed, « recherchée par les autorités de trois continents pour traitrise, pillages, torture, esclavage, meurtre et cannibalisme », et sa fille Erika, née sur le bateau, qui égorgea son premier homme, euh, à 8 ans.

Dans ce chouette roman d’heroic fantasy placé sous l’influence naturelle de George R. R. Martin (le récit peut éventuellement se lire, en délirant un brin, comme celui des origines des îles de Fer de Westeros, dans Game of Thrones), chaque chapitre est précédé d’un document qui nous renseigne sur les mœurs insulaires : coupures de journaux, comptine enfantine, fable animalière, communiqués associatifs. Y figure une déclaration des droits et des devoirs des habitants, qui nous révèle l’existence d’un « juge des talents » chargé d’évaluer les capacités de chaque citoyen. « Sont sujettes à examen les facultés suivantes : perception des pensées, changement d’apparence, invisibilité, dédoublement. » Ou encore… « vision du passé ou du futur ».

Née en 1992 sur la Côte d’Azur, Chris Vuklisevic a grandi à Antibes, « près des montagnes rouges de l’Estérel ». Depuis 2011, elle vit à Paris où elle a mené des études en sciences du langage et en édition à la Sorbonne. Chroniqueuse littéraire pour Radio Campus, elle est aussi la cofondatrice de l’association Heptalone, qui offre aux écrivains des retours gratuits sur leur manuscrit. Grimpant à la corsaire sur le pont de L’Arche de Nova, cette écrivaine joue à son tour de son talent à lire l’avenir. En… supprimant pour toujours la rentrée de septembre au profit de quatre semaines d’ermitage individuel à dimension « salvatrice », imposé par décret par la présidente de la République. Toutes les dépenses seront couvertes par l’Etat, qui entendra nous apprendre les vertus du silence ainsi qu’à nous ennuyer, à dire non aux repas de famille, à « vivre dans la pénombre » ou à « voir en nous-mêmes la réalité crue ». Le tout, après ce stage annuel « mi-ours mi-belle au bois dormant », pour « retrouver le sens de l’utile et de l’inutile ». 

Réalisation : Mathieu Boudon.

Image : Palais du Tout-Puissant et, au loin, salle de l’Esprit et du Temps dans Dragon Ball Z d’Akira Toriyama (1989-1996).

08 avril 2021

5:49

Sandrine Goma Naouri : « Demain, nous pourrons revivre nos joies passées »

Cette étudiante du master de création littéraire du Havre imagine une grande distribution municipale de « kits de souvenirs heureux », qui dégénère hélas en « épidémie » de « soirées clandestines » entre « ahuris ».

« La remémoration authentique des grands événements de la vie démontre qu’une foule de détails s’évanouit très rapidement. Et définitivement. Dans le contrat global que nous offrons, les souvenirs sont si profondément implantés que rien n’est oublié. » Peut-être vous souvenez-vous de Total Recall, ce classique S.-F. adapté de la nouvelle Souvenirs à vendre de Philip K. Dick (1966), adaptée au cinéma par Paul Verhoeven (1990) ; le chêne autrichien Arnold Schwarzenegger y jouait Douglas, un homme ordinaire qui rêve très souvent qu’il se rend sur Mars, au point d’acheter à une société la mémoire d’un séjour fictif de deux semaines sur la planète rouge (où il est déjà allé, mais j’ai oublié pourquoi).

Peut-être vous souvenez-nous aussi de Strange Days (1995), ce thriller cyberpunk mis en scène par Kathryn Bigelow sur un scénario de James Cameron, dans lequel Ralph Fiennes incarne, deux jours avant l’an 2000, un ex-flic devenu « dealer de souvenirs », qui trafique moments heureux ou malheureux mais toujours vrais, numérisés sur minidisc, que l’on s’injecte par le biais d’un casque poulpesque baptisé « squid » ; pas très en forme, son personnage passe ses soirées seul à revoir encore et encore des images de son ex, interprétée par Juliette Lewis, qui manifestait là une flagrante maîtrise du patin à roulettes.

Si votre mémoire de spectateur/spectatrice a enregistré ces données, il est plus que probable, en revanche, que vous ne vous rappelez pas de la dystopie technologique conçue et brevetée par Sandrine Goma Nouari, 27 ans, étudiante du master de création littéraire du Havre. En pleine écriture d’un récit d’autofiction dont l’héroïne est « hantée par son passé », elle imagine pour L’Arche de Nova des distributions municipales de « kits de souvenirs heureux », qui dégénèrent en « épidémie » de « soirées clandestines » entre « ahuris » accrocs à la nostalgie. Mais que fait le gouvernement ? Y aura-t-il des ministres présents lors de ces futures réunions allongées ? Une enquête est (déjà) en cours.

Réalisation : Mathieu Boudon.

Image : Total Recall, de Paul Verhoeven (1990).

07 avril 2021

4:49

Lodewijk Allaert : « Demain, le haut-débit serait celui des torrents, la fibre celle des roseaux »

Alerte ! Perché dans les Landes, cet écrivain-voyageur, qui traversa l’Europe de l’Est à pied ou en kayak, règle nos antennes sur un avenir beaucoup plus connecté à la nature, où les amendes seraient payées « avec des cacahuètes ».

« Je crois en l’esprit de la montagne. Je ne parle pas d’un fantôme muni d’un piolet ou d’un génie qui apparaîtrait en frottant sur un caillou. J’imagine plutôt un champ de force, d’émotions, généré par les grains de conscience que nous projetons à la surface du monde ; sorte de nappe pensante semblable à ce que [le prêtre, philosophe et paléontologue français] Teilhard de Chardin appelait la Noosphère. Ça peut paraître étrange, mais je crois que ce qui émerge en nous ne meurt jamais vraiment. Des traces invisibles de ce que nous avons partagé existent quelque part lorsque nous n’existons plus. Nos pensées nous transcendent, s’accumulent au-dessus des villes, des forêts, des océans, des montagnes, propageant au-delà des interprétations ce supplément insaisissable qui nous parvient lorsque nous évoquons l’atmosphère d’un lieu. »

En 2013, pendant quatre mois, Lodewijk Allaert et sa compagne Kristel ont parcouru à pattes l'arc des Carpates : deux mille kilomètres de montagnes, de la Slovaquie à la Roumanie. C’est l’épique itinéraire d’un sympathique ouvrage, Carpates, la traversée de l'Europe sauvage, paru aux éditions Transboréal en 2019, qui vient de recevoir le grand prix du festival des « Rendez-vous de l’aventure » de Lons-le-Saunier (Jura). Dédié « aux montagnards minuscules, sans élan de conquête, humbles et émerveillés », le récit de sa balade à l’Est collectionne les sensations : d’abord, son périple s’effectue souvent sous une pluie battante, mais peut aussi, comme en Pologne, lui offrir le vertige de la déshydratation. Il s’y sent également « insignifiant » sous « d’immenses auges glaciaires », plus tard « hypnotisé » par un moissonneur ukrainien aux yeux d’acier ou terrorisé par des molosses roumains (« La confrontation avec les chiens devient une hantise, au point que même les moutons commencent à me faire peur. »)

Heureusement, le sombre seigneur sanguinaire des Carpates, Dracula, ne s’en mêla pas ; passant en coup de vent au village de Bran pour visiter la forteresse de Vlad l’empaleur, qui inspira son vampire à Bram Stoker, Lodewijk Allaert en décrit l’intérieur comme un « manoir mignonnet » rempli d’instruments de torture ajoutés « pour l’occasion », dans cette demeure où le prince sulfureux et « pas si cruel » du XVe siècle roumain n’a, en fait, « jamais séjourné ».

Né en 1980 à Dunkerque, cet écrivain-voyageur avait, toujours avec sa compagne, déjà rallié Budapest à Istanbul en kayak, en 110 jours (une histoire coule contée dans Rivages de l'Est, 2012), avant d’aller surfer au Mexique (L'instinct de la glisse, 2011), parmi d’autres tribulations internationales.

Nous appelant ce printemps depuis le village de Linxe (dans les Landes, où paraît-il chacun des 1490 habitants possède une excellente vue), Lodewijk Allaert règle nos antennes sur un avenir beaucoup plus connecté à la nature. Pour L’Arche de Nova, celui qui dans Carpates confie qu’il lui arrive de « partager des utopies bruyantes dans des volutes de fumée épicée » rêve de payer ses amendes avec « des cacahuètes », de battles de (vrais) noms d’oiseaux ou de courses de lenteur récompensée « en escargots ».

Réalisation : Mathieu Boudon.

Image : Et au milieu coule une rivière, de Robert Redford (1992).

06 avril 2021

4:26

David Meulemans : « Demain, nous écrirons tout le temps et de mieux en mieux »

Fidèle aux conseils de la romancière américaine Ursula K. Le Guin, cet éditeur parisien nous encourage à rédiger chaque mail, chaque texto, jusqu’au moindre petit mot placardé dans l’ascenseur, avec « art, justesse et élégance ».

« Écrire un roman ressemble à conduire une voiture la nuit. Vous n’y voyez pas grand-chose mais vous pouvez faire toute la route ainsi. » La phrase est de l’écrivain new-yorkais E. L. Doctorow et on la retrouve depuis cet hiver dans un manuel qui entend, à sa manière, éclairer la nuit. Dans Écrire son premier roman en dix minutes par jour, David Meulemans, rigoureux patron des éditions Aux Forges de Vulcain (qui abritent et couvent les œuvres de Luke Rhinekart, Charles Yu, Rivers Solomon ou Gilles Marchand), nous rappelle qu’écrire, « c’est aussi rêver, construire, explorer, essayer, couper, décider » et qu’il convient d’abord d’organiser le temps de l’écriture, avant de laisser libre cours à une forme « d’improvisation » – qui n’est cependant que le début du boulot. L’auteur rappelle ainsi que le premier jet de Sur la route de Kerouac fut écrit en trois semaines, puis retravaillé pendant six ans. Il conseille encore de « partir de sa propre singularité », d’un matériau qui n’appartient qu’à soi, pour ensuite tirer vers l’universel. D’apprendre à « creuser les écarts » entre ce que les personnages disent et ce que les personnages font, entre leur nature profonde et leur attitude quotidienne. De distinguer archétype et stéréotype. De nous interroger, aussi, sur notre rapport au genre : par exemple, suis-je « fidèle, ironique, critique ou comique » avec les codes du roman policier, dans celui que je suis en train de bâtir ?

David Meulemans sait de quoi il parle : non content de recevoir des dizaines et des dizaines de manuscrits chaque mois, cet animateur d’ateliers d’écriture depuis déjà deux décennies, auteur d’une thèse de philosophie sur la créativité artistique, a dû, pour ce livre, traverser lui-même « un long tunnel de procrastination », doutant de sa propre légitimité à mener à bien cet exercice. Grimpant à bord de L’Arche de Nova, il nous offre un tuyau d’écriture supplémentaire, très utile pour muscler sa prose. En suivant les conseils de la romancière américaine Ursula K. Le Guin (1929-2018), l’éditeur nous encourage – depuis Boissy, en Seine-et-Marne – à rédiger chaque mail, chaque texto, jusqu’au moindre petit mot placardé dans l’ascenseur, avec « art, justesse et élégance ». À trouver les paroles qui conviennent en toutes circonstances, à chérir et à soigner notre rapport à l’autre dans n’importe quelle situation textuelle, par le recours à « la beauté », en s’efforçant d’inventer des calligrammes à destination de nos voisins ou des rimes embrassées pour notre banquier. Cap’ ou pas cap’ ?

Réalisation : Mathieu Boudon.

Image : Barton Fink, de Joel & Ethan Coen (1991).

25 mars 2021

4:01

Tiffany Le Dévoré : « Demain, nous allons militer en dormant »

Contre les cadences infernales, cette étudiante du master de création littéraire du Havre rêve d’un groupuscule international de « narcolepsie politique » qui manifeste en roupillant, en public ou sans bouger du lit.

Bizarre. Télétravailleurs, télétravailleuses, ne vous sentez-vous pas dominé.e.s par cette impression curieuse, celle de n’avoir jamais autant tafé, bossé, turbiné qu’en 2020, alors qu’une partie du pays, pendant quelques mois au moins, était à l’arrêt ? Accomplissons-nous sans le savoir le fantasme définitif du libéralisme : des milliers d’employé.e.s sans horaires fixes, corvéables à merci, prêt.e.s à recevoir des mails et des ordres de missions à toute heure du jour et de la nuit ? Plus productifs que jamais ? Ne « perdant » désormais plus de « temps » dans les transports, dans les couloirs, à la cantine ? Jusqu’où cela peut-il nous mener ?

Heureusement, pour protester, quelqu’un a décidé de se lever ; ou plutôt, non, de rester couchée. Diplômée des Beaux-Arts d’Angers, étudiante du master de création littéraire du Havre, Tiffany Le Dévoré rêve d’un groupuscule international de « narcolepsie politique » qui manifeste en roupillant, en public ou sans bouger du lit. Comme l’a écrit Georges Perec en 1967, dans son roman Un homme qui dort : « Tu n’as guère vécu, et pourtant, tout est déjà dit, déjà fini. Tu n’as que vingt-cinq ans, mais ta route est toute tracée. Les rôles sont prêts, les étiquettes : du pot de ta première enfance au fauteuil roulant de tes vieux jours, tous les sièges sont là et attendent leur tour. Tes aventures sont si bien décrites que la révolte la plus violente ne ferait sourciller personne. Tu auras beau descendre dans la rue et envoyer dinguer les chapeaux des gens, couvrir ta tête d’immondices, aller nu-pieds, publier des manifestes, tirer des coups de revolver au passage d’un quelconque usurpateur, rien n’y fera : ton lit est déjà fait dans le dortoir de l’asile, ton couvert est mis à la table des poètes maudits. »

Alors à quoi bon ? Mieux vaut apprendre à… « ne plus rien vouloir. Attendre, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien à attendre. Traîner, dormir. Sortir de tout projet, de toute impatience. » Et si c’était ça, la grande révolte ? Au dodo, citoyens.

Réalisation : Mathieu Boudon.

Image : Railway Sleepers, de Sompot Chidgasornpongse (2017).

24 mars 2021

6:31

Odette Picaud & Chapi Chapo : « Demain, les tempêtes auront des noms de chanteurs de reggae »

Dans le Finistère, cette plasticienne réparatrice de poupées abandonnées et ce collectionneur de jouets musicaux nous tricotent un patchwork de désirs pataphysiques « pour un monde meilleur ». Faya !

Dans son studio, il y a de petits mégaphones, un « tableau d’éveil » Fisher-Price, une « dictée magique », des xylophones de toutes les couleurs, une double mini-guitare rayée comme un tigre. Mais le défi est de composer « de la musique sérieuse ». Depuis près de vingt ans, le Breton Patrice Elégoët collectionne les jouets musicaux : il en possède plus de six cents, en bois, en tôle, flûtes, appeaux, mélodicas, ainsi que des dizaines de synthétiseurs qui lui ont permis de composer Collector, quatrième album de son projet de toy music Chapi Chapo, publié en novembre dernier sur le label Music From The Masses.

On y découvre alors, un peu éberlués, cette réalité alternative : s’ils ou elles avaient voulu s’en donner la peine dès leur plus jeune âge, les enfants des années 80 auraient pu fabriquer, à partir des claviers innocents reçus pour leur anniversaire, de longues plages électroniques, de la synth-pop, ou encore une house primitive qui n’est pas sans rappeler les épopées vidéo-ludiques sur consoles 8 bits. Art brut que Pat’ Chapi tire de son chapeau, en ouvrant sa salle de jeux à quelques invités, comme Laëtitia Shériff, Tiny Feet ou Troy Von Balthazar (Chokebore), présents sur le disque.

Embarquant tout son matériel à bord de L’Arche de Nova, Chapi Chapo n’est pas venu seul : depuis leur grand hangar de la campagne des Monts d’Arrée (Finistère), le musicien s’adjoint pour l’occasion la voix et les espoirs de sa compagne Fanny Crenn. Une plasticienne qui, un jour, « dans une décharge », est tombée « sur une boîte à chaussures éventrée qui appartenait à une dénommée Odette Picaud, boîte autour de laquelle gisaient de vieilles photos, du courrier, des gants ». Depuis, Fanny-Odette « accumule des poupées en tous genres et de toutes les époques, qui sont délaissées, jetées », qu’elle « démonte, découpe, coud, panse, noue, recouvre d'étoffes et de dentelles » avant de les « parer d'objets amoureusement glanés ». « Par un long travail de couture à la main, ces poupées abandonnées renaissent en fétiches chargés de bonnes intentions, en personnages hybrides et étranges. »

Inspiré, le tandem nous tricote ici un patchwork de désirs pataphysiques « pour un monde meilleur ». Au programme : un duo entre Greta Thunberg et Rebeka Warrior « qui enverra du pâté », « la tour Eiffel qui arrêtera de clignoter bêtement », Michel Drucker qui sera mystérieusement toujours aux commandes de Vivement dimanche, sans oublier cette invasion de hérissons, qui nécessitera le port « de tongs spéciales ».

Musique : Chapi Chapo.

Réalisation : Mathieu Boudon.

Pour écouter l’album Collector de Chapi Chapo, c’est là : https://musicfromthemasses.bandcamp.com/album/collector

Pour voir les poupées d’Odette Picaud, c’est ici : http://www.odettepicaud.com/lespoupees.htm

Collage : Mathilde de Capèle.

23 mars 2021

4:13

Alice Zeniter : « Demain, on fera le tri de toutes nos peurs »

Dans les Côtes d’Armor, l’autrice de « L’Art de perdre » nous incite à mettre au compost nos trouilles et nos angoisses en remontant jusqu’aux plus « sédimentées », pour pouvoir se poser la seule question qui tienne : « Qu’est-ce qu’on veut, c’est quoi qui nous brûle ? »

Quelles sont les peurs d’Alice Zeniter ? À la lecture de son bref essai féministe de « narratologie » intitulé Je suis une fille sans histoire publié en mars aux éditions de L’Arche (oui), on peut en citer au moins une. Celle de ne pas être sûre « de savoir quoi raconter » après avoir constaté, dans le sillon tracé par la géante écrivaine américaine de science-fiction Ursula K. Le Guin (1929-2018), qu’on n’en peut plus, non, stop, alerte générale, des « récits de chasseurs, des récits d’hommes remarquables qui font des trucs, des récits répétés en boucle des dominants, des récits qui invisibilisent… »

« … Mais je ne sais pas bien ce qui reste à écrire », s’inquiète soudain l’autrice de L’Art de perdre (Goncourt des lycéens, 2017), roman pour lequel elle sut précisément conter une histoire mal connue, vraie, partiellement inspirée de celle de sa famille, en sortant du silence les harkis de la guerre d’Algérie. Faut-il alors, pour tordre le cou à l’omniprésence de l’homme et de la violence dans nos imaginaires, se mettre à imaginer des histoires de « cohabitation diplomatique » avec les animaux, tel que le préconise le philosophe Baptiste Morizot ? « Raconter la vie d’une meute de loups » avec les outils de Shakespeare quand il déployait celle de Richard I, II, III ? Peut-être. « Plus j’y pense et moins les récits me viennent. Tout ce qui arrive, c’est un sentiment d’angoisse qui menace de dégénérer en panique. » Puis l’écrivaine, traductrice et metteure en scène, qui adapta elle-même ces saines réflexions sur la scène de la Comédie de Valence, commence à se rassurer, en actionnant les rouages de « l’autre Histoire », inspirée par les travaux de Maya Angelou, Monique Wittig, Sarah Kane ou Chimamanda Ngozie Adichie.

Depuis son village des côtes d’Armor, pour fêter le premier anniversaire de L’Arche de Nova, Alice Zeniter nous incite à faire « le tri de nos peurs, en ne gardant que celles qui nous permettent de survivre ». Les autres seront mises au compost ou « crachées dans un hoquet », en remontant jusqu’aux plus « sédimentées », pour pouvoir se poser la seule question qui tienne, et qui anime aussi ce podcast depuis sa création : « Qu’est-ce qu’on veut, c’est quoi qui nous brûle ? »

Pour voir la bande-annonce du spectacle Je suis une fille sans histoire, c’est là : https://www.theatre-contemporain.net/video/tmpurl_kbG854jP

Pour écouter Alice Zeniter évoquer sur Nova le spleen de ceux qui ont marché sur la lune, c’est ici : https://www.nova.fr/news/vous-ne-comprenez-rien-la-lune-par-alice-zeniter-32244-25-06-2019/

Image : Portrait de la jeune fille en feu, de Céline Sciamma (2019).

22 mars 2021

5:15

Audrey Vernon : « Demain, faisons barrage en masse à ceux qui empoisonnent les sols »

Militante acharnée de la décroissance, cette actrice et autrice parisienne partage l’appel des « Soulèvements de la Terre », un mouvement écocitoyen national qui entend ce printemps « bloquer et démanteler les industries du béton, des pesticides et des engrais de synthèse ».

« Avant, l’eau courante, c’était l’eau libre, celle qui coulait, qui circulait… On a bidouillé le mot : l’eau courante, c’est devenu l’eau du robinet, celle qu’on peut couper, mesurer, taxer. C’est devenu notre eau. Tu sais que l’Inde, l’Afrique, tous ces continents-là sont pas encore passés à une gestion privée de l’eau. Et qui est-ce qui a décroché le marché ? C’est bibi, c’est les Français. On a fait adopter à l’ONU les objectifs du développement durable : fini le droit de récolter l’eau de pluie, de boire l’eau des rivières. Il faut passer par nous. Tu vas pouvoir en acheter des p’tits bodys ma chérie, tu vas arrêter de culpabiliser. Ça va être une princesse ma fille – si c’est une fille. D’ailleurs, si c’est une fille, on peut l’appeler TINA, c’est joli, Tina. There Is No Alternative. »

C’était l’un des shows les plus prometteurs de 2020, présenté juste avant le coma prolongé du spectacle vivant : Billion Dollar Baby, écrit et interprété par Audrey Vernon, vu à la Nouvelle Seine (Paris), dans lequel l’autrice anticapitaliste de Comment épouser un milliardaire adresse une lettre à son enfant à naître, dans l’espoir de lui expliquer, en une heure, notre Histoire par le prisme des ravages de la civilisation industrielle, « les inégalités, l’argent, l’État, la guerre, les voitures, les avions, l’énergie, les déchets… ».

Ce texte réjouissant est depuis devenu un livre, publié aux éditions Libre. Et tandis que les occupations de théâtre se multiplient partout dans l’Hexagone, Audrey Vernon a décidé d’entamer une « tournée des ZAD », qui démarre le 27 mars aux Vaîtes, trente-quatre hectares de jardins populaires et de terres maraîchères, un écosystème autogéré, menacé depuis 2005 par un projet porté par la ville de Besançon. Ce sera aussi et surtout la première date des « Soulèvements de la Terre », un mouvement écocitoyen national né de l’union de centaines de collectifs, associations et personnalités à partir de ce constat malheureusement lucide : l’État et la politique ne nous sauveront pas du désastre écologique et humain en cours. Il s’agit donc pour elles et pour eux de « faire barrage en masse à l’artificialisation des terres et de s’opposer aux institutions et industries qui perpétuent l’empoisonnement des sols ».

Grimpant à bord de notre Arche, Audrey Vernon a choisi de partager plusieurs passages du manifeste des « Soulèvements de la Terre », qui entendent « bloquer et démanteler les industries du béton, des pesticides et des engrais de synthèse ». Avec cet autre rappel : « Dans les dix ans à venir, la moitié des exploitant·es agricoles de France va partir à la retraite. Concrètement, près d’un tiers de la surface du territoire national va changer de main. C’est le moment ou jamais de se battre pour un accès populaire à la terre, pour restaurer partout les usages et les égards à même d’en prendre soin. » En voici, donc, des alternatives, pour la petite Tina.

Pour lire l’appel intégral des « Soulèvements de la Terre » et connaître le calendrier des actions prévues ce printemps dans plusieurs villes de France, c’est ici : https://lundi.am/Les-Soulevements-de-la-Terre-3871

Pour voir un extrait énergétique de Billion Dollar Baby, c’est ici : https://www.youtube.com/watch?v=MdFQFiuAuhA

Pour écouter la précédente utopie d’Audrey Vernon pour L’Arche de Nova, c’est toujours là :...

18 mars 2021

6:30

Carl Agité : « Demain, nous paierons tous un peu pour nourrir les misérables »

Retranché dans son chalet alpin situé « en 2081 », cet énigmatique ermite nous souffle l’hypothèse d’une taxe de solidarité de proximité, « le coup de pouce sur le pouce », également nommée « coup de Bernou ».

L’enregistrement que vous allez entendre nous est parvenu par la grâce liquide d’une bouteille de génépi, déposée en évidence à l’entrée des studios, fin août 2020. L’étiquette indiquait : « Pour votre Arche. » À travers le verre, un petit coffre en plastique flottait dans l’alcool de plantes. Le soir même, il fallut trois heures à notre équipe pour boire avec bravoure la boutanche entière, qui tomba en même temps que l’un de nos animateurs, et se brisa. Le coffre roula, s’ouvrit, révélant une pochette étanche, abritant elle-même une clé USB, contenant enfin plusieurs messages audios d’un certain « Carl Agité ».

Après débat au sein de la rédaction, il a été décidé de partager avec nos auditeurs ces « témoignages du futur », situés « en 2081 », cent ans exactement après la création de Radio Nova. L’auteur s’y présente sous les traits d’un ermite, « vieux sage et vieux singe », habitant un modeste chalet au pied du mont Blanc. Surprise, agréable : à « son » époque, le monde ne s’est pas encore écroulé.

Dans ce nouveau message, notre mystérieux moine des montagnes nous souffle l’hypothèse d’une taxe de solidarité de proximité, « le coup de pouce sur le pouce », également nommée « coup de Bernou », susceptible d’endiguer la mendicité et surtout de calmer la fringale des plus démuni.e.s. Une initiative qui naîtra à Marseille, dans moins de six ans. Comme l’a écrit le Norvégien Knut Hamsun dans son célèbre et foudroyant roman La faim (1890) : « Pas de soleil aujourd'hui non plus, et je grelottais comme un chien. Mes jambes étaient mortes et mes yeux pleuraient comme s'ils ne pouvaient supporter la lumière. Il était trois heures. La faim commençait à devenir un peu terrible. J'étais exténué, et j'avais des nausées. Tout en marchant je vomissais de temps à autre à la dérobée. Je descendis au restaurant populaire, lus le menu et haussai ostensiblement les épaules, comme si le petit salé et le lard fumé n'étaient pas du manger pour moi (…) Ma poitrine surtout était en feu, j'y ressentais une cuisson tout particulièrement pénible. Mâcher des copeaux ne servirait plus à rien ; mes mâchoires étaient lasses de ce travail stérile. » Pitié, que cela cesse !

Réalisation : Mathieu Boudon.

Pour écouter la précédente utopie de Carl Agité, c’est là : https://www.nova.fr/news/carl-agite-demain-nous-suivrons-la-lettre-les-preceptes-de-marvin-gaye-40707-16-09-2020/

Image : Sans toit ni loi, d’Agnès Varda (1985).

17 mars 2021

5:35

Camille Brunel : « Demain, on aura mangé toute la viande »

Lauréat 2020 du Prix de la Page 111, cet écrivain de Châlons-en-Champagne nous cuisine un paisible avenir véganisé, où l’ensemble de la société saura que l’énergie nécessaire à toute activité physique « ne viendra plus du même truc qu’à la préhistoire, c’est-à-dire du corps des animaux ».

« Isis remarqua le couple de faucons qui avait nidifié sur le pylône électrique surplombant sa porte. Elle s’inquiéta pour la première fois de devoir déménager. Stations essence, banques, supermarchés, fermeraient tous bientôt ; il ne suffirait plus de rester cloîtrée et de se concentrer sur ses réserves. La solitude surtout rendait plus sensible à la peur, et la peur, depuis quelques nuits, empêchait de dormir. »

Paru en septembre aux éditions Alma, récompensé sur Nova du très convoité Prix de la Page 111, Les Métamorphoses, le second roman de Camille Brunel, se déroule dans un avenir proche où une « pandémie de métamorphoses » transforme soudain les humains en bestioles, au hasard. En hyène, en écrevisse, en brebis, en taon. La société toute entière s’en trouve assez naturellement bouleversée. « Isis écrivit à Edith, qui ne vivait pas loin, lui proposa de la retrouver. Elle était végétarienne et faisait pousser de quoi manger chez elle depuis des années (…) Isis poussa la porte de derrière, qui donnait sur le jardin. Baigné dans une lumière instagrammable en diable, au milieu du potager, un ours brun de dimensions raisonnables fouillait de son museau rosâtre la carcasse d’un manchot empereur, et releva la tête en entendant Isis se retenir de crier. »

Mais si copains et copines deviennent des ours bruns, des lapins béliers, des singes capucins ou des papillons blancs, faut-il continuer à manger les animaux ? Et, sans attendre cette épidémie science-fictionnelle, verra-t-on un jour un monde où supermarchés et restaurants ne serviront plus de brochettes ou de saucisses cuisinées à partir d’un être mort ? C’est la quatrième hypothèse imaginée par cet écrivain de Châlons-en-Champagne, honorant avec panache sa carte blanche d’une durée de 11 mois et 1 semaine sur notre antenne.

Admirateur de Lautréamont, auteur d’un Eloge de la baleine à paraître aux éditions Rivages, Camille Brunel – qui fête aujourd’hui ses 35 ans, joyeux anniversaire ! – nous concocte un paisible futur véganisé, où nous aurons admis que l’énergie nécessaire à toute activité physique « ne viendra plus du même truc qu’à la préhistoire, c’est-à-dire du corps des animaux ». Le tout, explique-t-il, en passant par l’histoire de notre rapport… aux chevaux. « Ça paraît incongru et pourtant, il y a cent ans, ils servaient toujours de moyen de transport. Partout. On les faisait naître, on les vendait, on s’en occupait. On les exploitait. Puis ça a disparu. » Hue !

Réalisation : Mathieu Boudon.

Pour écouter la précédente utopie de Camille Brunel, c’est là : https://www.nova.fr/news/camille-brunel-demain-on-arretera-de-flinguer-les-animaux-127816-09-02-2021/

Image : Okja, de Bong Joon-ho (2017).

16 mars 2021

4:58

Mathieu Boogaerts : « Demain, on arrêtera de se mentir »

Entre Londres et Paris, le chanteur minimaliste aimerait, c’est vrai, qu’on se regarde « dans les yeux » en cessant « de se cacher des choses ».

« In reality, it’s my bloody role. » Publié cet hiver sur le label Tôt ou Tard, le huitième album de Mathieu Boogaerts abrite une collection de chansons En anglais, légères, pop et flegmatiques, doux trois fois riens fredonnés avec le french accent amusant de rigueur, consécutives à son emménagement à Londres il y a maintenant quatre ans dans le quartier « résidentiel middle-class un peu plus » de Clapham Common. Sa démarche, apparemment primesautière, n’exclut pas les petits coups de blues. Ainsi, sa jolie ballade You Like Me démarre par une grande respiration qui sonne aussi comme un soupir : le narrateur semble désolé de constater que l’une de ses copines l’appelle tous les jours parce qu’il est heureux, rigolo, « always wonderful », alors qu’il a le moral dans les chaussettes. Au bout du fil il sourit, mais ce n’est qu’un rôle, un fichu rôle, un masque, car il n’est pas, non, « fucking drôle ».

Et si on arrêtait de se mentir ? Grimpant à bord de notre Arche, le chanteur minimaliste rêve de vérité partout, tout le temps, en se regardant « dans les yeux », en cessant « de se cacher des choses ». Ce qui rappelle le début du brillant premier film écrit, interprété et réalisé par le Britannique Ricky Gervais, The Invention of Lying, situé dans un monde parallèle où le mensonge n’existe pas et, donc, la fiction (films, contes, légendes, romans) et les religions non plus. Jusqu’au jour où un clampin lambda, campé par le comique trasho-philosophique, accouche involontairement du premier bobard…

Dans sa micro-utopie, Mathieu Boogaerts, 50 ans, suggère par exemple d’interdire la publicité, qui nous enfonce trop souvent dans des illusions douloureuses ; ces chips « à l’ancienne » sont nées d’un concept marketing assez récent, vous savez. Pourtant, sur son dernier album, l’enfant mélomane de Nogent-sur-Marne se hasarde aux calembredaines super-romantiques en se présentant comme un guy of steel, un mec d’acier, qui n’a jamais peur, qu’on ne peut pas tuer, qui ne peut pas mourir. Et si c’était vrai ?

Réalisation : Mathieu Boudon.

Pour voir Mathiou tester ses nouvelles chansons dans Londres dans le bref documentaire promotionnel réalisé par Arthur Le Fol, it’s here : https://www.youtube.com/watch?v=BoN76BKlaXE&t=3s&ab_channel=Mathieuboogaerts

Pour écouter ses déambulations imaginaires dans la capitale anglaise, sur Nova, avec des bruitages entièrement réalisés à la bouche, please click on that link : https://www.nova.fr/news/mathieu-boogaerts-nous-fait-decouvrir-son-londres-a-lui-130732-01-03-2021/?podcastId=48679fcd-a7c9-480a-98e6-cf4fb87011db&episodeId=256019f0-c6c1-42c3-9974-8d1bbba31414

Pour réentendre son live dans notre Chambre noire, follow this train : https://www.nova.fr/musiques/mathieu-boogaerts-en-live-dans-chambre-noire-129270-18-02-2021/

Image : The Invention of Lying, de Ricky Gervais (2009).

15 mars 2021

4:25

Elise Bonnard : « Demain, nous tomberons amoureux de machines faillibles »

À Lyon, cette autrice de science-fiction queer et féministe projette son alter-ego robotique dans un avenir un brin flippant, riche en puces implantées, où nous noterons nous-mêmes les performances de nos organes. Et les élans du cœur, dans tout ça ?

« J’allais droit dans le mur à aimer celui qui se méfierait toujours un peu des machines. Il savait que ces garces laissaient des cicatrices. Je savais qu’il ne s’abandonnerait jamais complètement dans mes bras. » Deux semaines à peine après la mystérieuse implosion de Daft Punk, voici qu’un autre androïde laisse remonter son spleen à la surface de sa cuirasse. Dans ses Chroniques lyonnaises du presque futur, le feuilleton sonore mensuel qu’elle a écrit et interprété en 2020, Elise Bonnard partageait les doutes et les observations de « Polaire », son alter-ego robotique qui, comme les humanoïdes de la série Westworld, troublent et sont troublés par nos comportements.

Au fil des épisodes, Polaire analysait la moite effervescence d’un club dont les danseurs « sentent la terre, la forêt qui lèche et qui abrite, la décomposition minérale, le galet mouillé », explorait sa sexualité non-binaire avec un boxeur ou une agente de sécurité aux longues tresses roses, se demandait d’où vient « la peur de la petite bête » face à une souris en rentrant bourrée du réveillon, ou découvrait la culture queer « dans des bars bouillonnants de Lyon » en matant une drag-queen à paillettes dorées rejouer les enjeux lascifs de Milkshake de Kelis, qui lui donna « l’envie d’embrasser tout le monde ».

Diffusées en 2020 sur Radio Canut et publiées dans le magazine Hétéroclite, ces chroniques bénéficient aujourd’hui, à bord de L’Arche de Nova, d’un émouvant bonus. Fan d’Alien et d’X-files, prof de français et autrice de trois recueils autoédités de poèmes érotiques souvent « sextraordinaires », Elise Bonnard projette Polaire dans un futur transhumaniste un brin flippant. Elle entrevoit pour bientôt dans nos corps des puces « qui comptent les globules », une appli pour attribuer des notes à nos organes et notre dépendance à de cyber-escortes sexuelles « remboursées par la Sécu ».

Mais Polaire sera le grain d’acier qui va faire dérailler la machine… en exhibant ses failles, comme dans le kintsugi, méthode japonaise de réparation des porcelaines et céramiques brisées, laquées de poudre d’or, métaphore de la résilience et symbole du renouveau qui prendrait en compte le passé de l’objet, son histoire et ses accidents. Humaine après tout.

Réalisation : Mathieu Boudon.

Pour écouter les Chroniques lyonnaises du presque futur, réalisées et habillées par Marie-Antoinette, c’est ici : https://elisebonnard.com/chroniques-lyonnaises-du-presque-futur-1/

Image : Blade Runner 2049, de Denis Villeneuve (2017).

11 mars 2021

5:29

Makenzy Orcel : « Demain, les Haïtiens délivreront leur pays de la vermine »

Ce poète et romancier haïtien imagine la réussite d’une insurrection qui, sur son île natale, « décimera les têtes brûlées du mal, les néo-colons capitalistes pilleurs, violeurs et voleurs de terres, ou les pourvoyeurs de chefs d'État ». Du jamais vu depuis 1804 !

« Épée en main, j’avance », pouvait-on entendre cet hiver dans les rues de Port-au-Prince. Par centaines, des manifestants ont défilé plusieurs jours pour exiger la démission du président haïtien Jovenel Moïse, soupçonné de visées dictatoriales après avoir illégalement prolongé son mandat, obsolète depuis le 7 février. En décembre 2019, interrogé par Libération, le poète et romancier haïtien Makenzy Orcel déplorait déjà des « élections truquées », les « grandes familles » qui « enfoncent » le pays et la survivance de certains « barons » du système Duvalier. « Tant qu'on ne laisse pas les Haïtiens décider tous seuls de leur propre bonheur (ou de leur propre malheur), la terrible nuit socio-politique haïtienne aura encore de beaux jours devant elle. (…) Une élite méprise la culture nationale, n'investit pas dans la jeunesse, exploite les plus pauvres, place son argent (gagné ou volé) dans des banques étrangères. Le système tout entier est pourri, il faut tout refaire, changer de paradigmes (…) La politique a longtemps été considérée comme un domaine sale en Haïti, réservé aux menteurs, aux crapules, et l'arène des mecs. Il faut s'impliquer davantage, être sévère avec celles et ceux qui décident de notre présent et de notre avenir. »

Installé en France depuis dix ans, Makenzy Orcel, 37 ans, vient de publier deux livres. D’abord un long poème autobiographique, Pur-sang, aux éditions de La Contre-allée. Puis un roman, L’Empereur, aux éditions Rivages, ou le monologue d’un homme qui attend son heure après avoir tué son patron, écœuré qu’un grand escroc vaudou ait pu faire de lui « un mouton, un zombie, un anonyme ». Entre les lignes, retenons ce passage extralucide : « La maladie dont souffrait son fils ne pouvait être guérie par un médecin. Le monde tel qu’il est ne peut absolument rien pour vous. Il faut un médecin-feuille. Un parfait guérisseur traditionnel. Un houngan-guinen. Qui a des esprits qui voyagent dans sa tête… Cheval interlope, tu avais pris la mesure de la situation. (…) Après quelques singeries de faux magnétiseur, lecture des cartes du tarot suivie d’un saut dans le temps à travers le govi, appel des escortes multiples pour le sacrifice d’un cochon, tu affirmais que la lune allait mettre un peu de temps à montrer sa vraie face, que les dieux avaient beaucoup de dossiers à traiter, mais qu’ils avaient quand même eu la bonté de placer celui du gamin dans la pile des priorités. Ça ne saurait tarder. Puis tu avais tourné sept fois autour du baobab, et eu une vision. »

Cette vision, la voici. Depuis son « pied-à-terre ferme » de Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis), Makenzy Orcel saute dans le temps et imagine la réussite d’une insurrection qui, sur son île natale, la « délivrera de la vermine intérieure et extérieure » et « décimera les têtes brûlées du mal, les néo-colons capitalistes pilleurs, violeurs et voleurs de terres, ou les pourvoyeurs de chefs d'État ». Du jamais vu depuis l’indépendance de 1804 ! « Plus d'ultimatum, dettes, isolements internationaux, coups d'État, embargos, missions stabilisatrices, et des morts par milliers pour satisfaire la folie des autres. » Après dix ans de luttes acharnées, Haïti verra davantage de justice sociale, plus d’écoles et d’hôpitaux, une vraie politique agraire… avec deux alliés de choix : « Mèt Agwe, dieu des flots » et « Kouzen Zaka, dieu de l'agriculture ». Orcel situe cette utopie en 2134. Et si la révolte arrivait plus vite que prévue ?

Réalisation : Mathieu Boudon.

Image : Moloch tropical, de Raoul Peck (2010).

10 mars 2021

6:03

El Gato Negro : « Demain, nous allons lancer l’Erasmus de l’Extrême »

« Guitariste de plage » et bourlingueur inlassable, ce musicien parisiano-toulousain rêve en grandes pompes d’un « Service Migratoire Universel », qui enverra « chaque personne de 18 ans se démerdouiller 333 jours dans une province ou une tribu choisie au hasard ».

 « Toi l’Auvergnat, qui fut un jour si aimable ; ouvre la porte, je t’en supplie, on a vécu tous les supplices, on veut juste sortir de la merde, on a voyagé dans la pisse, donne-moi le vert de ton herbe, pas le bleu de la police, qui nous repousse dans la mer en criant patrie et justice. » Printemps 2019 : sur Ouvre la porte, chanson-titre de son deuxième album enregistré entre Bogota, Mazunte et Ouagadougou, El Gato Negro se demande ce qu’est devenue l’idée d’entraide, en France, jadis incarnée par la figure de « l’Auvergnat » immortalisée par Brassens en 1954, dont il reçut « du feu » et « quatre bouts de bois » alors que Georges n’avait rien pour se réchauffer. « Elle est à toi cette chanson, toi l’Auvergnat mauvais garçon », serine à notre époque le noir matou musicien, qui promène ses moustaches et sa nonchalance sur les gouttières de Ménilmontant. Dans le clip, deux migrants africains, Moussa et Kouamé, acceptèrent de rejouer les premières heures de leur arrivée sur les côtes européennes. L’Hexagone tend l’oreille, pas bien fier : « Ta politique du repli qui voudrait noyer le poisson. Pas le bon papier, contrefaçon, contre le mur de toute façon. »

« Guitariste de plage », bourlingueur inlassable du continent sud-américain (en bus, à pied, en stop, en bateau), El Gato Negro – qui se nomme en réalité Axel Matrod, originaire de Toulouse, mais chut ! – a récemment vu son album remixé par des complices aussi Nova-compatibles que David Walters ou le tandem DjeuhDjoah & Lieutenant Nicholson. Résultat : sa « pop subtropicale », comme il dit, spontanément tissée de cumbia, salsa, paso, soukouss, cha-cha ou boléro, ici brodée de nappes électros ou de boucles finement cadencées, sonne un peu comme un petit-cousin tapageur de Quantic.

Alors qu’il s’apprête à s’envoler pour La Havane (en mai) puis Bamako (en octobre) afin d’y enregistrer son troisième album sous la houlette du généreux Guts, en compagnie de musiciens locaux et d’épées du groove telles que Cyril Atef, Pat Kallah ou de nouveau David Walters, le tout pour parler « des fleurs qui poussent dans le chaos actuel » (sortie prévue en février 2022, sur le label Heavenly Sweetness), El Gato Negro rêve en grandes pompes d’un « Service Migratoire Universel », qui enverra « chaque personne de 18 ans se démerdouiller 333 jours dans une province ou une tribu choisie au hasard ». Une façon d’ébaucher une société « qui sait se mettre dans les sabots de l’autre », en initiant ainsi les jeunes générations à « l’empathie, le partage et l’équité ».

Pour écouter les remix de l’album Ouvre la porte, c’est ici : https://www.youtube.com/watch?v=laiyIiXaH0I&list=PL7GOgY1c8RKXCRvV1TpOZUteITb3tuQmS&index=2&ab_channel=ElGatoNegro

Un rêve écrit, réalisé et interprété par El Gato Negro.

Image : Terrible jungle, de David Caviglioli et Hugo Benamozig (2020).

09 mars 2021

4:31

David Geselson : « Demain, les produits chimiques seront interdits dans toutes les agricultures »

Cet acteur, auteur et metteur en scène parisien, qui publie une série de lettres écrites à la demande d’anonymes en souffrance, trace les sentiers de notre « bifurcation » vers l’écologie politique à l’horizon 2031.

« Tu vas avoir quatre-vingt-deux ans. Tu as rapetissé de six centimètres, tu ne pèses que quarante-cinq kilos et tu es toujours belle, gracieuse et désirable. Cela fait cinquante-huit ans que nous vivons ensemble et je t'aime plus que jamais. Je porte de nouveau au creux de ma poitrine un vide dévorant que seule comble la chaleur de ton corps contre le mien. J’ai besoin de te dire simplement ces choses simples avant d’aborder les questions qui depuis peu me taraudent. Pourquoi es-tu si peu présente dans ce que j’écris alors que notre union a été ce qu’il y a de plus important dans ma vie ? »

En 2006, le philosophe et journaliste français André Gorz publie Lettre à D., quatre-vingt-deux pages bouleversantes pour déclarer son amour à Doreen Keir, sa compagne – un an avant leur suicide simultané, puisqu’ils désiraient ne pas avoir à « survivre à la mort de l’autre ». En 2016, l’acteur, auteur et metteur en scène David Geselson se demande comment adapter au théâtre un tel texte, en accumulant les brouillons sur son ordi – où traînent aussi « des lettres non-terminées, non-envoyées », par exemple à son père, auquel il a dit un jour « des horreurs », ou à son ancien analyste, qui lui répétait de se mettre à écrire.

Parallèlement, David Geselson est invité à « occuper » le Théâtre de la Bastille avec six artistes, pendant trois mois, en conviant chaque jour une cinquantaine de spectateurs. Son laboratoire épistolaire accouche de la proposition suivante : « Si vous avez un jour voulu écrire une lettre à quelqu'un sans oser le faire, racontez-la moi et je l'écris pour vous. Si elle vous convient et que vous acceptez, j'en ferai peut-être quelque chose sur le plateau du théâtre. » Le spectacle voyage de Toulouse à New York, de Bruxelles à Lorient, avec à chaque fois une dizaine de nouvelles missives, d’abord entendues, puis rédigées et lues sur scène. Cette « communauté de maux » est maintenant réunie dans un livre, Lettres non-écrites, aux éditions du Tripode, qui rassemble les textes les plus singuliers.

Ainsi la lettre de cette trentenaire chinoise, abandonnée par sa mère quand elle était une enfant et qui se sent « vide » d’elle. Ainsi celle de cette petite-fille à sa grand-mère qualifiée d’« ordure, vieille peau, blême, morne, pleine de chagrin, à vomir, connasse », qui souffre d’avoir été « dévorée » par des mensonges et des « immondices ». Ainsi cette mère à son fils qui vit, dit-elle, un amour « fusionnel, passionnel, le paradis et l’enfer » avec une compagne qui le gifle, le trompe, le quitte et le reprend, le requitte et revient encore, ce qui le rend « dingue et heureux ». Ainsi cette femme qui s’adresse à son père mort, via de nombreuses insultes reproduites en majuscules, ayant hérité de troubles obsessionnels compulsifs d’un Papa qui « FAIT CHIIIIIIIIER » mais qu’elle aime.

Grimpant à bord de L’Arche de Nova, David Geselson, formé au Théâtre National de Chaillot, aux « Enfants terribles » ainsi qu’au Conservatoire national supérieur d’art dramatique, vu au cinéma dans Grâce à dieu de François Ozon (2018), trace les sentiers de notre « bifurcation » – d’après la formule du philosophe français Bernard Stiegler – vers l’écologie politique. À l’horizon 2031, les produits chimiques « seront interdits dans toutes les agricultures », les cinémas vendront aussi des paniers bio, « un grand mouvement d’anciens traders installés dans la Beauce nous apprendront à cultiver les sols », sans oublier ce club très fermé d’ex-ministres, condamnés dans toute l’Europe pour leur destruction des écosystèmes, qui deviendront, après des années de travaux...

08 mars 2021

5:55

Marie HL : « Demain, il suffira d’un son pour faire pousser un arbre »

Cette architecte et joueuse de tuba, étudiante du master de création littéraire du Havre, nous chuchote que tous les mots, cris, jouissances, « craquements d’orteils ou grincements de dents » seront bientôt des matériaux pour rebâtir les villes. Gloire aux « nouveaux ouvriers du brouhaha » !

« Les dessins parlent d’utopie. L’utopie évoque l’époque. 1957. Un pays, leurs désirs conjoints. Il est presque trop tard. » Fin février, sur les ondes digitales et bénévoles de Ouest Track Radio, le « haut-parleur » des habitant.e.s du Havre, Marie HL ouvrit la porte de Seuils, sa série sur des utopies urbaines et rurales, « concrètes ou pas », contées sous la forme de « bribes de fiction autour d’un père et ses deux filles ». Le prologue, mystérieux, semble décrire le moment où l’architecte brésilien Oscar Niemeyer (1907-2012) vient présenter la maquette et les plans de Brasilia, qui devint en 1960 la nouvelle capitale administrative de son pays, créée à partir de rien dans la terre rouge. Marie s’interroge : « Était-ce bien utopique de décentrer un cœur ? »

Mais qui est donc cette jeune femme initiale(s) ? Figurez-vous que Marie HL – ce sont les deux lettres de son double vrai nom, qui restera secret – abrite en son myocarde une palanquée d’initiatives palpitantes. Architecte diplômée, elle joue du tuba dans une redoutable fanfare parisienne nommée le Georges Gang Brass Band, déclame ses sensations poétiques sous les acrobaties picturales du collectif « Dessin Envolé » de Montreuil, et boucle actuellement ses études au master de création littéraire du Havre, pour lequel elle termine une autofiction de « géogénéalogie », méthode inventée permettant de remonter le plus loin possible dans sa propre lignée « en parcourant les lieux de vie de ses ancêtres » pour dire « la réalité tantôt brute tantôt magique du territoire, ses limites, ses bouleversements ».

Grimpant à bord de L’Arche de Nova, la romancière itinérante nous chuchote que tous les mots, cris, sons, jouissances, seront bientôt des matériaux pour rebâtir les villes. « Il suffira d’émettre un son pour que pousse un arbre. Ou bien de grincer des dents pour faire tomber un mur et dégager la vue. (…) Tout pourra être utilisé : tous les dialectes, tous les jargons ; signes, cheveux sur la langue, bégaiements, langue des oiseaux, balbutiements, esperanto, quechua... Ne pas se comprendre sera devenu facile. Deux personnes ne parlant pas la même langue construiront des cabanes bilingues qui leur ressemblent (…) Les muets claqueront des doigts. Les manchots taperont du pied (…) Alors plus personne ne pourra s’empêcher de parler, comme dans une fanfare sans chef, jam session de l’espace ininterrompu, nous serons les nouveaux ouvriers du brouhaha. » Au boul-oh !

Pour écouter Comme à la radio, écrite et interprétée par les artistes du master de création littéraire du Havre, c’est ici : https://ouest-track.com/podcasts/comme-a-la-radio-325/comme-a-la-radio-episode-01-5309?fbclid=IwAR0zuf30cqX-9pCYIwHmeXWOmkhjGcgnxCWRRY-vyzszncknEDE1uixBKPQ

Réalisation : Mathieu Boudon.

Image : Midnight Special, de Jeff Nichols (2016).

04 mars 2021

5:31

Patrice Blouin : « Demain, nous demanderons des temps morts pour changer de stratégie »

Auteur d’un curieux petit roman « d’auto-science-fiction », ce critique d’art et professeur d'histoire des idées à Limoges sort de sa « boîte à outils » trois solutions pour « tirer parti du temps qu’il nous reste ».

« Mon nom est Orpheus McFly. Mais vous pouvez m’appeler Popeye. Borgne depuis la mort de Maman. Pas trop joli à regarder. » C’est l’histoire d’un drôle de gonze qui, le jour des funérailles de sa mère, au Mans, en 2013, part avec le cadavre de cette dernière sur l’épaule, en criant : « Allez salut les motards ! Salut les moutons ! » Son noble but est le suivant : l’enterrer à Chypre, mais… en 1979. Au moyen d’une série « de fente molle, de cercle lumineux » qui lui permettent de se déplacer dans le temps, non sans quelques déraillements. Cette échappée burlesque « d’auto-science-fiction », écrite dans le sillage de deux ans de voyage en Méditerranée, est le sujet de Popeye de Chypre, le nouveau roman de Patrice Blouin, dont les 111 pages paraîtront le 11 mars aux éditions MF.

« Pendant le voyage tout va bien. Tu te promènes comme un miroir le long du chemin. Mais à chaque nouveau retour tu as plus de difficulté à te réinsérer dans la vie courante. Quand tu étais plus jeune tu intégrais sans problème l’existence collective dans le Monde Présent et les séjours solitaires dans l'Étrange Passé. Maintenant… » « … tu restes obstinément à distance à regarder pousser les gens comme des plantes figées dans leur environnement. Depuis quand tu n’es plus sorti de ta cave ? Depuis combien de jours ? Depuis combien d’années ? »

Professeur de culture générale à l’école nationale supérieure d’art de Limoges, ancien rédacteur des Cahiers du cinéma (2000-2004) et plume ponctuelle pour Les Inrocks, Artpress, Libération ou la NRF, Patrice Blouin est l’auteur de plusieurs ouvrages sur le sport et ses images, d’un essai sur l’impact des blockbusters sur nos fantasmes (Magie industrielle), ou d’une trilogie de contes fantastiques (Tino et Tina, Baltern, Zoo : clinique). Pour L’Arche de Nova, ce savant « bricoleur du dimanche » sort de sa « boîte à outils » trois solutions pour « tirer parti du temps qu’il nous reste » ; il est question de temps découpé en fines tranches, suspendu ou gonflé, en s’inspirant des préceptes de la philosophie antique comme de la NBA. Time out, ref !

Réalisation : Mathieu Boudon.

Image : temps mort pour l’équipe des Chargers de New Haven, Connecticut, USA (2017).

03 mars 2021

4:34

Boll : « Demain, j’aurai le dernier tire-bouchon »

Empereur de l’encre de Chine, ce dessinateur parisien esquisse cinq visions d’avenir, post-apocalyptique, animalière ou transhumaniste, dans lesquelles il ne trouve guère sa place. Pas de bol !

« La morue n’était qu’un plat de tous les jours, pas une espèce en voie d’extinction. » Dans Le numéro que vous avez demandé n’est plus attribué, son nouveau livre illustré à paraître le 11 mars aux éditions Le Tripode, (Dominique) Boll s’attache à restituer un monde « en noir et blanc », évanoui, enfoui sous les couleurs de la modernité : la France rurale des années 60, que ce dessinateur a pu observer, enfant, dans les Yvelines – quand le département se nommait encore la Seine-et-Oise. Cette époque révolue, où « les hommes portaient des chapeaux et les femmes des mises en pli sous leur foulard », Boll la ravive par petites touches textuelles, pointillés de détails (objets, vêtements, habitudes) et succession de micro-portraits (gamin portant un pot « au » lait, garçon-boucher qui « vous regarde vaguement comme une pièce à désosser », ou « l’innocent » du village et ses grands yeux ahuris) qui font face aux gracieux jetés d’encre de cet adepte du pinceau libre, à la recherche de « l’instant suspendu ».

« L’an 2000 faisait rêver. Rêver et un peu peur aussi. Mais surtout rêver. Nous passerions nos vacances sur la lune. Nos voitures seraient atomiques. Nous mangerions des pilules servies par des robots. » Grimpant à bord de L’Arche de Nova, l’illustrateur attitré du magazine Livres Hebdo esquisse à 59 ans cinq visions d’avenir heureuses ou malheureuses, post-apocalyptique, animalière ou transhumaniste, dans lesquelles, à chaque coup, il ne trouve guère sa place. Rendez-lui la Seine-et-Oise !

Réalisation : Mathieu Boudon.

Dessin : Singe laineux, par Boll.

02 mars 2021

3:59

Floyd Shakim : « Demain, on applaudira tout ce qui est raté, foireux, mal préparé »

Auteur d’un bref album de spleen électronique, le réalisateur de ce podcast détourne son propre navire pour faire l’éloge de l’échec à tous les étages de la société, quand nous pourrons « valoriser les retards, les copies blanches, le bégaiement, la timidité ». Ce n’est pas très pro ? Parfait !

« On a les mains vides, la tête dure. » Sur Enfants perdus, l’un des six tracks vaporeux de son album intitulé Les Funambules sorti début février, Floyd Shakim décrit l’errance d’une poignée de jeunes gens qui « marchent à tâtons, se concertent, survolent des ruines et se démerdent ». Ses mômes sont « toujours déçus » par les adultes, dans ce monde où, dit-il, « même quand t’as gagné, t’as perdu ». Solutions possibles, pas tout à fait raccord avec les idéaux de la start-up nation : « Au pire on fait rien (…) Au pire on s’exile. »

Clarifions fissa l’identité de ce Parisien de 31 ans. Il s’agit du réalisateur sonore de L’Arche de Nova, planqué derrière son alter-ego musical, qui chante, écrit, compose et produit l’intégralité de cet EP de spleen électronique dont les héros fuient « les fous, les coups, les fauves », confectionné entre « les monts brumeux de l’Ardèche » et un studio déconnecté et non-meublé de Seine-Saint-Denis surnommé « le monastère », visiblement propice à l’éclosion de climats dépouillés ayant retenu quelques leçons de King Krule, James Blake et Frank Ocean.

Détournant poliment notre navire utopique, Floyd Shakim poursuit son ode aux « châteaux de sable » à travers cet éloge de l’échec à tous les étages de la société, de l’école primaire au sommet de l’Etat. Dans son futur désirable, nous pourrons « paraître le moins professionnel possible, ajuster les salaires en fonction du degré de médiocrité, mal préparer les rendez-vous, valoriser les retards, les copies blanches, le bégaiement, la timidité ». Caramba, encore raté : c’est très réussi.

Pour voir le clip champêtre et camisolé de Chambre noire, c’est ici : https://www.nova.fr/news/floyd-shakim-entre-reve-et-cauchemar-sur-son-prochain-ep-79126-15-12-2020/

Texte, musiques, réalisation : Mathieu Boudon.

Image : Les Malheurs d’Alfred, de Pierre Richard (1972).

25 février 2021

5:40

Garance Meillon : « Demain, chaque pays ouvrira son Département des Problèmes Insolubles »

Cette écrivaine, scénariste et réalisatrice parisienne imagine un autre « Bureau des Légendes », capable de résoudre tous les mystères depuis l’apparition de la vie sur Terre jusqu’à la séparation de Daft Punk.

« Ses parents lui ont parlé de leur rencontre insolite, de leur amour improbable, de sa naissance impensable, en vrac, sans chronologie, comme on raconte les histoires vraies, en ajoutant ou en retranchant des éléments selon les soirées, leur auditoire et leur niveau d’ébriété. Parfois, par pudeur, ils oubliaient volontairement un détail (…) » Que savons-nous exactement de la somme de détails involontaires et de circonstances difficiles ou amusantes qui présidèrent à notre naissance ? Voudriez-vous retracer, jour après jour, rue par rue, les premiers mots échangés, les premiers rencards de vos vieux ? C’est le pari romantique du troisième roman de la Parisienne Garance Meillon, Les corps insolubles, qui vient de paraître dans la collection « L’Arpenteur » de Gallimard.

Circulant dans Paname à l’arrière d’une moto pilotée par son mec, Camille, son héroïne « un peu austère par nature », tente de rassembler les pièces du dossier psycho-géographique qui poussèrent son père, fan des Stones et fils d’immigrés tunisiens ayant grandi dans une barre d’immeubles de la banlieue parisienne, à tomber amoureux – et réciproquement – de sa mère, lectrice de Kerouac et fille de gaullistes coincés de la banlieue dijonnaise. Contrairement à l’eau et l’huile, ces deux-là ont su se mélanger.

À bord de L’Arche de Nova, Garance Meillon, écrivaine, scénariste, script-doctor et réalisatrice de 33 ans prolonge ses recherches autour de la notion d’improbabilité en imaginant, pour chaque pays, la création prochaine d’un « Département des Problèmes Insolubles », capable de résoudre tous les mystères depuis l’apparition de la vie sur Terre jusqu’à la séparation de Daft Punk, en passant par l’élévation des pyramides d’Egypte, le vol MH 370 ou la disparition de Xavier Dupont de Ligonnès. Tout-tout-tout, vous saurez tout sur le réel. Mais comment continuer à inventer des films et des romans après ça ? Pour y réfléchir, Garance re-brasse les faces de son Rubik’s Cube d’anticipation.

Réalisation : Mathieu Boudon.

Image : Ovni(s), de Clémence Dargent & Martin Douaire (2021).

24 février 2021

5:29

Aurélien Manya : « Demain, on travaillera moins, mais on marchera plus »

Auteur d’une dystopie futuriste située dans un Marseille en guerre, cet écrivain et monteur de cinéma nous balade ici dans une France qui, forcée de se rationner en électricité, interdira tous les transports à moteur : voiture, train, avion, bateau. Le pied !*

« On savait que tout allait péter. » Juillet 2054. Suite à une palanquée de crises économiques, les États d’Europe occidentale se sont effondrés les uns après les autres. Marseille est la nouvelle capitale de la France depuis l’indépendance de Paris. Hélas, la cité phocéenne est le théâtre d’une guerre civile qui la ronge depuis trois ans, dans la foulée d’une panne générale d’internet. Une coalition fasciste a réussi à annexer la partie sud de Massilia, tandis que nombreux sont celles et ceux qui cherchent à tout prix à fuir le pays.

Ce futur indésirable et tendu où – comme si ça ne suffisait pas ! – les températures frôlent en moyenne les 55°C, c’est celui du troisième roman d’Aurélien Manya, Trois cœurs battant la nuit, qui vient de paraître dans la collection « L’Arpenteur » de Gallimard. L’un des trois cœurs, Sohan, s’apprête à embarquer sur un cargo direction le Maroc, présenté comme « une république jeune et dynamique où tout est possible ». Il devra pour cela traverser Mars de nuit, arme au poing, tandis que la femme qu’il aime, Layla, grimpera à l’arrière d’un camion-taxi en direction de Perpignan, qu’elle quitte ensuite pour quarante kilomètres de marche à pied vers un village coupé du monde, se retrouvant vite à court d’eau sous un soleil de plomb, mais « roulant » dans un torrent puis dégustant « ses deux dernières tranches de viande synthétique » à l’ombre d’un orme, décor d’une lumineuse renaissance.

Voyagerez-vous avec Aurélien ? L’homme en a sous les semelles. Rappelons que cet écrivain (Le temps d’arriver, Avec le feu) et monteur de cinéma (pour Des plans sur la comète de Guilhem Amesland ou Love & Bruises de Lou Ye) traversa les Ardennes à pattes de Charleville à Charleroi dans les bottines du « voleur de feu », sur le trajet de la deuxième fugue d’Arthur Rimbaud, parmi notre régiment de joyeux traîne-savates répondant au doux nom de « Rimbaud Warriors », le temps d’un épique documentaire littéraire diffusé sur Radio Nova en septembre 2018.

À bord de notre Arche, Aurélien Manya arpente une France qui, forcée de se rationner en électricité, interdit tous les transports motorisés : voiture, train, avion, bateau. « Les ventes de godasses personnalisées dépassent celles des concessionnaires automobiles » et les relations amoureuses, sociales ou professionnelles s’en trouvent bouleversées. Le pied !

Pour écouter Aurélien Manya lire un extrait de Trois cœurs battant la nuit à bord de L’Arche de Nova, c’est ici : https://www.nova.fr/news/aurelien-manya-demain-fera-chanter-les-eoliennes-36268-31-03-2020/

Réalisation : Mathieu Boudon.

Image : Les Chemins de la liberté, de Peter Weir (2010).

22 février 2021

3:50

Sergio Aquindo : « Demain, prendre son bain sera considéré comme un sport philosophique »

Auteur d’un « Atlas des monstres connus et méconnus », ce dessinateur argentin se plonge dans les archives de la trop brève république révolutionnaire de Valadonie (1924-1930), qui luttait contre la routine en valorisant la « déconnaissance ».

« Un corps d’oiseau et une tête de singe. Un corps trop doux, une tête trop pensante et beaucoup de rage. » Il apparaît, fragile, au milieu de l’Atlas des monstres connus et méconnus conçu par l’auteur et dessinateur argentin Sergio Aquindo, publié en 2020 aux éditions du Chêne. Un inventaire d’horribles et malheureuses créatures, piochées dans le cinéma thaïlandais ou la mythologie mapuche, dans « l’Interzone » de William Burroughs ou Le Banquet de Platon, comme si les monstres innombrables que Franquin dessinait pour se détendre entre deux albums de Gaston Lagaffe étaient réunis pour un colloque dans les cercles concentriques de l’Enfer de Dante. D’une précision de zoologue surréaliste, croquant à trait fin ses bestioles dans des plans de coupe scientifiques ou dans d’inquiétants tableaux, Aquindo y exhume donc une pauvre chose, le piaf-macaque, tiré d’Êtres et bêtes de la pampa, signé en 1882 de son mystérieux compatriote Alfonso Espinosa y Cano.

« Une tête qui plonge et traîne par terre, des ailes vaines, un plumage infesté de vermine. Incapable de voler, de chasser ou de bâtir un nid, de grimper aux arbres pour cueillir des fruits ou fuir les prédateurs, le monopaharo vit perpétuellement dans la faim et la crainte, ce qui le rend furieux et méchant. Il mange au hasard (il pourrait manger de la terre ou éventrer un nourrisson). Il ne vivra pas longtemps. On le chasse, le brime, on l’enferme. Il est venu au monde à la fois condamné et sans défense. »

Quelle leçon tirer du lourd singe ailé ? Ne faudrait-il pas le « déconnaître » pour mieux le comprendre ? Prenons pour cela la direction de la trop brève république révolutionnaire de Valadonie (1924-1930), à laquelle Sergio Aquindo consacrera son prochain livre, en mêlant ses croquis aux archives de cette utopie concrète qui échafaudait des « fortifications fraternelles démontables et mobiles, pour rendre inutiles les limites du royaume », une « bibliothèque des rêves, classés par thèmes, langues, classes sociales », une drôle de pratique du football « improvisé » et plus généralement des gestes sportifs « et philosophiques » contenus dans le simple fait de réapprendre à s’asseoir sur une chaise, prendre son bain ou marcher dans la rue, « routines » odieuses qu’il convient de « déconnaître ».

Installé à Paris depuis 2001, dessinateur régulier du journal Le Monde, l’artiste nous livre en avant-première des fragments très enthousiasmants de ses recherches sur cette contrée utopique. ¡ Gracias !

Réalisation : Mathieu Boudon.

Image : Huit et demi, de Federico Fellini (1963).

18 février 2021

4:59

Aïssa Lacheb : « Demain, l’hôpital public ne fera plus le tri comptable entre les patients »

À Reims, cet écrivain et infirmier clame sa colère contre l’obsession de rentabilité « sortie des cerveaux détraqués de technocrates ignobles », dont une « tarification à l’acte » qui plombe les services hospitaliers, entre burn-out et turn-over.

« Tu es né d’où ? D’une cuisse innocente de femme et d’un sexe mâle qui puait l’alcool. Tu es né d’où ? D’un grand drap sali de vomissures et d’impuretés. Ton géniteur, ton père devenu une infamie… Ta mère en larmes, ta mère pleine de douleurs. La liberté. Amère liberté. » Noir c’est noir. Paru en janvier aux éditions Au Diable Vauvert, Erostrate for ever, le dernier livre d’Aïssa Lacheb court dans les cendres d’une humanité en voie d’extinction, qui mérite de finir au bûcher. Le titre, lui-même, allume la mèche : on se souvient de ce jeune Grec, Erostrate, qui cherchait à tout prix la célébrité et ne trouva rien d’autre pour l’obtenir que de mettre le feu à l’une des sept merveilles du monde, le temple d’Artémis à Ephèse, quatre siècles avant Jésus-Christ. Objectif atteint puisque, comme le nota Sartre, tout le monde a oublié le nom de l’architecte.

Dans son temple de papier, dans ce roman choral qui rassemble cinq histoires liées entre elles par les fils du désespoir, Aïssa Lacheb chante les heures sombres des descendants brisés, barjos ou balourds d’Erostrate. En témoigne ce malheureux rejeton d’alcoolo, incapable de résister à l’atavisme de la bouteille, le temps d’un terrible portrait, hallucinant de haine de soi, qui mériterait d’être lu par l’auteur à voix haute, en public. « Marche de travers et dégueulis par terre ! Il faudrait que tu le ramasses, ce dégueulis, car c’est ton âme répandue là. Ramasse ton âme, ramasse-la, enfouis-la profondément dans tes poches, tu l’étaleras chez toi, tu la contempleras… Ceux que tu croises, tu leur fais peur. » Idem pour un autre personnage, cette Anaïs qui, gamine, présentait déjà des troubles du comportement et qui, adulte, croise la route d’une michetonneuse folle-furieuse, dominatrice d’occasion qui pille et pilonne de lamentables magistrats. Sans oublier tous les visages tordus et les vers grouillants du « monde de morts » de l’ultime récit, fascinant, conté par un pauvre comptable, Archibald Pimpon qui, renversé par une bagnole, termine sa course aux urgences d’un hôpital infernal.

Quelle vision d’avenir attendre, alors, de la part de cet écrivain de 57 ans, condamné en 1990 pour le braquage d’une banque à main armée (qui ne fit aucun blessé), devenu infirmier après dix ans de prison, auteur en 2001 du très remarqué Plaidoyer pour les justes applaudi par Virginie Despentes – et qui depuis écrit sans relâche ? « NO FUTURE », rugissait-il déjà sur cette antenne il y a quinze jours.

Revoici donc Aïssa Lacheb, qui rêve d’un hôpital public qui, débarrassé de l’obsession de rentabilité « sortie des cerveaux détraqués de technocrates ignobles », pourrait offrir « un accueil digne de ce nom, une démarche de soins expliquée aux malades et aux blessés quand ceux-ci sont en mesure de l'entendre, des services largement pourvus en personnel soignant et en matériel technique, des infirmières et des médecins qui ne se font plus cracher à la gueule par des patients ou des familles exaspérées de tant d'incurie, voire de mépris ».

Pour écouter la précédente gueulante excellente d’Aïssa Lacheb, c’est ici : https://www.nova.fr/news/aissa-lacheb-demain-on-se-chiera-sur-la-gueule-on-se-bouffera-le-ventre-la-terre-nous-vomira-126736-02-02-2021/

Réalisation : Mathieu Boudon. Enregistrement : Benjamin Macé.

Image : Hippocrate (la série), de Thomas Lilti (2018).

17 février 2021

6:16

Djé Balèti : « Demain, nous serons rois et reines du carnaval des fous, à tour de rôle »

La bamboche, c’est terminé ? Alors tentons de faire bombance entre Toulouse et Nice via les bals psychédéliques de ce power trio de troubadours afro-punks, « où ceux qui veulent être en haut se retrouvent en bas ».

« Nous fous de carnaval devons soigner les fous démolisseurs de nos gouvernements. Devons les réveiller. Quand ils vont s’éveiller, se mettront à pleurer. Sont en train de tout casser. Devons trouver la chanson qui les libérera une fois pour de bon de leur arrogance. » Dans le clip mythologique de leur chanson Fou, réalisé par la Sicilienne Ruby Cicero, les trois troubadours afro-punks psychédéliques de Djé Balèti portent, immobiles, des camisoles de force dorées de toute beauté aux pieds d’un antipape rose devant des montagnes roses, tandis que des fumées divines serpentent dans les cieux et qu’une déesse noire, nue, clope d’un air lassé par les gesticulations de l’humanité.

Reproduction futuriste du tableau La Lithotomie du génie néerlandais Jérôme Bosch (1494), la toile animée insère une nouvelle pierre précieuse dans notre imaginaire : ce rubis aux mille bals (« balèti », en occitan) poli depuis dix ans par le power trio fondé par Jérémy « Djé » Couraut, accompagné d’Antoine Perdriolle et de Menad Moussaoui, en activité « de Toulouse à Nice ». Objectif lunaire : « Renverser le monde en une déconnade », comme au plus fort des carnavals médiévaux quand, le temps d’une journée de « bombance », les pauvres devenaient les seigneurs à la place de ceux qui les saignent. Telle est la philosophie de Pantaï, troisième album de rock métissé pas sage du tout paru au printemps 2020 sur le label Sirventés, d’après ce mot d’occitan niçois qui célèbre le « rêve » capable « d’agir sur le monde ici et maintenant » – exactement comme ce podcast, soit dit en passant.

« Français confond joie et bruit. Français doit s’affiner. » On trouve aussi sur ce disque de feu un Sortilège (manifeste de la joie), qui peut s’entendre comme la réponse aux légendaires « Jaloux Saboteurs » de Maître Gazonga (Abidjan, 1984) et surtout comme l'un des morceaux que nous écouterons très très fort quand nous serons tous réunis dans le PREMIER BAR OUVERT.

Marqué par sa lecture du livre Le carnaval de Nice et ses fous de l'historienne Annie Sidro (1979), Jérémy Couraut, fils de hippies et grand bourlingueur armé d’une « espina » – sorte de guitare épineuse au corps de calebasse revenue du fond des âges, qu’il a électrifié – nous transmet en ce jour de Mardi-Gras une leçon de tradition carnavalesque, « où ceux qui veulent être en haut se retrouvent en bas », non loin du Roi-Cochon qui s’offrira de tendre grâce en sacrifice pour régénérer nos cellules, de nonnes et de curés à la sexualité mystique, ou d’un Enfant-Roi qui peut tout aussi « être une pierre, un animal ou un cougourdon », c’est-à-dire une courge.

Réalisation : Mathieu Boudon.

Image : Fou de Djé Balèti, réalisé par Ruby Cicero (2020).

16 février 2021

5:33

Luna Baruta : « Demain, notre boule au ventre hurlera à travers les rues »

Fondatrice du fanzine « Violences », cette écrivaine de Saint-Étienne cherche un exutoire au sexisme ordinaire, en rêvant du jour où « les trottoirs n'auront plus de dents et les murs plus de langues adipeuses », quand les filles pourront « sortir mollets nus et fouler la ville sans devenir minuscules. »

« J’aurais voulu te découvrir échoué sur le parquet pour sauter à pieds joints sur ton visage, sentir le cartilage céder sous mes talons, les os se démanteler. Défoncer ta gueule et tous tes membres, les amputer pour que plus jamais ils ne puissent toucher. Mais tu n’y étais pas. » Fondé en 2016 par l’écrivaine Luna Baruta, le fanzine Violences, « puzzle du malaise, de ce qui gratte et qui rend mal », rassemble sur 146 pages des fictions énervées, des photos sidérantes, des poèmes chelous, des dessins atrocement réussis, des nausées, des survivalistes, du cyberpunk ou des collages assez marrants, signés par soixante-dix artistes encore méconnus pour évoquer, littéralement, les violences familiales, professionnelles, sociales ou sexistes.

Dans son numéro de janvier, au creux d’une nouvelle intitulée La Purification, Baruta décrit la colère froide d’une femme abusée, au « ventre meurtri », au « sexe forcé », prête à se venger : « Maintenant que je n’étais plus rien j’étais prête. Je n’ai plus de seins, plus de cul, de coiffure. Je n’ai plus de chatte, vous ne pouvez plus forcer. Je suis un monstre invincible. Je. Suis. INVINCIBLE. Je n’hésiterai plus à mordre comme on m’a mordue, à torturer comme j’ai été tordue, à hurler comme on a voulu me faire taire. Je n’hésiterai plus car je suis morte. Un putain de cadavre à qui on a laissé des muscles et des souvenirs (…) C’est terminé. Bouchée de fond en comble je me relève. Atrophiée. Lisse comme un mannequin de silicone. (…) Remontée comme une horloge qui doit rattraper des centaines d’années de vengeance. Libérée de ma mort et déblayant l’avenir. Libérée. Et préparant votre chute. »

Les porcs qui nous dominent feraient mieux de surveiller cette écrivaine de Saint-Étienne, pour plusieurs raisons. D’abord, Luna Baruta, 30 ans, figure parmi le noyau dur du collectif Dans la bouche d’une fille (créé par Astrid Toulon, avec Valérie Thierry, Enissa Bergevin et Louise Pothier), suivi sur Instagram par plus de 250 000 abonné.e.s, et qui recense les phrases malheureuses, si bêtes et sempiternellement abruptes du sexisme ordinaire, mixte et transgénérationnel. Exemple, parmi tant d’autres : « Une patiente que tu soignes aux urgences s’excuse en se déshabillant : désolée, je ne suis pas épilée. » Contre ces stéréotypes de genre, un livre, élaboré grâce aux oreilles attentives d’une vingtaine d'autrices, sera publié fin mars aux éditions Albin Michel.

Par ailleurs, Luna Baruta termine actuellement un roman noir qui parle « d'amour, de sexe, de rapports ambigus, des injonctions de la société sur l'individu, de morbidité, de féminisme, des traumatismes d'enfance ». Résumé : « À Lyon, une jeune femme, qui travaille auprès de personnes âgées ou handicapées, développe une fascination malsaine pour ces corps. Dégoûtée d'elle-même et du monde, elle s’installe chez une inconnue plutôt… borderline. »

Sur le pont de L’Arche de Nova, elle rêve à voix haute du jour où la boule au ventre hurlera à travers les rues, où « les trottoirs n'auront plus de dents et les murs plus de langues adipeuses », quand les filles pourront « sortir mollets nus et fouler la ville sans devenir minuscules. »

Pour commander Violences, c’est ici : berettaviolences.wordpress.com

Réalisation : Mathieu Boudon.

Image : Baise-moi, de Virginie Despentes & Coralie Trinh Thi (2000).

15 février 2021

3:10

Feu ! Chatterton : « Demain, notre JT recensera les faits divers de bonté »

Contre le flux mortifère des chaînes d’info en continu, l’élégant groupe de rock parisien propose d’instaurer « le jeudi des bonnes nouvelles », constitué d’authentiques trouvailles et exploits de l’espèce humaine, pour « remettre de la gaieté sur le monde ».

Sur Monde nouveau, leur dernier single sorti en janvier, prélude à l’album Palais d’argile à paraître le 12 mars, les cinq allumettes mélancoliques de Feu ! Chatterton ne semblent guère consumées d’espoir concernant la survie de l’humanité dans la fournaise de l’effondrement à venir. « La glace fondait dans les Spritz, c’est à n’y comprendre rien. Tout le monde se plaignait en ville du climat subsaharien, on n’avait pas le moral, mais on répondait à tous les mots les traits d’esprit du grand serveur central. Monde nouveau, on en rêvait tous. Que savions-nous faire de nos mains ? Presque rien. »

Produit par Arnaud Rebotini, ce troisième disque de soixante-six minutes, où la belle voix éraillée d’Arthur Teboul appelle à l’aide sans savoir « ni qui ni pourquoi », a été écrit avant la pandémie et son cortège quotidien de mauvaises nouvelles. Y figure une très grande chanson, Ecran Total, qui se demande « sur quel pied danser » dans un écrin club de toute beauté, symptomatique de nos enfermements (« Derrière leur écran total, les gens se régalent (…) Mais où sont les enfants et les clairières d’opale ? »), tout en étant possiblement inspirée par la révolte des Gilets Jaunes, qui rêve « de grand final, de feu de Bengale ». Au cœur de ce conte mordant, où le spectre de Léo Ferré semble s’immiscer dans une scène coupée de 120 battements par minute, on entend Arthur chanter, puis hurler : « Le grand président, sanglots de reptile, s’adresse aux sans-dents, ouais, bien à l’abri dans son palais d’argile avec tous ses descendants. Mais il pleut sur la ville et on le sait, l’argile mollit, eh oui. (…) C’est génial, on le lynche sur la place publique, on piétine le pacte civique. Ah, TU FAIS MOINS LE MALIN. ESSAIE PAS DE T’ENFUIR AVEC TES TALONNETTES À QUATRE MILLE BOULES. »

En attendant de voir cette révolution à la télé, l’élégant groupe de rock parisien, en activité depuis 2011 après leur rencontre au lycée Louis-le-Grand, dont le nom renvoie au poète anglais Thomas Chatterton ayant préféré se suicider à l’arsenic à 17 ans plutôt que de mourir de faim en 1770, propose d’instaurer « le jeudi des bonnes nouvelles », un JT constitué de « faits divers de bonté », d’authentiques trouvailles et exploits de l’espèce humaine, antidote au flux mortifère des chaînes d’info en continu, le tout dans l’objectif de « remettre de la gaieté sur le monde ».

Sur le pont de notre Arche, le chanteur de Feu ! Chatterton s’est donc lui-même prêté à l’exercice en sélectionnant cinq bonnes nouvelles survenues ces derniers jours, ainsi promu journaliste de la joie.

Pour écouter Monde nouveau, c’est ici : https://www.youtube.com/watch?v=-3KQ5k7k0ws&ab_channel=FeuChatterton

Réalisation : Mathieu Boudon.

Image : Présentateur vedette : la légende de Ron Burgundy, d’Adam McKay (2004).

11 février 2021

4:29

Amélie Wendling & Claire Stavaux : « Demain, nos failles seront nos forces »

À Paris, cette traductrice et cette éditrice rendent hommage au ténébreux dramaturge, metteur en scène et poète suédois Lars Norén (1944-2021), interné à 18 ans, dont les terribles spectacles nous demandaient : « Qu’est-ce qui fait que l’homme survit, même dans les conditions les plus atroces ? »

« Prison, HP, terrorisme, huis clos familial insoutenable, violence conjugale. » Comme l’a écrit Libé à l’heure de sa mort survenue fin janvier à 76 ans des suites du covid, le dramaturge suédois Lars Norén, qui succéda à Bergman à la tête du Théâtre National de Suède, était l'un des auteurs les plus joués en Europe, notamment en France, via des spectacles aux titres souvent cliniques : Pur, Démons, Froid, Sang, Guerre, La force de tuer... jusqu’à Poussière, en 2018, présenté à la Comédie-Française. Dans sa jeunesse, un événement infernal lui laissa un trauma : à 18 ans, après la mort de sa mère, il est interné en hôpital psychiatrique et soigné à coups d'électrochocs. Sorti de là par une amie, Lars écrira d’abord de la poésie et des romans, ainsi que quatre-vingt pièces ou un journal intime de plus de mille pages, dans lequel on peut lire : « J’ai une profonde tendance à prolonger les difficultés et la tristesse, jusqu’à ce qu’elles meurent d’elles-mêmes, sans doute. »

« Pour un futur psychiquement désirable », Amélie Wendling, qui fut sa collaboratrice artistique sur Poussière ou assistante à la mise en scène de ses spectacles dès 2003, occupée en ce moment à traduire Sang ainsi qu’un recueil de pensées-poèmes intitulé Fragments, tout en enseignant l’œuvre de Norén à la Sorbonne Nouvelle comme au conservatoire régional de Poitiers, rend hommage au ténébreux maître suédois sur le pont de L’Arche de Nova en compagnie de Claire Stavaux, directrice des éditions de… L’Arche, son agent théâtral, qui publie l’essentiel de ces textes lucides et violents où « la fragilité psychique n’est jamais éludée », nous demandant toujours : « Qu’est-ce qui fait que l’homme survit, même dans les conditions les plus atroces ? »

Réalisation : Mathieu Boudon.

Image : Fight Club, de David Fincher (1999).

10 février 2021

4:50

Camille Brunel : « Demain, on arrêtera de flinguer les animaux »

Lauréat 2020 du Prix de la Page 111, cet écrivain de Châlons-en-Champagne se fait le guide de néo-musées de la chasse, chargés de reliques et d’hologrammes « lorsque les bois seront remplis d’oiseaux et de cerfs qui auront fini de nous craindre comme la peste ».

« … Il perfora le thorax de la chasseuse en un premier coup de feu qui excita les chauves-souris. Le temps que le second chasseur comprenne ce qui venait de se passer, il était touché aussi ; que le troisième comprenne ce qui venait de se passer, son corps s’effondra sur celui du tigre (…) » Dès le prologue du premier roman de Camille Brunel, La guérilla des animaux (éditions Alma, 2018), la justice en faveur de nos amies les bêtes, décimées depuis des siècles par de cruels et curieux bipèdes, est rendue. Son héros, Isaac, vient de venger un félin abattu de sang-froid et sans raison au cœur des ténèbres d’une jungle du Rajasthan. Il deviendra ensuite l’un des visages de la défense acharnée de nos égaux à griffes, à crocs ou à plumes, aux côtés d’une militante qui nous tient à peu près ce langage : « Les élevages industriels, dont provient la pâtée humaine, pratiquent les méthodes d’exécution inventée dans les camps. Maintenant, je vous le dis : vous n’êtes pas sur Terre pour consommer des morts. Vous êtes sur Terre pour vous surpasser. »

Alors surpassons-nous. Et si la chasse, non contente d’être déjà rentrée au musée, y restait confinée ? C’est le troisième futur désirable imaginé par cet écrivain de Châlons-en-Champagne de 34 ans, récompensé sur Nova en octobre dernier du très convoité Prix de la Page 111 pour celle de son roman Les Métamorphoses, gagnant au passage une carte blanche d’une durée de 11 mois et 1 semaine sur notre antenne. Admirateur de Lautréamont, auteur d’un Eloge de la baleine à paraître aux éditions Rivages, Camille Brunel se fait le guide de lieux de mémoire d’une pratique barbare désormais disparue, chargés de reliques et d’hologrammes, dans un avenir où « les bois seront remplis d’oiseaux et de cerfs qui auront fini de nous craindre comme la peste ».

Réalisation : Mathieu Boudon.

Pour écouter la précédente utopie de Camille Brunel, c’est là : https://www.nova.fr/news/camille-brunel-demain-la-psychanalyse-sera-enseignee-des-lecole-primaire-112563-08-01-2021/

Image : Voyage au bout de l’enfer, de Michael Cimino (1979).

08 février 2021

6:09

Fils Cara : « Demain, nous fonderons l’académie de l’oubli »

Du « 105e étage » de « la bibliothèque de Babel », ce jeune musicien venu de Saint-Etienne aimerait « stopper le progrès intellectuel de l’humanité », avant d’improviser au piano sur un thème de Stevie Wonder.

« Videz les jerricanes. » Mi-2020, l’effondrement à venir de la civilisation industrielle nous offrait une ritournelle en deux minutes trente-deux. Derniers dans le monde, signée Fils Cara, conte la fonte des pôles, ainsi qu’un « crash » imminent – prétexte comme un autre pour tout arroser d’essence et craquer une allumette – où jaillit cet avantage : bientôt, « plus de fric et d’armes, on sera si bien » ; lisons d’ailleurs cette punchline comme le marqueur de ce qui sépare ce musicien à col roulé de 25 ans, venu de Saint-Etienne et prénommé Marc, de ses confrères du rap game.

« Cara » est le nom de sa mère, « une personne extrêmement travailleuse » dont le patronyme fut choisi par le fils pour servir de « bonne étoile ». Début 2019, celui qui se décrit comme un « diamant dans un océan de merde » (sur Petit Pan) arrête son boulot d’ouvrier en usine « et les fins de semaine rincées par le labeur et le goût du café » pour monter à Paris et publier, flanqué de son frère Francis au piano, deux mini-albums de huit titres, Volume (2019) et Fictions (2020) via le label Microqlima, écosystème des expériences d’Isaac Delusion ou de L’Impératrice. Ce n’est pas tellement du rap, en fait ; plutôt de la chanson humble et sensible. En témoigne ses marottes musicales éclectiques, de Bon Iver à Booba, de Gainsbourg aux Sages Poètes de la Rue, en passant par Agnès Obel et Nirvana – groupe à propos duquel il est incollable au point de désigner ses premiers sons sous le nom de « sub pop », en clin d’œil au premier cocon des rois maudits du grunge.

« Savoir écrire, c’est dire n’importe quoi sur un ton plus ou moins radical », dit-il. Plus ou moins, en effet : on découvre ainsi les rimes douces-amères d’un lecteur de l’écrivain Jorge Luis Borges – auteur d’un célèbre et génial recueil de nouvelles intitulé Fictions, en 1944. Il n’est donc pas étonnant de l’entendre nous proposer, en nous téléphonant d’une cabine située au « 105e étage » de la « bibliothèque de Babel » (Borges, encore), la fondation d’une « académie de l’oubli » à destination de « futurs enfants », visant à « stopper le progrès intellectuel de l’humanité, pendant quelques années », le temps de retrouver « l’état de nature » et « des vies superficielles » jusqu’à… oublier « l’existence même de l’académie ».

Fils Cara se rappelle, cependant, des notes du morceau qu’il reprend spécialement pour Nova : Seasons, instrumental cosmique tiré du double album Journey through the secret life of plants (1979) de Stevie Wonder, soit la bande-son d’un documentaire lui-même adapté de l’enquête des journalistes Peter Tompkins et Christopher Bird sur les prétendues « perceptions extra-sensorielles » des végétaux. Merci, Fils.

Réalisation : Mathieu Boudon.

Image : modélisation de la nouvelle Le Jardin aux sentiers qui bifurquent, de Jorge Luis Borges, par le département neurologie de l'Université de Californie (2018).

08 février 2021

4:22

Wendy Delorme : « Demain, nous signerons le pacte du terrarium »

Des micro-communautés interdépendantes et solidaires, écosystèmes d’amour et d’amitié mixtes et autogérés, semblables aux plantes : telle est l’utopie de cette écrivaine et performeuse lyonnaise, membre du collectif de poésie queer RER Q.

 « Ce sont eux qui ont vu leurs enfants disparaître, toute une génération de l’âge de ma mère. Ce sont eux qui ont fait de notre territoire un refuge, un blockhaus, une île en pleine terre. Un endroit clos d’où entrent et sortent seulement les matières et objets. Ce sont eux qui disent que les livres rendent tristes, les livres nous rappellent comment c’était avant, les livres tuent nos jeunes, il faut les interdire et en faire de nouveaux, des plus divertissants, des qui n’étreignent pas trop le cœur d’une trop grande, d’une immense nostalgie d’un monde qui n’est plus, qu’on ne connaîtra pas, que je n’ai pas connu. »

Ce monde évanoui, c’est celui de Viendra le temps du feu, la dystopie de l’écrivaine et performeuse Wendy Delorme, à paraître le 3 mars dans la collection « Sorcières » des éditions Cambourakis. La jeunesse au bûcher – et, comme par hasard, celle qui se mobilisa pour la sauvegarde de la planète. Trois décennies après « le grand Deuil National », la société a mué vers un totalitarisme à mi-chemin entre Fahrenheit 451 de Ray Bradbury (1953) et La Servante écarlate de Margaret Atwood (1985) : tous les livres, « dans chaque bibliothèque, dans chaque librairie, dans chaque maison » sont détruits en raison des nuisances qu’ils infligent « au moral », tandis que les femmes « de même que les hommes » doivent contribuer de « la manière la plus appropriée » à la perpétuation de l’espèce. Natalité contrôlée. Frontières fermées. Couvre-feu généralisé. Mais dans l’ombre, un livre offre un vadémécum de résistance : Les Guérillères, publié en 1969 par la philosophe et romancière française Monique Wittig (1935-2003), dont les héroïnes « dans leurs cris, leurs rires, leurs mouvements, affirment triomphant que tout geste est renversement ».

Une communauté de résistance se met alors en place. Comme dans… l’utopie formulée à bord de L’Arche de Nova. Membre du collectif de poésie queer RER Q (« réseau d’autriX allié.e.s autour de textes / manifestes queer / crus / cul », qui « explose le genre triste et la syntaxe molle, la police des corps identifiés identifiables et la littérature officielle »), enseignante à l’université Lyon II et spécialiste des questions de genre et d’identité dans les discours et représentations médiatiques, Wendy Delorme pose ici les bases du « pacte du terrarium », pour un réseau d’écosystèmes d’amour et d’amitié mixtes et autogérés où chacun.e fera « vœu d’allégeance et de soutien à cinq personnes choisies », paradigme né de l’observation lumineuse d’un authentique terrarium acquis auprès d’un ami botaniste. Pourvu que l’idée prenne racine !

Pour écouter les trois utopies d’un.e autre membre du collectif RER Q, Camille Cornu, vous pouvez commencer par là : https://www.nova.fr/news/camille-cornu-13-demain-fera-du-fromage-avec-notre-lait-maternel-41132-06-10-2020/ 

Réalisation : Mathieu Boudon.

Image : Too Much Pussy !, d’Émilie Jouvet (2011).

04 février 2021

5:36

Facteurs Chevaux : « Demain, nous partirons en quête des dernières rations d’air pur »

 Après la grande apocalypse de 2021 » qui « rendra sourde la quasi-totalité de la population mondiale », ce duo de bardes alpins se rendra au sommet de l’Aconcagua, pour un concert à 7000 mètres d’altitude.

« Si j’affrontais tous les dangers, viendrais-tu marcher avec moi ? Si j’affrontais tous les dangers, viendrais-tu danser dans le noir ? » En préambule à cette histoire, il y a l’obsession d’un homme : le facteur Cheval, de son double prénom Joseph Ferdinand (1836-1924), emblème de l’art naïf à la française, qui passa trente-trois ans à ériger, seul, rien qu’avec les pierres ramassées pendant ses tournées quotidiennes à bicyclette et du ciment, de la chaux et du mortier, son « Palais idéal » : un édifice de vingt-six mètres de long pour douze mètres de haut, traversé de motifs hindous, bibliques, égyptiens, d’un chalet suisse ou d’une mosquée, de sculptures de loutre ou de guépard, de Vercingétorix ou d’Archimède, assorties d’inscriptions modestes comme « la vie est un rapide coursier, ma pensée vivra avec ce rocher »

Bien vu : bâtie près du centre d’Hauterives (Drôme), cette rêverie phénoménale fut classée monument historique par André Malraux en 1969, après avoir suscité l’admiration de Picasso, Breton, Max Ernst, Niki de Saint-Phalle, puis de Boris Vian, de Gérard Manset ou… d’un joyeux tandem contemporain nommé Facteurs Chevaux.

Formé en Isère par Sammy Decoster et Fabien Guidollet, ce duo de bardes à barbes drues et cheveux longs pratique une très apaisante folk naturaliste, tissée d’arpèges et d’harmonies dans la lignée de glorieux maîtres anglo-saxons (The Byrds, The Everly Brothers, Simon & Garfunkel), pour chanter – parfois comme des moines grégoriens revenus du fond des âges – l’orée d’un verger, les chemins vagabonds, la peur profonde dans les yeux d’un chien, comme on l’entend sur Chante-nuit, second album publié en juin 2020 et salué par Dominique A, quatre ans après leur premier édifice, La Maison sous les eaux. Mais où ce disque de beauté pastorale fut-il (en partie) enregistré, à votre avis ? Dans le Palais du Facteur Cheval, pardi.

Grimpant à bord de notre propre palace des songes, les troubadours modernes du massif de la Chartreuse ravivent les habitudes prises lors de leur dernière tournée, engagée entre deux confinements, qui les conduisit à sortir leurs guitares non pas hors des sentiers battus, mais au bout des sentiers buissonniers : dans des refuges, des grottes, des forêts, une église romane, un prieuré bénédictin. Depuis le mirador « Plaza Francia », en Argentina, Facteurs Chevaux nous adresse cette carte postale musicale, prélude à leur ascension de l’Aconcagua (6962 mètres), au sommet duquel ils joueront, en live, « après la grande apocalypse de 2021, qui aura rendu sourde la quasi-totalité de la population mondiale, après des années de consommation de musique en poudre, avariée ». Vamos.

Pour voir le beau clip lacustre de Je te dessine, c’est ici : https://www.youtube.com/watch?v=vQL4n-vWmB4&ab_channel=Facteurschevaux

Image : Cholitas, des femmes à l’assaut de leurs rêves, de Jaime Murciego et Pablo Iraburu (2019).

03 février 2021

2:59

Aïssa Lacheb : « Demain, on se chiera sur la gueule, on se bouffera le ventre, la Terre nous vomira »

À Reims, cet écrivain et infirmier, auteur d’un roman incendiaire sur de malheureux paumés reliés par les fils du désespoir, rugit sa vision rageuse d’un futur apocalyptique.

« Tu es né d’où ? D’une cuisse innocente de femme et d’un sexe mâle qui puait l’alcool. Tu es né d’où ? D’un grand drap sali de vomissures et d’impuretés. Ton géniteur, ton père devenu une infamie… Ta mère en larmes, ta mère pleine de douleurs. La liberté. Amère liberté. » Paru en janvier aux éditions Au Diable Vauvert, Erostrate for ever, le dernier livre d’Aïssa Lacheb, court dans les cendres d’une humanité en voie d’extinction, qui mérite de finir au bûcher. Le titre, lui-même, allume la mèche : on se souvient de ce jeune Grec, Erostrate, qui cherchait à tout prix la célébrité et ne trouva rien d’autre pour l’obtenir que de mettre le feu à l’une des sept merveilles du monde, le temple d’Artémis à Ephèse, quatre siècles avant Jésus-Christ. Objectif atteint puisque, comme le nota Sartre, tout le monde a oublié le nom de l’architecte.

Dans son temple de papier, dans ce roman choral qui rassemble cinq histoires liées entre elles par les fils du désespoir, Aïssa Lacheb chante les heures sombres des descendants brisés, barjos ou balourds d’Erostrate. En témoigne ce malheureux rejeton d’alcoolo, incapable de résister à l’atavisme de la bouteille, le temps d’un terrible portrait, hallucinant de haine de soi, qui mériterait d’être lu par l’auteur à voix haute, en public. « Marche de travers et dégueulis par terre ! Il faudrait que tu le ramasses, ce dégueulis, car c’est ton âme répandue là. Ramasse ton âme, ramasse-la, enfouis-la profondément dans tes poches, tu l’étaleras chez toi, tu la contempleras… Ceux que tu croises, tu leur fais peur. » Idem pour un autre personnage, cette Anaïs qui, gamine, présentait déjà des troubles du comportement et qui, adulte, croise la route d’une michetonneuse folle-furieuse, dominatrice d’occasion, qui pille et pilonne de lamentables magistrats. Sans oublier tous les visages tordus et les vers grouillants du « monde de morts » de l’ultime récit, fascinant, conté par un pauvre comptable.

Quelle vision d’avenir attendre, alors, de la part de cet écrivain de 57 ans, condamné en 1990 pour le braquage d'une banque à main armée (qui ne fit aucun blessé), devenu infirmier après dix ans de prison, auteur en 2001 du très remarqué Plaidoyer pour les justes applaudi par Virginie Despentes – et qui depuis écrit sans relâche ? « NO FUTURE », rugit-il par téléphone depuis sa ville de Reims, via ce petit brûlot de misanthropie incendiaire qui fendra la première pierre des colonies martiennes.

Réalisation : Mathieu Boudon. Enregistrement : Benjamin Macé.

Image : Seul contre tous, de Gaspar Noé (1998).

02 février 2021

4:56

Charles Dollé : « Demain, des plantes humaines annuleront notre empreinte carbone »

À Paris, ce musicien de pop funambulesque propose de « contrebalancer les émissions excessives de CO2 » par la transformation savante d’humains en végétaux. Ça vous branche ? Quelle plante êtes-vous ?

Ses racines furent longtemps plantées dans la serre du label Tricatel, pour lequel, en tant que chef de projet, il accompagna la floraison des derniers disques de Catastrophe ou de Chassol, aux luxuriantes arborescences. Parfois, Charles Dollé remixait leurs morceaux ou ceux du taulier, Bertrand Burgalat, sous le pseudo discret de « Cvd ». Lors du premier confinement, on le vit se cacher, dans un clip, derrière une plante d’appartement et un masque de Benoît Hamon, pour une reprise aérienne de l’hymne anti-productivité de Philippe Katerine, La Banane.

Puis cette jeune pousse de 28 ans se remit, en janvier, à titiller nos feuilles de chou. Funambule, son premier single, marche le fil d’une pop tendue entre Beck et Daho, cherchant à équilibrer la légèreté du propos et le soin apporté aux arrangements ainsi qu’aux harmonies vocales. Cet « archipel abandonné » annonce bien entendu un mini-album de sept morceaux franco-anglais à paraître au printemps sur le label Menace, Imago, dont le titre renvoie « à la phase finale de la métamorphose chez certains insectes, notamment les papillons, quand apparaissent les ailes et l’appareil reproductif ». Nous avons du pot : il y sera question d’un « pays de velours », de la suite d’une ritournelle de MGMT, ou de l’épineuse question du téléphone qui sonne au cinéma (quand nous allions au cinéma, souvenez-vous).

Sur le pont de L’Arche de Nova, Charles Dollé rêve encore de transformations. Comme dans le roman Les Métamorphoses de Camille Brunel (éditions Alma, lauréat 2020 du Prix de la Page 111) qui observe les humains se changer, malgré eux, en animaux, le musicien parigot imagine que l’invraisemblable milliardaire aux visées transhumanistes, Elon Musk, développera d’ici 2052 « un amour tout particulier pour les plantes, plutôt que chercher à ne faire qu’un avec les machines ». « Finies les puces qui permettraient de télécharger tout internet en quatre secondes sept : grâce à la simple injection d’une graine de palmier norvégien (…), le sujet évoluera vers le végétal « qui correspond le plus à sa personnalité ». En résultera une société plus silencieuse, où ces belles plantes humaines auront fonction d’absorber nos émissions excessives d’oxyde de carbone, rythmées par les douceurs splendides de l’album Mother Earth’s Plantasia (1976) du Canadien Mort Garson qui, ressuscité, régnera en maître sur la planète, avec son Moog et ses ficus.

Pour voir le clip de Funambule, c’est ici : https://www.youtube.com/watch?v=iVIrujPQmUU&feature=youtu.be&ab_channel=CharlesDolleVEVO

Réalisation : Mathieu Boudon.

Image : Les Gardiens de la Galaxie 2, de James Gunn (2017).

01 février 2021

4:50

Roxanne Moreil : « Demain, pourra-t-on se marier avec un lac ? »

Co-scénariste de la BD « L’Âge d’or » avec Cyril Pedrosa, cette libraire arlésienne s’immerge dans les récits « trouble-fêtes » et autres « fabulations » inter-espèces de la philosophe et zoologue américaine Donna Haraway.

 

« Depuis l’aube du premier jour, nous semons les plaines d’un nouveau monde où, sous la courbe lente du soleil, l’ombre ne fait que passer. » En 2018, les librairies virent surgir un livre imposant : le premier volume de L’Âge d’or, dessiné par Cyril Pedrosa et scénarisé par ce dernier en compagnie de Roxanne Moreil, aux éditions Dupuis. Une fable médiévale, dont l’ambition est de concilier « récit d’aventures haletant » et « utopie politique », en veillant à créer un personnage féminin complexe, qui ne soit ni « forcément » sexualisé ni « forcément » sympathique. Voici donc Tilda, princesse rebelle condamnée à l’exil, guerrière progressiste qui part à la reconquête de son trône, ouvrant dans sa quête un livre légendaire susceptible de bouleverser l’organisation du monde. S’y déploient de solides convictions féministes, à travers une communauté de femmes, égalitaire et forestière, ainsi que le trait enchanteur de Pedrosa, proche de « l’âge d’or » des studios Disney – pour lesquels le dessinateur fut jadis assistant animateur, notamment sur Le Bossu de Notre-Dame (1996) et Hercule (1997).

 

Quelques mois après la sortie du second et dernier volume de son épopée moyenâgeuse, Roxanne Moreil, qui exerce également la profession de libraire à Arles, revient pour L’Arche de Nova sur l’une de ses sources d’inspiration politique : l’Américaine Donna J. Haraway, 76 ans, diplômée de zoologie et de philosophie de l’université du Colorado, dont la pensée éco-féministe peut être rapprochée de celle de Bruno Latour ou de Vinciane Despret, avec lesquels elle dialogue souvent. Notons aussi que ses travaux de référence sur les liens entre féminisme et innovations technologiques (Manifeste Cyborg, 1985) ont permis l’apparition d’un « Docteur Haraway » dans le manga Ghost in the shell.

 

Cherchant des pistes pour d’indispensables « renouvellements mutuels », Roxanne Moreil s’attarde ici en particulier sur Camille, l’un des récits de Vivre avec le trouble de Donna Haraway (2016, traduit aux éditions des Mondes à faire). Au dos, on peut lire : « Vivre avec le trouble, c’est entrer dans un monde étrange — le nôtre — où le temps, sorti de ses gonds, se retrouve ballotté dans un tourbillon de rencontres multispécifiques, d’appropriations violentes, de créations collectives sur fond de désastres climatiques. Un monde où les pensées émanent de symbiotes à corps multiples, visqueux et tentaculaires. Où la Terre est animée de forces aussi puissantes que terrifiantes. Où l’Humain, décomposé en humus, composte avec les autres espèces. »

Réalisation : Benoît Thuault.

Image : Le Nouveau monde, de Terrence Malick (2006).

28 janvier 2021

4:06

Cathy Bernheim : « Demain, nous partirons à la recherche du temps égaré »

Pionnière du MLF, cette écrivaine parisienne nous conte l’épopée maritime d’un équipage « d’Oiselles » qui, « dans les débris de continents anéantis », se mettent soudain « à tout prendre à la légère ».

Déposer une gerbe en l’honneur de « la femme du soldat inconnu », sous l’Arc de Triomphe. C’était il y a un demi-siècle, le 26 août 1970. En compagnie d’une douzaine d’amies, professeures ou sans-papiers, Cathy Bernheim signa par ce geste l’un des actes de naissance du Mouvement de Libération des Femmes (MLF). Avec, sur l’une des banderoles, ce slogan si évident : « Un homme sur deux est une femme. » Cathy fit ensuite partie de plusieurs groupes : « Les petites marguerites », « les féministes révolutionnaires », « Les gouines rouges » (tout en n’ayant « jamais voulu militer en tant que lesbienne », pour ne pas être « déterminée par ça »). Elle cofonda le journal Le Torchon brûle et militera dix ans, comme « une espèce de vagabonde », avant de rejoindre la rédaction de Femme actuelle (où elle écrivit sur le cinéma jusqu’en 2015) et, surtout, de vivre pleinement sa vie d’autrice.

Depuis 1983 et la sortie de son premier essai au titre programmatique (Perturbation, ma sœur), on doit à Cathy Bernheim trois ouvrages sur la prodigieuse créatrice du mythe de Frankenstein, l’Anglaise Mary Shelley, la traduction de l’autobiographie d’Angela Davis ou celle d’un essai sur… George Lucas, ainsi que de nombreux romans, scénarios, biographies et albums illustrés pour enfants. En 2019, cette critique inlassable du patriarcat a publié Mémoires des temps futurs (éditions Le Chant des Voyelles), bref roman d’anticipation situé dans « l’après-après apocalypse » consécutive aux trop nombreuses guerres menées par les « H. », comprendre les hommes. On y retrouve de courageuses survivantes, une femme à barbe « à la peau visqueuse », ou un « petit trois-mâts autonavigateur » piloté par « Zera, la lointaine descendante de l’inspirateur de la révolte des enfants du XXIe siècle » et un auxiliaire radio nommé… Novo (!), qui a « longuement étudié les civilisations » « et leur savoir-faire inutile » désormais rangé au « musée des Modes passées ». Ensemble, ils font cap vers « l’île aux Oiselles », sororité sage semblable aux gardiennes des graines dans le sable de Mad Max : Fury Road.

À bord de notre Arche, l’écrivaine parisienne nous offre à 74 ans un chapitre supplémentaire de son conte écolo-féministe, via l’épopée d’un radeau de survivantes qui, « dans les débris de continents anéantis » et un « joyeux vacarme de sarcasme et de dérision », se mettent « à tout prendre à la légère »… ce qui soudain les transforme en Oiselles.

Réalisation : Benoît Thuault.

Pour en savoir plus sur l’autrice, c’est ici : http://cathybernheim.over-blog.com/

Image : Mad Max : Fury Road, de George Miller (2015).

27 janvier 2021

6:06

Franck Balandier : « Demain, je pars, je m’évapore, je largue les amarres »

Disparu en décembre dernier, cet écrivain parisien nous avait adressé une ultime utopie à diffuser post-mortem : une invitation à soigner sa sortie, via l’annonce d’un congé sabbatique exemplaire à durée indéterminée, en mer, à bord de son navire. Bon voyage, capitaine.

La première fois que j’ai rencontré Franck Balandier fut, malheureusement, la dernière. Du temps de la Nova Book Box, il m’était arrivé de débattre avec mes camarades – en public et en maillot de bain, ce qui lui avait bien plu – de la réussite d’une glaçante scène de piscine tirée de son roman Le silence des rails (2014), ou de lire à l’antenne des extraits de Gazoline Tango (2017) et de son très bref essai façon visite guidée du Paris d’Apollinaire (2018). Ce qui peut suffire, parfois, à créer des sympathies numériques réciproques, sans forcément se voir ou se parler.

J’ai donc été fort peiné d’apprendre, un dimanche soir, par le biais d’un message de sa compagne, qu’on venait de diagnostiquer un cancer incurable à cet écrivain de 68 ans originaire des Hauts-de-Seine, fan de rock – de Led Zeppelin à Timber Timbre –, qui travailla quarante ans dans l’administration pénitentiaire et qui créa, à la fin des années 70, une émission de radio diffusée en interne, écrite et animée par des détenus de Fleury-Mérogis – où il organisa également un live un peu mémorable de Trust en 1980, vite suivi par d’autres concerts en zonzon.

Le 11 février, Franck Balandier aurait dû avoir le plaisir de voir sortir en librairies son dernier livre, Sing Sing – musiques rebelles sous les verrous (éditions Le Castor Astral, préface de Philippe Manœuvre), épais recueil de portraits de musiciens ayant passé quelques heures ou plusieurs années derrière les barreaux, de Johnny Cash à Joeystarr, de Chuck Berry à Booba en passant par Daniel Darc. Mais la maladie l’emporta juste avant Noël.

Début novembre, l’artiste, facétieux, est venu enregistrer une ultime utopie à diffuser post-mortem : l’annonce d’un congé sabbatique exemplaire à durée indéterminée, en mer, une invitation à soigner sa sortie, tel le Bowie de Lazarus qui referma littéralement la porte sur lui, voire, encore mieux, comme un doux canular à la manière de l’humoriste américain Andy Kaufman – joué par Jim Carrey dans Man on the moon de Milos Forman, qui reconstitua, à la fin de son film, les funérailles du comique, au cours desquelles fut diffusée une vidéo où Kaufman disait qu’il n’était pas mort, qu’il s’agissait d’une blague, avant d’inviter ses proches à chanter l’amour et l’amitié en se tenant par la main.

Voici donc, d’un navire à l’autre, du pont de notre Arche à celui de son bateau en route vers Gibraltar, la grande traversée de Franck Balandier. Bon voyage et à bientôt, capitaine ; rendez-vous au couchant, sous le soleil de l’Atlantique, « qui ressemble à une hostie rose acidulée ».

Réalisation : Arnaud Forest.

Pour écouter la précédente utopie de Franck Balandier dans L’Arche de Nova, c’est là : https://www.nova.fr/news/franck-balandier-demain-tous-les-dieux-auront-disparu-42199-20-11-2020/

Image : Le jour de mon retour, de James Marsh (2018).

26 janvier 2021

7:37

Barbara Carlotti : « Demain, la Corse, la Sicile, la Réunion ou les Fidji seront nos refuges oniriques »

Face aux scénarios « barbaresques » de la « Red Team » d’auteurs S.-F. recrutés par le ministère de la Défense, la chanteuse magnétique rêve d’une fédération d’îles dédiées au rêve, à la danse et à l’amour.

En décembre 2020, le ministère de la Défense a dévoilé les deux premiers scénarios élaborés par sa « Red Team », cette équipe composée de dix experts, écrivains de science-fiction, sociologue et auteurs de BD, chargés d’imaginer des « formes inattendues de conflictualité » d’ici 2060. On y découvre… un ascenseur qui relierait la Guyane à l’espace. Plus aucun avion en circulation. Cent cinquante millions de migrants dans le monde d’ici 2035, du fait de l’inexorable montée des eaux et son raz-de-marée de conséquences socio-économiques et politiques. Une puce implantée sous la peau de la majeure partie de la population, pour surveiller les déplacements. Les côtes, désormais dangereuses, nouveaux bastions de sociétés pirates armées de goélands-drones pilotés à distance…

En réaction à ces exposés détaillés de sombres projections, parfois qualifiées de « barbaresques » par leurs propres auteurs, le désir de farniente sur une plage ombragée aura rarement été aussi fort – en écoutant, par exemple, l’album Corse île d’amour de Barbara Carlotti, sorti en octobre dernier et principalement constitué de reprises transfigurées de chansons populaires de l’île de Beauté, souvent traduites en français. Hymne à la nature insulaire, sans forcer, en toute modestie, de la part de « l’enfant du pays », dont le tendre chant clair paraît se déployer dans des lumières éternelles. Un magnifique album pop, assez intemporel, qui s’écoule comme la rivière du matin, gorgé de ritournelles électriques, électroniques ou acoustiques où batifolent les musiciens d’Aquaserge, Bertrand Burgalat, Izia pour un duo sur la très émouvante Ballade de Chez Tao de Jacques Higelin, quand il ne s’agit pas de danser disco les pieds dans le sable de Solenzara, ou le tango façon « sieste organisée ».

Sur Ici, accompagnée de Pierre Gambini, Barbara nous murmure, très loin des guerres du futur : « Il n'est pas difficile / de s'asseoir ici tranquille / Et de regarder / filer les heures, passer les journées / Le long de la vallée / Jusqu'à la mer et tout l'été / de passer des heures futiles / Sur les pierres chaudes, couché / Sans jamais craindre d'être dérangé (…) Ici les cigales peuvent chanter. »

C’est pourtant depuis le « Dôme de Cyrnée », en Corse, que Barbara Carlotti a souhaité nous avertir de l’existence d’une « Direction Gouvernementale du Rêve Généralisé », œuvrant en secret à la constitution d’une fédération d’îles oniriques « de résistance », « contre la glaciation cérébrale autoritaire de nos gouvernements », parmi lesquelles se comptent déjà la Sicile, Marie-Galante ou Porquerolles. Quel est le programme ? « Dessiner des fresques tactiles sur les roches abrasives, goûter la foudre et givre, rouler nos corps nus dans la boue et les algues, fondre dans les bruines fraîches au réveil, mastiquer l’air pur des montagnes, enlacez les grands arbres, nous mêler au banc de poissons, aux troupeaux de brebis, aux nuées de sauterelles, coiffer nos crinières dans les taillis touffus, danser dans les bourrasques, embrasser le soleil, caresser tous les chemins de terre et les pelages velus, prodiguer des messages d’amour aux animaux charnus. »

Pour lire les scénarios de la « Red Team », c’est là : https://www.defense.gouv.fr/aid/actualites/la-red-team-defense-publie-ses-deux-premiers-scenarios

Pour voir le beau clip super-8 et familial d’Ici de Barbara Carlotti, c’est… ici : https://www.youtube.com/watch?v=K3mZed0SQxE&ab_channel=BarbaraCarlotti

Image : Les Garçons sauvages, de Bertrand Mandico (2018).

25 janvier 2021

6:47

Stanislas Moussé : « Demain, nous serons anarchistes, mais à l’Iroquoise »

Ce dessinateur et berger alpin envoie paître le capitalisme en rêvant d’une « grève générale », qui réorganiserait la France en fédération de ZAD selon des principes « d’harmonie et de justice » empruntés aux nations amérindiennes.

C’est un ogre énorme, gigantesque et cyclopéen, aux dents pointues, qui parcourt en slip les plaines d’un royaume de petits bonhommes qu’il dévore sur son passage avec avidité. C’est aussi et surtout le terrible « vilain » d’une bande dessinée de Stanislas Moussé, Le Fils du roi, publiée en novembre dernier aux éditions Le Tripode. Suite directe de Longue vie (2020), l’album, entièrement muet, en noir et blanc, minutieux et fourmillant de détails, strié de traits hachés, rythmé de carnages, de planches gargantuesques et de gags presque burlesques, suit la tentative d’un micro-chevalier (cyclope, lui aussi) pour débarrasser sa contrée héroïque fantaisiste du monstre sanguinaire. Il y parviendra, grâce à son courage, avec l’aide d’une ermite fumeuse de pipe, qui lui enseigne les travaux de la ferme.

Originaire de la région nantaise, installé en famille dans le massif alpin des Bauges où il est également berger, Stanislas Moussé a rouvert pour L’Arche de Nova son exemplaire d’Une histoire populaire des Etats-Unis, le best-seller du politologue américain Howard Zinn (National Book Ward, 1980), qui va de la « découverte » du continent par Christophe Colomb jusqu’à la « guerre contre le terrorisme » post-11-Septembre. Au début, Zinn décrit le fonctionnement de certaines sociétés indigènes, parmi lesquelles la nation iroquoise, en citant son confrère Gary B. Nash : « Nulle loi ni ordonnance, ni shérifs ni gendarmes ni juges ni jurys ni cours de justice ni prisons – tout ce qui compose l’appareil autoritaire des sociétés européennes –, rien de tout cela n’existait dans les forêts du Nord-Est américain avant l’arrivée des Européens. Pourtant, les limites du comportement acceptable y étaient clairement déterminées. (…) Celui qui volait de la nourriture ou se conduisait lâchement au combat était couvert de honte par son peuple et mis à l’écart de la communauté jusqu’à ce qu’il eût expié sa faute par ses actes et apporté la preuve, à la plus grande satisfaction de ses congénères, qu’il s’était moralement purifié de lui-même. »

Inspiré, Moussé rêve alors d’une « grève générale », qui réorganiserait la France en fédération de ZAD anarchistes, selon ces principes « d’harmonie et de justice ». Hugh !

Pour découvrir Le Fils du roi de Stanislas Moussé, c’est ici : https://le-tripode.net/livre/stanislas-mousse/le-fils-du-roi

Image : Little Big Man, d’Arthur Penn (1970).

21 janvier 2021

4:46

Ruby Cicero : « Demain, le secret sera de rire, rire, rire, du ventre et du cerveau »

Cette cinéaste et scénariste sicilienne, qui œuvre à « percevoir la face cachée des choses », nous conseille de veiller « au Saint-Esprit de la Savane » : un rire de qualité, os à ronger d’un futur qui ressemblera, lui, à « une énorme chienne chaude ».

« La fin des pyjamas ? La panique est à son comble. L’état d’urgence est déclaré. » En 2016, dans un drôle de court-métrage en stop-motion intitulé Pyjama suicide, Ruby Cicero et Arsène Chabrier mettaient en scène la funeste révolte des tenues de nuit : le pyjama d’une maman clopeuse à bigoudis coincée dans son fauteuil roulant, tout comme celui de son vieux fils super-branleur, ne songent qu’à mettre fin à leurs jours. Les deux chemises et les deux pantalons essayent de se flinguer, de s’immoler, de se jeter par la fenêtre – ils y parviennent, malgré les efforts burlesques de leurs propriétaires pour empêcher ce massacre pilou-pilou. Aux infos, on parle d’épidémie mondiale. Et ce n’est pas fini, car Pyjama suicide pourrait bien devenir une série d’ici 2022, avec la participation de Marc Caro (Delicatessen, La Cité des Enfants perdus).

Cinéaste et scénariste sicilienne d’obédience surréaliste, qui œuvre à « percevoir la face cachée des choses, trouver une réalité invisible » à travers ses vidéos et ses collages, Ruby Cicero vit et travaille entre Montpellier, Toulouse et Paris. En 2019, elle co-signait avec Kelzang Ravach le clip scintillant, aquatique et « björkesque » de The Sea, pour La Chica – qu’elle retrouva en participant à celui, furieux et ensanglanté, de La Loba, réalisé par Marion Castera.

Au sein de l’univers excentrique de Ruby Cicero (catch mixte, femmes-ninjas, usine de confettis), il faudra désormais compter avec sa métaphore animale d’un futur désirable : « une énorme chienne chaude, qui murmure : maintenant, maintenant, encore et encore », molosse qu’elle promène sur le pont de notre Arche, en traduisant – avec son accent troublant – ce que la bête « au poil si fort qu’on pourrait fouetter ceux qui se demandent : qu’est-ce qu’on fait demain ? » aimerait nous voir accomplir. Andiamo les diamants.

Pour voir le premier épisode de Pyjama suicide, les clips et les courts-métrages de Ruby Cicero, c’est ici : https://vimeo.com/user18077481

Image : Piyo-Piyo de Peemaï, clip réalisé par Ruby Cicero (2019).

20 janvier 2021

3:53

Jean-Christophe Cros : « Demain, le seul moyen de pleurer sera d’aller manifester »

Cet étudiant du master de création littéraire du Havre nous ouvre les paupières sur une dystopie où les yeux sont toujours secs. Pour raviver les larmes, une loi rend soudain les manifs « obligatoires » et les CRS… très attractifs.

« Il était resté trop longtemps enfermé (…) Tout avait fui. » Dans A4, l’une de ses pièces sonores confectionnées par temps de confinement, Jean-Christophe Cros imagine la trajectoire d’un homme qui décide de « sortir,pour reconstruire l’avenir, une nouvelle ligne, une nouvelle possibilité ; même sur un kilomètre, c’est déjà bien ; envisager la suite, même pour une heure, c’est déjà ça. Mais le temps et l’espace avaient disparu. » Son héros ne se laisse cependant pas abattre : il imprime cinquante attestations gouvernementales et construit « la seule chose qu’il savait faire : un bateau en papier». Il se rend alors jusqu’à l’océan mais, flûte, l’océan s’est fait la malle lui aussi. Pourtant, l’homme « s’enfonce dans l’eau absente, jusqu’à ce que la conscience n’ait plus pied». Or, progressivement, « le bruit des imprimantes se mit à envahir toute la ville. De plus en plus de gens arrivèrent là où il n’y avait plus de sable, plus de bord, plus d’écume, les bras chargés de photocopies. »

Cette histoire, qui rappelle les nouvelles de Julio Cortázar, possède quelques points de fuite avec le futur imaginé par cet étudiant du master de création littéraire du Havre, ex-professeur d’arts plastiques qui s’intéresse de près à l’image et au « bruit», à bord de notre Arche (constituée, elle, de papiers, mais pas seulement). Dans Lacryma, texte qui deviendra « peut-être» un roman, Jean-Christophe Cros nous ouvre les paupières sur une dystopie où plus personne ne pleure : les canaux lacrymaux sont bouchés, d’abord ceux des enfants, pour toute la population mondiale. « L’être humain ne sera plus capable de verser la moindre larme, sans un rituel bien précis.» Lequel ? « Les manifestations deviendront obligatoires.La manifestation deviendra principe fondamental de vie.Le gaz lacrymogène sera l’unique moyen de générer une forme d’eau.Le gardien de la paix sera élu plusieurs années d’affilée : gendre idéal. » L’amour, cette façon méconnue de tenir tête aux violences policières.

Pour écouter les pièces sonores de Jean-Christophe Cros, c’est ici : https://soundcloud.com/jc-cros

Image : Un pays qui se tient sage, de David Dufresne (2020).

19 janvier 2021

4:28

Gabriela Trujillo : « Demain, on encouragera le parapente pour enjamber le chagrin »

Autrice d’un essai raffiné sur le réalisateur de « La Grande bouffe », cette historienne du cinéma, Salvadorienne et Parisienne, nous mitonne une orgie « d’astuces » surréalistes capables, peut-être, de « réparer le temps malade ».

« Etant donné un coup de foudre. Ou, ce qui lui ressemble étonnamment, l’apocalypse – révélation, fin du monde, début d’un autre… » Pour Marco Ferreri – le cinéma ne sert à rien, son premier livre publié en janvier aux éditions Capricci, Gabriela Trujillo a enquêté, de Paris à Bologne, de Turin à Barcelone, de la Calabre à Berlin, pour documenter « l’amour de conjurés » que vouent certains spectateurs « ravis ou traumatisés » au metteur en scène italien de Dillinger est mort (1969), La Grande bouffe (1973) ou des Contes de la folie ordinaire (1981).

D’après cette rigoureuse et très spirituelle historienne du cinéma, qui collabore depuis de nombreuses années avec la Cinémathèque française, Marco Ferreri « s’évertue à inventer pour chaque film, une dystopie en forme d’utopie. Ses films poussent jusqu’à des conséquences absurdes une idée initiale (…) : un homme pose une unique question à laquelle personne ne veut ou ne peut répondre ; une femme veut constituer son harem ; le dernier couple sur terre réapprend à vivre (…). » Minute, papillon : ne s’agit-il pas, presque au pied de la lettre, du principe fondateur de ce podcast ?

 D’où l’envie spontanée de proposer à cette Salvadorienne installée à Paris, amatrice éclairée des logiques pataphysiques d’Alfred Jarry, de grimper sur le pont de notre Arche. Et la voici qui mitonne une orgie « d’astuces » surréalistes capables, peut-être, de « réparer le temps malade » ou, plus modestement, de nous « désarçonner », selon l’hypothèse formulée en préambule de son bel essai rose au sujet de la « fonction » du cinéma, si celui-ci « sert » à quelque chose, question que se posa Ferreri un matin de chaude déprime. Avertissement : le film sonore qui va suivre contient un « parapente enjambe-chagrin », un « fantasmodrome » ou encore une « montagne de poche ». En toute logique onir

ique, le premier roman de Gabriela Trujillo, à paraître en septembre aux éditions Verticales, s’intitule L’Invention de Louvette

Image : Rêve de singe, de Marco Ferreri (1977).

18 janvier 2021

4:30

Pilote le Hot : « Demain, on fera fi de l’art zéro risque »

Tous les jours de l’hiver de 12h à 18h, ce slammeur aguerri de Belleville concocte une soupe populaire ouverte « aux étudiants, aux punks africains, aux mamies en galère », ingrédient d’un avenir solidaire.

« On fait notre taf d’artistes : t’as faim, tu manges, tu cherches, tu trouves. » Depuis novembre 2020, la place Fréhel, à l’angle de la rue de Belleville et de la rue Julien-Lacroix, est devenue une sorte d’oasis « d’aide alimentaire et solidaire ». Sept jours sur sept de 12h à 18h, pendant tout l’hiver, des bénévoles distribuent de la soupe gratuite « aux coursiers, aux punks africains, aux intermittents venus d’Italie, aux étudiantes, aux mamies en galère, aux virés d’l’h.p en liberté, au DJ poussé d’l‘hélicoptère, aux flics, putes, truands et trépanés ». Les légumes sont chinés ou offerts, puis épluchés, lavés, découpés, chauffés, touillés, remués, avec du pain, du fromage, des épices et une bonne playlist funk.

Derrière cette initiative généreuse, l’un des héros de Belleville : Pilote le Hot, slammeur aguerri et importateur de cette discipline depuis 1995, créateur du « Grand National Slam » (depuis 2002) et de la coupe du monde de slam (depuis 2004), directeur artistique du cabaret populaire Culture Rapide (103 rue Julien-Lacroix, Paris 20e), ayant essaimé ses rimes aux quatre cents coins de la planète, de Nantes au Zimbabwe, de Chicago à Saint-Pétersbourg, de Berlin à Antanarive. « Les soupes c’est un rêve de poète, a écrit Pilote début janvier sur la page Facebook de l’événement quotidien. C’est un ventre qui fait la fête / Un sourire qui nourrit le cœur / et qui distille un peu d’chaleur / Un arc-en-ciel dans l’gris maussade / des rues d’Paris qui sont trop sad. »

D’où l’envie de lui demander, dans le fumet de cette exemplaire utopie concrète, de nous cuisiner à bord de L’Arche de Nova un slam inédit sur un futur d’entraide, que voici. Chaud devant !

Renseignements : lessoupesdebelleville@gmail.com

Pour revoir Pilote le Hot parler de la coupe du monde de slam dans la Nova Book Box, c’est là : https://www.youtube.com/watch?v=TnsWssEYhV8&ab_channel=RadioNova

Image : De la soupe populaire au caviar, d’Edgar Kennedy, avec Laurel et Hardy (1928).

14 janvier 2021

4:14

Thomas Vinau : « Demain, le posse Alain-Rey va renommer le monde »

Auteur d’un roman survivaliste façon Take Shelter pour les branques, ce poète du Lubéron orchestre le « recyclage des mots usés » avec l’aide d’un « collège espiègle et barbu d’enfants et d’étymologistes » qui veut « mettre des pichenettes au réel ».

« Le monde est parti en sucette (…) tu bailles et bim tu te retrouves dans un Tex Avery écrit par Kafka sous LSD. » Dans Fin de saison, son dernier roman (enfin) sorti cet automne aux éditions Gallimard, Thomas Vinau déplie la réaction improvisée d’un drôle de gus face à l’apocalypse, décrite comme une « dégoulinade » de « merde grise et glacée » tombant du ciel et déracinant les arbres. L’homme s’enferme dans sa cave avec son clebs et son lapin, organise son « catakit », kit de survie par temps de catastrophe, et s’interroge : « Comment c’est là-haut ? Est-ce que la terre se transforme en rouille pendant que les machines apprennent à pleurer pour nous ? Est-ce que l’océan est rose ? Est-ce que deux femmes sont en train de s’entre-dévorer ? Est-ce qu’il reste un vieillard, aveugle, qui erre en demandant pardon ? Est-ce que des enfants se battent nus dans la neige contre des géants ? Est-ce que le vent quelque part caresse les pages d’un livre oublié sur un banc ? »

Gars attachant. Mais a-t-il toutes les pièces dans sa caboche ? Celles et ceux qui ont vu Take Shelter, le fabuleux mélo parano de Jeff Nichols, apprécieront. « … Pandémie, ravage, réserve, bombe (…), voilà le champ lexical du bouzin. J’avais faim moi avec ces conneries ! D’abord c’était intriguant. Et rigolo. J’ai commencé par me moquer de tout ce folklore. Et puis je me suis pris au jeu. Mais finalement ça m’a fatigué, énervé, voire dégoûté. Cette espèce de mélange de hippie et de nazi. Cette hybridation bizarre entre le cinéma et le religieux. Les gens trop premier degré, y a pas mieux pour me vacciner de croire. »

Son créateur, lui, a encore foi dans le vertige des possibles. En témoigne cette utopie verbale collective, où Thomas Vinau – qui vient également de publier Les Sept mercenaires, hommage en vers libres à « sept chiens magiques, sept moudjahidines de la bibine, de la littérature américaine, avec les dessins de Régis Gonzalez, aux éditions du Réalgar – orchestre depuis son Lubéron le « recyclage des mots usés » pour « mettre des pichenettes au réel ». « Chaque jour de l'an, un collège espiègle et barbu d'enfants et d’étymologistes, le posse Alain-Rey, sélectionnera, assouplira, modulera et colorera une tripotée de mots abusés. Tous les intervenants politiques, experts, éditorialistes et compagnie auront alors pour obligation de changer de registre sous peine d'être transformé.e.s en poules. »

Face à cette menace, les premiers mots modifiés seront « force », « idée » et « crise »… qui deviendront « biscotto », « bidouille » et « fadaterie ».

Pour écouter Thomas Vinau livre un extrait de Fin de saison à bord de L’Arche de Nova, c’est là : https://www.nova.fr/news/thomas-vinau-demain-empale-les-gourous-36164-23-03-2020/

Image : Take Shelter, de Jeff Nichols (2011).

13 janvier 2021

3:29

Sigolène Vinson : « Demain, on se taillera des branchies derrière les oreilles »

Au bord de l'étang de Berre, cette journaliste et romancière férue de plongée nous immerge dans l’inéluctable futur océan planétaire... où, après force mutations, nous « phosphorerons de nouveau dans les grandes profondeurs »

« Il faut bien noyer son chagrin. » Au tout début de La Canine de George, son dernier roman publié ce mois-ci aux éditions de l’Observatoire, Sigolène Vinson confie, sans spécifiquement la nommer, la peine qui l’étreint encore quand elle pense à ceux qui sont « morts sous ses yeux » : ses amis et collègues de Charlie Hebdo, assassinés le 7 janvier 2015. Miraculeusement épargnée par les tueurs, elle se console aujourd’hui en tombant amoureuse de George Harrison, ou plus exactement : de l’une des dents de l’ex-Beatle, une canine pointue, qui chevauche l’incisive. Un « cas d’école », d’après une étude dentaire des années 60, prétexte à un récit transgénérationnel entre Liverpool et l’utopique ex-« ville libre » autogérée de Christiana, à Copenhague. Et comme dans n’importe quel album des Fab Four en groupe ou en solo, toutes les fantaisies sont autorisées.

L’un des personnages, Angelo, « gourou repenti et astrologue de pacotille », rêve par exemple qu’il « avale la mer », baignant dans un amas de cellules originelles, « milliers de poches minuscules et translucides (…) dotées d’un cerveau dont l’activité neuronale produit une douce lumière fluorescente, à moins que ce ne soit les rais du soleil qui donnent même au plancton un air d’intelligence, car tout brille. »

Un songe proche du futur désirable formulé par Sigolène Vinson, férue de plongée sous-marine et qui, depuis l’étang de Berre (Bouches-du-Rhône), glisse sur son surf pour se rendre près du port où est amarrée notre Arche. « Ce serait bien qu’on se débrouille pour que tout fonde. Les océans recouvriront 100% de la planète. On se taillera des branchies dans le cou ou derrière les oreilles, pour pouvoir respirer et ne plus jamais, mais alors plus jamais remonter à la surface. Les plus doué.e.s d’entre nous seront même parvenus à s’atrophier de tous leurs membres, le cœur et le cerveau en premier. Et tout redeviendra comme avant, mais pas avant quand c’était mieux : au moment de la cellule originelle, du dernier ancêtre commun universel, quand on phosphorait dans les grandes profondeurs et qu’on se laissait bercer par les courants. On se souviendrait qu’on est tout petits dans l’univers et que notre galaxie surfe sur un océan spatial. »

Habillage : Juste Bruyat.

Pour écouter l’utopie sous-marine de David Wahl, c’est ici : https://www.nova.fr/news/david-wahl-demain-locean-sera-uni-aux-villes-42130-17-11-2020/

Image : Waterworld, de Kevin Costner (1995).

11 janvier 2021

2:58

Ariel Kyrou (5/5) : « Demain, l’excès sera l’excrément»

Auteur d’un essai en forme de réservoir à fictions vitales pour bricoler l’après, ce journaliste parisien milite pour l’éco-anarchisme des romans d’Ursula K. Le Guin, John Brunner et Ernest Callenbach.

« Ce livre est peut-être la chose la plus importante qui soit arrivée à la science-fiction hexagonale depuis les fulgurances inoubliables de Serge Lehman. » Alain Damasio ne tarit pas d’éloges, à mi-parcours dudit ouvrage, à propos du dernier essai d’Ariel Kyrou, Dans les imaginaires du futur, qui vient de paraître aux éditions Actu SF. Fidèle à sa fièvre de contestation des impasses politiques et des formatages de toute obédience, l’auteur de La Horde du Contrevent détaille, le temps d’une « volte-face », la noble intention de ce pavé rose et blanc de 600 pages : comprendre, à travers l’examen érudit de romans, films, séries ou bandes dessinées d’anticipation, lesquels ne se contentent pas de nous divertir ou de reconduire en pire les schémas existants, mais offrent « armes de jet et lignes de fuite pour se construire un avenir» ou « décheniller les tanks de ce néolibéralisme inepte» ; ceux qui produisent « un imaginaire du dérangeant, du dégenré, intranquille et secouant, perclus de trous de ver, de percées vers le possible, caffi d’espoirs aussi. » Bref : des futurs désirables, comme ceux qui bourgeonnent au quotidien sur la proue de ce podcast.

C’est pourquoi, devant cette généreuse caisse à outils fictionnels pour-bricoler-l’après, la tentation de tendre le micro à Ariel Kyrou fut à peu près irrésistible. Rédac’ chef adjoint du magazine Actuel de 1989 à 1993, cet essayiste parisien, spécialiste de Philip K. Dick et directeur éditorial du Laboratoire des solidarités (solidarum.org), nous fait parvenir aujourd’hui le dernier module d’une série de cinq chroniques consacrées aux « utopies lucides, terrestres et anarchistes ».

« N’oublions pas que le texte fondateur du genre, L’Utopie de Thomas More, publié en 1516, décrit une île ayant opéré une sécession radicale vis-à-vis de la société, de façon à abolir l’argent et la propriété. Propriétaires et profiteurs en sont donc chassés, et sommés de ne jamais y remettre les pieds », rappelle Kyrou dans son ouvrage, en précisant que tout ceci ne se fait pas sans violence. À bord de notre Arche, il évoque trois romans éco-anarchistes et solidaires : Les Dépossédés de l’Américaine Ursula K. Le Guin (1974), qui tente de « supprimer la souffrance sociale » ; Sur l’onde de choc de l’Ecossais John Brunner (1975) où « tout le monde semble prêt à tout le monde » ; Ecotopia de l’Américain Ernest Callenbach (1975), où « le chaos financier doit être délibérément organisé ». On reste comme possédé par cet extrait des Dépossédés, cité dans son livre par Ariel : « … Si c’est vers le futur que vous vous tournez, alors je vous dis qu’il faut aller vers lui les mains vides. Vous devez y aller seuls, et nus, comme l’enfant qui vient au monde, qui entre dans son propre futur, sans aucun passé, sans rien posséder, un futur dont la vie dépend entièrement des autres gens. Vous ne pouvez pas prendre ce que vous n’avez pas donné et c’est vous-même que vous devez donner. »

Pour écouter la précédente utopie d’Ariel Kyrou, c’est ici : https://www.nova.fr/podcast/larche-de-nova/ariel-kyrou-45-demain-nous-accueillerons-le-migrant-radical-lextraterrestre

Image : Arnold Schwarzenegger et Paul Verhoeven sur le tournage de Total Recall, de Paul Verhoeven (1990).

07 janvier 2021

4:40

Camille Brunel : « Demain, la psychanalyse sera enseignée dès l’école primaire »

Lauréat 2020 du Prix de la Page 111, cet écrivain de Châlons-en-Champagne réclame la démocratisation des explorations de l’inconscient. Et si dénouer nos obsessions, soulager nos traumas, était aussi banal que l’eau courante ?

« Quelles chances avais-je de devenir cétacé, grand singe ou éléphant ? (…) Les avions commençaient à tomber. Arches de Noé saturées d’animaux (…) On racontait que le pilote du vol Los Angeles-Sidney s’était mis à hennir au milieu du Pacifique.»Mais où sommes-nous ? Dans le cabinet d’un psy, au chevet d’un patient aux songes assez bestiaux ? Paru en septembre aux éditions Alma, récompensé sur Nova du très convoité Prix de la Page 111, Les Métamorphoses, le second roman de Camille Brunel, 34 ans, se déroule dans un avenir assez proche, où une « pandémie de métamorphoses » transforme soudain en animaux, au hasard, 300 000 de nos compatriotes. En hyène, en écrevisse, en brebis, en taon. Ou en cheval, coincé dans un cockpit.

Pour son second futur désirable – le temps d’une carte blanche d’une durée de 11 mois et 1 semaine sur notre antenne, suite à l’obtention de son prix –, cet admirateur de Lautréamont, qui vient de terminer un «Eloge de la baleine » à paraître aux éditions Rivages, réclame aujourd’hui l’indispensable démocratisation de la psychanalyse. 

« C’est une découverte plutôt récente, n’est-ce-pas ? 150 ans, maximum ? Qu’est-ce qu’on connaissait des Amériques, 150 ans après Christophe Colomb ? (…) L’inconscient, les rêves, les névroses, on regarde ça avec la circonspection des Européens à qui on parlait de Californie sous Louis XIII. » Que se passerait-il si dénouer nos obsessions, éclairer et soulager nos traumatismes, était aussi ordinaire qu’avoir accès à l’eau courante ? Si les théories de Freud et de Lacan figuraient au programme de CM1 ? « Les enfants et les ados seront bien conscients de ce qui les bloque. Ils en parleront entre eux, considérant leur esprit comme une énigme à débloquer. Les traumatismes seront traités avec le même sang-froid que les plaies ouvertes : on ne passera plus des années à prétendre qu’on n’a pas le bras cassé avant d’aller aux urgences » ,ni « des décennies à s’interroger sur la meilleure façon d’agir vis-à-vis de nos parents. » Le tout, avec l’aide des intelligences artificielles, qui « repéreront les schémas qui se répètent, les tics de langages, les lapsus »… plutôt que de « flatter notre ego comme on félicite un bon cheval » En selle, Sigmund !

Habillage : Juste Bruyat.

Pour écouter la précédente utopie de Camille Brunel, c’est là : https://www.nova.fr/podcast/larche-de-nova/camille-brunel-demain-des-animaux-siegeront-lassemblee

Image : Annie Hall, de Woody Allen (1977)

05 janvier 2021

3:45

Elise Goldberg : « Demain, nouveau vaccin : le B. C. G., pour une Baise Complètement Généralisée »

Une piqûre et hop : la jalousie a disparu ? C’est l’idée follement désirable de cette correctrice et secrétaire d’édition, diplômée du master de création littéraire de Paris-VIII. Tous au labo, et que ça saute !

« Un fantôme demande à sa petite-fille de cuisiner pour lui, ce qui oblige cette dernière à sortir des limites de son existence étriquée. » Dans le roman qu’elle est en train d’écrire, Elise Goldberg entend « mêler le culinaire à la question des origines », en concoctant notamment de la carpe farcie. Mais cette correctrice et secrétaire d’édition, qui suivit pendant deux ans les cours du master de création littéraire de Paris-VIII, tout en animant elle-même des ateliers d’écriture, vient d’avoir une autre idée pour nous sortir des limites d’une existence étriquée. 

La fin de la jalousie, tout simplement. Pour contrer « ce fléau, qui fait exploser la consommation d’antidépresseurs et de consultations psy », le gouvernement français commandera bientôt un nouveau vaccin : le B. C. G., « pour une Baise Complètement Généralisée ». Etrangement, la quasi-totalité de nos compatriotes se soumettra sans se plaindre à la piqûre en un temps record, découvrant en masse le mot « compersion », « cette joie qu’on éprouve quand on apprend que l’être cher est comblé, même si ce bonheur passe par un cinq à sept ailleurs que dans vos bras. On sera bientôt capable d’aimer plusieurs personnes à la fois sans chagriner sa moitié, qui ne sera d’ailleurs parfois plus que son tiers, son quart ou même son huitième. La vie de trouple, voire de troupe, ne tardera pas à devenir la norme ».

Conséquences jouissives : « La polygamie sera autorisée et le délit d’adultère, cet archaïsme juridique, aura enfin été supprimé du code civil. Naîtra la famille mosaïque, avec la mère, le père et d’autres personnes qui auront autant de légitimité dans le foyer. L’éducation des enfants ne pourra que gagner à cette fréquentation quotidienne d’autres adultes qui les dégagera du carcan papa-maman. » Tous au labo – et que ça saute !

Image : Brigitte Lahaie et Stéphane Audran dans Les Prédateurs de la nuit, de Jésus Franco (1987).

04 janvier 2021

4:31

Ariel Kyrou (4/5) : « Demain, nous accueillerons le migrant radical : l’extraterrestre »

Auteur d’un essai en forme de réservoir à fictions vitales pour bricoler l’après, ce journaliste parisien grimpe à bord des vaisseaux intersidéraux de la romancière Becky Chambers, peuplés d’utopies multiraciales.

«Ce livre est peut-être la chose la plus importante qui soit arrivée à la science-fiction hexagonale depuis les fulgurances inoubliables de Serge Lehman. » Alain Damasio ne tarit par d’éloges, à mi-parcours dudit ouvrage, à propos du dernier essai d’Ariel Kyrou, Dans les imaginaires du futur, qui vient de paraître aux éditions Actu SF. Fidèle à sa fièvre de contestation des impasses politiques et des formatages de toute obédience, l’auteur de La Horde du Contrevent détaille, le temps d’une « volte-face », la noble intention de ce pavé rose et blanc de 600 pages : comprendre, à travers l’examen érudit de romans, films, séries ou bandes dessinées d’anticipation, lesquels ne se contentent pas de nous divertir ou de reconduire en pire les schémas existants, mais offrent « armes de jet et lignes de fuite pour se construire un avenir» ou « décheniller les tanks de ce néolibéralisme inepte» ; ceux qui produisent « un imaginaire du dérangeant, du dégenré, intranquille et secouant, perclus de trous de ver, de percées vers le possible, caffi d’espoirs aussi. » Bref : des futurs désirables, comme ceux qui bourgeonnent au quotidien sur la proue de ce podcast.

C’est pourquoi, devant cette généreuse caisse à outils fictionnels pour-bricoler-l’après, la tentation de tendre le micro à Ariel Kyrou fut à peu près irrésistible. Rédac’ chef adjoint du magazine Actuel de 1989 à 1993, cet essayiste parisien, spécialiste de Philip K. Dick et directeur éditorial du Laboratoire des solidarités (solidarum.org), nous fait alors parvenir aujourd’hui le quatrième module d’une série de cinq chroniques consacrées aux « utopies lucides, terrestres et anarchistes ».

Et si ces utopies terrestres s’inspiraient, cette fois, d’un ailleurs absolu ? Dans son livre, Kyrou rappelle que « Star Wars et Star Trek », par leur « myriade cocasse d’extraterrestres », proposent « un joli zeste d’utopie cosmopolite et multiraciale, une graine qui ne demanderait qu’un peu de jardinage pour s’épanouir sous mille formes plus ou moins transgressives ». tout comme la société coopérative de la « trilogie de Mars » de l’écrivain californien Kim Stanley Robinson (1992-1996). « Cette quête nous ouvre sur d’autres vies, d’autres possibilités, explique Ariel sur Nova.  L’extraterrestre, c’est la figure de l’altérité radicale. De l’étranger. Du migrant. Dans les romans de l’Américaine Becky Chambers, débutés en 2016 avec L’Espace d’un an, la vie commune au sein du vaisseau Voyageur, qui creuse des tunnels dans l’espace, fabrique l’utopie lucide d’un art de vivre entre espèces intelligentes à l’opposé les unes des autres (...) Comme l’amibe télépathe de Ganymèden dans Les Clans de la lune alphane de Philip K. Dick (1964), incarnation de l’empathie qui sauve un humain qui voulait se suicider ». 

« Si loin des mirages de l’économie dominante », ces hypothèses spatiales nous aideront peut-être à rendre notre planète « plus accueillante vis-à-vis de l’autre, à l’écoute de solutions alternatives ».

Pour écouter la précédente utopie d’Ariel, c’est ici : https://www.nova.fr/podcast/larche-de-nova/ariel-kyrou-35-demain-la-nature-prendra-la-parole

Le dernier épisode sera diffusé le 7 janvier, à 7h10.

Image : Paul, de Greg Mottola (2011).

17 décembre 2020

5:06

Mattia Filice : « Demain, tous les mots seront payants »

Ce conducteur de train, étudiant du master de création littéraire de Paris-VIII, déraille le temps d’une dystopie où chaque parole prononcée est facturée par des multinationales. Mais qui s’offrira le mot « révolte » ?

« Je vole des mots au détour de conversations sur les quais, je les attrape avec plus ou moins de brio selon la vitesse de la locomotive, en les regroupant ensuite dans un petit carnet pour qu'ils ne se sentent pas trop seuls. » D'origines « calabraise, dauphinoise, bretonne et lyonnaise », Mattia Filice vit à Paris et conduit des trains depuis plus de quinze ans, en poste de départ(s) à Saint-Lazare. Mais depuis plus longtemps encore, ce cheminot crée des correspondances entre la parole, le son et les images, via des petits objets filmiques inachevés. Inscrit au master de création littéraire de Paris-VIII, il envisage désormais de publier un livre inspiré de son expérience ferroviaire, à plus d’un titre d’ailleurs, avec « des accélérations et des freinages, des arrêts et des enrayages ».

Le seul déraillement qu’on lui souhaite est celui qu’il nous confie. Sur le quai où L’Arche de Nova est amarrée, Mattia imagine une dystopie où chaque parole est facturée par des multinationales. « Les mots seront PROPRIÉTÉ PRIVÉE et nous les louerons le temps d’une prononciation. On prétendra qu’il s’agit de lutter contre la pollution, car parler dégage du Co2. » Le prix variera selon le nombre de lettres, le poids syllabique, « la mode » et le cours de la bourse. Telle compagnie s’appropriera tout le vocabulaire du sentiment, une autre fera des promos « sur la famille des lépidoptères pour pouvoir nommer les noms des papillons à vos enfants pendant une randonnée ! » Les opérateurs téléphoniques incluront dans leur forfait un nombre de termes à ne pas dépasser. De même pour les salariés pour qui les entreprises auront des abonnements sur un lexique précis.

Au quotidien, des micros seront disposés « tous les quatre mètres carrés » pour nous faire raquer. « Une caste de nouveaux riches se pavanera, dépensera sans compter ; la logorrhée sera un luxe. Pour les autres, il faudra être concis, bien peser ses mots ». Et cela, jusqu’au « Grand Silence ». Mais…

 (L’enregistrement de cette vision futuriste a coûté 515 euros à son auteur. Merci de l’écouter jusqu’au terminus.)

Image : Brazil, de Terry Gilliam (1985).

16 décembre 2020

4:17

Arthur-Louis Cingualte : « Demain, des spectres prendront d’assaut les cieux »

À Bordeaux, cet historien de l’art, auteur d’une « Évangile selon Nick Cave », craint pour les oiseaux menacés par l’installation d’antennes « 7G » qui pourraient aussi... ressusciter « des voix anciennes ».

« À bord du grand carnaval électrique, Nick Cave est le preacher, celui qui invoque la diégèse biblique et débite des merveilles à faire peur. Tout dans son allure va dans ce sens : costumes satinés et cheveux noirs, défroque qui transpire par tous les pores, chevalières et chaînes dorées. Soumis à la possession de légions d’esprits supérieurs, le doigt accusateur et le corps écartelé par tous les anges qui voisinent dans le coin de la voix, les genoux au sol et les mains au ciel, il lutte au centre du ring des divinités psychopathes. » 

Amen. Ainsi démarre, quasiment, le sermon d’Arthur-Louis Cingualte consacré à l’archevêque des Mauvaises Graines : son premier livre, L’Évangile selon Nick Cave, présenté comme un « gospel de l’Âge du Fer Rouillé » et publié cet automne aux éditions de L'Éclisse. Un essai rock précis, habité, gorgé de références littéraires et liturgiques, à réserver pour Noël aux fans transis du crooner mystique australien.

Mais l’interprète et compositeur de l’endeuillé Ghosteen (2019, que Nick écrivit en mémoire de son fils Arthur mort à 15 ans en tombant d’une falaise anglaise), n’est plus le seul à «  débiter des merveilles à faire peur » . À Bordeaux, Arthur-Louis Cingualte, 34 ans, historien de l’art, collaborateur régulier de la revue cinéphile La Septième Obsession et auteur d’une thèse sur « l’esthétique du voyeurisme », regarde en l’air et prédit qu’un futur « quadrillage 7G » aura raison « du chant des oiseaux ». Alors, telle une planche ouija d’envergure mondiale, « ce sera le moment pour que d’autre voix, de vieilles voix » reviennent nous visiter. L’assaut des spectres, baby

Et le premier de ces fantômes électromagnétiques sera celui d’Armand Robin, « fils de paysans bretons né en 1912, poète et folkloriste anarchiste que la police a tabassé à mort en 1961, qui écoutait toutes les radios et parlait toutes les langues. L’homme des ondes par excellence ». Soumis à son tour « à la possession de légions d’esprits supérieurs », Cingualte ressuscite un enregistrement médiumnique : le pessimiste Programme en quelques siècles, signé Robin en 1946 au sein d’une plaquette de poèmes indésirables, lu par… Jean-Luc Godard, qu’Arthur-Louis accompagne au piano. Conclusion riche en interprétations apocalyptiques : « Au nom de rien on supprimera l’homme ; On supprimera le nom de l’homme ; Il n’y aura plus de nom ; Nous y sommes. »

Habillage : Juste Bruyat.

Image : Fantômes contre fantômes, de Robert Zemeckis (1996).

15 décembre 2020

4:30

Poundo : « Demain, nous allons vaincre le virus de la connerie »

Entre Paris et New York, cette danseuse, chanteuse et mannequin franco-sénégalaise révèle que plusieurs chefs d’Etat auraient accepté d’être vaccinés, en avant-première, contre le covid. Les résultats sont surprenants.

« Née pour crâner », dit-elle à tout bout de champ. Poundo peut. D’abord, le parcours. Danse classique et contemporaine, dès 8 ans, au conservatoire de Boulogne-Billancourt, complétée par des cours de piano, de solfège et chant. Elle dansera vite pour Marie-Claude Pietragalla, Jérôme Savary, le Cirque du Soleil, puis Alicia Keys, Sting, Orelsan ou Aya Nakamura, quand elle n’interprète pas l’une des compagnes de Fela Kuti dans une comédie musicale acclamée à Broadway.

Mais ce n’est pas fini pour le « couteau suisse », selon le surnom que lui donnent ses amis : Poundo est aussi mannequin, ponctuellement cheffe de rubrique mode pour un webzine américain financé par Questlove des Roots, et aujourd’hui chanteuse. Un premier mini-album de six titres, We are more, vient de paraître : afro R’n’B féministe sous l’influence de M. I. A., appelant à l’émancipation, renouant avec ses racines sénégalaises et guinéennes, notamment par l’usage de la langue mandjak. Dans le clip d’O Wasso Wara, on découvre également quelques pièces de la ligne de vêtements qu’elle a elle-même dessinés et qu’elle lancera en 2021.

Mais la vraie raison de sa frime pourrait bien être, en réalité, le scoop hallucinant que Poundo Gomis révèle au service épidémiologique de L’Arche de Nova : « Pour faire les malins », plusieurs chefs d’Etat auraient accepté d’être vaccinés, en avant-première, contre le covid. Les effets secondaires sont surprenants. Redistribution des richesses ! Abolition des frontières ! Travail et papiers pour tous les migrants ! Démission des hommes de pouvoir, en faveur de femmes ! Eradication du racisme, de l’ultra-libéralisme ou de l’égocentrisme à échelle mondiale ! Vérité des bulletins de santé, fin du « serment d’hypocrites ». Un vaccin pour un monde sain.

Pour voir la vidéo d’O Wasso Wara, c’est ici : https://www.youtube.com/watch?v=f2FaQCoyKzs&ab_channel=Poundo 

Image : Alerte !, de Wolfgang Petersen (1995).

14 décembre 2020

4:13

Marthe Pequignot : « Demain, nous fêterons perpétuellement nos non-anniversaires »

Make bamboche great again : autrice d’un ravissant calendrier « biblio-météorologique », cette illustratrice parisienne esquisse à voix haute l’accès au pouvoir du lapin blanc d’Alice aux pays des merveilles.

Au début de cette histoire, il y a ce cliché tenace : « Les éditeurs se plaignent de ne recevoir que des autofictions dont la première phrase évoque immanquablement le climat. » Née en 1990, l’illustratrice parisienne Marthe Pequignot, formée aux Arts Décoratifs de Strasbourg, a pris cette affaire très au sérieux. Pendant trois ans, elle s’est livrée à une « chasse aux livres » pour trouver des romans qui, ah oui tiens, démarrent tous par une allusion au temps qu’il fait. Cela donne aujourd’hui Bibliométéo, son premier ouvrage publié aux éditions Intervalles sous la forme d’un « calendrier perpétuel ». Soit 48 incipit(s), printaniers ou hivernaux, gelés ou caniculaires, illustrés par ses soins via de belles aquarelles, au crayon à papier et à l’encre de Chine, lettrées à la main.

Exemples ? « Je connais bien le ciel. Je m’y suis habitué. Toutes ses nuances terre d’ombre, tilleul, chair ou safran. Je connais. » (Jean Echenoz, Nous trois.) « La route du bord de mer, à Santa Monica, près d’Hollywood, s’allongeait droite, implacable sous la ronronnante Jaguar de Paul. Il faisait chaud, tiède, l’air sentait l’essence et la nuit. Paul roulait à 150. » (Françoise Sagan, Le Garde du cœur.) Et que dire de la « mystérieuse pluie de pierres » dont les dégâts sont estimés « à environ 25 dollars » et qui ouvre Carrie de Stephen King ? De la « douceur de l’air » dont il faut « se méfier » car on pourrait « se laisser aller à la nostalgie de l’amour et des caresses » dans le délirant Jérôme de Jean-Pierre Martinet ? Ou de Jonathan Franzen, dans ses Corrections : « La folie d’un front froid balayant la prairie en automne. On le sentait : quelque chose de terrible allait se produire. »

Pas si terrible. Grimpant (avec son échelle télescopique) sur le pont de L’Arche de Nova, Marthe Pequignot repasse de l’autre côté du miroir pour s’engouffrer dans les premières lignes d’Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll. « « Alice commençait à se sentir très lasse de rester assise à côté de sa sœur, sur le talus, et de n’avoir rien à faire ; une fois ou deux, elle avait jeté un coup d’œil sur le livre que sa sœur lisait, mais il ne contenait ni images ni conversations et, se disait Alice, à quoi peut bien servir un livre où il n’y a ni images ni conversations ? »

Flash : Marthe revoit le lapin blanc, si pressé, perpétuellement en retard, comme nous avec nos smartphones, assailli.e.s « d’injonctions contradictoires ». Mais sa montre à gousset se casse et le voici au pouvoir, à l’heure sur les réformes : distribution de carottes et interdiction de la méthode de la carotte et du bâton, célébration perpétuelle de nos non-anniversaires, livraison mensuelle d’une « dose de bonheur » avec « des ampoules », pour avoir de bonnes idées ; un mégaphone, pour crier sa colère « jusqu’à ce que les voisins applaudissent » ; et bien sûr une échelle, pour retrouver les livres perdus au fond des bibliothèques.

Image : Alice au pays des merveilles, de Clyde Geronimi, Wilfred Jackson & Hamilton Luske (1951).

11 décembre 2020

4:04

Ariel Kyrou (3/5) : « Demain, la nature prendra la parole »

Auteur d’un essai en forme de réservoir à fictions vitales pour bricoler l’après, ce journaliste parisien cherche sa place au sein du parlement « biocratique » de Camille de Toledo, qui fait voter les rivières.

« Ce livre est peut-être la chose la plus importante qui soit arrivée à la science-fiction hexagonale depuis les fulgurances inoubliables de Serge Lehman. » Alain Damasio ne tarit par d’éloges, à mi-parcours dudit ouvrage, à propos du dernier essai d’Ariel Kyrou, Dans les imaginaires du futur, qui vient de paraître aux éditions Actu SF. Fidèle à sa fièvre de contestation des impasses politiques et des formatages de toute obédience, l’auteur de La Horde du Contrevent détaille, le temps d’une « volte-face », la noble intention de ce pavé rose et blanc de 600 pages : comprendre, à travers l’examen érudit de romans, films, séries ou bandes dessinées d’anticipation, lesquels ne se contentent pas de nous divertir ou de reconduire en pire les schémas existants, mais offrent « armes de jet et lignes de fuite pour se construire un avenir » ou « décheniller les tanks de ce néolibéralisme inepte » ; ceux qui produisent « un imaginaire du dérangeant, du dégenré, intranquille et secouant, perclus de trous de ver, de percées vers le possible, caffi d’espoirs aussi. » Bref : des futurs désirables, comme ceux qui bourgeonnent au quotidien sur la proue de ce podcast.

C’est pourquoi, devant cette généreuse caisse à outils fictionnels pour-bricoler-l’après, la tentation de tendre le micro à Ariel Kyrou fut à peu près irrésistible. Rédac’ chef adjoint du magazine Actuel de 1989 à 1993, cet essayiste parisien, spécialiste de Philip K. Dick et directeur éditorial du Laboratoire des solidarités (solidarum.org), nous fait alors parvenir aujourd’hui le premier module d’une série de cinq chroniques consacrées aux « utopies lucides, terrestres et anarchistes ».

Et si on demandait son avis à… une belette ? Un palétuvier ? Un marécage ? Comment sera l’Europe en 2050 quand les forêts, les lacs, les rivières auront le droit de voter ?, se demande l’écrivain français Camille de Toledo le temps d’une pièce de théâtre, Les Témoins du futur, non publiée mais présentée en avril 2019 à la Maison de la Poésie de Paris. Enjeu dramatique, ainsi résumé par Kyrou dans son propre ouvrage : « Prêter voix aux êtres et aux éléments, aux organismes et entités écosystémiques privés de moyens d’action et même et surtout de simple parole ».

Toledo imagine, au préalable, la victoire en 2030 « d’une puissante vague écologiste et féministe qui renverse les vieux pouvoir de l’Union européenne ». Les hommes sont alors exclus des fonctions dirigeantes, tandis que s’émancipent « lacs, rivières, forêts, montagnes », qui siègent au sein d’un parlement « biocratique ». Cette assemblée se partage en deux : 300 femmes d’un côté, 432 vivants non humains de l’autre, par tirage au sort. Les lois s’enchaînent. La lagune de Venise intente un procès au syndicat du tourisme italien, de même que « les nuages » à l’agence internationale de l’énergie atomique. Des régions sanctuaires sont soudainement « vidées de toute activité humaine et reboisées », pour que la biosphère se régénère. Ce qui ne va pas sans heurts. En pleine forêt primaire, la maison d’une grand-mère d’Ukraine est démontée… comme au temps de l’invasion russe en Crimée. Paysans, patrons et commerçants et retraités se rebiffent, créant « des gouffres d’incertitudes ». 

Dans notre réalité, notons que Camille de Toledo milite en ce moment pour donner des droits à un fleuve, la Loire, afin de le « représenter juridiquement » ainsi que la faune et la flore environnantes.

Pour écouter la précédente utopie d’Ariel, c’est ici :...

10 décembre 2020

3:55

Galia Ackerman : « Demain, nous aurons peur de rêver d’un monde meilleur »

Spécialiste des désastres de Tchernobyl, cette historienne russe considère que « rien n’est pire que des utopies réalisées : le rêve communiste a produit non pas des géants, mais le Goulag et l’asservissement ». 

« Cette réhabilitation de la période soviétique – qui n’apparaît plus comme une parenthèse tragique et malsaine, mais comme une époque globalement positive dans le cours de l’histoire millénaire de la Russie – satisfait une grande partie de la population qui a du mal à accepter que quatre générations de Soviétiques aient pu vivre “dans le mensonge”, comme disait Soljenitsyne. » Dans son dernier ouvrage, Le Régiment immortel (éditions Premier Parallèle, 2019), l’historienne, journaliste, écrivaine et traductrice russe Galia Ackerman, 72 ans, décrit de manière assez captivante et fort accessible les origines et l’essor du colossal regain de patriotisme russe sous l’autorité de Vladimir Poutine, qui s’active à « militariser les consciences ».

Enseignante à la Sorbonne et chercheuse à l’université de Caen, elle s’interroge : « Qui aurait le courage de faire siennes ces lignes amères du grand réalisateur soviétique Eldar Riazanov : J’aurais aimé vivre dans un pays dont j’aurais été fier. Mais le sort a voulu que je naisse dans un grand merdier. ? N’oublions pas que si cette population compte les familles des millions de victimes du Goulag (exécutées et emprisonnées), elle compte également celles, très nombreuses, des collaborateurs de la police secrète et de l’appareil carcéral, ainsi que des millions de délateurs. »

Pour cette spécialiste des désastres de Tchernobyl ou du rôle de la Russie dans la Seconde Guerre Mondiale, la notion « d’utopie », sujet de ce podcast, résonne donc de manière assez singulière. Dans son pays qui s’envisage comme « messianique » et appelée à porter « le flambeau de l’humanité », « l’expérience montre que rien n’est pire que des utopies réalisées. Le rêve communiste a produit non pas des géants, mais le Goulag et l’asservissement. Le rêve soviétique des grandes récoltes, la destruction de la steppe russe et kazakhe. D’autres rêves réalisés furent également ravageurs, comme celui d’une énergie bon marché qui a donné Tchernobyl et Fukushima. »

Prudente et pragmatique, celle qui fut longtemps journaliste à RFI confie alors, depuis Paris où elle vit depuis plus de trois décennies, qu’elle a « peur de rêver d’un monde meilleur » et « n’aspire qu’à la paix » pour elle et les siens. « L’humanité aussi se portera sûrement mieux si elle est guidée non par des utopies, mais par le désir de chaque gouvernement et de chaque individu de vivre en paix avec soi et les autres. » Mais comment parvenir à cette paix, Galina ? « Il y a deux recettes très anciennes. La première est du Sage Hillel, qui vivait à Jérusalem à l’époque du roi Hérode : “Ce que tu hais, ne le fais pas à ton prochain.” La deuxième est du rabbi Nahman, qui vivait en Europe de l’Est à la fin du XVIIIe siècle : “Le désespoir n’existe pas.” Essayez de les suivre et vous verrez ! »

Image : Chernobyl, de Craig Mazin (2018).

09 décembre 2020

4:57

Peter Triangle : « Demain, nous serons munis d’une petite lampe qui s’allume quand ça ne va pas trop »

À Brest, ce musicien à géométrie variable entrevoit la réalité quotidienne d’une dystopie transhumaniste « à la perfection glaçante », dictée par les algorithmes.

Il est assis sur un très vieux vélo d’appartement, en plein air, dans un jardin au soleil. Et pédale avec énergie, en fredonnant l’une de ses dernières chansons, composée lors du premier confinement pour accompagner les vacances d’été et baptisée, en toute logique, Holidays. Mais quelque chose cloche, dans ce surplace. La guitare cold wave, mélancolique et gelée. Les paroles qui demandent, en anglais : « Où iras-tu perdre ton temps ? » Le regard inquiétant, les sourcils froncés, l’absence de sourire. Et le faux décor de banlieue pavillonnaire ajouté au montage, qui défile à toute vitesse derrière Peter Triangle. Houston, on a un problème.

Bienvenue dans la dystopie du nouveau projet rock « un peu con-con, un peu flippant » de ce musicien brestois à géométrie variable, que nous avions connu, jadis, sous le nom chatoyant de Bertrand Brésil, en live le temps d’une Nova Book Box enregistrée au festival Longueur d’Ondes. Il faut immédiatement s’enquiller l’excellent Sugar, son entêtant hit de poche sur la distanciation sociale, pour découvrir que nous avons, en Bretagne, un disciple énervé des brutalités frustrées de Jay Reatard. Et l’écouter nous détailler, sur le pont de L’Arche de Nova, son meilleur des mondes à lui, avec le détachement flegmatique d’un citoyen sous « soma » la drogue du roman-cauchemar d’Aldous Huxley (1931), qui plonge la population dans un sommeil paradisiaque, conditionnée au bonheur, inapte à la moindre contestation.

Dans son effrayant futur désirable, Peter entrevoit « l’avènement d’une technologie au service de l’humain : le transhumanisme aura triomphé ». « Nous serons munis d’une petite lampe qui s’allume quand ça ne va pas trop ou quand on est un peu chafouin. Un système de diode avec un code couleur, dont l’objet serait de faciliter notre rapport aux autres et d’éviter les altercations. » La géolocalisation sera permanente : « Les satellites indiqueront précisément à quel moment on va où – et surtout, pour quoi. » Et Black Mirror aura totalement contaminé la start-up nation. « Il sera possible pour chacun de connaître son projet de vie optimale, établi selon ses aptitudes, compétences, affinités, origines, aspiration, sa sensibilité, sa situation, son physique, son adresse et son genre... » Donc, « plus besoin d’aller voter ! On consacrera enfin notre temps au développement personnel et à la verbalisation. »

On parle aussi de courses de chaises de bureau.

« … Toute la famille se régalera du spectacle de l’existence. Nous vivrons telles des fleurs de coton bercées dans la crème d’un latte macchiato de prestige. » Hâte.

Pour voir le clip home made de Sugar, c’est ici : https://www.youtube.com/watch?v=sT_2zrR1VP4&ab_channel=PeterTriangle

Image : Her, de Spike Jonze (2013).

08 décembre 2020

4:08

Titi Zaro : « Demain, nous aurons perdu nos habitudes de sprinteurs »

Ces deux musiciennes du Maine-et-Loire, « sourcières » d’un maloya irrigué de folk-jazz-blues, nous éclaboussent d’un poème sur la patience, inspiré de Paul Valéry, pour « nous aventurer à l’intérieur ».

« Gorgones à tresses rouillées dévalant la falaise, défricheuses de rêves, déchiffreuses sans trêve, les tentacules mêlés, à demi sœurs siamoises. » Qui sont ces créatures, ces « sorcières sourcilleuses à dentelles sonores », ces « Amazones qui sortent de leur souricière » de Rochefort-sur-Loire (2355 habitants, près d’Angers) pour chanter à la lune L’Hymne des louves, album paru fin novembre sur le label No Mad ? C’est Titi Zaro, ti male. Soit, depuis 2006, le sororal tandem formé par Oriane lacaille (chant, ukulélé, percussions, flûte pygmée) et Coline Linder (chant, ukulélé, violon, scie musicale), qui s’entourent pour l’occas’ de Vincent Segal, Alexis HK ou Lo’Jo, venus « gratter, frapper, souffler ».

L’album, qui navigue du créole au français, est une source de maloya parfumé de folk-jazz-blues, dont le fruit Gawé reçut les faveurs de nos programmateurs. En mai dernier, séparées par le confinement, Oriane et Coline composaient à distance le joli Patience, inspiré du poème Palme de Paul Valéry (1920) : « Ces jours qui te semblent vides / et perdus pour l’univers / ont des racines avides / qui travaillent les déserts (…) Patience, patience, patience dans l’azur ! Chaque atome de silence / est la chance d’un fruit mûr ! »

Face à cette « faille temporelle » qu’aura été l’année 2020, Titi Zaro nous encourage alors à « retrouver ce vieux chemin à la lenteur joyeuse » dévêtus « de nos habitudes de sprinteurs », à nous « dénuder devant nos peurs » et à « s’aventurer à l’intérieur », pour « requestionner nos liens, nos essentiels indicibles, nos révoltes politiques, nos engagements face aux vivants ».

Pour voir le très beau clip de Gorgones ainsi que les louves en live, c’est ici : https://titizaro.wordpress.com/accueil/

Image : Effacer l’historique, de Gustave Kervern et Benoît Delépine (2020).

07 décembre 2020

4:27

Diadié Dembélé : « Demain, de l’herbe VIP pour des vaches VIP ? »

Cet écrivain et poète malien, diplômé du master de création littéraire de Paris-VIII, tourne en dérision la pseudo amélioration des conditions de vie de certains élevages industriels, en prônant le retour aux transhumances traditionnelles.

« Les champions sont une poignée. La paume qui les tiendra sera tannée. La main qui les tiendra sera fétiche. Le bras qui les montrera sera tranché. »Arrivé en France en 2015, Diadié Dembélé est un écrivain malien de 24 ans, diplômé du master de création littéraire de Paris-VIII et auteur d’un recueil de poèmes épiques et mystiques, Les tresses royales (éditions L’Harmattan, 2019), « à la gloire de ses ancêtres », soit la noblesse guerrière Soninké, dans la première moitié du XIXe siècle. Mais parmi les « champions », y a-t-il des éleveurs, des pasteurs, des bergers ?

Interprète médico-social au sein d’une association d’aide aux migrants,celui qui travaille actuellement à son premier roman (La Danse des grands-mères, « histoire d’un adolescent de Bamako tiraillé entre son éducation occidentale et les valeurs traditionnelles de ses parents », qui paraîtra chez JC Lattès) grimpe sur le pont de notre Arche et tourne en dérision les tentatives d’amélioration des conditions de vie de certains élevages industriels – poussant la farce jusqu’à imaginer des « hôtels cinq étoiles » pour vaches, avec buffet à volonté d’« herbe VIP », « chambre avec vue sur la prairie » et des éleveurs... notés par leur propre troupeau. Une ironie bienvenue, pour nous encourager à prendre exemple, peut-être, sur les transhumances traditionnelles de bergers peuls, très attachés à leurs bêtes – au point, parfois, de renoncer à les manger.

Image : La ferme se rebelle, de Will Finn & John Sanford (2004).

04 décembre 2020

4:22

Ariel Kyrou (2/5) : « Demain, des connaissances hallucinantes sortiront de ce tunnel mortel »

Spécialiste de Philip K. Dick, auteur d’un essai en forme de réservoir à fictions vitales pour bricoler l’après, ce journaliste parisien réexplore pour nous, à pas de loup, la « Zone » mutante de « Stalker ».

« Ce livre est peut-être la chose la plus importante qui soit arrivée à la science-fiction hexagonale depuis les fulgurances inoubliables de Serge Lehman. » Alain Damasio ne tarit par d’éloges, à mi-parcours dudit ouvrage, à propos du dernier essai d’Ariel Kyrou, Dans les imaginaires du futur, qui vient de paraître aux éditions Actu SF. Fidèle à sa fièvre de contestation des impasses politiques et des formatages de toute obédience, l’auteur de La Horde du Contrevent détaille, le temps d’une « volte-face », la noble intention de ce pavé rose et blanc de 600 pages : comprendre, à travers l’examen érudit de romans, films, séries ou bandes dessinées d’anticipation, lesquels ne se contentent pas de nous divertir ou de reconduire en pire les schémas existants, mais offrent « armes de jet et lignes de fuite pour se construire un avenir » ou « décheniller les tanks de ce néolibéralisme inepte » ; ceux qui produisent « un imaginaire du dérangeant, du dégenré, intranquille et secouant, perclus de trous de ver, de percées vers le possible, caffi d’espoirs aussi. » Bref : des futurs désirables, comme ceux qui bourgeonnent au quotidien sur la proue de ce podcast.

C’est pourquoi, devant cette généreuse caisse à outils fictionnels pour-bricoler-l’après, la tentation de tendre le micro à Ariel Kyrou fut à peu près irrésistible. Rédac’ chef adjoint du magazine Actuel de 1989 à 1993, cet essayiste parisien, spécialiste de Philip K. Dick et directeur éditorial du Laboratoire des solidarités (solidarum.org), nous fait alors parvenir aujourd’hui le premier module d’une série de cinq chroniques consacrées aux « utopies lucides, terrestres et anarchistes ».

Et si celles-ci nous venaient des étoiles ? De visiteurs extraterrestres qui seraient contenté d’un très bref passage sur Terre, d’un pique-nique au bord du chemin, titre original du roman Stalker, des frères russes Arcadi et Boris Strougatski (1972), adapté au cinéma sept ans plus tard par leur compatriote Andreï Tarkovski. Le stalker (du verbe anglais to stalk, traquer, rôder, « s’approcher furtivement », « marcher à pas de loup »), écrit Kyrou, est un « voyageur, un chercheur incroyablement attentif au nouveau et dangereux terrain qu’il découvre (…) aux aguets des ombres, des signes venant des pierres et des arbres, en éveil face aux frémissements des limaces ». Ce guide explore la « Zone », apparue à la suite d’une chute de météorite ou probablement de touristes venus « du fin fond du cosmos » et qui ont laissé leur « marque violente, un témoignage de sorcellerie », tels les Grands Anciens de Lovecraft. De la taille d’un canton, on peut aussi la voir comme « un trou vers l’avenir ».

Ariel poursuit : « Je perçois la Zone comme un drôle d’espace d’expérimentation, en accéléré, des changements que nous vivons alors que Gaïa tousse et que notre écosystème se transforme à coups de virus, de tempêtes, d’effet de serre (…) Une métaphore (…) Un laboratoire des mutations contemporaines, subies ou voulues, immaîtrisables (…) Un lieu de passage plein de promesses ambiguës (…) », qui regorge « d’objets et de dispositifs incompréhensibles, d’une magie toujours incertaine (…) Un tunnel mortel, d’où pourraient sortir des connaissances hallucinantes » et des mutants surdoués, comme cette fillette télékinésique surnommée Ouistiti.

Au diapason de « L'Écrivain » du film qui note, assis sur son bidon, que « le futur se confond maintenant avec le présent », Kyrou conseille de vivre non pas après les effondrements, mais « en leur cœur permanent ».

Pour écouter la précédente utopie d’Ariel, c’est ici :

03 décembre 2020

4:06

Clara Ysé : « Demain, nous pourrions être des héros, juste pour un jour »

Romantique et lyrique, cette musicienne parisienne nous murmure une liste de « talismans » pour le futur, suivie d’une reprise solaire et dédoublée de David Bowie, enregistrée rien que pour nous.

« Ce matin il est arrivé une chose bien étrange. Le monde s'est dédoublé. Je ne percevais plus les choses comme des choses réelles. J'ai pris peur, j'ai crié que quelqu'un me vienne en aide. J'ai accueilli un ami qui m'a pris dans ses bras et m'a murmuré tout bas : regarde derrière les nuages, il y a toujours le ciel bleu azur qui, lui, vient toujours en ami te rappeler tout bas que la joie est toujours à deux pas. Il m'a dit : prends patience, mon amie prends patience, vers un nouveau rivage ton cœur est emporté, l'ancien territoire t'éclaire de ses phares. »

Est-ce sa voix grave, formée au chant lyrique, familière de l’opéra dès son plus jeune âge ? Ce vibrato d’autorité ? Cette mélodie qui cavale comme un appaloosa fougueux dans les plaines du chagrin ? Portée par la batterie qui martèle et la peine lumineuse d’une clarinette yiddish ? Le tout, pour projeter ce texte-baume censé apaiser notre besoin de consolation qui, comme chacun sait, est « impossible à rassasier » ? Est-ce la promesse d’une amitié, d’un lendemain qui viendra toujours, l’imminence de nouveaux rivages, la joie du ciel azur ? Mais pourquoi pleurons-nous encore et encore à chaque réécoute de la chanson-titre du premier mini-album de Clara Ysé, Le monde s’est dédoublé, publiée au printemps 2019, entonnée plus tard par nos chéris de Catastrophe ?

Sans doute parce que le deuil affleure, avec les pulsions de survie qu’il impose, sur chacun des six morceaux écrits et composés (en français, en anglais, en espagnol) dans les mois qui suivirent, en 2017, la noyade de sa mère, la philosophe Anne Dufourmantelle (auteure d'Éloge du risque ou de Puissance de la douceur), au large de Ramatuelle, en sauvant le fils d'une amie. L’acte de résilience impressionne : naissance publique d’une musicienne lettrée dont l’univers semble capable de lier les mélancolies de Lhasa, Anna Calvi et Barbara, entourée de complices albanais ou iraniens, quand elle ne s’abandonne pas aux ritournelles latino-américaines.

Lors du premier confinement, Clara Ysé partagea une ébauche de chanson, Notre océan, qui dit : « Voudrais-tu accélérer le temps ? Que fais-tu face à l’idée du néant qui lentement s’immisce dans nos rangs ? Entends-tu comme il est effrayant ce silence qui nous déchire en dedans ? Crois-tu que tu es seul ? La vague qui t’accueille nous soulèvera. » En attendant ses deux concerts au Café de la Danse (Paris, les 19 et 20 avril), son premier véritable album qu’elle s’apprête à enregistrer et un premier roman bientôt terminé à paraître chez Grasset, la Parisienne murmure, à bord de notre Arche battue par le ressac, sa liste de « talismans » pour le futur, parmi lesquels : « Écouter le live de Queen à Wembley en 1986, apprendre à faire hospitalité, prendre soin des secrets, redéfinir la sécurité comme tout ce qui nous permet d’être plus vivant et plus vaste, veiller à ne pas trahir les mots, en inventer de nouveaux. » Et la voici qui s’avance au centre du navire pour une reprise solaire et dédoublée de Heroes de David Bowie, enregistrée rien que pour nous. Terre !

Image : Masayoshi Sukita, version colorisée de sa photo de pochette pour l’album Heroes de David Bowie (1977).

02 décembre 2020

4:51

David Neerman : « Demain, nous téléphonerons à Dieu »

Co-auteur d’un album de magnifique mystique, ce pianiste et vibraphoniste anglais, posé en Bourgogne, passe un coup de fil au Très-Haut – qui s’avère être une femme – et demande, clope au bec, une « mise à jour ».

« On avait une abbaye pour nous tout seuls, la nuit. Si on excepte quelques familles de chauves-souris. » Bienvenue dans le Cher, à Bruère-Allichamps, commune de 564 habitants entre Bourges et Montluçon. Au printemps 2013, le pianiste, vibraphoniste et percussionniste anglais David Neerman retrouve, « lors de célébrations nocturnes » perpétrées dans une abbaye cistercienne vieille de sept siècles, le maître balafoniste malien Lansiné Kouyaté, avec lequel il a déjà signé deux albums (Kangaba, 2009, Skyscrapers & Deities, en 2011). « Les murs de la bâtisse renvoyaient les fréquences du vibraphone et du balafon comme l’écho lointain d’un chœur de spectres. »

De retour à Paris, David partage cette expérience avec la chanteuse soul Krystle Warren, from Kansas City, qui rappelle parfois la ferveur romantique de Jeff Buckley, ainsi qu’avec Sequenza 9.3., ensemble vocal de musique dite savante créé en 1998 en Seine-Saint-Denis par Catherine Simonpietri. Ainsi naît l’album Noir Lac, paru chez Klarthe et dont les profondeurs renferment compositions originales envoûtées ou reprise étonnante de Led Zeppelin (Friends). La chorale et la chanteuse y prennent d’amples hauteurs célestes, portée par des notes délicates de musique mandingue. « Le challenge a été de trouver le plus petit dénominateur commun entre nous… qui se trouve toujours dans la mystique de chacun. »

Dès lors, il ne fut pas si surprenant de recevoir, sur le pont de L’Arche de Nova, un enregistrement exceptionnel : l’intégralité du coup de fil passé cette semaine par David Neerman à… Dieu en personne. Complice de Seun Kuti ou de Babx, compositeur de la musique originale du podcast Crackopolis de Jeanne Robet ou du film Merveilles à Montfermeil de Jeanne Balibar, le musicien s’est plaint du désastre mondial et a demandé, depuis la Bourgogne, une « mise à jour » au Très-Haut, qui s’avère être une femme. Sa réponse fut sans filtre.

Signalons que Dieu prend ici la voix de Laure Blatter, et son secrétaire, celle de Romain Gy.

Image : Hotline to God Store, tous droits réservés (2014). Ce téléphone, que vous pouvez commander via des plateformes qui vous conduiront tout droit en enfer, délivre 25 versets bibliques d’une voix robotique, comme le prouve cette vidéo improbable : https://www.youtube.com/watch?v=c5m1eEZW0kQ&ab_channel=HotlineToGodStore

01 décembre 2020

2:10

Marie-Eve Nadeau : « Demain, la danse sublimera nos colères »

À Montréal, cette documentariste québécoise prône la non-violence à travers la fable authentique du coati tenu en laisse, héros griffu d’une historiette de l’écrivaine Clarice Lispector.

De tempérament chapardeur et effronté, pour ne pas dire agressif, le coati est un mammifère arboricole pas très éloigné du raton-laveur, au pelage marron-gris. Cette bestiole des forêts d’Amérique du Sud, qui se déplace en bandes à majorité féminine, possède une petite trompe mobile ainsi qu’une longue queue zébrée d’anneaux. C’est avec un coati que Jamel Debbouze doit négocier sa sortie de prison sur la piste du Marsupilami. Manu Larcenet et Gaudelette firent d’un coati jaune-poussin baptisé Pedro, coincé dans un zoo, le héros-titre de trois albums de BD chez Fluide Glacial. Et c’est encore un coati qui interpella, le 11 septembre 1971, l’écrivaine brésilienne Clarice Lispector, dans sa chronique hebdomadaire au Jornal do Brasil – reproduite au sein du recueil La découverte du monde (éditions Des Femmes).

« Je suis pour l’animal et je prends le parti des victimes du méchant amour. » Ce jour-là, Clarice aperçoit dans la rue un chien tenu en laisse par un homme « hautain ». Or, il ne s’agit pas d’un toutou, mais d’un coati « qui se prend pour un chien », au flair comme à la démarche, qui ne sait plus « qui il est » et se demande franchement pourquoi de vrais chiens aboient avec rage après lui – schizophrénique attitude qui n’est effectuée, précise-t-elle, que « par amour et gratitude pour l’homme ».

Mais que ferait le coati s’il tombait trompe-à-trompe avec l’un de ses congénères, réalisant soudain sa méprise ? « Je sais bien qu’il aurait le droit de massacrer l’homme », coupable d’avoir « adultérer son essence », écrit Lispector, qui l’encourage pourtant à « pardonner » puis « abandonner » son bête maître.

Cette fable authentique doit nous servir de leçon. C’est le vœu, formulé sous les premières neiges de Montréal, par la Québécoise Marie-Eve Nadeau, 38 ans. Formée en danse classique, ex-mannequin, cette monteuse de cinéma (La Peur, de Damien Odoul) et autrice de documentaires (sujets : les trappeurs, les enfants de sourds), prolonge aujourd’hui le récit de l’animal déboussolé. Et imagine Clarice Lispector au chef-lieu des coatis, pour les convaincre de désensorceler leur camarade… en dansant, « leurs longs museaux pointés vers le ciel, oscillant de droite à gauche, comme autant de pendules d’hypnotiseur ». Peaufinant actuellement son second roman situé en Haïti, Marie-Eve Nadeau conclut d’une pirouette : « Dans un monde idéal, la danse serait la seule et unique voie de médiation, qui sublimerait les excès en créant des formes nouvelles. »

Pour voir son documentaire Enfants de sourds (2013), c’est ici : https://vimeo.com/116243280

Image : Sur la piste du Marsupilami, d’Alain Chabat (2012).

30 novembre 2020

5:55

Delphine Arnould : « Demain, nous serons tous hermaphrodites »

Dans le sillage des « Garçons sauvages » de Bertrand Mandico, cette psychanalyste parisienne prophétise une mutation fertile : les hommes auront leurs règles et les femmes « des glands robustes ». Prêt.e.s ?

« – Tanguy. – Oui ? – J’ai des seins qui poussent. » L’Île-aux-Robes ne figure sur aucune carte. Luxuriante et nimbée d’arbres à lait phalliques, elle encourage les métamorphoses et ouvre de nouveaux possibles. La seule façon de s’y rendre – à moins de regarder de trop près l’anatomie d’un rugueux capitaine hollandais – reste d’aborder, plus de deux ans après sa sortie en salles, le premier long-métrage du Français Bertrand Mandico, Les Garçons sauvages. Au début du XXe siècle, cinq adolescents de bonne famille, cravatés, railleurs, indisciplinés, ayant tué par sadisme leur professeure de français, sont envoyés sur le pont d’une « croisière sans équipage » censée les remettre dans le droit chemin. Mais rien ne se passe comme prévu, au fil d’une odyssée dépravée tournée sur les plages de sable noir de la Réunion.

Enchantement diamanté, terriblement sexy, transporté par l’interprétation troublante de cinq actrices androgynes, le film est un voyage érotique et psychédélique que l’auteur présente comme une « bouture impossible » entre Jules Verne et William Burroughs. Sur cette terre ensorcelante, les garçons sauvages deviendront non pas filles, mais autres : leurs pénis tombent comme un fruit pourri, tandis que leurs désirs gagnent en épaisseur.

On retrouve cette idée dans l’utopie hermaphrodite formulée par la psychanalyste parisienne Delphine Arnould. Première surprise, née de nos pollutions : dans son futur, « la nature aura digéré tous nos déchets pharmaceutiques. L’humus sera chargé d’antibiotiques, les plantes suinteront de pommades apaisantes, les océans et les mers seront des concentrés d’antidépresseurs, d’anxiolytiques et de neuroleptiques, les vents diffuseront agréablement des antalgiques. La douleur disparaitra du vivant. ». Oh ? « À force d’avoir lavé nos mains dix fois par jour, les antiseptiques et désinfectants auront tout imbibé. Même les recoins les plus crasseux des toilettes d’autoroutes, des étables et ou décharges sauvages seront aseptisés. Aux oubliettes les microbes, les infections, les maladies ! »

Et ce n’est pas fini. Car « on aura tellement abusé de contraceptifs que les nappes phréatiques seront gorgées d’hormones mâles et femelles. » Conséquence : les humains vont muter. « Les hommes auront tous de vrais nibards. Barbe et moustache lâcheront prise au fond du lavabo. Les verges seront vagins, les testicules ovaires, les menstrues affaire d’hommes. Les clitoris reprendront leur pousse et les fameux boutons de roses laisseront place à des glands robustes. Les grandes lèvres formeront de véritables bourses. Les épaules s’élargiront et les pectoraux triompheront des soutiens-gorges (…) Les fluides trouveront là où se nicher dans des utérus nouvelle génération. L’hermaphrodisme fondera notre nouvelle identité. » Tu vois le genre ? Ben non, y en a plus !

Pour écouter Bertrand Mandico déshabiller ses Garçons sauvages, c’est là : https://www.nova.fr/podcast/nova-book-box/bertrand-mandico-sulfureux-interdit-toxique

Image : Les Garçons sauvages, de Bertrand Mandico (2018).

27 novembre 2020

5:10

Ariel Kyrou (1/5) : « Demain, nous serons furtifs »

Spécialiste de Philip K. Dick, auteur d’un essai en forme de réservoir à fictions vitales pour bricoler l’après, ce journaliste parisien se penche sur les créatures indétectables d’Alain Damasio.

« Ce livre est peut-être la chose la plus importante qui soit arrivée à la science-fiction hexagonale depuis les fulgurances inoubliables de Serge Lehman. » Alain Damasio ne tarit par d’éloges, à mi-parcours dudit ouvrage, à propos du dernier essai d’Ariel Kyrou, Dans les imaginaires du futur, qui vient de paraître aux éditions Actu SF. Fidèle à sa fièvre de contestation des impasses politiques et des formatages de toute obédience, l’auteur de La Horde du Contrevent détaille, le temps d’une « volte-face », la noble intention de ce pavé rose et blanc de 600 pages : comprendre, à travers l’examen érudit de romans, films, séries ou bandes dessinées d’anticipation, lesquels ne se contentent pas de nous divertir ou de reconduire en pire les schémas existants, mais offrent « armes de jet et lignes de fuite pour se construire un avenir » ou « décheniller les tanks de ce néolibéralisme inepte » ; ceux qui produisent « un imaginaire du dérangeant, du dégenré, intranquille et secouant, perclus de trous de ver, de percées vers le possible, caffi d’espoirs aussi. » Bref : des futurs désirables, comme ceux qui bourgeonnent au quotidien sur la proue de ce podcast.

C’est pourquoi, devant cette généreuse caisse à outils fictionnels pour-bricoler-l’après, la tentation de tendre le micro à Ariel Kyrou fut à peu près irrésistible. Rédac’ chef adjoint du magazine Actuel de 1989 à 1993, cet essayiste parisien, spécialiste de Philip K. Dick et directeur éditorial du Laboratoire des solidarités (solidarum.org), nous fait alors parvenir aujourd’hui le premier module d’une série de cinq chroniques consacrées aux « utopies lucides, terrestres et anarchistes ». 

Et l’ascenseur est renvoyé à Damasio, en se penchant sur les créatures indétectables, aux allures de chauve-souris, de son grandiose roman Les Furtifs (2017) vendu à plus de 65 000 exemplaires. « Dans cette dystopie technologique où les individus subissent la dictature cool de l’hyper capitalisme (…) le furtif, cet animal irréel d’une vivacité inconcevable, qui meure et se fige en une sculpture dès qu’il est vu, y incarne l’utopie d’un monde échappant aux forces du contrôle et de la surveillance généralisée. Le futur imaginé par Alain Damasio ne s’effondre pas. Il se délite. Son utopie libertaire et écologiste, partielle et imparfaite, se construit au travers des arts de vivre d’une pluralité de communautés. Elles sont parfois révoltées, tels des zadistes de demain, d’autres sont juste loin de l’économie dominante à la façon de ce groupe de Balinais sur une île du Rhône – dont, écrit-il, les liens humains semblaient se prolonger hors du social, en rhizome à nos pieds ou à la façon des branches qui auraient poussé au bout de nos doigts. » Nous voici rebranchés à demain.

Les prochaines utopies d’Ariel Kyrou seront diffusées les 3, 10 et 17 décembre, ainsi que le 7 janvier, à 7h10.

Pour écouter Alain Damasio en interview sur ses Furtifs, en deux parties, c’est ici :

https://www.nova.fr/podcast/nova-book-box/alain-damasio-quels-degres-de-liberte-avons-nous-perdus-12

https://www.nova.fr/podcast/nova-book-box/alain-damasio-macron-na-aucune-empathie-pour-le-peuple-22

Image : Blade Runner 2049, de Denis Villeneuve (2017).

26 novembre 2020

4:07

Lettres Libres : « Demain, un nouveau monde naîtra du chaos »

Pour réinventer notre rapport à la nature, nous faudrait-il… un séisme, comme dans l’ultime album inachevé du maître manga Jirô Taniguchi ? C’est l’hypothèse de Sophie Wilhelm, libraire à Bonneville (Haute-Savoie).

« Un jour… une autre forêt apparut. D’un vert profond. La région fut ébranlée par un séisme de magnitude 6 qui entraîna tant de mouvements de terrain… qu’une faille s’ouvrit. » C’est l’histoire d’un môme japonais de 10 ans, Wataru, contraint de s’installer à la campagne car son père l’a quitté et que sa mère n’en peut plus. Son grand-père lui dit de ne pas s’inquiéter : « La montagne te consolera. » Et le petit bonhomme en larmes… entend des murmures. Ceux des arbres, des insectes, des oiseaux, des rivières, qui s’adressent à lui comme à un membre de la famille.

La lecture de La Forêt millénaire, sur lequel travaillait le maître mangaka Jirô Taniguchi juste avant sa mort, en 2017, à 69 ans, est un bonheur et un regret. Bonheur mélancolique d’arpenter les collines et les sous-bois de ce conte écolo publié aux éditions Rue de Sèvres dans un somptueux format à l’italienne, dans lequel le dessinateur shintoïste raffiné de L’Orme du Caucase, de Quartier Lointain et du Sommet des Dieux s’affranchit des codes du manga pour embrasser pleinement la liberté graphique et narrative de ses homologues européens. Regret éternel de n’avoir, pour toujours, que ce seul premier tome inachevé (cinq étaient prévus) riche de tant de promesses, certes accompagné d’entretiens sur la genèse de cette œuvre posthume et de très beaux extraits de ses carnets de croquis.

Jusqu’à la réouverture complète de leur boutique, L’Arche de Nova donne la parole à des libraires qui cueillent dans leurs rayons leur vision d’un futur désirable. Cette semaine, c’est au tour de Lettres Libres, librairie généraliste située au 25 place de l’Hôtel de Ville à Bonneville (Haute-Savoie), représentée par sa gérante Sophie Wilhelm. Elle a choisi cet album de bande dessinée, une « respiration » qui lui inspire « quelque chose de très encourageant pour la suite, après le chaos de ces moments étranges et anxiogènes que nous vivons ». En 2015, Taniguchi déclarait : « Je veux représenter le vivant dans ce qu’il a de beau, de fragile et de précieux. Depuis le tsunami et l’accident nucléaire de Fukushima, en 2011, nous sommes davantage préoccupés par l’environnement. Mais l’être humain oublie si vite, si facilement… C’est pourquoi je désire continuer à créer des histoires qui donnent une place fondamentale à la nature. Pour éviter que cette prise de conscience ne disparaisse des mémoires. »

Pour cueillir les ouvrages de Lettres Libres : https://www.chez-mon-libraire.fr/

Image : La Forêt millénaire, de Jirô Taniguchi (éditions Rue de Sèvres, 2017).

25 novembre 2020

3:27

Camille Brunel : « Demain, des animaux siégeront à l’Assemblée »

Lauréat 2020 du Prix de la Page 111, cet écrivain de Châlons-en-Champagne prédit l’avènement d’une génération de député.e.s qui travailleront comme (et avec) des bêtes pour des républiques « aussi fiables qu’un avion de ligne ».

 « Le chef de l’Etat apparut avec un air contrit cachant à peine sa suffisance. Depuis des mois, son gouvernement niait violences policières et exécutions de moins en moins accidentelles. La France devenait un pays du tiers-monde, où la moindre manifestation faisait des morts. » Paru en septembre aux éditions Alma, récompensé sur Nova du très convoité Prix de la Page 111, Les Métamorphoses, le second roman de Camille Brunel, 34 ans, se déroule dans un avenir assez proche ; entre hier et après-demain, disons. « À l'Éducation, on avait falsifié les notes du bac. À l’écologie, on se gavait de fruits de mer, et à l’Agriculture, on laissait les cochons crever de chaud dans les élevages (…) Le pouvoir était devenu impalpable, et planait au-dessus du peuple comme la tyrannie humaine ignore le sang des bêtes, avec une antipathie de bon aloi, un air désolé de bourreau endetté. »

Dans cette atmosphère déliquescente quelque peu familière, l’inédit survient. Une « pandémie de métamorphoses » change soudain, au hasard, 300 000 de nos chers compatriotes en animaux. En hyène, en écrevisse, en brebis, en taon. Mais « le gouvernement niait l’ampleur du désastre ».

« L’incendie, pourtant, éclairait le monde », écrivit l’auteur d’autres Métamorphoses, Ovide, au premier siècle. Placée en ouverture du roman de Camille Brunel, la citation du poète latin peut traduire un immense besoin de nouvel espoir, en cette année poly-catastrophique. « Notre maison brûle… », mais saurons-nous, dans la lueur des flammes, y voir mieux ?

Pour son premier futur désirable – inaugurant sur notre antenne une carte blanche d’une durée de 11 mois et 1 semaine, suite à l’obtention de son prix –, cet admirateur de Lautréamont entrevoit la survivance de la démocratie, si, si, notamment grâce à des député.e.s. « humbles » et « mesurant chaque prise de parole ». Surprise : « Ça ressemblera au sénat de Star Wars pour la diversité des costumes, à ceci près qu’il n’y aura qu’une seule espèce à en porter (les jours de délibération sur les animaux, les premiers concernés venaient à poil, ou à plumes). »

Par ailleurs, joie intergalactique : « Les Républiques deviendront aussi fiables que des avions de ligne. Les vandales passeront pour des ringards, les escrocs pour des bouffons. Mais on ne jouera plus avec le feu. (…) La fameuse génération Z, qui a grandi avec Greta Thunberg, finira nous sortir de la crise climatique » en s’emparant « de la démocratie comme du dernier iPhone, en faisant le tour de ses fonctionnalités, en la rechargeant régulièrement et à fond, élection après élection. Si quelque chose sent le pourri, le vieil homme rance, l’héritière à perles, ça dégagera. On aura hâte d’être au XXIIe siècle, de voir les forêts repousser et les baleines grandir. »

Image : Fan-art de l’Amiral Ackbar dans Star Wars : Rogue One, de Gareth Edwards (2016).

24 novembre 2020

4:22

Luc-Michel Fouassier : « Demain, les feignasses s’imposeront mollement »

Auteur d’une apologie de la pantoufle, cet instituteur et écrivain de Seine-et-Marne milite pour le droit à la paresse, la semaine de cinq heures et des statues à la gloire d’Albert Cossery.

« Moi, je clame haut et fort le droit de ne pas s’investir dans son boulot. Je préfère rester dans mon lit à glandouiller, rêvasser, lire. » Cette déclaration fort peu productive de Luc-Michel Fouassier est à prendre au pied de la lettre – pied qui sera bien chaussé, comme on va le voir. Instituteur de Seine-et-Marne capable d’enseigner à ses CM1-CM2 « le calcul de la masse de matière fécale annuelle d’un adulte » ou de « faire tirer des pénaltys en classe sur le tableau », cet écrivain vient de publier Les Pantoufles, aux éditions de L’Arbre Vengeur, très bref roman bartlebyen qui suit pas-à-pas la trajectoire d’un quinqua « en marge, à côté de ses pompes », ayant envisagé de « s’auto-étrangler » dans le remous d’un chagrin d’amour et qui, un matin, sort triomphalement de chez lui… en charentaises.

« Pointure 42, tissu 100 % laine, fabriqué en France. » L’homme ira à la Poste, au travail, en club échangiste, constatant – comme dans La Moustache d’Emmanuel Carrère – qu’un détail peut modifier l’organisation d’une vie. Ce pantouflard de l’extrême rencontrera en outre une « Confrérie des Farfelus », maîtres-adeptes de l’absinthe à redingote, qui n’est pas sans rappeler les jurés de notre Prix de la Page 111, pour lequel la sienne figura parmi la sélection finale – sans l’emporter néanmoins, alors qu’il s’agit de l’antépénultième du roman et le prélude houblonné d’une fin heureuse.

Cela méritait prolongation. Chose faite avec l’utopie formulée sur le pont de notre Arche (non, depuis sa cabine, qu’il n’a pas voulu quitter) par l’auteur myope des Hommes à lunettes n’aiment pas se battre (nouvelle, 2010) et du Zilien (roman, 2014, préfacé par Jean-Philippe Toussaint qui nota que l’humour, pour Fouassier, est un « instrument de résistance aux casse-pieds »).

Selon Luc-Mimi, d’ici cinquante ans, la fainéantise sera devenue vertu. « Les flemmards, cossards, branleurs… » se seront imposés. « N’est-il pas usant, désespérant de voir portés aux nues toujours les mêmes conquérants en costume-cravate (…) qui fonctionnent à l’adrénaline et à la performance mais pas nécessairement à l’intelligence ? » Ecoutons-le militer pour le droit à la paresse, la semaine de cinq heures et l’élévation de statues à la gloire d’Albert Cossery, l’auteur égyptien francophone des Fainéants dans la vallée fertile (1948), exilé à Paris, qui n’écrivait qu’une ligne par jour.

Image : True Romance, de Tony Scott (1993).

23 novembre 2020

4:31

Franck Balandier : « Demain, tous les dieux auront disparu... »

… et les lieux de culte seront reconvertis en clubs, en théâtres ou en cinémas, selon les vœux de cet écrivain parisien, qui prie pour « des espaces de communion et de divertissement gratuits, ouverts à tous ».

« Dieu est un concept qui nous permet de mesurer notre souffrance. Je ne crois pas à la magie, à la Bible, en Jésus, en Bouddha... » Décembre 1970 : fraîchement séparé des Beatles, John Lennon clame haut et fort son athéisme via God, tiré de son premier album solo flanqué du Plastic Ono Band, sur lequel figure également la chanson I found out, où il annone sans desserrer les dents qu’« aucun Jésus ne descendra du ciel » et qu’« aucun gourou ne verra jamais à travers tes yeux ». Sans oublier les vers immortels d’Imagine : « Imagine s’il n’y avait pas de paradis. C’est facile, tu devrais essayer. Pas d’enfer à nos pieds. Que du ciel au-dessus de nous. Pas de pays, pas de religions non plus. Tous les peuples vivraient en paix. »

C’est à peu près la prière confessée en notre paroisse utopique par l’écrivain parisien Franck Balandier, 68 ans. Ex-éducateur pénitentiaire, organisateur d’un live un peu mémorable de Trust à Fleury-Mérogis où fut également créée à son initiative la première émission de radio animée par des détenus, ce fin connaisseur d’Apollinaire publiera en février Sing Sing –musiques rebelles sous les verrous(éditions Le Castor Astral), recueil de portraits de musiciens ayant passé quelques heures ou plusieurs années derrière les barreaux, de Johnny Cash à Joeystarr, de Chuck Berry à Booba en passant par Daniel Darc.

Au commencement voici son Verbe, sur le pont de notre Arche, à conjuguer au futur : « Les hommes ont fini de croire. Au rencart, les Brahma, les Vishnu, les Zeus, les Yahvé, les Jéhovah, les Allah. Au rebut, les prophètes, les Mahomet, les Dalaï-Lama, les Osiris, les Diane chasseresses ou non, les Aphrodite bonnet D, les Apollon en slip kangourou... » Et tandis que des grenouilles de bénitiers militent pour le retour des messes, Franck Balandier prêche pour des lieux de culte reconvertis en clubs, en théâtres ou en cinémas, transfigurés en « espaces de communion et de divertissement gratuits, ouverts à tous ». Un seul mantra : « Vivre. Partager. Rire. » Alléluia-ah !

Image : Marcel Gotlib, God’s club, publié dans L’Echo des Savanes en 1974 puis dans Rhââ Lovely tome 2 (éditions Fluide Glacial).

20 novembre 2020

4:36

Eva Bester : « Demain, nous serons gouvernés par des chiens »

Autrice d’un essai réjouissant sur le peintre belge Léon Spilliaert, l’animatrice de « Remède à la mélancolique » nous dévoile la composition d’un imminent gouvernement d’éminents toutous.

« Ses paysages sont des asiles, ses portraits, les effigies de nos âmes sombres. Avec ses natures mortes, il transcende le réel et rend le banal fantastique. C’est un alchimiste ; de la boue et de la sombreur, il fait du sublime. Spilliaert donne du panache au spleen. » Ainsi s’enclenche (ou presque) le bref et réjouissant (oui) essai qu’Eva Bester consacre au peintre belge Léon Spilliaert (1881-1946), publié cet automne aux éditions Autrement. Dans Léon Spilliaert, œuvre au noir, l’animatrice-productrice de l’émission Remède à la mélancolie sur France Inter examine et détaille, depuis son propre « abîme », en tant que porte-parole de celles et ceux « qui ressentent le monde comme un hangar froid sans plafond et sujet à une pluie continue », son amour fasciné pour les « envoûtants clairs-obscurs » à l’encre de Chine de l’artiste d’Ostende.

Malade du cœur, confiné un siècle avant l’heure, Léon le prolifique – près de 4500 œuvres ! – « représente des personnages esseulés, prostrés, ahuris, dans un climat de pesanteur, de vide, de morbidité, d’angoisse existentielle », mais – tiens – confie parfois aux gazettes que son principal défaut serait « la blague ». Oh ?

Et tandis qu’on remarque que Spilliaert a parfois peint d’étranges canins (errant, famélique et noir, sur terre enneigée, bizarrement souple comme un chat ; la tête cachée dans la robe d’une femme-alien, sur fond rouge enfer ; lévrier bleu pétrole aux pieds de nonne pensive), Eva Bester – qui révèle ici pour la première fois son statut fort enviable « d’inventeuse du post-it en emmental » – nous décrit depuis Tbilissi, Géorgie, la composition d’un imminent gouvernement d’éminents toutous.

« Au ministère de l’Intérieur, il y aura Alfred Saxophone, teckel grave mais confiant, qui signera des armistices dans chacune de nos âmes. Au ministère de la Culture, Facétie Bémol, labrador violet bilingue, aimant Verlaine et les bretzels. » Et ? C’est tout-tout. Car « il n’y aura plus que deux ministères ». Mais l’avenir se déroule encore dans ce récit truffé de « grands jardins », de « petits boutons sous les arcades sourcilières des hommes de loi », d’une « religion sur le culte de l’altérité » ou de « démarches administratives exécutées par la pensée ». Et la mélancolie ? « Ringarde ! »

Pour écouter la précédente utopie d’Eva Bester, c’est là : https://www.nova.fr/podcast/le-monde-dapres/eva-bester-demain-nos-cotes-seront-devenus-nos-priorites

Image : Léon Spilliaert, Autoportrait au miroir (1908).

19 novembre 2020

2:40

Catherine Dufour : « Demain, nous ferons d’une décharge une mine d’or »

À Paris, cette autrice de science-fiction invente deux machines extraordinaires, une « Grande Trieuse » et une « Grande Imprimante », qui pourraient dépolluer la planète voire, waou, « retisser la peau des grandes brûlures ».

« Et si, après plus d’un siècle de vie, vous vous retrouviez dans un corps tout juste sorti de l’adolescence ? Et si, en guise de petit boulot, le huitième cumulé depuis le début du mois, on vous proposait enfin un vrai job : mourir ? Et si votre meilleur ami était ce machin bizarre aux allures de R2-D2 laissé par votre coloc’ dans l’appartement ? Et si vous n’étiez pas vous, mais le clone de vous ? » Ce sont quelques-unes des hypothèses qui ponctuent L’arithmétique terrible de la misère, recueil de dix-sept nouvelles signées Catherine Dufour aux éditions Bélial, préfacé par son vieux complice Alain Damasio, qui voit dans ces histoires « un contre-poison à l’infobésité ». En parallèle, cette autrice parisienne, lauréate en 2007 du prestigieux Grand Prix de l’Imaginaire pour Le Goût de l’immortalité, vient également de publier Au bal des absents, au Seuil, chasse aux fantômes dans un manoir hanté en pleine cambrousse, comme un épisode de Scooby-Doo filmé par Kervern & Delépine, dans lequel Claude, 40 ans, se défend parfois à coups de binette.

« L’utopie, c’est très difficile, les gens heureux n’ont pas d’histoire ! » En 2018, cette ingénieure en informatique a pourtant tenté de transmettre sa science du futur le temps d’ateliers d'écriture intitulés Bright Mirror, en contrepoint des cauchemars de la série Black Mirror, pour accoucher de projections positives. Ce à quoi Catherine Dufour s’emploie de nouveau aujourd’hui, sur le pont de notre Arche. Fatiguée de ne « plus pouvoir faire un pas » ni même manger sans polluer la planète, la romancière invente deux machines extraordinaires : une « Grande Trieuse de déchets » et une « Grande Imprimante ».

« L’Imprimante puiserait dans les toners [encre en poudre constituée de particules ultrafines de plastique ou de métal] récoltés par la Trieuse et imprimerait des immeubles, de maisons, des ports, des campus » en Chine ou au Ghana, en « assainissant d’anciennes décharges » ; mais aussi… avec des toners alimentaires, on imprimerait « des kilomètres de blanc d’œuf, de la viande, des légumes, des épices, même un bœuf Strogonoff déjà chaud ». Mais aussi… avec des toners microbiologiques, « des organes », capables de « renouer les fils brisés des corps souffrants, reconstituer des colonnes vertébrales sectionnées, rétablir la vue, restaurer l’ouïe, retisser la peau des grandes brûlures ». Note aux jurés du concours Lépine : Catherine Dufour possède aussi les plans d’un « Aspirateur-Recycleur », susceptible de nettoyer la ceinture orbitale et le continent de plastique du Pacifique.

Image : Wall-E, d’Andrew Stanton (2008).

18 novembre 2020

4:25

David Wahl : « Demain, l’océan sera uni aux villes »

« Ce qui est sale, c’est bien connu, n’est pas très net. À la lecture de ces pages, il n’est donc pas impossible que tu sois pris de dégoût, voire de nausée. Digère au mieux ces lignes. Et quand la composition générale te soulèverait encore le cœur, accorde au moins aux simples faits dont elle est tissée une petite considération. Tous sont vrais. » Nous voici à l’orée du Sale discoursde David Wahl, publié en 2018 aux éditions Premier Parallèle. Sous-titre : « Géographie des déchets pour tenter de distinguer au mieux ce qui est propre de ce qui ne l’est pas. » Brève et stimulante leçon de choses sur l’environnement, parsemée d’anecdotes historiques pas dégueulasses, rythmant la quatrième « causerie » de cet exubérant comédien, dramaturge et écrivain né en 1978, dont le théâtre – après son Traité de la boule de cristal(2014) ou son Histoire spirituelle de la danse (2015) – se pique de philosophie, de sourires et de rencontres scientifiques auprès d’experts des sujets traités, comme quand il évoque les liens qui unissent les hommes et les manchots.

Sautant du pont de L’Arche de Nova, ce savant causeur s’immerge dans un futur aquatique, où les métropoles découleront de formes de vie sous-marines. « Nos murs seront des briques d'eau fourmillant de micro-algues se régénérant au soleil, nous fournissant une chaleur et une isolation organique, sans pollution ni déchets. Bientôt on éclairera la ville par de la lumière vivante issue de micro-organismes faisant resplendir les métropoles de bioluminescence verte et bleue turquoise. » Et nous finirons par « errer dans les récifs les yeux saturés par la couleur des coraux, les doigts palmés, les cheveux algués, inspirer à pleine branchies la grande bleue. » On plonge ?

Sauf confinement submergeant, David Wahl prononcera son Sale discoursle 20 janvier à Blois, le 28 mai à Châtillon, le 2 juin à Guingamp, le 21 juillet à Avignon.

Image : Star Wars – la menace fantôme, de George Lucas (1999).

17 novembre 2020

3:52

Arnaud Dudek : « Demain, nous n’écrirons plus de notes stratégiques »

« Vent debout », cet écrivain parisien déclame un hymne au bricolage tout en alexandrins, pour nous encourager à « tricoter des pulls » et « cuire des melons » dans de solides cabanes à Bali ou à Blois.

« Réponds, baisse la musique, avance, plus vite, enlève tes écouteurs, tu finiras par devenir un petit gros, comme ton grand-père maternel, tu séduiras aucune fille, aucune fille, moi je n'en peux plus, il me pousse à bout, basta, la coupe est pleine, alors ça monte dans ma gorge… D'abord, t'es pas vraiment mon père. » Dans son dernier roman publié aux éditions Anne Carrière intitulé On fait parfois des vagues, Arnaud Dudek se glisse dans la peau d’un jeune garçon élevé « dans un village de cinq cent cinquante-trois habitants avec des cabanes dans les arbres, des marronniers, des chèvres à poil ras, un bout de terre situé à quinze kilomètres au sud de la capitale régionale », qui apprend à 10 ans que son père, avec lequel il n’entretient pas une formidable complicité, n’est pas son géniteur, en réalité. Il vivra ensuite avec l’écho de cette « tempête » jusqu’à l’âge adulte, quête des origines contée avec une grande économie de moyens via de brefs chapitres, qui cependant ne lésinent pas sur l’émotion – signe caractéristique des romans de l’auteur parisien du bouleversant Tant bien que mal (2018, Alma), qui narrait déjà les conséquences d’une enfance déboussolée.

Optimiste, Arnaud Dudek voit loin. Pour L’Arche de Nova, il s’est retroussé les manches pour écrire – tout en alexandrins ! – sa vision d’avenir en forme d’hymne au bricolage. « Mon futur se construit dans de solides cabanes / pour abriter nos rêves et nos poissons-bananes / Oubliés pavillons aux balançoires factices / Ecartées tours gratuites, fournies sans la notice, vernies de vanité et pochées dans le vain / Des cabanes cousues main : rien de plus, rien de moins / Dedans nous n’écrirons plus de notes stratégiques, mais nous retrouverons le goût pour le pratique. » Tout se fera mieux dehors. Et… « Le si mauvais bruit des si mauvais jours qui crawlent ne méritera qu’un bref haussement d’épaules. »

Pour écouter la chanson née du roman d’Arnaud et composée par Olivier Hazemann, c’est ici : https://www.youtube.com/watch?v=bsXB2fa_DnY&ab_channel=ArnaudDUDEK

Image : détail de l’affiche du documentaire Les Grands Voisins, la cité rêvée, de Bastien Simon (2020).

15 novembre 2020

2:55

Rest In Gale : « Demain, tu ne procréeras point »

Deux Nick Cave dans une cave du 9-3 ? Les Cramps de Romainville ? Merci d’applaudir cette freak parade de rockeurs galeux qui, à l’heure de leur premier véritable album, nous offre une ballade post-apocalyptique inédite.

« Rappelle-toi. Il ne restait rien. De la poussière et des cendres. » Où sommes-nous ? Peut-être dans la cave d’un club parisien, quelques heures après le concert que donnera Rest In Gale à la sortie du confinement, pour célébrer Tombola, leur véritable premier album, à paraître fin janvier sur le label Kliss / Jarane. On peut s’en convaincre en regardant le clip de Bateau ivre, dans lequel les deux fondateurs du groupe, Julien Howler et William Rains, aux voix d’outre-tombe proches du lyrisme lugubre de Nick Cave, nous content une histoire de tatouage carcéral (vu le titre, on aurait pu parier sur des « Peaux-Rouges criards qui les auraient pris pour cibles et cloués nus aux poteaux » : ça marche aussi), en variant leurs effets, grandiloquents et inquiétants, impeccables. Tout Tombola est de ce tonneau (de whisky). Une fête foraine avec fichtre fantômes (Clash, Cramps), mélancolique ou furieuse, bombée de rock anglais ou parfois chantée en arabe (comme sur Amari, second single, mis en ligne le 18 novembre), avec un grand talent pour les lignes mélodiques.

Formé en 2014, ce duo devenu quintet doit son nom à la gale authentique que Julien et Will attrapèrent au cours d’une « tournée UK un peu casse-gueule ». La maladie semble avoir proliféré dans le futur post-apocalyptique de cette chanson spécialement écrite et composée pour L’Arche de Nova. La fertilité s’est tarie. « Demain, nous ne ferons plus naître de la chair à être dirigée. Des nations entières ont disparu. » Sauf que les survivants étaient en fait « cachés sous les eaux froides » et, « quatre-vingt-deux étés plus tard », on dirait l’arrière-petit-fils du Johnny S.-F. de Poème sur la 7e (1970) qui ressuscite soudain derrière le micro (!) pour peindre en hurlant des hommes « en costumes cravatés » qui se sont « entretués », sur une plage. Entêtant court-métrage musical.

Pour voir le clip de Bateau ivre, c’est ici : https://www.youtube.com/watch?v=4Bmv9pUnsjM&ab_channel=R.I.G

Image : Fan-art de La Planète des Singes, de Franklin Schaffner (1968).

13 novembre 2020

3:07

Benoît Peeters : « Demain, nous accepterons la fièvre »

Cofondateur des mythiques « Cités obscures », cet écrivain et scénariste de bande dessinée conseille de « ne pas rêver d’un retour au calme » et à « s’habituer à vivre dans un état de crise permanente ».

« Nous ne pouvons rien faire d’autre que laisser les choses se dérouler normalement. Toute intervention extérieure aggraverait la situation… Croyez-moi, nos problèmes finiront par se résoudre. Le temps veille à tout. Il apportera la solution. » En période de pandémie galopante, souvenons-nous des paroles de « l’urbatecte » Eugen Robick, héros malgré lui de La Fièvre d’Urbicande, sidérante bande dessinée des Belges Benoît Peeters et François Schuiten, sacrée meilleur album à Angoulême en 1985 et pièce maîtresse de leur monumentale saga Les Cités obscures, démarrée en 1982 et forte à ce jour de quinze albums traduits en quinze langues. Tandis que Casterman réédita fin octobre La Fièvre… dans une version colorisée (selon les vœux initiaux des auteurs) de toute beauté par Jack Durieux, difficile de ne pas voir dans la métamorphose de la ville une allégorie de la crise sanitaire mondiale.

Reprenons. Un jour un cube vide, « trouvé sur un chantier » et particulièrement solide, est déposé sur le bureau de Robick. Mais il se met à grandir de manière exponentielle, devenant un « réseau » totalement autonome, hors de contrôle, jusqu’à bouleverser l’organisation de la cité, en reliant des quartiers et des populations jadis séparés. Alors que Peeters et Schuiten avaient déjà pu constater, au début des années 90, que leur intrigue digne de Borges ou de Kafka fonctionnait comme une métaphore d’Internet avant l’heure, les deux complices ont relu leur fable comme le miroir de la pandémie. « La Commission des hautes instances d’Urbicande, ne cessant de prendre des décisions à contretemps, fait furieusement penser à nos responsables politiques. »

À bord de L’Arche de Nova, Benoît Peeters a donc fait monter la température. Ecrivain, biographe (auteur d’ouvrages sur Hergé, Taniguchi, Chris Ware, Jacques Derrida), ce Franco-Belge constate d’abord qu’il est « sain d’avoir de la fièvre : cela permet au corps de se révolter, de lutter » en nous encourageant à « accepter l’idée de la fièvre », « ne pas s’en débarrasser », qu’elle soit sanitaire, climatique ou politique. « Il faut s’habituer à vivre dans un état de crise permanente. Ne pas rêver d’un retour au calme. »

Pour réécouter l’interview de l’autre créateur de Cités obscures, François Schuiten, à propos de sa version de Blake & Mortimer, c’est ici : https://www.nova.fr/podcast/nova-book-box/francois-schuiten-la-bd-cest-latlantique-la-rame-tous-les-jours

Image : La Fièvre d’Urbicande, de Benoît Peeters & François Schuiten (2020).

12 novembre 2020

2:33

La Géosphère : « Demain, nos imaginaires seront dé-racialisés »

Les poussées nationalistes vous rendent vert ? Virée déboulonnante dans l’utopie d’« Afropea » de Léonora Miano, sur les conseils d’Anne-Bénédicte Lebeau, libraire à Montpellier.

« Un continent fictionnel permettant d’explorer, à travers la musique, l’influence des cultures africaines sur la sensibilité européenne. » Dans son essai publié en septembre aux éditions Grasset, l’écrivaine franco-camerounaise Léonora Miano, 47 ans, rappelle que le terme Afropea, qui donne son titre à l’ouvrage, est une idée du cofondateur des Talking Heads, David Byrne, au début des années 90. En témoigneront trois albums intitulés Adventures in Afropea, sur son label Luaka Bop, avec la complicité du groupe belge Zap Mama, dont Marie Daulne et sa sœur Anita. Puis « l’idée échappe à son concepteur » et des « Européens d’ascendance subsaharienne se l’approprient pour nommer (…) le mouvement de leur identité », car « la rencontre entre les peuples n’a laissé intacte aucune des parties ».  

Jusqu’à la réouverture complète de leur boutique, L’Arche de Nova donne la parole une fois par semaine à des libraires – qui cueillent dans leurs rayons leur vision d’un futur désirable. On commence avec La Géosphère, librairie de voyage et de littérature étrangère située au 20 rue Jacques-Cœur à Montpellier, aujourd’hui représentée par Anne-Bénédicte Lebeau, qui s’est immergée dans l’utopie post-raciale, post-occidentale et post-capitaliste de Léonora Miano. « Demain, dit-elle, on se choisira une Marianne amérindienne née en Guyane qui trônera dans toutes les mairies de France. Tout le monde connaîtra le nom de Severiano de Heredia, métis cubain élu maire de Paris en 1879 avant de devenir ministre des travaux publics. Et les statues déboulonnées de Colbert seront remplacées par celles de la Martiniquaise Aïcha Goblet, actrice et chanteuse très populaire des années folles, muse de Matisse ou de Man Ray. » Contre les affreux pénibles, vive les Afropéens !

Pour cueillir les livres de La Géosphère : https://librairiegeosphere.com/

Image : Zap Mama, photographiée par Vincent Soyez.

10 novembre 2020

4:31

Sidi Bench : « Demain, tu pourras t’payer 50 ou 1000 ans de vie »

Fan hardcore du manga « Berserk », ce rappeur parisien nous lâche un morceau inédit situé en 2717, où « tous les 200 ans, on change de galaxie, les cellules se régénèrent à l’infini », où « y a plus de frontières, pas d’chef, les drogues sont bonnes pour la santé ». Sérieux ?

« J’veux pas de l’immortalité de Sméagol. » Début octobre, on l’a vu se multiplier par quatre. Dans le clip de Ti Amo, second single de son premier maxi intitulé L’Avent, Sidi Bench, alter ego du journaliste parisien Rémi Benchebra, « essaye de faire la part des choses, comme l’Equateur » en dansant autour d’une noble piscine intérieure entouré de quatre clones de lui-même, « se fait du souci la nuit et puis c’est pire à l’aube », constatant que petit, il voulait « être maintenant », mais que maintenant, il préférerait redevenir petit. Logique, quand on dévore depuis des années le manga Berserk, saga monumentale de dark fantasy médiévale en quarante volumes entamée en 1989 par le Japonais Kentaro Miura, narrant les errances d’un jeune mercenaire dans un univers ultra-violent. L’Avent, ainsi que les deux prochains EP de Sibi Bench à paraître en décembre puis au printemps, abonde en clins d’œil au manga tout comme à sa série d’animation dérivée, noire charogne, le temps d’une longue quête solitaire – démentie dans la réalité par le compagnonnage efficace de son ami producteur Yabu.

Plume régulière du webzine Pan African Music, ex-assistant rédac’ de Radio Nova, Rémi publiera ce mercredi la vidéo de Sidi Bendô, sa « voie du ninja » à lui. Caché dans son bunker, il s’interroge : « Qu’est-ce que tu veux que je te dise de pire que ce qui existe ? » Pour fêter ça, le rappeur de 26 ans s’est fendu d’une face B inédite, spécialement écrite pour L’Arche de Nova, où le futur paraît déjà plus désirable. « Y a plus de frontières, pas d’chef, les drogues sont bonnes pour la santé », mais nous ne sommes plus sur Terre, car « elle a péri ». Bienvenue à Teslaterri, en 2717. « Tous les 200 ans, on change de galaxie, les cellules se régénèrent à l’infini, selon le salaire tu peux t’payer 50 ou 1000 ans de vie. » Mais peut-être que tout ceci est une illusion générée par des lunettes pareilles « à un trip sous L ». Bilan, carbonisé : « T’as l'choix d'vivre un cauchemar ou d'mourir en rêvant / Askip c'est toujours mieux qu'avant. »

Pour suivre et écouter Sidi Bench, c’est ici : https://www.instagram.com/sidi_bench/

Image : Berserk, de Kentaro Miura (éditions Glénat).

09 novembre 2020

3:50

Alexandre Labruffe : « Demain, nous effacerons tout ce qui est vert »

Attaché culturel en Chine (à Wuhan !), cet écrivain français cauchemarde une société qui bannirait la couleur de l’espoir, des arbres aux yeux, accompagné en musique par son ami Lady Boy.

« Admirer la gueule cassée de l’avenir. » Dans son récit Un hiver à Wuhan paru en septembre dernier aux éditions Verticales, l’écrivain français Alexandre Labruffe, 46 ans, partage ses inquiétudes à vivre dans « le Gotham City chinois » devenu « zone interdite » suite à la propagation d’un certain virus – le tout, alors qu’il écrit sur place « un conte paranoïaque » et « sniffe de la SF », avec l’impression flippante d’habiter dans L’Armée des douze singes. Mais que fait-il dans cette ville, où le hasard l’a nommé attaché culturel après divers postes en Chine et en Corée du Sud ? « Mon rôle est de contrôler les tire-bouchons (…). En ouvrant les bouteilles, nous nous retrouvons vite, avec Chen Huang, devant la nécessité de les vider, donc de les boire. (On aime le travail bien fait.) »

À bord de notre Arche, ce « spécialiste des cotons-tiges » qui « réenchante la fin du monde à coups de haïkus caustiques » nous peint donc, en toute logique insensée, un futur où il sera possible (un temps seulement) de « changer de sexe comme de chemise », d’être « chien le midi, androgyne à l’apéro, androïde à l’aube, eunuque au crépuscule », avant qu’un « yogiste intégriste » aux cheveux roses, « tata-yaya-tollah » à grosse Rolex, ne prenne malheureusement les manettes de la planète et interdise TOUT. Et surtout… le vert. Dans ce futur indésirable, Alexandre aura pour métier « d’effacer toute trace de vert sur la Terre » : les arbres seront tronçonnés, les herbes déracinées, les murs, les yeux et les voitures repeints, le mot lui-même (et ses dérivés : ver, verticale, vertèbre, verrouiller) finira désossé, amputé. Cette complainte d’un avenir « éther », Labruffe la chante accompagné par le « mosaïcologue » Olivier Hazemann, alias Lady Boy, qui « écrit et compose des miniatures aux allures de pharmakon, un peu remède, un peu poison ». Vert-igineux.

 Image : Green Lantern (DC Comics).

06 novembre 2020

5:04

Jeanne Beltane : « Demain, tous à poil ! »

Survivante des attentats du Bataclan, cette autrice lyonnaise rêve d’une « mise à nu » collective, seule conséquence heureuse du réchauffement climatique, qui signerait la fin des agressions sexuelles et des pollutions de l’industrie de la mode.

« J’ai rampé sous le parquet amovible à un mètre du sol, sous le bar. Je me suis faufilée dans les bouts de verre, jusqu’à un petit coin avec un angle en béton, en me disant qu’en cas d’écroulement cela tiendrait mieux. Là, je me suis sentie en sécurité, j’ai retrouvé petit à petit mon sang-froid. Les tireurs étaient dans la salle. Il y avait moins de tirs, il y avait très peu de bruit, à part les téléphones qui sonnaient sans cesse. » Le 13 novembre 2015, Jeanne Beltane se rend au Bataclan avec une amie pour pogoter sans vergogne sur les Eagles of Death Metal ; hélas, l’horreur du terrorisme fait irruption dans sa vie. « En racontant pour la vingtième fois les faits, je me suis effondrée. Le cinquième jour, mon corps me lâche, il n’est que douleur. Je marche courbée comme une vieille. (…) Culpabilité, toujours. Culpabilité de ne pas être forte, de ne pas aller de l’avant. (…) Quelqu’un a fait péter un ballon. Je n’arrivais plus à me calmer. J’ai pleuré, pleuré. Je crois qu’il faut que je boive moins. (…) Pourquoi ai-je donné la vie dans un monde si sale ? »

Cinq ans plus tard, cette autrice lyonnaise vient de consigner son expérience dans un premier livre bref et poignant, Une forêt, accompagné des photographies de Manon Bornaz. Auto-édité, doté d’une maquette élégante, l’ouvrage dévoile le trauma lié à l’attentat, mais également l’introspection consécutive à deux décès (sa grand-mère, son père) et une naissance (sa fille) qui encadrent le drame. L’écriture est clinique, bouleversée, semblable à celle d’un journal intime, marquée par des lectures de Philippe Lançon, Tristan Garcia ou Valérie Manteau. Les images, superbes, montrent souvent Jeanne débarrassée de ses oripeaux sociaux, sans vêtements, par fragments, en pleine forêt, loin de la violence des villes. Une mise à nue très courageuse, à double titre.

Et c’est ce qu’elle espère pour l’ensemble de la société. En 2060, « merci le réchauffement climatique », nous vivrons toutes et tous le cul à l’air. Cette transparence collective signerait selon elle la fin progressive de nos intimités déballées en ligne, des agressions sexuelles et des pollutions de l’industrie de la mode, en retrouvant « le plaisir des corps imparfaits, non photoshopés, sans filtres Instagram » et un pied d’égalité avec les animaux. De quoi retourner en forêt, fissa-fessa.

Pour se procurer Une forêt, c’est ici : https://uneforet.fr/

Image : Toni Erdmann, de Maren Ade (2016).

05 novembre 2020

3:39

Olivier Mak-Bouchard : « Demain, on clonera les espèces en voie d’extinction »

À San Francisco, cet écrivain provençal aimerait dupliquer en urgence le dauphin du Yangtsé, le rhinocéros noir ou le bouquetin des Alpes, ainsi que toutes les plantes menacées, à l’échelle de la planète.

« Oui, si le lecteur veut vraiment comprendre, il doit remonter jusqu’à la création du monde. Pas celle que tout le monde connaît, mais bien celle des légendes du coin, celle que l’on raconte aux enfants d’ici pour qu’ils s’endorment », prévient d’emblée (le narrateur d’) Olivier Mak-Bouchard, 37 ans, originaire d’Apt, Vaucluse, au début de son premier roman, Le Dit du Mistral, publié en septembre aux éditions Le Tripode. Dans le Luberon, à la suite d'un orage, un homme et son voisin, un paysan bourru, découvrent dans le champ mitoyen des éclats de poterie près d’un mur de pierres sèches. Démarre alors une enquête archéologique en amateur, sous l’œil d’un matou surnommé le Hussard, en hommage à Giono. « Un gros chat tout blanc, à l’exception de ses pattes qui sont noires, des coussinets jusqu’aux genoux. On aurait dit un chasseur alpin pourvu de grandes bottes de cuir noir, et longeant le mur de la Peste. »

Si la race de ce félin venait à s’éteindre, pourrait-on le cloner, afin de poursuivre l’enquête ? Si l’on se fie à l’utopie d’Olivier Mak-Bouchard, miaou que oui. Installé à San Francisco (où, dit-il, « les feux sont éteints, le ciel n’est plus orange »), ce lecteur de London, Verne, Pagnol ou Stevenson, qui écrit surtout après le dîner et « sous la douche », envisage un clonage écologique pour sauver les espèces en voie d’extinction. 

En démarrant, gonflé, par « un partenariat avec les chasseurs » pour obtenir leur endormissement par fléchettes, afin de récolter « un petit morceau d’ADN » de dauphin du Yangtsé, de rhinocéros noir, d’un bouquetin des Alpes ou d’un phoque moine de Méditerranée (voire d’un « mistouflon du Lubéron », animal bleu ciel à six pattes), dont les clones nouvellement créés seraient aussitôt relâchés dans leur milieu naturel. La méthode Jurassic Park sans clôtures, appliquée en simultané aux plantes menacées, le tout à l’échelle de la planète. En passant ensuite aux espèces disparues, pour retrouver le dodo mauricien, le diable de Tasmanie ou ce pachyderme qui donna son nom, jadis, à une émission sur Nova : l’éléphant effervescent. L’auteur, lui, vient encore de se dédoubler. Il a fini son second roman. « Une uchronie : un (infime) détail qui change il y a vingt ans et qui aurait pas mal de répercussions aujourd'hui. L'écriture est terminée, j'en suis à relire et améliorer le texte. Ça se passera aussi en Provence. »

Image : Jurassic Park, de Steven Spielberg (1993).

03 novembre 2020

3:55

Cola Boyy : « Demain, l’engagement politique fera partie du quotidien »

Signé chez Records Makers, ce musicien californien, partisan d’un disco-funk aux positions farouchement marxistes, entend réveiller notre conscience du prolétariat. « D’ici cinquante ans, ce sera une question de vie ou de mort. »

« Je ne dirais pas que je communiste : je soutiens les classes ouvrières et prolétariennes qui souhaitent un changement radical. » Novembre 2019, on découvre la vidéo d’All power to the people, le dernier single en date de Cola Boyy, 29 ans, étonnant partisan d’un disco-funk politisé originaire d’Oxnard (Californie) signé par les Frenchies de Record Makers (Air, Sébastien Tellier). Dans une classe de CE2 où tous les élèves sont vêtus de rouge, le musicien tient le rôle du prof’ prompt à enseigner les façons « d’écraser les fascistes » et distribue les écrits de Lénine, Mao, Frantz Fanon ou Che Guevara, sous des portraits de Karl Marx ou de Fidel Castro, en incitant les mômes à contester « les loyers trop élevés », à « filmer la police » et, euh, à prendre les armes pour « se défendre eux-mêmes ». Et le chanteur à la voix nasillarde de lever le poing, entouré de kids auxquels il est promis de bientôt « marcher sur le pouvoir porcin ».

Un drôle de coco, donc, qui fut à la sortie de son premier EP, Black Boogie Neon (2018), l’un des invités de nos Nuits Zébrées. Mais qui se cache sous la capsule de Cola Boyy, dont le pseudo provient de son goût, enfant, pour la boisson gazeuse la plus capitaliste de la planète ? Un certain Matthew Urango, qui eut la malchance de naître handicapé, plombé par une malformation de la colonne vertébrale. À 2 ans, il se fait amputer d'une jambe et, depuis, porte une prothèse, tout en souffrant d’une capacité pulmonaire réduite de 25%. Triste ironie, l’homme a un frère jumeau tout à fait valide. Et ce jumeau est Blanc, alors que Matthew est métis, ce qui n’a souvent rien d’un avantage aux yeux de la société.

« Un handicapé est constamment stigmatisé. Mon seul rêve de gamin était de devenir comme les autres. Mon look me permet de me sentir fier dans ma différence. » Assez stylé, vêtu de pattes d'eph', de polos chics et de chemises seventies, Cola Boyy milite aujourd’hui au sein de l’asso Todo Poder Al Pueblo, qui soutient les droits des immigrés surexploités dans les champs de fraises d’Oxnard. « Je crois dans le travail coopératif, dans la prise de possession des moyens de production par les travailleurs et dans le rôle de l'État. J'ai des critiques envers l'URSS, mais je trouve que ce fut une expérience inspirante, avec plus de bon que de mal. »

Proche de Myd, de Nicolas Godin ou de Devendra Banhart, avec lesquels il signa ces derniers mois de beaux duos, Cola Boyy entend réveiller nos convictions. « Dans cinquante ans, l’activisme sera partie prenante de ton quotidien. Tu n’auras plus le choix, question de vie ou de mort. Les conditions générales seront devenues si tendues entre les travailleurs et les patrons que le combat sera inévitable. Ce sera la révolution, vous voyez ? Pas une balade au parc. Ou un barbecue le week-end. Ou un post Instagram. Ce sera la peur, la vraie. Continuez à occuper les rues. C’est ça qui va transformer la société. Pas le dernier pantin de la bourgeoisie. Et si un jour je deviens moi-même un pantin de la bourgeoisie, dit-il en riant, fichez-moi dehors. »

Pour écouter Cola Boyy, c’est là : https://colaboyy.bandcamp.com/track/all-power-to-the-people

Réalisation : Juste Bruyat.

Image : Have you seen her (détail), de Cola Boyy (2018).

02 novembre 2020

3:11

Quand la K-pop trolle Donald Trump

Ce qui m’a donné assez envie de venir vous réveiller de si bon matin...Honnêtement, c’est de savoir que vous nous écouter et qu’à un moment on fera des blagues au téléphone... Mais il y a cette histoire des fans de Kpop, qui aux USA, s’impliquent de plus en plus politiquement. lI y a quelque mois déjà, des fans de pop coréenne avaient trollé un meeting de Trump en réservant toutes les places pour ne surtout pas y aller.

Et ça, ça m’a presque donné envie d’en écouter... mais bon faut pas déconner non plus.

30 octobre 2020

2:22

Brian Evenson (2/2) : « Demain,vers une sécurité sociale universelle »

En Californie, cet écrivain américain, mormon excommunié en raison de la puissante ambiguïté de sa littérature, mise sur « l’espoir » né de la contestation anti-Trump pour réformer la société en profondeur.

« J’écris de plus en plus sur le changement climatique, l’effondrement et les désastres causés par l’homme. Dans mon roman Immobility(2012), déjà, des personnages essayaient de survivre dans un monde en ruines. Et je vais continuer, en passant de paysages typiquement post-apocalyptiques… à la séquence que nous sommes en train de vivre. Mon prochain recueil de nouvelles, The Glassy, Burning Floor of Hell, prévu pour août 2021, ne parlera que de ça. Nous détruisons la planète en ne faisant quasiment rien pour empêcher cette catastrophe. Cela me hante. Pour le dire vite, le monde et les autres espèces s’en sortiraient mieux si les humains n’existaient pas. Mais nous ne pouvons pas souhaiter notre propre disparition. Nous sommes piégés. »

Né dans une famille mormone depuis six générations, Brian Evenson enseigna l'écriture à l’université religieuse de Brigham Young, Utah, jusqu’à la parution, en 1994, de son premier recueil de nouvelles, La langue d’Altmann. (Un étudiant envoya une lettre anonyme laquelle il prétendait que l’écrivain était « en faveur de l’existentialisme, de la violence et du cannibalisme » et que son travail faisait « l’apologie du mal ». Pressions, menaces d’excommunication : Evenson fut contraint de rompre avec l'Église, la faculté et sa famille.) Miracle, les critiques furent vite élogieuses – parmi lesquelles, en France, le philosophe Gilles Deleuze – au sujet de sa littérature remplie de faux prophètes, de sectaires pédophiles et d’esprits manipulés, priant parfois les démons de l’épouvante pure.

Professeur de littérature à l'Institut Californien des Arts de Valencia, traducteur vers l’anglais d’œuvres de Flaubert, Volodine, Claro ou Chevillard, Brian Evenson, 54 ans, mise sur « l’espoir » né de la contestation anti-Trump pour réformer en profondeur la société.« Ça commence tout juste. La manière dont la police a été défiée sur le terrain de sa propre brutalité, comment les gens ont réagi face aux meurtres des personnes noires et racisées… la façon dont ilsse lient pour les choses changent... Nous pouvons rêver d’une société plus inclusive. Sauf peut-être pour les riches ! Même si ça serait bien qu’ils abandonnent une petite part de leurs millions pour améliorer un peu le sort de quelques-uns.Si Biden est élu, ce sera un soulagement, mais il ne faudra pas oublier où nous en étions juste avant l’élection, dans ce combat pour d’authentiques changements en termes d’assurance santé ou de reconnaissance basique des droits humains sur lesquels nous aurions dû veiller depuis longtemps. J’espère que toutes ces choses continueront. »

Réalisation : Juste Bruyat.

Pour écouter la précédente utopie de Brian Evenson, c’est là : https://www.nova.fr/podcast/larche-de-nova/brian-evenson-12-demain-le-confinement-nous-fera-vivre-de-micro-utopies?fbclid=IwAR3FjsCubO9MXzga-fPwsPlz80ZpD8MmS6EunIiVqAKVaMXodTj6ig_NO6k

Image : Joe Biden & Kamala Harris, caricaturés par Jim Carrey et Maya Rudolph dans le Saturday Night Live (2020).

30 octobre 2020

4:33

Brian Evenson (1/2) : « Demain, le confinement nous fera vivre de micro-utopies »

En Californie, cet écrivain américain, ex-prêtre mormon excommunié en raison de la puissante ambiguïté de sa littérature, propose de répondre aux réclusions préventives par la tendre observation de nos refuges intimes.

« J’écris de plus en plus sur le changement climatique, l’effondrement et les désastres causés par l’homme. Dans mon roman Immobility (2012), déjà, des personnages essayaient de survivre dans un monde en ruines. Et je vais continuer, en passant de paysages typiquement post-apocalyptiques… à la séquence que nous sommes en train de vivre. Mon prochain recueil de nouvelles, The Glassy, Burning Floor of Hell, prévu pour août 2021, ne parlera que de ça. Nous détruisons la planète en ne faisant quasiment rien pour empêcher cette catastrophe. Cela me hante. Pour le dire vite, le monde et les autres espèces s’en sortiraient mieux si les humains n’existaient pas. Mais nous ne pouvons pas souhaiter notre propre disparition. Nous sommes piégés. »

Né dans une famille mormone depuis six générations, Brian Evenson fut prêtre et enseigna à l’université religieuse de Brigham Young, Utah, jusqu’à la parution, en 1996, de son premier recueil de nouvelles, La langue d’Altmann. (Un étudiant envoya une lettre anonyme laquelle il prétendait que l’écrivain était « en faveur de l’existentialisme,de la violence et du cannibalisme » et que son travail faisait « l’apologie du mal ». Pressions, menaces d’excommunication : Evenson est contraint de rompre avec l'Église, la faculté et sa famille.) Miracle : les critiques sont vite élogieuses – parmi lesquelles compta, en France, le philosophe Gilles Deleuze – au sujet de sa littérature remplie de faux prophètes, de sectaires pédophiles et d’esprits manipulés, priant parfois les démons de l’épouvante pure.

Francophone, traducteur vers l’anglais d’œuvres de Flaubert, Claro, Volodine ou Chevillard, Brian Evenson, 54 ans, nous propose de répondre aux réclusions préventives imposées par la pandémie mondiale par la tendre observation de nos refuges intimes. « L’oiseau-mouche de notre jardin vient vérifier si tout va bien pour nous. Il y a aussi deux lézards qui nous regardent et accomplissent d’étranges petites tractions, avant de s’en aller… Et tout ceci finit par composer une sorte de micro-utopie, de petits monticules de repos, de plaisir, de paix… qui permettent de tenir le coup. »

Image : Captain Fantastic, de Matt Ross (2016).

29 octobre 2020

5:13

Oliver Stone : « Demain, je voterai pour Edward Snowden… ah non, zut ! »

« Ce à quoi s’attache mon livre, c’est au fait de chercher à réaliser un rêve à tout prix, même sans argent. Rogner sur tout, improviser, baratiner, bricoler avec les moyens du bord, pour faire des films jusqu’au bout et les projeter dans des salles sans savoir quand tombera le prochain jour de paye, quand arrivera la prochaine mousson, quand piquera le prochain scorpion. » Ce mantra pour débrouillards, encore plus pertinent en période de crise à durée indéterminée, est signé Oliver Stone,tiré du premier tome de ses mémoires parus cet automne aux éditions de l’Observatoire sous le titre À la recherche de la lumière, beau récit d’apprentissage qui court de son enfance jusqu’à l’Oscar du meilleur film reçu pour Platoon(1986). Mais Hollywood a changé.

Interrogé en juillet par le New York Times, le réalisateur de Tueurs nés ou de Doors rappelle que son dernier film de studio remonte à 2016 : il s’agissait de Snowden, biopic du lanceur d’alerte de la NSA. « C’était difficile. Nous avons lutté pour le financer, en raison, je pense, du sujet. J’ai passé l’âge de demanderde l’autorisation des patrons. Je n’aurais aucun problème à tourner un nouveau film hollywoodien, j’en ai fait vingt, mais franchement, je suis usé. » À 74 ans, le cinéaste prépare deux documentaires. Le premier, J.F.K.:Destiny Betrayed, est basé sur « de nouvelles informations » à propos de l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy. Le second, A Bright Future, est adapté du best-seller homonyme de l’ingénieur suédois Staffan Qvist et de l’universitaire américain Joshua Goldstein (2019) sur des transitions écologiques réussies et les avantages de l’énergie verte, renouvelable, « dont le nucléaire ». « Ce ne sont pas nécessairement des sujets populaires, mais c’est important pour moi. »

D’où l’intérêt d’attraper au vol le metteur en scène américain lors de sa tournée française, pour tenter de le questionner sur sa vision de l’avenir – lui qui n’a, sauf erreur de notre part, jamais filmé le futur. Fustigeant l’électoralisme « dégueulasse » de Trump, Oliver Stone se demande « d’où viendra l’étincelle du changement » et nous régale d’un lapsus déjà légendaire.

Propos recueillis et traduits par Nicolas Schaller, à Lyon, lors du festival Lumière.

Habillage sonore : Juste Bruyat.

Pour écouter Oliver Stone en longue interview sur Nova, invité de L’Heure de pointe de Xavier de la Porte, c’est là : https://www.youtube.com/watch?v=QKe6m37Nfso&ab_channel=RadioNova

Image : Oliver Stone à Nova, photographié par Eva Sanchez (2018).

28 octobre 2020

5:13

Cécile Geindre : « Demain, la médecine traditionnelle s’ouvrira à l’invisible »

À Paris, cette comédienne aimerait nous aider à « prendre conscience de nos pouvoirs de guérison », histoire d’apprendre « où toucher, quoi dire ou simplement quoi penser » afin d’aller mieux.

Elle part bientôt en Lituanie pour jouer un agent de la DGSE dans Kompromat, le nouveau thriller de Jérôme Salle (L’Odyssée, Zulu), avec Gilles Lellouche et Joanna Kulig, sur un scénario de Caryl Férey, à propos de « l'évasion spectaculaire d'un diplomate français de Sibérie ». Le doute n’est plus permis : Cécile Geindre, comédienne parisienne également massothérapeute, photographe et interprète russe-français, connaît nos identités multiples, à plus d’un titre. Dans le spectacle – prévu pour 2021 – qu’elle écrit en ce moment avec l’actrice espagnole Alba Guilera, il est question de « deux femmes qui se retrouvent entre rêve et réalité, la vie et la mort, dans une sorte de Champs-Elysées de la disgrâce sociale. "Atrophiées", "anormales", elles partagent leurs doutes et leurs réflexions, entrent en solidarité, avant d’accepter d’être responsables de leur conscience. Dans ce cirque, échapperont-elles aux rouages du monde moderne ? »

Sur le pont de notre Arche, cette trentenaire dynamique, adepte de l’escalade dans des recoins perdus des Cyclades grecques, aimerait nous aider à « prendre conscience de nos pouvoirs de guérison » histoire d’apprendre à savoir « où toucher, quoi dire ou simplement quoi penser » afin d’aller mieux quand ça va mal. Elle imagine alors qu’à l’avenir, on saura « souder en or invisible les plaies », mais aussi « visiter nos failles », au point qu’un son précis, murmuré à un organe, « lui rendra sa vitalité », tandis que « les grandes industries pharmaceutiques fermeront boutique ». Ces talents de guérison nous permettront en outre de soigner la terre, les plantes, l’eau, les animaux, tels une armée de Gandalf. Tous toubibs : la solution idéale pour palier au triste manque de moyens de l’hôpital public ?

Image : Le Seigneur des Anneaux : les deux tours, de Peter Jackson (2002).

27 octobre 2020

3:00

Slowfest Orchestra : « Demain, nous vivrons des concerts par télépathie »

À Bordeaux, ce collectif de musiciens décroissants prédit l’effondrement quasi total d’internet à cause de la 5G, ainsi qu’un blocus global des transports. Alors comment diffuser la musique ? Via les ondes cérébrales !

Tous nos compatriotes devraient voir ça sur scène. L’afro-pop baleinière du Bal Chaloupé, la country sans frontières de Whiskey Paradis, les chœurs caressants (les fesses) de Toto et les sauvages, la soul enchanteresse de Dawa… tous rassemblés sur Slowfest sounds, la première compil’ de Slowfest Orchestra, conçue comme un « voyage psychédélique qui résume cinq ans d’expérimentations avec la fine fleur de la scène indé aquitaine », à paraître 31 octobre sur le label Milk Music. Mais comment faire, dans la France couvre-fous de Covid & Castex ? C’est là, une fois encore, que ce généreux collectif de musiciens, techniciens et militants en faveur de la décroissance redéboule en piste.

Après avoir sillonné l’an passé les routes de Gironde pour une palanquée de « bals » folk-rock-jazz-techno-musette à moitié improvisés, entrecoupés de conférences et de débats riches en convictions écolos, via leur Caravane des Possibles qui ne se déplace qu’à vélo, en traînant amplis et instruments dans des carrioles à roulettes équipées de panneaux solaires, ces savants allumés, qui recherchent la transe vêtus de peaux de bêtes, de cornes diaboliques ou de plumes vénitiennes, tenteront ce samedi un livestream en direct à suivre sur la page internet de la salle Krakatoa de Mérignac. Pile le soir d’Halloween et de la pleine lune, avec quelques surprises, dont un animateur de Nova maquillé comme jamais.

Formidable. Mais il est possible, bien sûr, d’aller plus loin, en poussant les potards de l’imagination. Porté par les voix de David Carroll et d’Amandine Steiblin, l’Orchestre Festif et Lent, dans son élan, prédit l’effondrement quasi-total d’internet d’ici 2058, causé par « le déploiement de la 5G » et « le scandale de la pandémie des cancers du cerveau ». Conséquence : « Le streaming, devenu l'unique mode de diffusion pour la musique et le cinéma, a disparu. Plus de flux, plus de cloud... silence radio. » La zizique se remet un temps à circuler via K7, CD, vinyles et MP3. Mais « l'explosion du prix du pétrole rend vite tout transport prohibitif ».

La solution apparaît à Memphis (Tennessee) en la personne de Mick Strauss, chanteur (ou chanteuse ?) jadis visité.e par les extraterrestres, qui lui ont enseigné « les secrets du streaming télépathique » ; l’enregistrement ci-joint traduit l’effervescence de cette première mondiale, via quatre milliards d’esprits connectés en simultané.

Pour voir en direct le concert de l’Orchestra & friends au Krakatoa, c’est ici : http://www.krakatoa.org/

Pour écouter la précédente utopie de David Carroll, membre du Slowfest, c’est là : https://www.nova.fr/podcast/larche-de-nova/david-carroll-demain-les-musiciens-feront-leurs-tournees-pied-velo-cheval

Image : Le Cinquième élément, de Luc Besson (1997). 

26 octobre 2020

9:59

Mathilde Rougier : « Demain, on téléchargera tous nos vêtements »

Invitée de la revue « Pièce Détachée », cette designeuse parisienne éco-responsable, diplômée de la Central Saint Martins de Londres, rêve de « vestiaires digitaux » remplis de « chemises en abeilles » et de « robes en métal liquide ».

« L’avantage de la mode digitale, c’est qu’on peut actualiser les pièces sans créer aucun déchet. » C’est l’une des excellentes surprises du troisième numéro de Pièce Détachée, cette revue de mode annuelle qui se propose, fort aimablement, de « déshabiller le vêtement ». Dans son édition 2020, parmi des articles élégants sur la chemise hawaïenne portée par Ellroy ou Elvis, le style butch poignets mousquetaires que ferment des boutons de manchettes en touches de machine à écrire »), la chemiseétrange pendue à un arbre dans Mud de Jeff Nichols ou la « charge érotique des chemises masculines portées par des femmes » dans les photos de Peter Lindbergh (sauras-tu deviner quel est le thème de ce nouveau numéro ?), un témoignage interpelle. Celui de Mathilde Rougier, licenciée « mode femme » de la prestigieuse Central Saint Martins de Londres. « Je pense qu’à l’avenir, on disposera de deux vestiaires. Un physique, qui s’adapte à la vie quotidienne, et un digital, avec des pièces flottantes, énormes, qui n’ont pas besoin de répondre aux lois de la physique. On voit déjà toutes les possibilités qu’on a avec les filtres Instagram. Est-ce que je me fais des idées en me disant qu’on est à l’aube d’un nouveau monde ? »

Via sa collection Modular Augmented Capsule, cette jeune designeuse parisienne laisse entrevoir une mode qui s’approprierait pleinement les codes de la réalité augmentée, en commençant par créer des fringues d’apparence « pixellisée », composées de dizaines depetits carrés, eux-mêmes recyclés à partir de chutes de cuir irrégulières ou de books d’échantillons de grands créateurs, type Louis Vuitton. Sur le pont de notre Arche, Mathilde Rougier, qui vient de démarrer le Master accessoires de l’Institut Français de la Mode à Paris, pousse encore plus loin son concept de fashion virtuelle. Chaque matin, face à notre « miroir augmenté », nous pourrons nous glisser dans des « chemises en abeilles » et de « robes en métal liquide » à télécharger. « On deviendra des serpents, muant au gré de nos envies.On s’échangera nos garde-robes par bluetooth. » Et le soir, en club, « on se transformera en loup anthropomorphe ou en boule à facettes ». Tandis que le vêtement physique, lui, « reviendra à sa fonction première : protéger le corps du froid et des agressions extérieures », « sans se soucier du poids de l’ornement », le tout de façon durable, écologique, en se rappelant « d’où il vient ». Chapeau haut !

Pour découvrir le travail de l’artiste : https://www.mullenlowenova.com/artist/mathilde-rougier/

Pour se procurer Pièce Détachée, c’est là : https://www.piecedetacheemagazine.com

Image : Mathilde Rougier, Modular Augmented Capsule(2020).

23 octobre 2020

3:23

Jérémie Moreau : « Demain, nous apprendrons la diplomatie inter-espèces »

À Valence, cet auteur de BD relance un vieux débat philosophique, « la théorie de la graine contre le carré », prélude à un imminent « renversement », qui tissera ensemble les habitats humains et non-humains.

« Le lion meurt de la même façon que la fourmi. Composition, décomposition. Je nais, je meurs. Rien de plus, rien de moins. Sans larmes, sans drame. » Ainsi parle Sophia, le félin sage au pelage noir qui donne son titre au Discours de la panthère, la nouvelle bande dessinée de Jérémie Moreau, publiée aujourd’hui aux éditions 2024. Au terme d’une série de bouleversants contes animaliers d’une très grande pureté graphique et morale, conférant au livre une sensation de classique instantané pour lecteurs de 7 à 107 ans, elle est là, la bête : juchée sur sa montagne africaine, écoutée par ses compatriotes de la savane. « Le jour où l’on sortira les corps de la chaîne du vivant, où l’on bâtira des palais aux morts glorieux, où l’on vengera les morts auxquels on s’identifie, où l’on cachera les morts gênants… le monde sera perdu. »

« Je voulais me glisser dans la conscience de ces animaux », explique l’auteur, nourri des travaux ethnologiques et philosophiques de Philippe Descola, Nastassja Martin, Vinciane Despret ou Baptiste Morizot. Sacré du fauve d’or du meilleur album en 2018 pour La Saga de Grimr, ce dessinateur précoce (qui envoyait déjà ses planches au festival d’Angoulême dès l’âge de 8 ans) dont Little Nemo demeure « le plus grand choc esthétique », dévoile avec une certaine grâce les tergiversations existentielles d’un bernard-l’hermite, d’un éléphanteau ou d’un dragon du Komodo. Absent notable de ce Discours, dont le trait trahit aussi la lecture de Babar que l’artiste fit à sa fille lors du confinement : l’homme.

À bord de notre Arche – qui aura rarement aussi bien porté son nom –, le dessinateur du Singe de Hartlepool relance « un vieux débat philosophique » sur… la définition du carré, qui opposait « ce bon vieux Platon » aux « fringants stoïciens » ; ces derniers, consternés par la définition bêtement géométrique de leur aîné, lui reprochent de négliger « ce qui se trouve à l’intérieur » du quadrilatère. Pour définir une graine, par exemple, ne doit-il pas prendre en compte « sa puissance, son devenir-plante » ? Et Jérémie Moreau, 33 ans, de se faire le prophète de « la théorie de la graine contre le carré », prélude selon lui à un imminent « renversement » qui nous fera passer « du capital à une économie solidaire », d’une humanité qui domine la nature à une « diplomatie inter-espèces ».

« La forêt et la ville s’hybrideront, les habitats humains et non-humains seront tissés ensemble. La tique et la panthère nous enseigneront la patience, le chêne la robustesse, le hêtre la croissance, la taupe et la chauve-souris comment éprouver le monde sans le voir. » Conclusion du griot de Valence, splendide : « Au coucher du soleil, à l’heure où la puissance de vie s’étiole, nous irons offrir notre chair au rongeur, au loup, à la fourmi. »

Image : Le Discours de la panthère (détail), de Jérémie Moreau (2020, éditions 2024).

22 octobre 2020

4:07

Days In Orbit : « Demain, nous développerons nos sens, jusqu’à en inventer de nouveaux »

« Depuis leur studio spatial », ce quatuor franco-japonais de house cosmique nous adresse une capsule musicale, vision d’un futur où nous pourrons tout voir, tout sentir, tout entendre – tels des Jedis aguerris.

« Nous sommes extraterrestres », dit-elle d’une voix discrète au filtre robotique, en riant, le temps d’une phrase, la seule en français du second album de Days In Orbit, CorocorobeatZ, sorti début octobre sur le label Spinnup. L’indice est de taille. Trois ans après leur disque homonyme et des dizaines de concerts en apesanteur, ce quatuor ovniesque, formé en région parisienne « un soir de pleine lune en 2014 » après une rencontre « un mardi, chaud, au nord de la mer d’Irlande », fait atterrir son astronef au cœur de notre cerveau de danseurs dont le feu couve en intérieur, en attendant la fin du couvre-teuf. C’est déjà la musique du futur : house planante, techno organique aux accents pop, hip hop ou jungle, mélopées nipponnes ou ballade enchanteresse qui ferait merveille au générique d’un Miyazaki (Shalan), composées avec soin par trois Frenchies et une Japonaise, alias Torek (basse, guitare, claviers, « ne dort jamais »), Clément (basse, guitare, claviers, « dort tout le temps »), Sam (batterie, percussions, « fait l’amour aux machines ») et Yasuyo (chant, mélodies, « apprend le second degré »).

Depuis leur « studio spatial », Days In Orbit nous adresse une capsule musicale qui reflète, encore une fois, à quatre voix, leur nature cosmique. Dans leur vision de l’avenir, « les êtres humains auront développé les sens, jusqu’à en inventer des nouveaux ». Ce « phénomène interviendra au réveil, sans pour autant nous réveiller ». Nous ferons confiance « à notre intelligence, plus rapide que la lumière, tout en gardant les yeux d’un enfant ». « Notre ouïe rendra malléable tous les petits bruits qui nous entourent ; les gouttes de pluie sur le zinc de la toiture nous souffleront des mélodies, nos pas dicteront des histoires. » « Le toucher sera vecteur de vibrations, par frottement, caresse, tapotement. » Un mystérieux « nouvel organe » nous permettra de se connecter à l’inconscient, voire « d’écouter les poissons tergiverser sur quelle direction choisir ». Enfin, dans cette galaxie des possibles, « on créera des rassemblements sensoriels », ce qui s’appelle encore, espérons-le… un live.

Image : L’Ascension de Skywalker, de J. J. Abrams (2019).

21 octobre 2020

4:00

Camille Cornu (3/3) : « Demain, l’urine sera le meilleur des désinfectants »

Cet.te auteur.ice et performeur.se français.e, posé.e en Ecosse, membre du collectif de poésie queer RER Q, accouche d’une utopie en trois épisodes sur le recyclage de nos « déchets » corporels, en résistance aux diktats du libéralisme.

« RER Q est un réseau d’autriX allié.e.s autour de textes / manifestes queer / crus / cul. RER Q écrit lit performe ce qui n’est que trop rarement visible. RER Q explose le genre triste et la syntaxe molle, la police des corps identifiés identifiables et la littérature officielle. RER Q serpente entre les mots d’individues qui racontent leurs perturbations non linéaires dans le genre et la sexualité. RER Q est substance désir chattes suspectes flemme tantrique trous béantes nuques moites expérimentations sales paysages gouines images clandestines tunnels d’amour fantasmes profonds comme des arbres. »

Fin septembre, soir de pluie, studio de danse du Point FMR, Paris. Les six pilotes du RER Q, Rébecca Chaillon, Camille Cornu, Wendy Delorme, Claire Finch, Élodie Petit et Etaïnn Zwer, partagent avec force et humour leurs textes et vidéos sur le thème de la « (re)production ». S’y succèdent le récit d’un coming-out à 20 ans, à la recherche d’un « peuple qui n’aurait pas de pères, et pas d’heure à laquelle se coucher » ; une tentative pour avoir un enfant « comme on retape une maison », manuellement, près de son amoureuse et d’un festin de dinde, dans un hôtel de banlieue ; une réécriture transgenre des comédies d’Aristophane ; des œufs, éjectés ou réintroduits dans les corps de manières assez troublantes. Ou encore… le recyclage de nos « déchets » corporels, en résistance aux diktats du libéralisme.

C’est l’idée de Camille Cornu, 33 ans, auteur.ice français.e (L’intime n’a jamais été aussi politique ici-bas, 2014, Habiletés sociales, 2017) et performeur.se, posé.e entre Paris et Glasgow, qui la restitue ici en trois épisodes. Dans la troisième et dernière partie d’un texte intitulé On ne mange pas les bébés, iel évoque la possibilité de réutiliser ce qu’elle « jette chaque jour », ce compte en banque caché dans sa vessie « bien au chaud et sans frais ajoutés ». Son urine, brillant désinfectant qui sauve des piqûres de méduses ou chasse les mycoses, capable d’assainir une plaie et d’en accélérer la cicatrisation, chéri autant par Madonna que par l’ex-président bolivien Evo Morales qui, en 2014, déclara que c’était « sa médecine ». Camille rappelle également que le pipi, qualifié de « pétrole du XXIe siècle » par le physiologiste français André Giordan, peut même faire office de carburant, le plein d’une voiture standard correspondant à l’urine quotidienne moyenne de 400 personnes ! « Vos corps sont des usines, vous possédez déjà tout, alors : faites la moisson. »

Pour écouter le précédent épisode de l’utopie de Camille Cornu, c’est ici : https://www.nova.fr/podcast/larche-de-nova/camille-cornu-23-demain-mangera-du-placenta

Plus d'infos : camillecornu.com

Image : Les femmes de ses rêves, de Peter & Bobby Farrelly (2007).

20 octobre 2020

3:45

Victor Pouchet : « Demain, nous vivrons nos vies comme des romans de chevalerie »

Cet écrivain parisien, auteur d’une relecture du mythe de Lancelot du Lac pour écoliers timides, conseille d’user de nos « armures intérieures et épées imaginaires » afin de remporter toutes les épreuves.

« Connaître les divisions à trois chiffres ne permet pas de dépasser ses peurs ; ce n’est pas en accordant comme il faut les participes passés qu’on réussit à vivre un grand amour. » Ainsi s’exprime en secret le jeune Lancelot Dulac, « trente-et-un kilos virgule cinq » (il s’est pesé sur la balance de la pharmacie de sa mère), armé d’un prénom de chevalier, qui lui pèse un peu, mais qu’il entend honorer depuis qu’il se sent prêt à « prendre des risques préhistoriques » pour conquérir le cœur de Jennifer, sa Guenièvre qui porte une robe couleur citron « subtilement assortie à sa chevelure ». Lancelot n’a jamais défendu de château (« faute de château dans le secteur »), mais pour se montrer digne de son illustre prédécesseur patronymique, il part en quête de bravoure. Car, ciel : Jennifer a disparu.

C’est le noble objectif de Lancelot Dulac, ce conte pour écoliers timides que l’écrivain parisien Victor Pouchet, également professeur de français et juré facétieux du Prix de la Page 111, vient de publier à L’Ecole des Loisirs, avec de très belles illustrations de Killoffer. Il en livre ici la morale pour adultes souhaitant réussir à « traverser le chaos du monde ». Pour aujourd’hui comme pour demain, l’auteur d’Autoportrait en chevreuil (éditions Finitude, 2020) conseille d’user de nos « armures intérieures, lances transparentes, épées imaginaires » afin de remporter toutes les épreuves : choisir son shampoing, aider un.e inconnu.e dans la rue, articuler l’amour courtois après trois gin-tonics. Et « bientôt, très logiquement, des troubadours chanteront en octosyllabes nos histoires d’amour par textos. » Un futur hautement désirable.

Pour écouter la précédente utopie de Victor Pouchet, c’est ici : https://www.nova.fr/podcast/larche-de-nova/victor-pouchet-demain-disparaitra-quand-voudra

Image : Monty Python Sacré Graal !, de Terry Gilliam & Terry Jones (1975).

19 octobre 2020

4:05

Voyou : « Demain, on va nous imposer le retour à la vie sauvage »

De passage dans la Chambre noire de Nova, ce musicien parisien nous encourage, le plus vite possible, à « laisser tomber tous nos jouets » pour « regarder les fleurs, les fourmis, les oiseaux ».

« Quand est-ce que tu te barres ? Que tu changes de tableau ? T'as besoin de bouger de cadre. Le confort a bien des défauts. » D’une justesse assez déchirante pour qui a déjà connu cette situation, Le confort, requiem urbain pour couples en bout de course présent sur le dernier mini-album de Voyou (Confettis en désordre, sorti cet automne sur le label Entreprise), peut s’entendre aussi, sans trop exagérer, comme une métaphore de fin d’un cycle pour l’humanité. Face aux crises (économiques, sociales, sanitaires) qui s’accumulent autant que les orages dans le ciel des amoureux défaits, il faut bouger. Modifier nos comportements, rapido. Quitte à ce que l’Etat nous force, par exemple, à quitter les villes pour retourner à l’état sauvage ? Une utopie pourrait-elle naître d’une telle décision dystopique ?

C’est l’intuition de Thibaud Vanhooland, 30 ans, one-man band (trompette, guitare, machines) planqué derrière le pseudo de Voyou, juste avant son live de mercredi dernier dans la Chambre noire de Radio Nova. Architecte d’une pop sensible et soignée, ce grand blond moustachu aux cheveux mi-longs, ex-Lillois exilé à Paris après des années d’apprentissage à Nantes, écrivait déjà, sur son premier disque solo et la chanson On a marché sur la lune, en 2019 : « Si on nous regarde d'en haut, on va finir par se dire qu'on est qu'une bande de fous. » Le bateau coule et nous restons à bord ?

Fan de science-fiction, Voyou, qui reprend joliment ces temps-ci le Jardin d’hiver d’Henri Salvador (et son vers secrètement apocalyptique : « Je voudrais du soleil vert »), rêve d’agriculture locale et d’apprendre « à se contenter de peu ». Faut-il tout revoir, à la base ? Il l’a chanté, ça aussi. « La cour d'école n'est qu'un miroir du monde de demain. » Et demain(s), ce bandit de grand chemin sera en concert – à 18h30 – le 23 octobre à Biarritz, le 24 à Bordeaux à Lille et le 25 à Lille.

Propos recueillis par Mathieu Fontaine.

Pour écouter Voyou dans notre Chambre noire, c’est ici : https://www.nova.fr/podcast/chambre-noire/voyou-en-live-dans-chambre-noire

Image : Seul au monde, de Robert Zemeckis (2000).

16 octobre 2020

3:28

Lisa Mandel : « Demain, des fessées pour tous les nantis, en public »

À Marseille, cette autrice de BD aimerait faire un gros pan-pan cul-cul à « ceux qui exploitent et ruinent le monde », en commençant par déculotter les patrons de Monsanto, de Total ou les apprentis-sorciers de la 5G.

« Moi c’est Marc. Je suis cadre sup’ et je suis confiné dans ma résidence secondaire à Oléron. Ah ouais dès qu’on a su, on a quitté Paris ; à quatre dans un 80m2, non mais allô quoi. De toute façon, après tous mes déplacements en Chine, en Corée ou en Italie pour le boulot, j’avais besoin d’un break. » Jour 276 de l’Année exemplaire de la dessinatrice Lisa Mandel qui, pendant un an, pour tenter de couper court à ses addictions (clopes, alcool, junk food, jeux vidéo, « séries débiles »), s’est engagée à publier une planche de BD par jour sur son compte Insta. On y suit ses joies, sa discipline, ses crises d’angoisse, son expérience de l’épilepsie, la montée de la révolte populaire libanaise ou encore les états d’âme des bourgeois du confinement. Marc : « Du coup c’est télétravail. Je bosse dans une grosse compagnie de vente en ligne, c’est le buzz en ce moment. Pas toujours simple, mais on s’adapte. En tous cas chapeau le personnel soignant, c’est beau d’avoir une vocation (…) Un truc qui m’inquiète, c’est qu’on a laissé le duplexe vide, j’espère qu’on sera pas cambriolés (…) Quelle sombre période que la nôtre, mais qui nous ramène à une valeur essentielle… ne penser qu’à sa gueule. » En voilà un qui mérite la fessée.

Et tandis que ce marathon dessiné est devenu un album auto-produit en édition limitée ainsi qu’une expo des 365 planches visibles à la médiathèque Françoise-Sagan (Paris) jusqu’au 31 octobre, la Marseillaise Lisa Mandel, 43 ans, par ailleurs héroïne à temps partiel pour les services secrets francophones sous le nom de Super Rainbow (Casterman, 2015), aimerait faire pan-pan cul-cul à « ceux qui exploitent et ruinent le monde », en commençant par déculotter les patrons de Monsanto, de Total ou les apprentis-sorciers de la 5G. « Alors on les prend tous et toutes, on leur enlève leur pantalon, on leur enlève leur slip, et on leur met une bonne grosse fessée des familles. Et ces belles fesses, là, qui ont été massées par des professionnelles, qui ont connues la chirurgie esthétique, qui ont été tonifiées par des coachs sportifs et nourries par des cuisiniers, à chaque fois qu’elles rougissent un peu plus, on leur explique pourquoi on fait ça. » Certes, en termes d’utopie, c’est un peu expéditif, mais ça claque.

Pour lire et se procurer l’album Une année exemplaire, c’est ici : https://lisamandel.fr/

Image : Mademoiselle ma femme, de Vincente Minelli (1943).

15 octobre 2020

3:56

Christine Armanger : « Demain, le mot désir remplacera le mot travail »

Ras-le-bol des bullshit jobs ? Cette actrice et autrice parisienne imagine une capsule ovoïde, de taille humaine, capable d’identifier le métier le plus adapté à notre âme. Comme un rendez-vous Pôle Emploi… en position fœtale.

« Savez-vous que dans l’Histoire de l’humanité, on dénombre 14 fois plus de morts que de vivants ? Que l’entièreté d’un squelette tient dans une boîte à chaussures ? Que l’espérance de vie d’un bombyx mori est de moins de 24 heures et celle d’un baobab de 1800 ans ? Savez-vous que vous allez mourir ? Moi je le sais, mais je n’y crois pas. » Ce soir-là, nous n’avions pas rendez-vous avec la Mort à Samarcande. C’était au Théâtre de Vanves, en février. Enceinte de neuf mois, l’actrice, autrice, danseuse et chorégraphe parisienne Christine Armanger, 36 ans, présentait MMDCD, sa « tentative de conjuration » de notre inévitable passage de vie à trépas. Un spectacle d’une durée de 2900 secondes (MMDCD, en chiffres romains) où, souvent nue, elle observe un train électrique tourner en rond sur son circuit, embrasse un crâne vaniteux ou subit la visite d’un squelette en baskets (Arthur Navellou, l’une des voix de Catastrophe), flirtant volontairement avec « les limites du supportable », armée de son envie de jouer « avec les lignes qui séparent la contemplation de l’ennui, l’aimantation de la scène… du désir de quitter la salle ». Désir : le mot est lâché.

Formée auprès de Jan Fabre ou Gisèle Vienne, collaboratrice de Laurent Bazin ou d’Yves-Noël Genod, Christine Armanger imagine pour Nova une capsule en forme d’œuf, de taille humaine, capable d’identifier (« en une heure ou en une semaine ») le métier le plus adapté à notre âme. « L’intérieur sera ouaté, il émettra une luminosité chaude. On s’y installera en position fœtale, genre trip intra-utérin. On aura les yeux fermés et des oreillettes (…) On entrera dans une sorte de méditation guidée, une transe désirante, dont la base sera conçue par des neuroscientifiques à partir de sons binauraux (…) On sera amené à contempler notre intériorité. Comme une plongée dans un océan opaque. On deviendra des veilleurs : on laissera remonter à la surface des sensations encore souterraines, encore imprécises. »  Pour toute question au sujet de ce méta-Pôle Emploi, merci de contacter l’artiste lors de la prochaine représentation de MMDCD, le 20 octobre à l’Étoile du Nord, 16 rue Georgette Agutte à Paris, dans le cadre du festival ZOA/Avis de Turbulences. 

Image : Black Mirror, S2E4, Blanc comme neige, de Charlie Brooker (2014).

14 octobre 2020

3:48

Camille Cornu (2/3) : « Demain, on mangera du placenta »

Cet.te auteur.ice et performeur.se français.e, posé.e en Ecosse, membre du collectif de poésie queer RER Q, accouche d’une utopie en trois épisodes sur le recyclage de nos « déchets » corporels, en résistance aux diktats du libéralisme.

« RER Q est un réseau d’autriX allié.e.s autour de textes / manifestes queer / crus / cul. RER Q écrit lit performe ce qui n’est que trop rarement visible. RER Q explose le genre triste et la syntaxe molle, la police des corps identifiés identifiables et la littérature officielle. RER Q serpente entre les mots d’individues qui racontent leurs perturbations non linéaires dans le genre et la sexualité. RER Q est substance désir chattes suspectes flemme tantrique trous béantes nuques moites expérimentations sales paysages gouines images clandestines tunnels d’amour fantasmes profonds comme des arbres. »

Fin septembre, soir de pluie, studio de danse du Point FMR, Paris. Les six pilotes du RER Q, Rébecca Chaillon, Camille Cornu, Wendy Delorme, Claire Finch, Élodie Petit et Etaïnn Zwer, partagent avec force et humour leurs textes et vidéos sur le thème de la « (re)production ». S’y succèdent le récit d’un coming-out à 20 ans, à la recherche d’un « peuple qui n’aurait pas de pères, et pas d’heure à laquelle se coucher » ; une tentative pour avoir un enfant « comme on retape une maison », manuellement, près de son amoureuse et d’un festin de dinde, dans un hôtel de banlieue ; une réécriture transgenre des comédies d’Aristophane ; des œufs, éjectés ou réintroduits dans les corps de manières assez troublantes. Ou encore… le recyclage de nos « déchets » corporels, en résistance aux diktats du libéralisme.

C’est l’idée de Camille Cornu, 33 ans, auteur.ice français.e (L’intime n’a jamais été aussi politique ici-bas, 2014, Habiletés sociales, 2017) et performeur.se, posé.e entre Paris et Glasgow, qui la restitue ici en trois épisodes. Dans la deuxième partie d’un texte intitulé On ne mange pas les bébés, iel évoque son désir de pouvoir un jour « manger son placenta », naturellement capable de « réduire les saignements et les douleurs post-accouchement ». En France, étrangement, « nous ne sommes pas propriétaires » de cet organe « d’environ un kilo », qui connecte l’embryon à la paroi utérine pour le nourrir, l’immuniser ou l’aider à respirer, est soit collecté à des fins thérapeutiques, soit détruit car considéré comme un déchet à risques infectieux. Pourtant, nous dit Camille : « En latin, placenta veut dire gâteau, galette. En grec ancien, ça signifie plat, assiette. Voilà ce qu'il se passe dans ton utérus, tu prépares ton dîner, tu cuisines sans y penser, ton corps connaît la recette. » Et certaines auraient déjà réussi à en faire « des lasagnes, du ragoût, du pâté, du chocolat, des smoothies ». À table, les enfants.

Pour écouter le premier épisode de l’utopie de Camille Cornu, c’est ici : https://www.nova.fr/podcast/larche-de-nova/camille-cornu-13-demain-fera-du-fromage-avec-notre-lait-maternel

La dernière partie sera diffusée le 20 octobre, à 7h10.

Plus d'infos : camillecornu.com

Image : Nouvelle cuisine, de Fruit Chan (2004), dans lequel une restauratrice de Hong-Kong concocte des raviolis fourrés aux fœtus humains.

13 octobre 2020

6:06

Jacky Schwartzmann : « Demain, tous les dirigeants seront tirés au sort »

À Besançon, ce romancier-scénariste à la gouaille futée milite pour la formation de citoyens lambda « ultra-spécialisés en politique », afin de contrer « les luttes de pouvoir et de couloirs ». 

Dans Kasso, son prochain roman à paraître en février aux éditions du Seuil, Jacky Schwartzmann, 48 ans, imagine la vie d’un sosie de Mathieu Kassovitz qui « monte de fausses productions pour détourner des millions d’euros » et réaliser son rêve : glander aux Marquises. Mais à un moment, le petit escroc de Besançon se branche sur France Cul. « La journaliste commente le système de retraite des sénateurs, carrément la Rolls-Royce des régimes (…) Ces gens ont besoin de six fois plus que les citoyens normaux parce que leurs costumes sont hors de prix, parce qu’ils ont des chauffeurs, parce que ce sont des cochons. (...) Les cochons font la queue chez BFM TV pour mettre leurs choses au point en parlant une langue aussi morte que le latin et le grec. Des communicants se sont amusés à vider les phrases de sens, ils les ont proposées aux cochons qui les ont apprises comme des récitations et les répètent en boucle. Communiquer n’est pas parler. Pendant ce temps, la démocratie directe, que beaucoup de types bien intentionnés plébiscitent, existe déjà, c’est Twitter, Facebook, la haine exacerbée. »

Quand la langue de bois atteint la taille d’un baobab, Jacky sort la tronçonneuse. Sur le pont de notre Arche, ce natif et habitant de Besançon, qui fut éducateur, libraire, barman, chef de rang au restaurant, pion au collège, conseiller qualité EDF ou encore assistant logistique chez Alstom (expérience qui lui inspira son premier roman, Mauvais coûts, lauréat sur Nova en 2016 du prestigieux Prix de la Page 111), milite pour la formation de citoyens « ultra-spécialisés en politique ». Les volontaires suivraient des cours de droit, d’économie ou d’Histoire, « comparables à ceux de l’ENA », offerts par l’Etat. Ce qui permettrait de procéder, parmi eux, au tirage au sort de tous les représentants de la nation, à l’échelle communale, régionale ou nationale – et cela le temps d’un unique mandat. Pour Besançon 2026, votez Schwartzmann.

 Image : Idiocracy, de Mike Judge (2006).

12 octobre 2020

4:25

Nazheli Perrot : « Demain, on va kiffer se lâcher la touffe »

Ennemie déclarée de l’épilation, cette dessinatrice franco-mexicaine nous brosse le tableau d’une humanité lassée de « s’exterminer la moquette » et qui, encouragée par la crise, laisserait refleurir son système pileux. Au poil !

« Tout le monde se doutait que Pépé, notre chien, qui faisait la sieste au fond du jardin, pouvait parler. "Dis quelque chose, Pépé ! Parle-nous ! " "Jamais de la vie", répondit Pépé. » Que savons-nous réellement des bêtes à poils longs ? C’est l’une des questions métaphysiques qui surgissent à la lecture des Mini-histoires pour tout le monde, écrites et dessinées par Nazheli Perrot, 40 ans, plasticienne franco-mexicaine diplômée des Beaux-Arts de Paris.

Dans cet ouvrage à paraître à destination des petits (mais pas seulement), on croise foule : un biscuit en péril, une plante carnivore sympa, des oiseaux laveurs de pull, deux hérissons qui font le tour de la Terre dans les deux sens, Bruno le cowboy, Robert le gros bébé ou encore Patrick le poulpe du pôle Nord. Région du monde où se déroule également Les Ours blancs ne perdent pas le Nord, roman illustré pour la jeunesse (avec, au scénario, le créateur de ce podcast, mais ne le répétez à personne !) sur lequel s’active cet automne l’autrice primée de Pou sort de la caverne, sa version mioche et pas moche de l’allégorie platonicienne, parue en 2017 aux éditions Bilboquet.

« Pour un futur désirable, mon regard se porte sur une habitude aberrante, d’une absurdité primaire, à savoir l’épilation. » Dans l’enregistrement qu’elle nous a fait parvenir par hasard et pas rasée, Perrot part en guerre contre notre tendance « incroyablement prolixe », loin des buissons ardents de la préhistoire, « à se torturer les bulbes, à s’exterminer la moquette ». Mais c’était sans compter sur l’enlisement de la crise du covid-19, au cours de laquelle « le capitalisme se mit à brouter sévère ». Il fallut donc renoncer à l’inutile, comme les rasoirs et les bandes de cire. « On oublia doucement qu’on en voulait aux poils, occupés à cultiver nos jardins. On gouta au plaisir de vraies vraies tartes aux poils, à la beauté des perles de rosée sur une épaule velue au soleil de sept heures, on huma avec délice les barbes de fin de journée. Enfin, on commença à kiffer se lâcher la touffe. »

 Image : Capitaine Caverne, de Joe Ruby & Ken Spears (1977-1980).

09 octobre 2020

3:45

La Féline : « Demain, nous allons tendre un piège à la mort »

À Lyon, le temps d’un poème sonore inédit, cette musicienne de pop futuriste défie la Faucheuse, dont elle entend combattre la bêtise « par vitesse, par intelligence, dans la confiance naïve que donne le fait d’aimer et d’être aimé.e ».

« Je connais une planète où tout le monde est bête, les êtres y sont méchants, corrompus et violents. C’est la Terre, son nom, je crois. (…) Les hommes s'allongent par grappes, au milieu des boulevards, ils ne claquent pas les dents, ils mordent la mort jusqu'au sang, ça les délivre du mal, ça les soulage de la peur, de leurs peurs. » En 1976, le sémillant moustachu Pierre Vassiliu (1937-2014), barde de la convivialité et de la liberté sexuelle, adaptateur rigolo de Chico Buarque (Qui c’est celui-là ?), signait une chanson assez déchirante : Alentour de lune. Brève peinture d’un paysage post-apocalyptique, celui d’après les bombes, chantée d’une voix presque enfantine, par un homme à guitare triste qui nous regarde depuis l’espace.

« On ne perçoit pas chez lui toujours cette discrète mélancolie d’une utopie lointaine à vivre ici et maintenant, auprès de ceux qu’on aime », rappelait en 2018, dans Libé, Agnès Gayraud, dans sa chronique du premier volume des rééditions de Vassiliu chez Born Bad, via les compilations de Guido Cesarksy. C’est ainsi que cette musicologue et musicienne, connue sous le nom de La Féline, découvrit la jolie ballade lunaire – qu’elle reprend et qui donne aujourd’hui son titre à son nouvel EP paru début octobre chez Kwaidan Records, satellite (remix, inédits) de son superbe troisième album Vie future (2019). Une larme gelée dans la gorge, Agnès conserve le chagrin de Pierrot, ajoute un léger groove robotique, des chœurs et des claviers qui grattent un peu notre époque… pré-apocalyptique.

«"Faites-vous la belle vie dont vous avez envie." Il paraît que c’était la devise de Pierre Vassiliu… », écrivait-elle encore dans Libé. Vivre mieux, plus loin, plus fort : c’est la tonalité du poème sonore inédit que La Féline nous adresse aujourd’hui, depuis Lyon, accompagnée – à « l’accordéon-drone » – de son complice Xavier Thiry. Entre deux bip-bips du célèbre coucou désertique de la Warner, La Féline défie la Faucheuse. « Demain, je prouverai la bêtise d’être tué.e par la mort. » Mais comment ? « Par vitesse, par intelligence, dans la confiance naïve que donne le fait d’aimer et d’être aimé.e. » Beau programme, le seul qui compte à vrai dire, à retrouver sur scène à Hyères le 30 octobre, ainsi qu’à Tarbes le 7 novembre.

Pour écouter l’EP Alentour de la lune, c’est ici : https://lafeline.bandcamp.com/album/alentour-de-lune-ep

Pour écouter La Féline évoquer les « génies démocratiques » de la pop au micro de la Nova Book Box, c’est là : https://www.nova.fr/podcast/nova-book-box/la-pop-pays-des-genies-democratiques

Image : Le Septième sceau, d’Ingmar Bergman (1957).

08 octobre 2020

3:46

Sylvain Cabot : « Demain, une appli très bien renseignée prédira notre destin »

À Montréal, ce facétieux dessinateur français invente le FaceApp existentiel, qui permet de voir le visage, l’humeur générale et la situation sociale que nous aurons lors de nos vieux jours ; libre alors à nous de « faire dévier la trajectoire promise ».

« Je n’avais pas fini d’en apprendre, mais j’étais impatient de connaître la suite. » Dans sa dernière BD, écrite et dessinée en un temps record à l’occasion des 24 heures de la bande dessinée de la fin du monde, Sylvain Cabot relate l’histoire, le temps d’un joyeux road-trip au Québec, d’une troublante et brève expérience gay, sous la tente, entre deux très bons amis hétéros, comme dans le film Matthias et Maxime de Xavier Dolan (2019). Embarrassé à défaut d’être embrassé, l’un des compères se demande si ce flirt aura des répercussions sur sa sexualité. « Un feu de questions me brûlait le ventre et la tête. » Disons aujourd’hui que s’il avait téléchargé « McFly Pic », il aurait eu la réponse en un battement de cils.

« McFly Pic » ? Le FaceApp du destin. C’est l’idée formidable formulée par ce facétieux dessinateur originaire de la région lyonnaise, installé à Montréal, qui publia l’an passé son premier album aux éditions Michel Lafon, Salon Dolorès & Gérard, ravissante éducation sentimentale sous les siroccos d’un salon de coiffure. Principe général : « grâce » à toutes les informations personnelles que nous avons généreusement offertes aux géants du web – Google, Amazon, Facebook, Microsoft, etc. –, l’application « McFly Pic » permet de prédire le visage, l’humeur générale et la situation sociale que nous aurons, chacun(e), lors de nos vieux jours. Personne n’y croit au début, mais le regard quotidien de la société sur son propre futur finit peu à peu par changer. « Les gens vont oser partir à l’étranger, affronter leurs peurs, multiplier les expériences inédites, juste pour faire dévier la trajectoire promise par l’application. Finie la résignation. Nous allons devenir des êtres humains plus audacieux ! »

Pour lire Québec – je me souviens, c’est ici : https://toutestfoutu.com/user/sylvain/

Pour suivre Cabot sur Insta, c’est là : https://www.instagram.com/sylvaincabot/?hl=fr

Image : Black Mirror, S4E4, Pendez le DJ, de Charlie Brooker (2017).

07 octobre 2020

4:00

Camille Cornu (1/3) : « Demain, on fera du fromage avec notre lait maternel »

« RER Q est un réseau d’autriX allié.e.s autour de textes / manifestes queer / crus / cul. RER Q écrit lit performe ce qui n’est que trop rarement visible. RER Q explose le genre triste et la syntaxe molle, la police des corps identifiés identifiables et la littérature officielle. RER Q est substance désir chattes suspectes flemme tantrique trous béantes nuques moites expérimentations sales paysages gouines images clandestines tunnels d’amour fantasmes profonds comme des arbres. »

Fin septembre, soir de pluie, studio de danse du Point FMR, Paris. Les six pilotes du RER Q, Rébecca Chaillon, Camille Cornu, Wendy Delorme, Claire Finch, Élodie Petit et Etaïnn Zwer, partagent avec force et humour textes et vidéos sur le thème de la « (re)production ». S’y succèdent le récit d’un coming-out à 20 ans, à la recherche d’un « peuple qui n’aurait pas de pères, et pas d’heure à laquelle se coucher » ; une tentative pour avoir un enfant « comme on retape une maison », manuellement, près de son amoureuse et d’un festin de dinde dans un hôtel de banlieue ; une réécriture transgenre des comédies d’Aristophane ; des œufs, éjectés ou réintroduits dans les corps de manières assez troublantes. Ou encore… le recyclage de nos « déchets » corporels, en résistance aux diktats du libéralisme.

C’est l’idée de Camille Cornu, 33 ans, autrice française (L’intime n’a jamais été aussi politique ici-bas, 2014, Habiletés sociales, 2017) et performeuse, posée entre Paris et Glasgow, qui la restitue ici en trois épisodes. Dans la première partie d’un texte intitulé On ne mange pas les bébés, elle évoque son envie « de se traire à mains nues » pour fabriquer « un nombre infini de fromages » avec son propre lait maternel. Ce qui n’est ni mauvais pour la santé, ni interdit par la loi, sauf à décider de les vendre. Mais n’est-ce pas paradoxal ? Conclusion, appétissante : « Rendez aux vaches leur lait, leur liberté et leurs bébés. Rendez à vos corps leurs produits, fromage saveur papa-maman, fermentation maison. » Miam.

Les deux épisodes suivants de l’utopie de Camille Cornu seront diffusés le 13 et le 20 octobre, à 7h10.

Image : Fromage à gogo, de Val Guest (1952) ; film britannique avec Dirk Bogarde, à propos « d’un micro-Etat européen dont la profession nationale est la contrebande », qui cherche à refourguer aux Suisses « du fromage alcoolisé au schnaps ».

06 octobre 2020

3:28

Stéphane Babiaud : « Demain, l’humanité toute entière redeviendra nomade »

Du côté de Tours, le batteur d’EZ3kiel nous livre un instrumental inédit, écrin jazz d’un rêve de grandes transhumances familiales, pour redécouvrir le monde à pied, à cheval, à vélo, pour célébrer ensemble « l’amour, la mort, les marées ».

« Et j’ai fini par trouver un réglage pour le désespoir. Je me le programme deux fois par mois : ça me semble une durée raisonnable pour se sentir désespéré à propos de tout, à propos du fait d’être restés sur Terre, tu ne crois pas ? » C’était il y a des siècles : en 2017, les laborantins d’EZ3kiel, en compagnie du comédien Pascal Greggory, faisaient atterrir leur vaisseau spatial dans les studios nocturnes de la Nova Book Box, pour partager en live des fragments de leur adaptation planante de Blade Runner, classique immortel de S.-F. parano signé Philip K. Dick en 1966.

Peu de temps après, le groupe partit de nouveau très haut dans étoiles via la très élégante version de leur album Naphtaline (2007), « composition cinématique » pour un film que Guillermo del Toro aurait oublié de réaliser, sublimée par les soixante musiciens de l’Orchestre National de Lorraine, le temps d’un concert à l’Arsenal de Metz ; un moment suspendu, assez gracieux, que le groupe mit en ligne à la sortie du confinement, « parce que nous avons besoin de douceur, de sérénité et de rêves ».

Le rêve continue. Chef d’orchestre du projet Naphtaline, Stéphane Babiaud, l’un des membres de ce groupe formé à Tours en 1993 (où, depuis treize ans maintenant, ce fan de Zappa joue de la batterie, de la basse, du vibraphone ou du Glockenspiel), livre à Nova un instrumental inédit, comme un hommage au Morricone du Clan des Siciliens, écrin jazz d’un rêve de grandes transhumances familiales. Dans son futur désirable, l’humanité redevient nomade et repart à la conquête des routes, pour découvrir le monde à pied, à cheval, à vélo, « au rythme des petits, à la cadence des anciens », à l’ombre d’arbres immenses, plantés par centaines de millions. De quoi user les souliers, en attendant le nouvel EZ3kiel prévu pour fin 2021.

Pour voir EZ3Kiel interpréter The Naphtaline Orchestra, c’est ici : https://www.youtube.com/watch?v=nItMygAI7xQ&feature=youtu.be&fbclid=IwAR0UWkTosZljmbkbX3vgy6Q70fS64yGuma3InBEM_2m2GKV5woEXCqd66W0&ab_channel=SupermoucheProductions

Image : Western, de Manuel Poirier (1997).

05 octobre 2020

2:30

Ann O’aro : « Demain, ne cherchons plus à guérir des chagrins »

Ambassadrice d’un maloya revisité, cette chanteuse réunionnaise nous murmure un futur où nous prendrons pour exemples les plus puissants d’entre nous : celles et ceux qui ont survécu aux traumas, à la rue, à la prison, aux sectes, aux hôpitaux psychiatriques.

« Etrange perspicacité que le rectum des songes. » La phrase surprend, l’image intrigue. C’est l’un des rares vers en français de Longoz, l’énigmatique et éclectique second album de la Réunionnaise Ann O’aro, chanté en créole, à paraître le 16 octobre, deux ans seulement après le premier disque qui portait son nom – geste courageux, récit d’une enfance en enfer sous les abus d’un père incestueux, sacré d’un coup de cœur de l’académie Charles Cros. Enregistré cet été sur son île avec ses complices Teddy Doris (trombone) et Bino Waro (percussions), le long et osé Longoz a démarré comme un jeu : « Reprendre l’une des mélodies du premier album et… la mettre à l'envers. Pour la réinventer. Ensuite, dans chaque chanson, nous avons inventé un nouveau cadre, comme un nouveau voyage à chaque fois. » Contrainte perspicace : ainsi renversé, leur maloya « s’émancipe » et prend la poudre d’escampette, furetant du côté des Balkans, du jazz, du zouk ou du séga mauricien. En résulte des instants de grande beauté, de possibles chialades, des envies de hurler à ses côtés : on appelle ça la liberté.

« Koman il é Nova ? » Depuis « les hauts de l’Ouest », auprès des ravines de Tan Rouge, Ann O’aro nous adresse une utopie magnifique, située en 2070. Où le concept de « déchet » a disparu. Où les fous sont nos modèles. Où nous prendrons exemple sur les plus puissants d’entre nous : celles et ceux qui ont survécu à la rue, aux traumas, à la prison, aux sectes, aux hôpitaux psychiatriques. Où l’on ne cherche plus « à guérir ni des maladies ni des chagrins ». Où l’on acceptons ses failles. Où nous mangeons nos amis. Où nous mangeons nos amis ? À table : Ann O’aro sera en concert mardi 6 octobre à la Maison de la Poésie de Paris, au cœur battant du festival La Voix Est Libre.

Pour réécouter Ann au micro de Marie Transport, c’est ici, en cinq parties : https://www.nova.fr/podcast/marie-transport/ann-oaro-15-le-creole-est-une-langue-pleine-de-rage-et-de-violence-qui-sent

Image : Ann O’aro, photographiée par Florence Le Guyon.

02 octobre 2020

4:03

Professeure Postérieur : « Demain, la danse fera tourner le monde »

À Bruxelles, cette enseignante « d’aérobic sauvage et grotesque » se déhanche pour la création citoyenne de « temples de la danse » autogérés, ouverts 24h/24, générateurs d’énergie renouvelables. Shake ton booty, baby !

« C’est à vos adorables fessiers que je m’adresse, mes petits canards. » Shorty d’or, perruque blonde, maillot rose, bandeau rose, collants roses. Chaque lundi soir à Bruxelles, la Professeure Postérieur enseigne le « sprot », « aérobic sauvage et grotesque bien moins ennuyeux que son cousin germain, le sport », pour « faire taire ton mental » et « stopper l’expansion de la seriouslycracy ». Le tout, avec « une playlist de qualité » (de Sylvester à Pharrell) et des élèves qui s’aventurent assez loin dans les looks EPS années 80 (body, moustache).

Nés en 2014 de l’imagination de la Française Laëtitia Jasserand alias Lich, ces cours de gym loufoques sont devenus, pour beaucoup, un possible remède à l’empâtement du confinement. Ce dimanche 4 octobre à la médiathèque Françoise Sagan, ce clown tonique aurait dû participer au festival de BD parisien Formula Bula, lors d’une « roue de la torture » avec la dessinatrice Lisa Mandel, mais hélas : le covid étant l’ennemi des gouttelettes, la fête des abdos a été annulée.

Pour se consoler, ne reste plus qu’à écouter l’idée fichtrement géniale de la Professeure Postérieur : l’ouverture, aux quatre coins des villes, dans toutes les campagnes, aussi fréquemment que le nombre d’églises, de synagogues ou de mosquées, de « temples de la danse ». Considéré comme « vital, de première nécessité, point barre », le besoin de danser serait ainsi comblé « n’importe quand, sept jours sur sept » dans des lieux autogérés ouverts 24h/24, selon la responsabilité de chacun, « comme un devoir civique ». Où l’on pourrait apprendre en outre à composer et à mixer la musique, et à l’entrée desquels les videurs antipathiques seraient remplacés par « de vieilles personnes sages, pleines de bons conseils ». Cerise sur le lycra : ces temples seraient de formidables générateurs d’énergie renouvelable, prouvant pour toujours que c’est bien la sueur et l’échange des fluides qui font tourner le monde. Hâte !

Image : La Professeure Postérieure photographiée par Raisa Vandame, Kunstinveleh, art porté par tous.

01 octobre 2020

3:54

Thomas Giraud : « Demain, on massera les pieds des plus vieux »

Cet écrivain nantais, lauréat 2019 du Prix de la Page 111, énumère ses utopies favorites avant de bricoler la sienne, végane, dirigée par binômes tournants, où les petits garçons feront le ménage et où l’on pourra « cueillir des mûres et collectionner les aventures ».

« Tous maçons et donc optimistes, pensant systématiquement que ça irait, ou que ça passerait, qu’il ne fallait pas se mettre la rate au court-bouillon, qu’en ajoutant un peu ici, le mur tiendrait bien droit, ou un peu de mortier et la fenêtre serait dans l’axe, que d’ailleurs on avait toujours fait comme ça. » Du bon boulot, cette page 111, tirée du roman Le Bruit des tuiles de Thomas Giraud – à tel point que cet écrivain nantais reçut sur Nova, à l’automne 2019, dans la cale de la péniche Grande Fantaisie à Paris, le très convoité Prix du même nom, sous les hourras du public, en direct. « Des gens qui bricolaient tous le temps (…) sans imaginer une seule seconde que les choses planifiées permettraient pourtant d’être mieux pensées et mieux accomplies. »

Mieux bâties, comme le roman complet de Thomas Giraud (que nous avons fini par lire en entier, ne le répétez pas, il en va de notre réputation), paru aux éditions de La Contre-Allée. Ce Bruit des tuiles, où s’élève calmement le récit du philosophe français Victor Considérant (1808-1893), qui tenta, au Texas, malgré « la peur des toits qui s’écroulent », d’établir un phalanstère, baptisé « Réunion », niché dans une « ville ex nihilo sortie de terre », inspiré des communautés de Charles Fourier. Pour une trentaine de personnes, cela dura une poignée d’années, entre travaux agricoles, de couture ou de cordonnerie, dans un « drôle de hameau, plein de vide, d’espaces, de vent », sous un soleil écrasant, près de serpents à sonnettes.

Tel le courageux Victor, Thomas Giraud, également docteur en droit public, énumère aujourd’hui quelques-unes de ses utopies préférées, avant de bricoler la sienne, façon « grand bazar démocratique » à longues palabres : une communauté rurale et végane, dirigée par binômes tournants, où l’on pourrait « cueillir des mûres et collectionner les aventures » ; quant aux petits garçons « qui aiment faire des choses et un peu dégoûtantes », on s’appuiera encore sur la consigne fouriériste : ils s’occuperont du ménage. 

Pour réécouter le sacre de Thomas Giraud lors de la dernière édition du Prix de la Page 111, c’est ici : https://www.nova.fr/podcast/nova-book-box/le-prix-de-la-page-111-edition-2019

Image : Cocoon, de Ron Howard (1985).

01 octobre 2020

4:16

Karimouche : « Demain, on parlera berbère dans l’espace »

Taubira à l’Elysée, Despentes à Matignon et des concerts interstellaires : entre Paris et Lyon, cette comédienne et chanteuse nous téléporte dans une réalité alternative où Zemmour élève des moutons à Laroche-Migennes, tout en orchestrant la rencontre entre Beyoncé et Biyouna.

« J’suis pas ta beurette à chicha / ta biquette chawarma / ta barrette de zetla ni ta charrette à charia / J’suis pas ta beurette à quota / la cause des attentats / ta conchita, ta caillera, ta bobo quinoa / J’suis pas ta bêbête archi-blonde, ta bobonne qui fait de l’ombre, ta bourgeoise du grand monde, ta batwoman qui va pondre. » Mais qui est-elle, alors ? Carima Amarouche alias Karimouche, « Charentaise berbère » qui slalome entre Lyon et Paris, aux talents multipistes : chanteuse, comédienne (vue dans les séries Cannabis ou Les Sauvages), humoriste, danseuse, costumière. Sur son nouveau single, Princesses, rap-appel à la fierté féminine co-écrit avec R.wan (Java) et interprété avec Flavia Coelho, dans le clip duquel se croisent et se soutiennent Aïssa Maga, Carmen Maria Vega, Maïa Barouh, Zaza Fournier ou sa grand-mère Mimounth (92 ans, beau déhanché), ce « petit tourbillon emporté par ses histoires » veut qu’on lui tresse « des mots sur-mesure ». Dans l’album à paraître en janvier, Folies berbères, R’n’B constellé de sonorités orientales (très bien) produit par Tom Fire, on souligne ces paroles : « Il faudrait rester cool, alors qu’on coule ? »

Taubira à l’Elysée, Despentes à Matignon : entre Paris et Lyon, Karimouche nous téléporte dans une réalité alternative où Zemmour, converti à l’islam, élève des moutons à Laroche-Migennes (Yonne), qu’« il distribue gratuitement pour la fête de l’Aïd ». La chanteuse, elle, « change de blaze » et se porte candidate pour orchestrer la rencontre entre Beyoncé et Biyouna (dans l’espace interstellaire, avec des spectateurs extraterrestres et « une ambiance de malade »), sous le nom de « Biyounbé », fidèle à ses lyrics : « Mes ancêtres qui me guettent, le cosmos qui m’allaite. »

Image : Halal police d’État, de Rachid Dhibou (2011).

29 septembre 2020

3:12

El Don Guillermo : « Demain, tous reptiliens »

Dans son nid barcelonais, ce joyeux auteur-éditeur de BD français lézarde au soleil d’un monde « quasi désertique » où les humains sont « debout, avec des écailles partout, tous égaux, tous verts » et « quasiment increvables ». Merci le réchauffement climatique, oh ?

« Avec Bernadette, impossible de se cailler les miches lors de descentes en hors-piste dans des forêts de sapinettes. Au creux d'une vallée al-pine, vous ne sucerez pas que des glaçons, car la station du Pingouin Bleu regorge d'une avalanche d'activités, du tire-fesses aux balades en raquéquettes. » Cette promesse friponne peut se lire, avec plaisir, au dos de la dernière bande dessinée d’El Don Guillermo, Bernadette fait du ski, sortie en février dernier, suite très directe des escapades estivales de ce « grand boudin à lunettes » de Bernadette (2014), toutes deux publiées aux éditions Les Requins Marteaux dans leur troublante collection « BD Cul ».

Et tandis que défilent des montagnes enneigées aux bonnets généreux où s’enfilent des vacanciers « venus se dégeler la serrure », cet auteur de BD français, installé à Barcelone, co-fondateur des éditions Misma avec son frère jumeau Estocafich, fait soudain monter la température dans des proportions moins récréatives. Dans sa vision de l’avenir, le monde sera « quasi désertique » et les humains devenus des reptiliens – de vrais reptiles, sans rapport avec les théories complotistes – « debout, avec des écailles partout, tous égaux, tous identiques, tous verts ». Insectivores, nous serons agiles et « quasiment increvables », puisque nos corps blessés, comme la queue des lézards, se régénéreront tous seuls. Nous passerons ainsi beaucoup de temps à faire « la siesta », peinards, au soleil du réchauffement climatique. « Rendez-vous dans le futur, les lezardos ! »

P.-S. : Le vendredi 2 octobre, dans le cadre du festival Formula Bula, El Don Guillermo et Estocafich vous invitent à bord de leur « fier galion catalan », le Doputtuto, pour une « dédicroisière » en l’honneur des éditions Misma. Départ à 18h devant le MK2 quai de Loire, retour à 20h devant la galerie Immix, 116 quai de Jemmapes, Paris. Vous y rencontrerez « une sorcière un peu zarbi, les valeureuses sœurs Gousse et Gigot, le professeur Onliyou, Kimi le vieux chien, un gros ours et un petit lapin, ainsi que le mal famé Club des chats qui vous invitera à déguster ses meilleurs salamis arrosés de sangria tiède. » 

Image : V, la bataille finale, de Kenneth Johnson (1984).

28 septembre 2020

3:26

Aurélien Lemant : « Demain, notre libido conjuguée nous permettra de modifier la réalité »

Dans sa bat-cave ésotérique du Loir-et-Cher, cet auteur-acteur, aussi bien spécialiste des comics que de pensée magique, fantasme « une immense partie de jambes en l’air », mondiale et simultanée, aux millions de partenaires, tendue vers un orgasme essentiel.

« Je revois la cicatrice de ma bouche dans ton cou missionnée pour y installer le désir, repeindre et aménager des chambres d’amour (…) Une fois retirée à ma chair ouverte, ta dent claire emportait les trophées de douleur pour compléter sa collection sordide. J’étais le perroquet empaillé de plus quelque part au fond du stock. » En début d’année, les éditions lyonnaises Nouvelle Marge publièrent un « poème double » d’amor doloroso, narré en prose dans un « cahier de déroute » qui démarre par Upir, précipité lautréamonstrueux de deux ans de relation acérée avec une « vampire », et se poursuit via le portrait de La Poétesse impubliable, miroir d’une rencontre comparable à une « médication » (« cheminer vers elle, une orthopédie »), quand « l’amour était une couronne qui vous ceint tout le corps ». Hélas, cela finira dans les larmes.

 « L’anarchie des baisers fait oublier le plan secret. » Mais quel est donc ce plan ? L’auteur, Aurélien Lemant, est un wonderboy plein de ressources. Aussi bien spécialiste des comics que de pensée magique, calfeutré dans sa bat-cave ésotérique du Loir-et-Cher, on doit à cet acteur, également metteur en scène et parolier, des essais sur Philip K. Dick, Maurice G. Dantec, Blue Oyster Cult ou, récemment, Watchmen. Le 30 octobre, celui qui publiera Héros et Thanatos, essai sur la mort chez les super-héros DC/Marvel (éditions Fage), fantasme une « partie de jambes en l’air », mondialement simultanée, afin « modifier la réalité » via notre « magie sexuelle » ainsi connectée, au diapason des intuitions du mage occulte anglais Aleister Crowley ou des Red Hot Chili Peppers. « Ne nous en privons pas, parce que les méchants le font pour nous baiser. » Rendre le futur « littéralement désirable » : il faudrait prendre date, non ?

Image : Turkish délices, de Paul Verhoeven (1973).

25 septembre 2020

4:47

Marie-Pier Lafontaine : « Demain, les sorcières seront des consultantes politiques »

Autrice d’une éprouvante autofiction sur un père incestueux, cette étudiante québécoise nous dévoile les effets d’une « lune mauve », qui décuplera bientôt la puissance des femmes « de manière surhumaine ».

« Moi, le viol ne me fait plus peur du tout. J’ai reçu suffisamment de coups, de haine et de crachats pour ne plus trembler devant la possibilité d’un contact non désiré. Mon corps a été maltraité tant de fois, mes os battus, que ma chair a été vidée de son sacré. » Dans Chienne, sa brève « autofiction » publiée cette rentrée aux éditions Le Nouvel Attila, la Québécoise Marie-Pier Lafontaine, 32 ans, décrit par fragments les abus et sévices d’un père ignoble, incestueux et sadique sur ses deux filles, avec la « participation » de la mère – elle-même kidnappée, à 16 ans, par son ordure de futur époux. D’emblée, la narratrice avertit son public : elle voudrait que ce texte « décime sa famille entière ». « Mon corps a été purgé d lui-même. Ses terminaisons nerveuses ne mènent plus nulle part. Il est devenu un objet comme un autre. Un sac de boyaux et de tripes dans lequel les hommes peuvent piger sans que je m’en formalise. Suffisamment d’hommes sont passées sur moi, m’ont éventrée, pour que le viol ne me fasse plus peur. Je peux désormais marcher librement dans la rue. »

Résilience-uppercut. Très éprouvant et – fort logiquement – nommé pour le prix Sade, le premier livre de cette étudiante en lettres, qui pratique la boxe tout en revendiquant l’influence d’Annie Ernaux, Christine Angot ou Chloé Delaume, frappe comme un direct à la mâchoire, où les coups continuent de pleuvoir alors qu’une main a été levée pour dire à l’arbitre de faire cesser l’avoinée. Cette violence à répétition, que Marie-Pier Lafontaine dit connaître « intimement », cesse dans la fiction qu’elle nous adresse : dans son futur désirable, les rayons et la poussière d’une « lune mauve » décuplent la puissance des femmes « de manière surhumaine », réduisant à néant le risque d’agression sexuelle. Une force politique naît alors aux quatre coins du monde : les sorcières.

Image : Suspiria, de Dario Argento (1977).

23 septembre 2020

3:42

Wandrille : « Demain, on n’aura plus besoin de professeur, mais… »

Du côté de Pantin, cet auteur de BD, qui enseigne son art à des fans de Naruto, gribouille un futur dans lequel « tous les savoirs seront intégrés en une seconde ». Genre, ça suffira pour faire surgir un nouveau Chris Ware ?

« Enseigner un art qu’on ne vous a pas appris mais qu’il vous a fallu découvrir par vous-même. Ce n’est point chose si facile, à portée du premier fanzineux venu. Il faut réfléchir à votre pratique, reprendre les étapes qui ont permis votre évolution depuis les premiers brouillons jusqu’au prix donné au festival de La Bourboule pour l’album Coup de boule à La Bourboule, sacrée meilleure publication de l’année, prix régional. » Telle est la docte mission que s’impose Wandrille, auteur (Seul comme les pierres, Fernand l’ours polaire), traducteur et ex-éditeur de BD (chez Warum, lauréat d’un prix du patrimoine à Angoulême 2016 pour Père et fils de l’Allemand E. O. Plauen), qui se décide un soir à « enseigner l’art de raconter dans une célèbre académie de bande dessinée à des virtuoses seulement âgés de 17 à 26 ans, ressenti 8 à 14 ans ».

En résulte aujourd’hui l’album Mes génies aux éditions de La Cafetière, fruit de deux ans de cours magistraux et qui contient plusieurs leçons, même pour Sfar ou Jean-Michel Blanquer. Son art, Wandrille l’a appris « en copiant les autres » : Pratt, Goscinny, Gotlib, Trondheim. Il rappelle à ses padawans, qui ne jurent que par Naruto, qu’une bande dessinée peut exister sans bulles ni cases, que l’image ne doit pas répéter ce que raconte le texte, ou qu’un grand vide en ouverture de strip peut être la métaphore de leur note à venir, « ou de leurs futures publications ».

Du côté de Pantin, ce facétieux professeur nous gribouille un futur dans lequel « toutes les connaissances sont directement accessibles à l’être humain dès la naissance par simple téléchargement de peau-à-peau (dans le respect des gestes barrières) ». Au niveau du dessin, chacun.e sait désormais reproduire « les fresques de la chapelle Sixtine pour décorer ses toilettes ». Problème : « L’art est devenu un peu chiant. » Tout le monde dessine comme Picasso ou comme les impressionnistes. Alors pour savoir comment faire surgir le nouveau Chris Ware, merci d’écouter ce podcast jusqu’à la fin, les enfants.

Pour écouter la précédente utopie de Wandrille à bord de L’Arche de Nova : https://www.nova.fr/podcast/le-monde-dapres/wandrille-demain-va-tous-changer-de-metier

Pour écouter les pires vacances de cet artiste décidément courageux : https://www.nova.fr/podcast/les-pires-vacances/wandrille-la-route-de-la-mort-en-bolivie-porte-bien-son-nom

Image : Rock Academy, de Richard Linklater (2003).

22 septembre 2020

3:09

Josselin Bordat : « Demain, on voyagera dans le temps pour sauver son couple »

« Debout ! Jong Bo-Bae avait sa robe d’été remontée et Chan-Wook se tenait derrière elle. Il avait des yeux un peu fous et paraissait extrêmement concentré. La Bo-Bae du présent remarqua tout de suite que Lee Chan-Wook du passé avait mis ses doigts dans sa bouche pendant qu’il prenait la Bo-Bae du passé par-derrière. Elle avait oublié tous ces détails. (…) Lee se demanda pourquoi ils n’avaient jamais refait ça, baiser dehors comme ça. Ce deuxième retour dans le temps leur procurait une sensation nouvelle : se regarder ainsi était très perturbant, mais aussi très excitant. »

2069. Un siècle après les badinages maritimes de Jane et Serge, cette nouvelle année érotique donne son titre au recueil de nouvelles de science-fiction, paru fin juin aux éditions Anne Carrière, orné de superbes godes volants roses. En douze récits, Josselin Bordat – cofondateur du magazine Brain, auteur pour Thomas VDB, rédac’ chef de l’émission Crac-Crac, déjà responsable de plusieurs ouvrages d’obédience humoristique, dont un précieux Dictionnaire de la mauvaise foi musicale – nous révèle qu’à l’avenir, Toulon sera la capitale européenne de la prostitution robotisée, que des terroristes féministes pirateront les slips connectés des relous, qu’on se passera de la drogue en pommade sur les muqueuses pendant qu’Enora Malagré exposera ses aquarelles à la fondation Justin Bridou (cette information nous trouble davantage que le reste, allez savoir pourquoi).

Sautant tel un Doc Brown sous MD sur le pont de notre Arche, ce Parisien jovial résume ici les enjeux dramatiques de la première nouvelle du recueil ; dans One more time, Josselin Bordat détaille le succès des « chronothérapies », permettant aux couples à la sexualité proche de rien tendance peau-de-zob de se reconnecter à leurs premiers ébats canaillous. Nom de Zeus !

Image : Black Mirror S1E3, Retour sur image, de Jesse Armstrong (2011).

18 septembre 2020

3:38

Alexandra Dezzi : « Demain, nos cris ne seront jamais vains »

« Pour un futur respirable », cette autrice parisienne, moitié jumelle du duo rap Orties, déclame un poème bref où « ni ta mère ni ta sœur ne seraient bafouées », où « ni ton père ni ton frère ne connaîtraient les baffes et le fouet ».

« Il avait le droit de te baiser, sous-entendu qu’il s’appelait truc merde, qu’il était habillé d’une chemise blanche impeccablement repassée, qu’il dirigeait des gens au sein d’un prestigieux journal et qu’il gagnait bien sa vie. Et toi, qui venais de banlieue, qui avais fait du rap, qui t’étais montrée peu farouche dans des vidéo clips, tu ne pouvais qu’admettre, te soumettre. Il disait : – C’est bien toi, prise dans les phares d’une voiture en mini-jupe ? Il n’avait retenu que ça. Son exemple était révélateur : il te considérait comme une victime, il n’avait rien compris à ta chanson. Son plan était simple : il te passerait dessus et ensuite il proposerait ton livre à la fille qui gère la rubrique littéraire du journal. Le problème, c’est qu’il l’avait déjà baisée, la fille. »

Dans La Colère, son second roman paru à la rentrée aux éditions Stock, Alexandra Dezzi, 31 ans, observe avec amertume les relents mortifères du patriarcat ordinaire et transpose, dans une fiction où les mâles ne sont plus que des numéros, via la répétition d’un « combat des corps » faussement compensatoire, le viol qu’elle a subi il y a près de dix ans, « pareil à une hémorragie interne ».

Moitié du duo rap Orties, créé à 19 ans en 2009 avec sa sœur jumelle du côté de Bures-sur-Yvette (Essonne), Alexandra se fit d’abord connaître sous le pseudo de Kincy, inséparable de son binôme surnommé Antha, buissons ardents d’un hip hop gothique et sexy errant dans le « Paris pourri », remarqué par Christophe qui les invita sur l’album Les Vestiges du chaos, immortalisé le temps d’une séquence de danse dans Grave, le thriller cannibale de Julia Ducournau.

En attendant les nouveaux sortilèges des frangines énervées, Alexandra Dezzi déclame ici un poème bref « pour un futur respirable », où « le viol appartiendrait au vieux monde, comme tous les crimes et les châteaux de sable », où « ni ta mère ni ta sœur ne seraient bafouées », où « ni ton père ni ton frère ne connaîtraient les baffes et le fouet ». Balance ton porc par-dessus bord.

Image : Millenium – Les hommes qui n’aimaient pas les femmes, de David Fincher (2011).

17 septembre 2020

2:42

Carl Agité : « Demain, nous suivrons à la lettre les préceptes de Marvin Gaye »

Toujours aussi pépouze dans son chalet alpin situé « en 2081 », cet énigmatique « ermite » nous chante les louanges d’un mouvement spirituel visionnaire, le « marvinisme », fondé sur les paroles du légendaire album « What’s going on ».

Cet enregistrement nous est parvenu par la grâce liquide d’une bouteille de génépi, déposée en évidence à l’entrée des studios, fin août. L’étiquette indiquait : « Pour votre Arche. » À travers le verre, un petit coffre en plastique flottait dans l’alcool de plantes. Le soir même, il fallut trois heures à notre équipe pour boire avec bravoure la boutanche entière, qui tomba en même temps que l’un de nos animateurs, et se brisa. Le coffre roula, s’ouvrit, révélant une pochette étanche, abritant elle-même une clé USB, contenant enfin plusieurs messages audios d’un certain « Carl Agité ».

Après débat au sein de la rédaction, il a été décidé de partager avec nos auditeurs ces « témoignages du futur », situés « en 2081 », cent ans exactement après la création de Radio Nova. L’auteur s’y présente sous les traits d’un ermite, « vieux sage et vieux singe », habitant un modeste chalet au pied du mont Blanc. Surprise, agréable : à « son » époque, le monde ne s'est pas encore écroulé.

Dans cet enregistrement, l’olibrius nous apprend qu’en 2021, à l’heure du cinquantième anniversaire de l’album What’s going on de Marvin Gaye (sorti le 21 mai 1971 sur le label Motown), un fervent groupuscule international de fans de ce miracle de soul music tissé d’arrangements divins fondèrent un mouvement spirituel, le « marvinisme », « qui cherche la lumière dans les paroles du crooner à la voix d’or », co-écrites avec James Nyx, Anna Gaye, Al Cleveland ou Earl Derouen ; paroles qui, prises au pied de la lettre, devinrent les piliers de programmes politiques nappés de paix et d’écologie aux quatre coins de la planète meurtrie. « Que se passe-t-il ? »

« La guerre n’est pas la réponse. Seul l’amour peut conquérir la haine. » Au Bélarus comme en Turquie, nous prévient Agité, « les militaires désertent les casernes et plantent des bégonias dans les tanks à l’écoute du disque ». « Ne me punis pas avec brutalité, sauvons les enfants, sauvons les bébés » : en Côte d’Ivoire, toute personne reconnu coupable de châtiments corporels sur un enfant est condamnée à 127 ans de prison, dont seize heures par jour à confectionner des marmottes en peluche pour des orphelinats. « Voler dur dans le ciel amical. » Des peuples à priori irréconciliables, comme ceux d’Israël et de la Palestine, sont incités à effectuer en duo des stages de parachutisme, pour apprendre à tomber du ciel, main dans la main ; « Dix-huit ans après le premier saut, le pays d’Israëlstine est créé sans la moindre engueulade. » « Du pétrole dans l’océan, des poissons pleins de mercure. » Toute personne vue en train de jeter le moindre truc dans l’eau doit avaler le contenu d’un thermomètre. Conclusion de notre ermite : « Ne vous faites pas de bile, brothers & sisters : le futur, c’est drôlement Gaye ! »

Pour écouter le précédent message du futur de Carl Agité, c’est ici : https://www.nova.fr/podcast/larche-de-nova/carl-agite-nous-avons-sauve-la-planete-vous-de-sauver-le-cinema

Image : Jim Hendin, pochette de What’s going on de Marvin Gaye (1971).

16 septembre 2020

3:51

Audrey Vernon : « Demain, les voitures seront remplacées par des rosalies électriques »

Militante acharnée de la décroissance, cette comédienne et autrice parisienne déroule un monde de « mobilité douce » tissé de voiturettes collectives à pédales. Dring-dring ?

« Ton prédateur naturel, ce sera les voitures. J’ai réécrit pour toi Les Trois Petits Cochons : le premier se fait étouffer par une Volkswagen dont les ingénieurs ont bidouillé les filtres, le deuxième se fait écraser par un SUV avec un problème de régulateur de vitesse, le troisième se fait buter par un conducteur bourré qui checkait ses textos. » C’était l’un des spectacles les plus prometteurs de ce début d’année : Billion Dollar Baby, écrit et interprété par Audrey Vernon, vu à la Nouvelle Seine (Paris), dans lequel l’autrice anticapitaliste de Comment épouser un milliardaire adresse une lettre à son enfant à naître, dans l’espoir de lui expliquer, en une heure, notre Histoire par le prisme des ravages de la civilisation industrielle, « les inégalités, le capitalisme, l’argent, l’État, la guerre, les voitures, les avions, l’énergie, les déchets… ».

Les voitures, justement. Audrey Vernon les « déteste », en nous rappelant les statistiques meurtrières (accidents de la route, pollution de l’air) et la place délirante qu’elles occupent dans l’espace public, sans oublier l’entrave des axes routiers pour les animaux sauvages. Cette militante acharnée de la décroissance a donc une idée : la production en série de rosalies électriques, des voiturettes à pédales dont l’énergie serait générée par nos efforts. Seraient ainsi réglés trois problèmes : « l’obésité, la qualité de l’air, la vitesse en ville ». Notez qu’en mars 2019, une voiture-tricycle électrique, la « Twike », capable d’atteindre les 190 km/h avec une autonomie de cinq cents kilomètres, était présentée au Salon de l’auto de Genève. Tiré à cinq cents exemplaires, ce prototype sera-t-il le destrier naturel d’Audrey pour la tournée de Billion Dollar Baby, du 18 septembre jusqu’en avril 2021, passant par Marseille, Lausanne, Paris, Nice ou Saint-Etienne ?

Pour voir un extrait énergétique de Billion Dollar Baby, c’est ici : https://www.youtube.com/watch?v=MdFQFiuAuhA

Pour écouter la précédente utopie d’Audrey Vernon pour L’Arche de Nova, c’est là : https://www.nova.fr/podcast/larche-de-nova/audrey-vernon-demain-il-ne-faut-pas-que-les-theatres-rouvrent

Collage : Mathilde de Capèle.

15 septembre 2020

3:45

Julie Andrieu : « Demain, les prédateurs sexuels seront condamnés à vivre dans la peau de leur victime »

À Marseille, cette massothérapeute imagine une machine baptisée « Orlando », en hommage à Virginia Woolf, capable de projeter les porcs dans le corps des agressées pendant toute la durée de leur peine, sous contrôle judiciaire.

« Je ne pourrai plus assommer un homme, le traiter de menteur en face, ni tirer mon épée et la lui passer à travers le corps, je ne pourrai plus siéger parmi mes pairs, porter une couronne ducale, marcher en procession, condamner à mort, conduire une armée (…) Je serai réduite à servir le thé et à demander à ces messieurs s'ils trouvent ça à leur goût. » En 1931, Virginia Woolf publie Orlando, roman de l’âme égarée d’un jeune courtisan anglais, que l’on suit quatre siècles – or, un jour, après une semaine de sommeil, il se réveille femme, et devient, avec le temps et l’observation laborieuse de la société patriarcale, une poétesse reconnue. « Elle était homme, elle était femme ; elle connaissait les secrets et partageait les faiblesses de l'un et de l'autre. C'était une situation affreusement déconcertante, à donner le vertige. »

Le vertige se poursuit désormais dans la vision futuriste de Julie Andrieu, massothérapeute installée à Marseille. « Arrière-petite-fille d’une sorcière en pays cathare, très honorée de perpétuer sa tradition », cette trentenaire tatouée grimpe sur le pont de notre Arche pour y présenter les plans d’Orlando, une machine capable « de projeter n’importe qui dans le genre opposé au sien, physiquement, au plus près des perceptions. Si je suis homme, je peux devenir une femme, si je suis une femme, je peux devenir un homme – et être perçu(e) en tant que tel(le) aux yeux de la société toute entière ». Consciente de la portée socio-culturelle d’une telle avancée scientifique qui pousserait ainsi la réalité virtuelle à son paroxysme, la justice française décidera vite d’un recours systématique à Orlando pour punir les prédateurs sexuels.

« Pour trois insultes sexistes proférées dans la rue », explique Julie, « l’agresseur vivra trois jours dans la peau d’une meuf ». « Pour une main au cul non consentie, la transformation durera une semaine. Pour les violences physiques suivies ou non d’une tentative de viol, la peine sera étendue à trois mois, avec liberté de circulation, mais sous contrôle judiciaire quotidien. Pour un viol avéré, le coupable vivra cinq ans dans la peau d’une femme, avec sa potentielle vulnérabilité, en subissant au quotidien les conséquences de cette nouvelle enveloppe corporelle. Détail non-négligeable : pour toute la durée de sa peine, l’agresseur prendra l’apparence exacte de sa victime. Devenant lui-même l’objet de son propre désir. »

Image : Harvey Weinstein l’intouchable, d’Ursula Macfarlane (2019).

14 septembre 2020

3:45

Emilie Gleason : « Demain, les défenseurs de la chasse vivront dans une réserve, entourés de prédateurs, avec juste un coupe-ongles »

La révélation 2019 du festival d’Angoulême libère le TGV de son imagination cartoonesque et nous dessine un futur youplaboum avec champagne à table, salsa au balcon et déconstruction savante des stéréotypes.

La folie à tous les coins de rue. Et la réalité qui se dégonde, contaminée par l’imaginaire effervescent et le trait caoutchouc d’Emilie Gleason, 28 ans, autrice belgo-mexicaine de bande dessinée formée aux Arts décoratifs de Strasbourg. « J’aime que ça explose, tout simplement », dit-elle. Révélation 2019 du festival d’Angoulême, sa première histoire longue, Ted drôle de coco (éditions Atrabile), tirait le portrait d’un curieux gugusse librement inspiré de son frère, atteint d’un Trouble Envahissant du Développement (T. E. D.) connu sous le nom d’autisme Asperger ; elle y restituait très bien, par exemple, sa peur panique de l’imprévu via des couleurs en pagaille et des paroles pétaradantes.

Cette rentrée, on retrouve avec plaisir son sens du cartoon grand-guignolesque dans J’perds pas la boule, biographie des années foot de Vikash Dhorasoo, coco-signataire du livre publié aux éditions Revival. De son enfance au Havre à l’épopée 2006 des Bleus où il fut le premier joueur d’origine indienne à disputer une Coupe du monde, on voit Vikash éviter un but à l’Inter Milan en prenant la balle en pleine gueule, se passionner pour le blues de Fleetwood Mac, se sentir touriste à Calcutta, tenter d’esquiver la poignée de main de Sarkozy ou dédicacer un roman de Philippe Delerm.

Et le roulement TGV de l’imagination d’Emilie Gleason glisse aujourd’hui sur le pont de notre Arche, déboussolée par tant d’idées à la minute. Au programme de son futur : nudisme pour tous, école à « déconstruire les stéréotypes », seniors réalisant « leurs rêves les plus fous avant de mourir », chasseurs « condamnés à vivre dans une réserve, entourés de prédateurs, avec juste un coupe-ongles », champagne à table et bonbons remplacés par « des petits pois congelés » – le sucre étant devenu « interdit aux moins de dix-huit ans »... Jusqu’à la vraie révélation, qui dit tant sur son style : « On vivrait dans le monde de Roger Rabbit, où trottiner de joie remplacerait la marche, de la salsa à chaque balcon, plus aucune publicité sinon de belles fresques colorées, partout ».

Image : Qui veut la peau de Roger Rabbit ?, de Robert Zemeckis (1988).

11 septembre 2020

4:03

François Beaune : « Demain, nous mangerons nos animaux domestiques »

À Marseille, cet écrivain-magnétophone, collectionneur d’histoires vraies, brasse avec appétit tout un mesclun d’idées pour chérir la planète, dont un âge limite fixé à 75 ans, qui concernerait d’abord les Européens.

« En général, j’habille les gens avec le cœur. C’est ça le jeu en sex-shop, surfer entre l’habit et le fétiche, dire j’aime le cul mais mine de rien. J’aime l’extrême, mais je découvre que j’aime aussi la limite. Ce mine-de-rien sur la frontière. Je pensais pas être si subtile. » En général, François Beaune n’écrit pas tellement de romans. Ce magnétophone humain recueille plutôt la parole des gens qu’il croise et collecte des « histoires vraies » tout autour de la Méditerranée (La Lune dans le puits, 2013), dans une bourgade imaginaire de Vendée (Une vie de Gérard en Occident, 2017, au Théâtre de Belleville jusqu’au 27 septembre) ou au Liban (L’Esprit de famille, 2018).

Calamity Gwenn, son dernier livre, publié cette rentrée chez Albin Michel, se présente comme « œuvre de fiction » écrite « en collaboration » avec la comédienne Rozenn Djonkonvitch. S’y déploient, sur un an, dans une langue orale naturelle et crue, les jouissances, aspirations et considérations de Gwenn, depuis trois ans vendeuse prosélyte dans une ravissante « halle aux cochonneries » « plutôt chic » de Pigalle, également actrice trentenaire borderline « de sang monténégrin », dont les rôles « les plus marquants » lui ont valu d’être « balancée morte dans un canal », « assommée d’une pierre pendant une randonnée, puis ligotée », « fracassée par son mari », quand elle n’arrache pas « une bite avec les dents », « mange de la merde » ou « urine sur le cuir d’une décapotable ». « Mais qu’est-ce que je pourrais kiffer d’autre, maintenant ? », se demande-t-elle, avec le désir ferme de « s’inventer de vrais rêves qui n’appartiennent qu’à Gwenn et pas à l’Industrie ».

À bord de notre Arche, son compère François Beaune, 42 ans, esquisse de possibles réponses collectives et brasse avec appétit et nonchalance tout un mesclun d’idées pour chérir la planète : stricte interdiction des loisirs mécaniques (inclus : « les extenseurs péniens électriques ») tout comme de la consommation des bovidés émetteurs de méthane ; leur apport en protéines sera remplacé par la dévoration de nos animaux domestiques, une fois parvenus « à maturité ». Plus radical encore : un âge limite sera fixé à 75 ans et concernera d’abord les Européens, dans un monde où l’euthanasie sera gratuite et accessible à tous. De quoi inciter à refaire un tour au sex-shop, histoire de kiffer le présent.

 Image : The Voices, de Marjane Satrapi (2015).

10 septembre 2020

2:56

Audrey Vernon : « Demain, il ne faut pas que les théâtres rouvrent »

Du côté d’Étampes, cette comédienne et autrice anticapitaliste rêve d’un matin calme où son spectacle ne sera plus « la récompense du travailleur, un divertissement de plus », tout en continuant à se battre « contre la religion du profit ».

« Tu vas peut-être assister à l’extinction de l’humanité. Mais c’est génial aussi de voir la fin du film ! » C’était l’un des spectacles les plus prometteurs de ce début d’année : Billion Dollar Baby, écrit et interprété par Audrey Vernon, vu à la Nouvelle Seine (Paris), dans lequel l’autrice anticapitaliste de Comment épouser un milliardaire adresse une lettre à son enfant à naître, dans l’espoir de lui expliquer, en une heure, notre Histoire par le prisme des ravages de la civilisation industrielle, « les inégalités, le capitalisme, l’argent, l’État, la guerre, les voitures, les avions, l’énergie, les déchets… ». Puis il y a eu le covid, le confinement et sa trop brève pause pour la planète. Une prise de conscience bourgeonna dans la tête de l’artiste, d’abord formulée sur le site de Reporterre : « Je ne veux pas recommencer à jouer ce spectacle alors qu’on a vu qu’on pouvait tout arrêter en deux heures. »

Du côté d’Étampes, son constat fut sans appel : « Ils rouvriront les théâtres en dernier, quand tout aura repris… Quand l’industrie, le commerce, la production d’armes, de voitures, d’avions auront repris. Quand ils auront sauvé les milliardaires, les banques, les actionnaires. » Petit à petit, dans toute la France, les salles ont pourtant recommencé à accueillir les spectateurs, à jauge réduite, dans le respect du fameux protocole sanitaire. « Les théâtres ne doivent pas rouvrir pour continuer à dénoncer le monde de la marchandise en en faisant partie, je ne veux plus être un maillon de la chaîne, la récompense du travailleur, un divertissement de plus. Je veux que la chaîne se brise (…) Je ne peux rien faire d’autre que lutter pour qu’on se rende compte de ce qu’on est capable de supporter au nom de la religion du profit. »

Et Audrey de citer l’exemple de Gabin et Dietrich qui, pendant la Seconde Guerre mondiale, cessèrent d’être acteurs pour devenir soldats ou pour mettre leur célébrité au service de leurs convictions. À sa manière, Vernon retourne au front : Billion Dollar Baby part en tournée dès le 18 septembre et jusqu’en avril 2021, à Marseille, Lausanne, Paris, Nice ou Saint-Etienne.

Pour voir un extrait énergétique de Billion Dollar Baby, c’est ici : https://www.youtube.com/watch?v=MdFQFiuAuhA

Pour écouter la précédente utopie d’Audrey Vernon pour L’Arche de Nova, c’est là : https://www.nova.fr/podcast/le-monde-dapres/audrey-vernon-demain-abolira-la-propriete-privee

Image : Fin de tournage pour Marlène Dietrich et Jean Gabin réunis pour la seule fois à l’écran dans Martin Roumagnac, de Georges Lacombe (1946).

09 septembre 2020

4:09

Vincent Ravalec : « Demain, des enfants à tête de chiens, des gens-oiseaux, des bras en serpents »

L’auteur parisien de « Cantique de la racaille » prophétise un avenir de créatures hybrides, avant l'avènement d’un « jeu, qui connectera nos mémoires et nos âmes à tous les aspects de notre Histoire ».

« Une amie m’appelle et me demande si je peux donner un coup de main à un réalisateur qui souhaite raconter son histoire, celle d’un fils d’agriculteur dont le père s’est suicidé. Je fais part de mes idées. Il s’agirait d’un village déserté, qui deviendrait une base mafieuse, dans lequel débarquerait une jeune députée. Il y aurait aussi un rebouteux. La productrice me regarde d’un œil torve. Personne ne saute au plafond en entendant mes magnifiques propositions (…), je creuse davantage. Oui, des éleveurs. Qui ont perdu leur troupeau. Un territoire sans femmes. Sans fécondité. Une zone de non-droit. Les paysans sont devenus des voyous pour survivre. Et paf, la République qui revient, sous la forme de jeunes et charmantes créatures. Bingo ! »

Les racines de ce palpitant thriller rural, qui ressemblent beaucoup à ce qui deviendra la trilogie Sainte-Croix-Les-Vaches de Vincent Ravalec (2018-2020, chez Fayard, en cours d’adaptation sur grand écran), apparaît comme un cas d’école dans son manuel d’écriture « de qualité », L’Art du beau mensonge, à paraître le 2 octobre co-édité par Arte et Marabout. L’auteur de Cantique de la racaille (prix de Flore 1994, roman qu’il transposa lui-même au cinéma « d’une façon plutôt intuitive »), cinéaste et scénariste de BD, poète et parolier, qui signa plus d’une centaine de nouvelles (réunies récemment en volume de 1700 pages Au Diable Vauvert) et presque autant de scénarios jamais tournés, détaille ses techniques pour accoucher d’un script, avec verve, voix off, post-it et souci de cohérence.

Cet écrivain prolifique de 58 ans était donc très attendu sur le pont de notre Arche afin d’imaginer un futur désirable, « avec plus de prodiges, de surprises ». Nous ne sommes pas déçus : « Des filles de quinze ans tombant enceintes de créatures absurdes, des enfants à tête de chiens, des gens-oiseaux, des bras en serpents. La Réalité Virtuelle devenant si addictive qu’elle est un problème de santé publique, les utilisateurs se laissant mourir, oubliant de manger et de boire, désertant la réalité. Les neuronanotechs nous fusionnant aux machines. Les molécules psychotropes ouvrant dans nos cerveaux des potentialités latentes... » Mais tout ceci ne sera qu’une étape, le prélude à un « jeu » qui, « par accumulation des charges karmiques », connectera nos mémoires et nos âmes avec tous les aspects de notre Histoire, avant de « nous élever de la surface des sols ». Parés au décollage ?

Image : L’Île du Docteur Moreau, de John Frankenheimer (1996).

08 septembre 2020

4:11

Dorothée de Monfreid : « Demain, nous ferons du quotidien une comédie musicale »

« Pour lutter contre l’excès de raisonnement logique », cette autrice de bande dessinée nous conseille de vivre nos vies comme un film de Jacques Demy, via des alexandrins et des chorégraphies, du matin au soir.

Deux tartines qui rêvent d’être prises en sandwich. Un gros cadeau qui n’attend qu’une chose : qu’on le déchire. Un œuf en barquette qui confesse avoir « flashé sur une mouillette ». Une aiguille qui rechigne à avouer le nombre de fils qu’elle a connu dans sa vie. Un tunnel qui s’étonne du passage trop bref de son amant le TGV… Chaud du slip, le nouvel album de Dorothée de Monfreid ! Publiées d’abord dans Mon Lapin Quotidien et désormais rassemblées dans un chouette petit bouquin rouge aux éditions Misma, les historiettes des Choses de l’amour croquent en une, deux, trois ou quatre cases, sur cent pages en noir et blanc d’un trait naïf et tremblant, la vie sexuelle des objets du quotidien.

En toute logique, cette autrice et dessinatrice parisienne d’une cinquantaine de livres pour la jeunesse, qui mettent souvent en scène des animaux rigolos (Le Manuel du Docteur Schnock, Pas envie, Sept petits porcelets), des enfants intrépides (Nuit noire, Tony Tiny Boy), voire sa propre famille (Ada et Rosie), pousse le bouchon plus loin – et la chansonnette – en militant ouvertement pour une « comédimusicalisation du monde » du matin au soir. Pour se mettre dans l’ambiance, il faudra d’abord revoir l’intégrale des films de Jacques Demy, puis « s’amuser à improviser en famille ou avec des amis des discussions en alexandrins », en disant n’importe quoi, en chantant et en dansant, afin de « développer notre instinct et l’intelligence de notre corps ». Conseil pratique : « N’hésitez pas à vous servir des objets qui sont autour de vous ; faites juste attention à ne pas vous taper dans les meubles. » Dorothée Monfreid présentera ses meilleures chorégraphies le 17 septembre au Forum des Images, dans le cadre du festival Bédérama, le 18 septembre en dédicace chez Philippe Le Libraire (32 rue des Vinaigriers, Paris 10e, avec Nylso), ainsi que le 9 octobre à la librairie Texture (94 avenue Jean Jaurès, Paris 19e, avec Caroles Fives).

Image : Les Demoiselles de Rochefort, de Jacques Demy (1967).

07 septembre 2020

3:19

Bim Bam Orchestra : « Demain, on mettra la vie sur pause »

Le meilleur collectif afro-soul de Paname, qui accoucha confiné d’un appel au relâchement profond des tensions, nous téléporte dans son futur de massive chill out : ralentir pour savourer, accélérer si besoin, « gérer son temps… pour ne plus en perdre une miette ».

Massive chill out. Détente généralisée des corps et des cortex. Ce fut le mot d’ordre, thérapeutique en diable, proclamé par Bim Bam Orchestra au beau milieu de l’étrange tunnel tendu du confinement. Eparpillés aux quatre coins de l’Île-de-France, de l’Hérault ou de la Bourgogne, les quinze musiciens du meilleur collectif afro-soul de Paname ont enregistré puis filmé, à distance, cet appel au relâchement profond des tensions. Conçu au départ comme la fusion d’une vibe hip hop sur les rythmiques afro-beat de Tony Allen, la chanson, ample et généreuse, terminée au moment de la mort du génial batteur nigérian, résonne aujourd’hui aussi comme un hommage au maître disparu.

Par la voix de Jérémi Nureni Banafuzi, l’un des chanteurs et paroliers du big band fondé en 2008, l’Orchestre imagine que cette homéopathie du « ralentissement des métabolismes interconnectés » est réellement devenue massive, mondialisée. Avec des effets secondaires paranormaux : désormais, les humains sont capables de maîtriser leur tempo. « On peut mettre la vie sur pause : gérer les heures, les minutes, les secondes, accélérer les choses désagréables ou ralentir les instants de bonheur trop fugaces. » Voir grandir ses enfants, enquêter sur les présidents corrompus, apprendre toutes les langues ou faire avance rapide lors d’un rendez-vous chez le dentiste… En attendant de retrouver la scène et de pouvoir enregistrer son troisième album, Bim Bam donne du temps au temps. Temps mieux !

Pour voir le clip multiplexe de Bim Bam Orchestra, c’est ici : https://www.youtube.com/watch?v=hXnn1odHgOU



Image : La Persistance de la mémoire, de Salvador Dalí (1931).

07 septembre 2020

3:48

Carl Agité : « Nous avons sauvé la planète, à vous de sauver le cinéma »

Toujours aussi pépouze « depuis l’année 2081 » dans son chalet alpin, cet énigmatique « ermite » souhaite nous alarmer d’une disparition fort regrettable : le cinoche sur grand écran.

Cet enregistrement nous est parvenu par la grâce liquide d’une bouteille de génépi, déposée en évidence à l’entrée des studios, fin août. L’étiquette indiquait : « Pour votre Arche. » À travers le verre, un petit coffre en plastique flottait dans l’alcool de plantes. Le soir même, il fallut trois heures à notre équipe pour boire avec bravoure la boutanche entière, qui tomba en même temps que l’un de nos animateurs, et se brisa. Le coffre roula, s’ouvrit, révélant une pochette étanche, abritant elle-même une clé USB, contenant enfin plusieurs messages audios d’un certain « Carl Agité ».

Après débat au sein de la rédaction, il a été décidé de partager avec nos auditeurs ces « témoignages du futur », situés « en 2081 », cent ans exactement après la création de Radio Nova. L’auteur s’y présente sous les traits d’un ermite, « vieux sage et vieux singe », habitant un modeste chalet au pied du mont Blanc. Surprise, agréable : à « son » époque, le monde ne s'est pas encore écroulé.

Contrairement à nos possibles descendants belliqueux qui, dans Tenet de Christopher Nolan, « nous en veulent tellement d’avoir défoncé la planète pendant des siècles qu’ils envoient en loucedé des armes nucléaires dans le passé afin d’accélérer la fin du monde », les humains de ce futur-là semblent rassembler deux générations d’écolos convaincus. « Greta Thunberg a aujourd’hui 76 ans, c’est la présidente plénipotentiaire de l’Union européenne réélue pour son seizième mandat par référendum international, et Mamy Greta nous a bien expliqué comment arrêter de niquer la biodiversité, juste après la seconde Guerre mondiale de l’eau potable. »

En revanche, le cinéma, lui, a disparu. « La dernière salle, le dernier grand écran, a fermé en France en 2046. Il reste quelques ciné-clubs privés, fauchés ou pleins aux as, animés par des nostalgiques. Ou des salles désaffectées occupées clandestinement avec des copies qui se détériorent. C’est pareil partout dans le monde. Et la plupart des studios, en réaction, ont mis la clé sous la porte. Finie l’image qui vous dévore l’imaginaire à cause de la taille de l’écran, du son si puissant, de l’émotion partagée avec des inconnus, des souffles suspendus. » D’où cet appel désespéré, plutôt inattendu : « Je vous en conjure. Ce n’est plus la peine de sauver la planète, on s’en charge. Mais vous pouvez encore sauver le cinéma, car tout le monde s’en fout en 2081. Retournez en salles ! »

Pour écouter le précédent message du futur de Carl Agité, c’est ici : https://www.nova.fr/podcast/larche-de-nova/carl-agite-demain-se-fera-gratter-le-dos-quatre-jours-par-semaine

 Image : Tenet, de Christopher Nolan (2020).

03 septembre 2020

4:17

Loups : « Quand je serai tyran, je vous forcerai à regarder chaque jour un.e inconnu.e, pendant 27 minutes »

Chef de meute d’un trio de rock pour cœurs brisés, cette Parisienne exilée à Nantes entend bientôt imposer par la force « l’acceptation de l’autre », non sans avoir au préalable ordonné à ses loups de dévorer le personnel de l’Elysée.

« Je m’ennuie de ton odeur, l’eau de ton parquet / des films d’amour et d’horreurs nus sur le canapé / Je m’ennuie de ton palais et de ses vapeurs de whisky, de ces princes écossais qui partent toujours avant midi », se lamente Laura Maire sur Rayures, étonnante variation autour du thème entêtant du Boomerang de Gainsbourg, chanson-titre du dernier EP de sa meute nommée Loups, sorti en 2019. Un peu plus tôt, cette Parisienne exilée à Nantes, marquée par les textes de Bashung ou de Dominique A, se décrit comme un « automate enrayée de chaque fois repartir de zéro ». Et c’est bien ce qui risque de se produire à l’écoute de sa vision d’avenir, pour laquelle elle s’autoproclame « tyran ».

Tout va repartir à zéro. « Dans les six jours » qui suivront la sortie de son premier album à paraître au printemps sur le label My Dearecordings, Laura lancera ses loups sur l’Elysée, Matignon, le Sénat et l’Assemblée, qui vont dévorer « leurs vieux corps et leurs idées dépassées ». Ayant obtenu les pleins pouvoirs, elle imposera au niveau national des « sessions de découverte et d’acceptation de l’autre ». Chaque jour, pendant vingt-sept minutes, à une distance minimum de 4,5 mètres dans un bâtiment encadré par l’Etat, il sera obligatoire de regarder, sans se parler, un.e inconnu.e, « de l’observer et de réfléchir », à charge pour les deux participants d’écrire au moins une phrase à propos de la personne en face. « Ce sera le plus beau, le plus doux, le moins bruyant et le plus intense de tous les règnes. » Et les Loups de Laura hurleront à la lune cet exercice d’empathie lors d’un live le 18 décembre à la Maison des Arts de Saint-Herblain (Loire-Atlantique).

Pour écouter le dernier EP de Loups, c’est ici : https://loups.bandcamp.com/releases

Image : fragment de Trois femmes et trois loups, d’Eugène Grasset (1892).

02 septembre 2020

3:45

Jorge Bernstein : « Demain, débarrassés des humoristes, on pourra enfin se faire chier »

Les comiques, médiatiques ou familiaux : qui sont-ils, quels sont les réseaux ? Et s’ils disparaissaient tous – sauf un – du jour au lendemain ? Non loin de Rennes, ce musicien et scénariste de BD s’emploie à faire éclater la vérité.

« Une société secrète pour démasquer des sociétés secrètes, c’est pas bizarre ? » Ainsi démarre Les Complotistes, la réjouissante BD signée Jorge Bernstein et Fabrice Erre, à paraître le 2 octobre aux éditions Dupuis. Dans le local à poubelles du lycée Johnny-Hallyday, un adolescent débrouillard, Kevin_Néo, exerce son esprit critique auprès d’un professeur parano, Patrick Mulder, qui l’entraîne à identifier la vérité désormais « ensevelie par des canailles sous un tas de fariboles pour TROMPER LES GENS ». Ensemble, ils se demandent si le Moyen-Âge a eu lieu, si Paul McCartney est mort, si l’on peut repérer les femmes illuminatis à la pièce triangulaire de leur bikini, s’avouent perplexes en découvrant que les mots « Hitler » et « Hipster » sont étrangement proches et, surtout, comme leurs auteurs, s’échinent à mettre en lumière les mécanismes du conspirationnisme. 

Dans cette perspective éducative, Jorge Bernstein prend la parole, tel un lanceur d’alerte es zygomatiques, pour nous avertir d’un futur garanti sans fake news : incessamment sous peu, tous les comiques vont disparaître, sauf un (nous vous laissons le soin de deviner lequel en écoutant cet épisode). Scénariste prisé pour la rigueur scientifique de ses facéties (en collab’ avec Terreur Graphique, Fabcaro, Julien/CDM ou Rudy Spiessert), cofondateur breton des garage-rock Pioupioufuckers, le bon docteur Jorge, dans son domaine d’Orgères non loin de Rennes, y voit l’opportunité grandiose de pouvoir enfin « se faire chier ». 

Finis « les rires forcés, les conversations où il faut faire de l’esprit », place à des activités exécutées « sans enthousiasme », parmi lesquelles « la pollution, la pleine conscience, l’hygiène des mains, la religion ou la motoculture de plaisance », dans des temps « de plus en plus douloureux » « en attendant la mort comme une délivrance ». Cette histoire possède une chute machiavélique, mais il faut appuyer sur play.

Image : Horace & Pete, de Louis C. K. (2016).

01 septembre 2020

3:24

Grégory Le Floch : « Demain verra le règne de la délicatesse »

Ce professeur de lettres parisien, auteur d’un second roman surréaliste, prédit l’empire des « êtres souples, légers, aériens » dans des villes de marbre rose, réponse émouvante à l’homophobie ordinaire.

« Mon cœur battait fort de ne pas savoir ce que je venais de découvrir et qui ressemblait – sans l’être – à une sorte de pièce de monnaie, molle et irrégulière, ou plutôt à un petit organe de souris, comme un estomac ou une rate. Je me suis dit que cette chose devait être un objet de valeur, un objet important (…) » Publié cette rentrée aux éditions Christian Bourgois, le second roman de Grégory Le Floch, De parcourir le monde et d’y rôder, suit les turpitudes épiques d’un narrateur (vigile anonyme conçu comme une « porte ouverte ») qui entend bien restituer à son propriétaire cette chose trouvée sur le trottoir, qui lui crie de se rendre à Vienne, en Autriche. Dans le train, on l’insulte de « sale pédé » et il s’enfuit, trouvant refuge dans un compartiment où pleure un bébé, qu’il jette par la fenêtre avec les remerciements de la maman. « Immédiatement après, il y a eu un calme fantastique. J’ai senti que j’obtenais enfin un résultat, mon premier résultat, et je l’ai savouré avec intensité. »

Cette « chose », est-ce une pierre philosophale, un fétiche africain, un énorme calcul biliaire ou une « pelure d’orange, séchée et recousue », fragment perdu d’une œuvre d’art en forme d’« évocation évidente et néo-conceptuelle des homosexuels noirs dans un contexte néo-urbain » ? Son enquête surréaliste, pullulant de scènes improbables, le fera arpenter un monde souvent brutal. L’auteur, professeur de lettres parisien de 34 ans, remarqué en 2019 pour son roman Dans la forêt du hameau de Hardt, prédit donc pour Nova l’empire des « êtres souples, légers, aériens » aux cheveux très longs, ceux et celles qui possèdent « des ailes accrochées aux chevilles », vêtus de soie et de lin dans des villes de marbre rose, vert ou bleu, comme une réponse lyrique à l’homophobie ordinaire. « Sortir dans la rue, ce serait comme entrer dans une église baroque : tout sera exubérant, dramatique et torsadé. » Contre « les bœufs, les veaux, les salauds », « ceux qui vous frappent et qui vous étranglent », Grégory Le Floch réclame le règne de la délicatesse.

Image : Laurence Anyways, de Xavier Dolan (2012).

31 août 2020

4:04

Balval Ekel : « Demain, on aidera ceux qui s’essoufflent, ceux qui agitent les bras »

Commençons par dire, puisqu’on aime ici la musique et le romanesque, que Balval Ekel (« le vent et la solitude », en romani) est le pseudo d’une prof’ de lettres de Vendée, Pascale Radière, qui découvrit à 46 ans qu’elle était la fille d’un immense guitariste, violoniste et contrebassiste de jazz, Elek Bacsik (1926-1993), qui joua pour ou avec Quincy Jones, Bud Powell, Michel Legrand, Elvis, Gainsbourg ou Barbara, que Bashung adorait. Ce « Clark Gable à la peau mate », Tzigane d’origine hongroise « qui ne faisait jamais d’histoires », fut le sujet de son premier livre, Un homme dans la nuit (2015, éditions Jacques Flament).

Suivront un très court roman d’enfermement (Le Bunker, 2015) ou, en tout début d’année, Comme un trou lumineux dans le trottoir – pourquoi je lis Les Fantômes du Chapelier de George Simenon, bref essai publié aux éditions Le Feu Sacré sur son goût longue durée pour le père prolifique et belge de Maigret, dans laquelle Madame Ekel écrit : « En ces heures où l’on ne se gêne plus pour dénigrer les pauvres et les migrants, où l’on voit même des commandos se créer pour les chasser hors de nos frontières, Les Fantômes du Chapelier apparaît comme un antidote aux poisons divers et variés répandus dans nos nuits froides. »

En toute logique, ce « chat de gouttière » rêve pour Nova d’un futur où le monde serait confié « à des navigateurs et des marcheurs, en dehors de tout esprit de compétition ». « Sans dieu sans maître, sans discours menteurs, sans frontière, sans argent », le corps humain y redeviendrait « la mesure fondamentale », où tout sera évalué d’un pouce ou d’une coudée ; on y voyagerait « en s’appuyant sur la brasse », « en redonnant du sens aux lointains, aux australes, aux confins », « avec la conscience exacte de notre environnement et de nos forces ; on saurait ce qu’il en coûte de se dépasser ». Est-ce que les transports en commun auront disparu ? Balval Ekel ne le précise pas. Mais on appréciera, dit-elle, « la convivialité des refuges et la solitude des chemins », en aidant « ceux qui s’essoufflent au bord de la route, ceux qui agitent les bras d’un canot en détresse ».

 Image : Les Fantômes du Chapelier, de Claude Chabrol (1982).

28 août 2020

3:27

Carl Agité : « Demain, on se fera gratter le dos quatre jours par semaine »

Pépouze dans son chalet des Alpes, cet énigmatique « ermite » nous chante « depuis l’année 2081 » les louanges d’une mesure très attendue : le revenu universel de base.

Cet enregistrement nous est parvenu par la grâce liquide d’une bouteille de génépi, déposée en évidence à l’entrée des studios, fin août. L’étiquette indiquait : « Pour votre Arche. » À travers le verre, un petit coffre en plastique flottait dans l’alcool de plantes. Le soir même, il fallut trois heures à notre équipe pour boire avec bravoure la boutanche entière, qui tomba en même temps que l’un de nos animateurs, et se brisa. Le coffre roula, s’ouvrit, révélant une pochette étanche, abritant elle-même une clé USB, contenant enfin plusieurs messages audios d’un certain « Carl Agité ».

Après débat au sein de la rédaction, il a été décidé de partager avec nos auditeurs ces « témoignages du futur », situés « en 2081 », cent ans exactement après la création de Radio Nova. L’auteur s’y présente sous les traits d’un ermite, « vieux sage et vieux singe », habitant un modeste chalet au pied du mont Blanc. Surprise, agréable : à « son » époque, le monde ne s'est pas encore écroulé. Et tout ceci serait dû à la mise en place d’une mesure très attendue : le revenu universel de base.

Cependant, dit-il, à la différence de celui qui sera bientôt expérimenté en Allemagne (sélectionnées parmi un million de volontaires, 120 personnes toucheront 1200 euros par mois pendant trois ans, sans condition, sans obligation de travail, afin d’étudier leurs comportements), « trois journées de boulot » seront exigées de l’Etat « en fonction de nos compétences et de notre forme physique, pour des activités collectives qui profitent à tous, par tirage au sort », d’après Carl Agité. Réparer une route, bêcher un verger, nettoyer une rivière, enseigner le français à des réfugiés, réfléchir à une loi anti-corruption ou « s’occuper de la popote à la cantine »… les activités tournent et les chefs aussi. Et le reste de la semaine ? On se gratte le dos, à la coule. 

Image : The Big Lebowski, de Joel & Ethan Coen (1998).

27 août 2020

3:18

Valéry Molet : « Demain, il faudra juste se taire, un an sur deux »

« Dans la perspective d’un monde plus juste, où les crapauds parleraient, où les chiens écriraient l’Histoire des croquettes, j’aimerais évoquer l’instauration d’une année du silence. » La voix est sûre, le timbre grave, les propos surréalistes. Historien de formation, énarque issu de la même promo qu’Emmanuel Macron, auteur d’une dizaine d’ouvrages (romans et poésies, aux titres souvent funèbres : Le Nœud du pendu, Le Crématorium inutile, La Pâture des vers, Aucune ancre au fond de l’abîme), l’écrivain parisien Valéry Molet nous adresse – depuis la Bretagne – une drôle d’apologie pataphysique du silence. Mais qu’est-ce que le silence ? « Foutre ! C’est comme la poésie, personne n’en sait rien (…) Ce n’est ni une lame de rasoir, ni une casquette, ni une banane molle abandonnée sur la banquette arrière d’une carcasse de voiture. » Pour celles et ceux qui aiment les nuages, cet admirateur de Pouchkine, de Céline et de Virginia Woolf préconise le vote par référendum d’un an de mutisme absolu, tous les deux ans, afin que plus rien « ne bruisse ou ne gigote », le tout sous des « pluies torrentielles », afin de contrer semble-t-il l’atmosphère générale de « fête tristounette » et de « laisser-aller vestimentaire » – notamment vis-à-vis de notre usage préoccupant des claquettes. La France a peur, car ici, « les récalcitrants seraient condamnés à vivre sur la côte d’Azur ».

Comme rien n’arrive par hasard, Valéry Molet publiera en 2021 un bref essai sur ce « roman qui empeste, dont l’odeur vous poursuit », Gilles, de l’écrivain Pierre Drieu la Rochelle (1893-1945, dandy, dada, séducteur compulsif, d’abord républicain, ami d’Aragon, de Lacan, de Malraux, qui vira ensuite « socialiste fasciste » et collabo) aux éditions Le Feu Sacré. Où l’on pourra lire, encore : « Si seulement, on pouvait rendre tout silencieux et vide pendant quelques instants, on s’apercevrait avec ironie que rien ne nous manque (…) Tout bipe. On fait une marche arrière, cela bipe. On frôle une voiture, cela bipe. Les restaurants, les gares, les hôtels bipent nuit et jour à rendre fou un coléoptère. Les téléphones bipent, sonnent, rôdent dans les absides du bruit. (…) Les neurones grillent. Cela sent la saucisse. »

Image : Edward Hopper, Route à quatre voies (1956).

26 août 2020

3:50

Gontard : « Demain, le bonheur sera une idée neuve »

« Tout est différent, en 2029. On avance sur des brancards. » Le refrain est chanté d’un air guilleret, sur le sample d’un vieux piano de bastringue. Bienvenue à Gontard-sur-Misère, ville fragile née de l’imagination du musicien Nicolas Poncet dit Gontard, par ailleurs travailleur social à Romans-sur-Isère (Drôme). Nous sommes en 2029, titre de ce troisième album de « hip-roll-slam-pop », paru en 2019 sur le label Ici et d’ailleurs, écrit et enregistré avec la complicité de Vincent Brion et peignant, par la voix d’un chanteur de variétés « qui n’a jamais risqué sa vie » l’avenir sombre d’une bourgade de 33 000 habitants, frappée par la crise et gérée par un maire « ultra-droite ». « En attendant qu’on installe l’internationale des prolos et des clodos à pigeons, on a mis en place l’internationale du pognon ; nous n’avons plus d’amis, nous avons des partenaires. »

Grimpant à bord de notre Arche, Gontard esquisse une suite en forme d’idéal Eden… situé sur une autre planète, trois ans plus tard, en 2032. Certes, « l’apocalypse a eu lieu » sur Terre, mais « là-haut », la population « rajeunit », l’agriculture est « verticale » et « le monde est devenu un immense marché aux fleurs ». « Le bonheur est une idée neuve », le sexisme a disparu, le partage des connaissances semble naturel et désirable, il n’y plus de police, « pas besoin », et les sociétés ne comptent « ni esclavage, ni mensonge, ni honte, ni divinité, ni chaînes d’info en continu ». Béni soit ce prophète optimiste, qui sera en concert le 20 novembre au Mans et le lendemain à Brest. 

Image : générique de fin de Wall-E d’Andrew Stanton (2008)

25 août 2020

3:32

Clémentine Mélois : « Demain, la France entière mangera des frites avec Jean Echenoz »

Déterminée à remonter le moral de ses compatriotes, cette plasticienne nantaise rêve de fines lamelles de pommes de terre à partager – sur Zoom ? – avec l’auteur goncourisé de « Je m’en vais ».

« Bon pour un jour de légèreté. » C’est le titre du nouveau recueil de détournements conçus par la plasticienne et écrivaine nantaise Clémentine Mélois, à paraître en novembre chez Grasset, qui rassemblera toutes ses créations nées pendant le confinement. Photo de thermomètre indiquant « toujours pas de fièvre mais vous avez pris des joues » ; réécriture de la première page d’À la recherche du temps perdu, dans laquelle Proust se demande quel est l’équivalent français de « scroller » ; reproduction sur ballon du visage de Wilson dans Seul au monde ; pastiche d’un ticket de concert pour assister depuis son salon au discours présidentiel, lové.e dans un carré or canapé+chipsters ; Une édifiante d’un journal local, qui pose en lettres capitales la question « Doit-on prendre des mesures pour avancer l’heure de l’apéritif ? » ; almanach 2020 avec jolies photos de pangolins ; vinyle vintage d’Alain « Gestes » Barrière ; paquet de chewing-gum hollywoodien où la chloroquine a remplacé la chlorophylle.

Mais pourrions-nous aller encore plus loin dans la légèreté ? Déterminée à remonter le moral des Français, l’autrice de Chère Bertille et la lune en gruyère rêve de fines lamelles de pommes de terre à partager avec l’écrivain français Jean Echenoz, goncourisé pour Je m’en vais (1999), que Clémentine Mélois a très avidement « binge-lu » ces derniers mois, subjuguée par l’humour, les adresses au lecteur et le travail stylistique à l’œuvre dans Les Grandes Blondes, Ravel, Au piano ou Jérôme Lindon. Se poseront très vite, sans doute, des questions logistiques : faut-il pour cela avoir recours à une appli, des sosies, un hologramme ? Une vidéo-conférence nationale, via Zoom ? Il faudra trancher. Mais quel bonheur d’entendre, dans le mâchonnement régulier d’une assiette de frites, des phrases comme celle-ci, échappée de L’Equipée malaise : « Sur toute sa joue, parallèlement à l'arc du maxillaire, cette barbe était traversée par une longue balafre transamazonienne à plusieurs voies, marque des dents d'une petite fourche ou des griffes d'un moyen lion. » Miam.

Pour écouter Jean Echenoz en interview sur une péniche à la frontière allemande, au micro de la Nova Book Box, c’est ici : https://www.nova.fr/podcast/nova-book-box/lever-lencre

Image : Mathilde de Capèle.

24 août 2020

3:32

« Demain, on fera du troc de connaissances par la pensée »

« Jaguar enragé » par la crise vénézuélienne, cette musicienne de Belleville souhaite la ruine du capitalisme, laissant place à un système d’échange de savoirs ayant fonction de monnaie, « grâce aux vibrations du cerveau ».

06 juillet 2020

3:17

Juicy : « La nature ne s’émeut ni de vos putains de joies ni de vos putains de douleurs »

Depuis Bruxelles, ce puissant duo féminin de « R’n’Bitch » ne se fait plus aucune illusion sur l’espace humaine et sample les colères d’Angélica Liddel. 

03 juillet 2020

2:08

Laetitia Dosch : « Demain, chacun sera responsable d’un arbre »

Entre Paris et Lausanne, cette actrice-autrice nous branche sur un spectacle et une radio où les arbres ont la parole, afin de « franchir le mur entre les espèces » et nous enseigner la solidarité.

02 juillet 2020

3:17

Gilles Marchand : « Demain, les lutins seront de retour dans les bois et chanteront Bérurier Noir »

Imprégné de culture rock, cet écrivain parisien rêve de révolte douce et signera, à la rentrée, un troisième roman centré autour d’une troupe « d’anciens taulards, de nouveaux crevards » et de leur humble meneuse.

« Les pas comme il faut, les mal élevés, les malhabiles, les mal finis, les mal foutus, les malades, les bancals. Les sourdingues, les doux dingues et les baltringues. » Un matin, celle que l’on surnomme « Jolene », en hommage à sa passion obsessionnelle pour la complainte country de Dolly Parton, a décidé que cette population de laissés-pour-compte ne serait plus jamais « des moins-que-rien ». Certains vivent, comme elle, dans un hôtel miteux où ils ont depuis longtemps franchi « leur point de rupture », cadre du troisième roman de l’écrivain parisien Gilles Marchand, qui sera publié fin août aux éditions Aux Forges de Vulcain. Son héroïne, une caissière au chômage à grosses lunettes, va réussir « à créer un nous avec des gens qui n’étaient jamais parvenus à être un je. »

Chouchou des libraires, l’auteur cravaté d’Une bouche sans personne (2016) et d’Un funambule sur le sable (2017) se faufile à bord de notre Arche les bras chargés de pancartes, réclamant « l’augmentation du nombre de merveilles du monde », de « faire démourir Kurt Cobain, Amy Winehouse ou Buddy Holly », « moins de trous dans la Sécu et dans le gruyère », ainsi que la réintroduction dans nos forêts d’au moins « deux familles de lutins », qui entonneront l’hymne punk alterno fraternel pour détraqués-petits-agités signé Bérurier Noir, Salut à toi (1985). Vivement Noël dans les sous-bois.

Habillage : Emmanuel Baux.

Visuel © Elfes, de Jamaal Burdel (2018).

23 juin 2020

4:01

James BKS : « Demain, nos enfants apprendront l’empathie à l’école»

« Secret le mieux gardé » de l’afro-groove hexagonal, le fils de Manu Dibango suggère de remplacer les cours de physique ou de biologie par des leçons de compassion, pour davantage de tolérance et de savoir-vivre.

« Nous sommes la nouvelle race et on s’en tape, vraiment. Poing en l’air, poing en l’air. » Le refrain réactive des combats intemporels, plus que jamais dans l’air du temps. Second single du premier album en préparation du musicien français James BKS (pour« Best Kept Secret »), le remuant New Breed, sorti en novembre dernier, hymne afro-groove tissé par une agréable kora, réunit les fulgurances du patron new-yorkais Q-Tip, le flow désinvolte de l’Anglaise Little Simz et le charisme viril de l’acteur, rappeur et DJ britannique Idris Elba, célèbre pour son rôle de gangsta rigoureux dans la série The Wire. Lequel déclame, dans son couplet sur le pillage de l’Afrique colonisée : «Nous allons vous montrer que tout ce que vous avez volé vit et respire. Ce qui a commencé avec nous finira avec nous. Regardez-nous dans les yeux, vous aurez vraiment peur de cette nouvelle race qui descend de la montagne. Nous n’avons peur de rien. Que l’esclavage aille se faire foutre. Ceci n’a rien d’un film hollywoodien. Nous allons trancher la gorge de l’ancien système. Et si vous n’êtes pas avec nous, vous feriez mieux de courir. »

Mais que savons-nous de ce « secret le mieux gardé » parmi les beatmakers du moment, premier artiste signé sur le tout récent label d’Idris Elba, 7Wallace Music ? Compositeur pour Snoop, Puff Daddy, Ray Lema ou Ismaël Lo, auteur de bandes-originales (La Taularde, Le Gang des Antillais) et fils du géant jazz Manu Dibango (dont il fit la connaissance il y a quelques années seulement), James BKS décrit New Breed comme une manière de rallier des artistes soucieux, comme lui, de se reconnecter à leurs racines. Pour notre Arche, celui qui enflamma Radio Nova la semaine dernière lors d’un bref concert fort bien cadencé suggère de remplacer les cours de physique ou de biologie par des leçons d’empathie, pour davantage de tolérance entre les peuples et les classes sociales. On se rappelle alors du fameux proverbe de (son) Papa Groove : « On ne peut pas peindre du blanc sur du blanc, du noir sur du noir : chacun a besoin de l'autre pour se révéler. »

Pour réécouter le live de James BKS sur Nova, c’est là.

Visuel © The Wire saison 4, de David Simon (2006).

22 juin 2020

3:49

Malik Djoudi : « Demain, j’aimerais changer de peau, de pays et d’âge tous les jours »

Après « la belle sueur » de son live sensible à Nova, ce musicien de pop androgyne nous transmute dans un remake de Code Quantum.

« Plaine brûlée, noyée, on te détourne de l'essentiel / Jamais j'irai à ton encontre, à ton insu / Fini, j'oublie tes alentours, ton goût du miel / Tu es lentement tuée / et cette voie est sans issue. » Sur sa chanson Essentielle tirée d’un second album intitulé Tempéraments (2019), Malik Djoudi n’évoquerait-il notre bonne vieille Terre, maltraitée de longue date ? « Vieillie, enlaidie à coups de foudres de bulldozers, tu as riposté / Mais ce n'est pas dans ta nature. » Quand on lui demande quelle est son humeur, d’instinct, vis-à-vis du futur, la réponse est nette : « Sceptique. »

Mais son tempérament se « désiste des eaux troubles », comme l’affirme ce quadra poitevin récemment installé à Paris, qui vient de publier en vinyle le remix de ses propres chansons par Yuksek, Chloé, Léonie Pernet et Myd. Ainsi, lors de son live à Nova, lorsque ce protégé d’Etienne Daho se lance dans une reprise au ralenti, murmurée, du hit mammaire de l’été 1987, Boys boys boys (summertime love) de l’Italienne Sabrina, on comprend mieux ce fantasme énoncé à bord de notre arche : changer de peau, de pays, d’âge ou de classe sociale tous les jours, être un chien errant d’Albanie ou un roi paré « à foutre la merde », comme dans la série spatio-temporelle idéale des années 90, Code Quantum. Alors pourquoi pas une insouciante bimbo de piscine ? Oh bravo.

Pour voir le mini-concert de Malik au rez-de-chaussée de Nova, c’est là.

Visuel © Code Quantum, de Donald P. Bellisario (1989-1993).

19 juin 2020

3:08

Olympe de G. : « Dans le futur du porno, on entendra "encore" et"arrête" »

Cette réalisatrice féministe nous offre un plaidoyer lumineux pour un X éthique aux corps non stéréotypés, au consentement permanent, dénué de performance, en toute intimité.

« Un jour, ce sera la dernière fois que je ferai l’amour. J’aimerais le savoir, j’aimerais m’y préparer, avec celui qui sera ma dernière rencontre. » À l’écran, une icône : Brigitte Lahaie, 64 ans. Ses adieux au hard remontent à 1980, mais l’actrice sublime et libre de Je suis à prendre et des Grandes jouisseuses a accepté de tourner un dernier porno pour Olympe de G., qui cosigne le scénario de son premier long-métrage intitulé Une dernière fois. Dans la peau de Salomé, voyant défiler dans son appartement les prétendant.e.s venu.e.s lui offrir d’ultimes orgasmes, Brigitte Lahaie y apparaît sans fard, magnifique de vulnérabilité.

Diffusé sur Canal+ le 6 juin, le film livre une leçon de consentement et de plaisirs pluriels, un tableau de visages en extase non-simulée, une expérience de l'intimité dénuée de performance, où la pénétration n’aurait rien d’un passage obligé, donnant à voir des corps non-stéréotypés : seniors, handicapé, femme en surpoids, ou même un couple mixte amoureux dont l’homme conserve ses chaussettes fantaisie. Les sexes n’y sont pas toujours visibles, cette question étant laissée au bon vouloir de leurs propriétaires – tel celui de Brigitte Lahaie, qui en rit face caméra : « Tu dis ce que c’est pas un film de cul, tu ne verras pas mon cul. »

Au sein de notre Arche, Olympe de G. nous offre un plaidoyer lumineux pour un pornoéthique. « Les langues et les doigts se mêleront au-delà du spectre des genres, au-delà des dynamiques de domination, sans jugement de valeur. Il n’y aura plus que de la fluidité, et des fluides, et tout ça ruissellera de sérénité. Il n’y aura plus de "salope"ni de "chaudasse", il n’y aura que des personnes désirantes que leurs envies rendent belles et libres. On pourra se laisser aller. » Avec, au milieu, ce nouveau verbe : circlure. « Circlure c’est l’inverse de pénétrer. C’est l’acte d’enfiler, enrober, englober. Pour faire simple, aujourd’hui on dit que le pénis pénètre la bouche le vagin l’anus… On pourrait aussi dire que l’anus, la bouche et le vagin circluent le pénis. »

Pour voir la bande-annonce et lire les intentions d’Une dernière fois, c’est ici.

Visuel © The Bitchhiker, d’Olympe de G. (2016).

18 juin 2020

3:53

Liqid : « Demain, ne pas réagir à une injustice sera passible d’une amende »

Directeur musical de la b.-o. de « Streets of Rage 4 »,ce rappeur parisien lève le poing pour un futur de « combats jouissifs », contre les violences policières ou la« transparence de la vie politique et financière ». Beat them all !

« On garde la chauffe ici-bas / pour tous mes voyous locos / Je suis peut-être venu vous sauver / comme un Didier Raoult low cost. » Sur son dernier freestyle, Palpatine, posté début juin sur les réseaux et « vomissant les lives de confinés », le rappeur parisien Lidiq avouait « vivre sa vie au ralenti, super-héros de la flemme, car demain n’est pas garanti ». Peu de temps avant, sur Rêves & cauchemars, ce sale gosse de la pop culture et du rétro-gaming se demandait dans sa doudoune : « Comment garder le moral dans ce bas-monde où même la mort se dit qu’elle a raté sa vie ? Donc j’ai tout donné sans m’isoler j’ai piloté j’ai frissonné j’ai mitonné pour de meilleurs lendemains ; je m’y connais (…) »

Si notre présent ressemble parfois à un sinistre jeu de baston, qu’elle pourrait en être la bande-originale ? À choisir, emballons-nous pour celle de Streets of Rage 4, dont le choix des artistes fut confiée à Liqid et qui publia fin avril sur son label Mutant Ninja le score éclectique(funk de marlou, trip hop moite, house de poche, chip tune belliqueuse) de ce nouvel épisode du beat them all un peu culte des années 90, où sévit toujours le syndicat du crime et dont nous étions sans nouvelles depuis vingt-six ans.

Sautant à bord de notre arche tel Axel Hunter, le trentenaire – qui démarra à Lyon au sein des Gourmets – lève le poing pour un futur de « combats », contre les violences policières, pour faire tomber « les dictateurs et les génocidaires », pour l’égalité des sexes et des genres ou pour une « transparence de la vie politique et financière », le tout « dans la joie et la musique, en ajoutant de la rage si nécessaire, ensemble, pour vivre ensemble. Franchement, c’est assez jouissif. » 

Pour écouter l’intégralité de la bande-originale des Rues de la Rage 4, c’est ici.

Visuel © Streets of Rage 4, Sega / Dotemu (2020).

17 juin 2020

3:12

Olivier Urman : « Demain, nous ne mourrons plus »

Cet artiste de Saint-Ouen, haut-parleur fantasque du binôme Musique Post-Bourgeoise, nous embaume d’un linceul d’encouragements à disparaître en toute liberté, tandis que les obsèques demeurent toujours limitées à vingt personnes.

C’est une croix d’apparence très lourde, dans les trois mètres de haut, posée à la diable devant les grilles du cimetière du Père-Lachaise. Surprise : elle est souple et courbée, comme si on la tirait par les cheveux. Sur son socle, il est inscrit en lettres noires : « La mort c’était mieux avant. » Le 24 mai dernier, le plasticien parisien Olivier Urman, qui venait tout juste d’installer cette création avec ses complices, y ajouta une brève notice. « Empêcher les gens d’aller aux obsèques (…) c’est Covid de sens. La vie est un risque à prendre. Mourir n’est pas une honte ou une corvée d’ébouage. Mourir est un accomplissement, un devoir et un exemple. C’est faire don de sa personne, de son âme, aux vivants et à la nature. Cela mérite certainement d’être accompagné(e) avec les honneurs par les siens lors de ce changement d’état. Il n’y a pas de précautions raisonnables qui tiennent. Mourir n’a jamais tué personne. »

Tandis que les obsèques demeurent limitées à vingt personnes malgré la maîtrise nationale de la propagation du coronavirus, la moitié fantasque du binôme Musique Post-Bourgeoise, qui suggérait déjà dans sa chanson Le Patient (2014) de « mourir en réfléchissant, sagement, à demi enterré dans le sommier », propose d’aller plus loin : « Disparaissons en mer, en mission, dans l’air, en forêt ou dans le métro. Sans bruit, sans odeur et sans messe, sans fleurs et sans poussière », dit-il de sa voix froide comme le fer, comme encouragé par l’ironie de l’écrivain français Joris-Karl Huysmans à décrire la « quincaillerie » et « le misérable apparat » des « crevés opulents » dans son roman En route (1895). Nous partirons comme nous l’entendrons.

« Nous interdire de se rassembler lors de funérailles, j’y vois un non-sens, une impossibilité philosophique, comme si nous n’étions plus libres de notre mort. Si les gens ont envie de mourir en se refilant le virus tous ensemble ? On est tout le temps en train de parer la mort, d’éviter des accidents, confiera plus tard Olivier Urman. Quand tu vois la gueule du Père-Lachaise, les protocoles, les costumes, les convois... et qu’on t’impose aujourd’hui de mourir seul, je trouve en effet qu’il valait mieux mourir avant. Chez moi, j’ai caché des revolvers. Je préfère ne pas me soigner plutôt que de crever à l’hôpital. »

Pour découvrir Musique Post-Bourgeoise, « brio électronique de salon et seule véritable musique folklorique parisienne », c’est ici.

Visuel © Les Contes de la crypte, d’après la bande dessinée de William M. Gaines (1989-1996).

16 juin 2020

3:03

Lewis OfMan : « Demain, les musiques voyageront dans les airs »

Après son live planant sur Nova, les visions futuristes du jeune producteur parisien du tube « Attitude » nous font prendre un peu d’altitude.

« Vous êtes vraiment une radio super, les gars. Vous allez changer la France ! » Mercredi dernier, Lewis OfMan reprenait du service le temps d’un bref live naïf et planant, en direct sur notre antenne, face à un public tout à fait ravi de danser de nouveau à moins d’un mètre les uns des autres. Interviewé par Reza Pounewatchy, le jeune producteur électro parisien – de son vrai nom Lewis Delhomme, 21 ans – en a profité pour exprimer vite fait sa passion pour les synthés de Vladimir Cosma sur la b.-o. de La Boum 2 (mais pas La Boum 1, hein).

Peaufinant son très attendu premier album de « groove mélodique » (selon sa propre expression), le compositeur du tube « Attitude » nous fait prendre un peu d’altitude avec une vision de la musique du futur pas du tout terre-à-terre. 

Propos recueillis par Sarah D’hers. 

Pour écouter l’intégralité du live de Lewis à Nova, c’est ici.

 Visuel © Le Château ambulant, de Hayao Miyazaki (2004).

15 juin 2020

3:18

Haroun : « Demain, le monde sera parfaitement parfait, et je détesterai ça »

En pleine écriture des pensées d’un faux philosophe de la Grèce antique, l’humoriste à lunettes décrit le cauchemar d’une société sans disputes ni pollution, qui le mettrait au chômage.

« J’ai cherché un mot pour remplacer stand-up, j’ai trouvé le terme de pasquinade. Ce n’est pas une tapenade avec de la pastèque. C’est un ancien mot qu’on n’utilise plus, qui désigne un valet dans les pièces de théâtre qui n’était là que pour faire rire. Et cela vient de la statue Pasquino, à Rome, sur laquelle les gens écrivaient des blagues sur le Vatican et le gouvernement de manière anonyme. La pasquinade, c’est une satire contre les puissants. Donc maintenant, je dis que je fais de la pasquinade. »

Disciple de Coluche et des Monty Pythons, comique discret, bosseur et couche-tôt, Haroun va muscler cet été son portail Pasquinade.fr, qui propose pour l’instant de visionner ses sketchs et spectacles avec, en dessous, une « barre de rire » (pour des applaudissements à intensité variable) et surtout un « chapeau » virtuel, pour rémunérer l’artiste sans intermédiaire – plateforme qu’il entend ouvrir à d’autres artistes francophones.

En pleine écriture des Pensées d’Héractète, recueil des enseignements d’un faux philosophe de la Grèce antique à paraître en novembre aux éditions des Equateurs, Haroun décrit le cauchemar d’une société sans disputes ni pollution, sans ridicule ni embouteillages (mais avec des rats propres et des cyclistes polis), qui le mettrait au chômage. « Ce monde parfaitement parfait, ça me dégoûte ! En tant qu’humoriste, j’adore que ça n’aille pas. » Gare à la pasquinade pour les cent prochaines années.

Pour réécouter Haroun dévoiler son goût pour Philip Roth, Schopenhauer ou « les bonnes petites blagues en une ligne » de Gustave Flaubert au micro du juke-box littéraire de Radio Nova, c’est là.

Visuel © The invention of lying, de Ricky Gervais (2009).

12 juin 2020

4:14

Victor Pouchet : « Demain, on disparaîtra quand on voudra »

« D’humeur fuyante », cet écrivain parisien, qui publiera à la rentrée un second roman conçu comme un « manuel d’évasion à usage unique », nous pousse à la fugue, aux détours et aux métamorphoses.

C’était cet hiver entre les rayons de la bibliothèque du centre Pompidou, à Paris. Une « nuit de la disparition », orchestrée par l’autrice, chanteuse et danseuse Blandine Rinkel en compagnie du groupe Catastrophe et de quelques complices, parmi lesquels l’écrivain parisien Victor Pouchet, également professeur de français et juré facétieux du Prix de la Page 111 remis chaque automne sur Nova. Ensemble, ils évoquèrent Bernard Moitessier, navigateur-vagabond des mers du Sud qui, en 1968, alors qu’il est donné vainqueur d’un tour du monde en solitaire sans escale, continua sa propre course pendant dix mois ; dissertèrent sur l’évaporation au sens chimique, ainsi que sur l’art de « l’obfuscation », savant brouillage des pistes pour semer l’ennemi ; voire, mais rien n’est moins sûr, reprirent des chansons ayant pour sujet les départs et les métamorphoses, comme J’ai changé de Barbara Carlotti ou encore – traduite en français – le splendide Our mutual friend de The Divine Comedy.

Grimpant à bord de l’Arche de Nova (incognito, sans que personne ne l’ait vu monter à bord, grimé en Noé, barbe longue et toge trouée), Victor Pouchet nous pousse à la fuite, aux détours et aux bifurcations, à nous « inventer des faux noms plus vrais que les vrais », à « écouter très attentivement ce que les autres ont à vous dire pour devenir les personnages de leurs récits ». Dans son second roman à paraître fin août aux éditions Finitude, Autoportrait en chevreuil, « histoire d’amour et manuel d’évasion à usage unique » autour d’un jeune homme qui ferait bien de régler fissa ses « trucs de l’enfance », on note ce conseil en camouflage un rien définitif : « Si tu vois ramper sur le sol un homme livré à son ventre, ce n’est pas un homme que tu as sous les yeux, c’est une bûche. » M’enfin, et si j’ai envie de me déguiser en bûche, hein ?

Visuel © Into the wild, de Sean Penn (2007).

10 juin 2020

3:59

Viktor Miletic : « Demain, Michael Bay réalisera des films captivants sur les carottes »

« Nique Verlaine, c’est un film d’amour un peu drôle, un peu tragique, un peu Nouvelle Vague, Comme un poème, avec des couilles et des grenouilles, voilà. » Ne serait-il pas formidable d’entendre de telles notes d’intention dans les commissions du CNC ? C’est le résumé de Nique Verlaine, vigoureux moyen-métrage écrit et réalisé par le Parisien Viktor Miletic (2019), au cours duquel deux amis – Hercule et Nat, joués par Guillaume Duhesme et Mathieu Lourdel, possibles et intrigants sosies contemporains, quoiqu’involontaires, de Verlaine et Rimbaud – se débattent dans les jeux de l’amour et du hasard, via Tinder ou Instagram.

Ce qu’il prolongea peu après avec Le Palier, sept minutes à situer quelque part entre Eric Rohmer (états d'âme so french, langue soignée) et Wes Anderson (plans fixes sur objets, travail plastique, tableaux et photos détournés)avec un goût bienvenu pour la trivialité (miroir des pulsions des personnages à satisfaire au plus vite), servi par la voix-off d’un narrateur-auteur fort malicieux. Mais quel rapport alors avec le pyrotechnique réalisateur hollywoodien Michael Bay, signature emblématique du blockbuster bourrin bas-du-front, de Bad Boys(1995) aux destructions trépanées de la « saga » Transformers(2007-2017) en passant par le catastrophisme patriote d’Armaggedon (1998), auquel Viktor Miletic dédie aujourd’hui son futur désirable ?

L’envie d’une épiphanie. D’un bouleversement du système de financement du cinéma, en pariant sur la prise de conscience (à cause de trois pains aux raisins) de l’un des metteurs en scène les plus bankables de la planète, qui s'attellera d’abord au remake intégral de sa propre filmo (Bad Boys traitant désormais de « promiscuité sexuelle entre partenaires policiers », l’intérêt étant de « faire exploser les tabous plutôt que les bagnoles ») avant d’écrire et de tourner The Carrot, drame agricole avec Marion Cotillard et Jake Gyllenhaall. « Et de cette grosse carotte naîtra la refonte complète d’Hollywood. »

Pour découvrir la bande-annonce de Nique Verlaine de Viktor Miletic, c’est ici.

Visuel © Mathilde de Capèle, à partir de Transformers : Le Dernier Chevalier, de Michael Bay (2017).

09 juin 2020

5:02

Perrine En Morceaux : « Demain, on aura toujours deux mains pour réchauffer ta joue »

Depuis son nid d’Amsterdam, cette alchimiste française de pop expérimentale, couvant un album composé à partir de chants d’oiseaux, nous siffle un poème pour un « futur insensé » en duo avec une huppe.

05 juin 2020

3:35

Marie Klock : « Tu peux te les carrer au cul, tes cagettes de légumes, tes panais et tes agrumes »

Armée de son synthé rudimentaire, cette musicienne et journaliste parisienne réclame en rimes libres un monde sans aucune précaution sanitaire, doublé d’un hommage feutré au scarabée bousier. 

« J’ai beau réfléchir, je te vois pas la moindre espèce d’utilité. À la rigueur tu serais de la merde, tu pourrais servir à plein de trucs. Tu vois le bousier, ce petit scarabée ? Il pousse des balles de merde qui peuvent faire parfois six, sept, huit fois sa taille. Et dans ces petites baballes de merde, il pond ses œufs. » Au milieu de sa chanson Inutile, tirée du premier album jaune canari qui porte son nom publié début mai via le label La face cachée, Marie Klock esquisse une apologie de ce fascinant coléoptère coprophage, dont l’humilité abrite une sagesse séculaire, comparée à certains amants inconséquents. « Quand éclosent les larves, qu’est-ce qu’elles font ? Elles mangent la merde autour d’elles pour devenir grandes et robustes avant de se transformer en bousiers musclés pleins de biceps et de triceps et de mollets de bousiers. Alors que toi, tu sers vraiment à rien. C’est prodigieux, j’ai jamais vu ça. »

Et ce n’est que l’une des curieuses surprises de ce disque au verbe cru et tranchant, écrit et composé par cette journaliste à l’ironie sophistiquée (pour Brain,Vice ou Libé) armée d’un synthé rudimentaire. Près d’un tube vénère (Boule de seum, rengaine-remède anti-tocards), on regarde passer dans le ciel ses missiles contre les mâles débiles, entre des histoires surréalistes (à propos de Michel Fourniret, d’un roi des araignées ou d’une Crise d’angoisse à la foire aux synthés) et deux éclats d’inquiétude dénués du moindre second degré, qui paradoxalement réjouissent par leur vulnérabilité (Le Garçon froid, Solitaire, Allô Papa).

« Tu me fais chier avec tes utopies ! » Pour L’Arche de Nova, « la femme Knacki Balls » (titre de ce pastiche étrange d’Olivia Ruiz sur l’instru de Love on the beat, à la gloire des saucisses apéritifs, qu’elle publia pendant le confinement, semi-déguisée en Gainsbourg) réclame en rimes libres un monde sans aucune précaution sanitaire, doublé d’un appel discret au sabotage industriel.« Qu’est-ce que j’attends de l’avenir ? J’attends rien, j’attends pas, je prends la merde comme elle vient et j’essaie d’en faire un truc bien, pour toi. Bousier way of life. »

Pour écouter et télécharger à prix libre l’album de Marie Klock, tout en appréciant sa merveilleuse pochette, c’est ici.

Visuel © Le scarabée bousier ne mesure qu’un centimètre mais peut tirer jusqu’à 1141 fois son poids, d’Apichapong Weerasethakul (2007).

04 juin 2020

3:10

Emmanuel Ruben : « Demain, les auteurs auront les mêmes droits que les intermittents du spectacle »

Via sa tribune publiée dans Libé signée par plus de 150 artistes, cet écrivain des bords de Loire réclame la régularisation du statut des écrivains, scénaristes, traducteurs, illustrateurs, plasticiens et photographes, plus que jamais fragilisés par la crise sanitaire.

« Monsieur le Président, trouvez-vous cela normal qu’un auteur qui a vendu plus de 10 000 exemplaires d’un livre sur une année ne puisse pas en vivre alors qu’un musicien ou un comédien qui aura joué devant 10 000 personnes en vivra dignement ? » Cette question, formulée par l’écrivain Emmanuel Ruben dans sa tribune publiée vendredi dernier dans Libé sous le titre Pour une intermittence des arts et des lettres : une utopie concrète et réalisable, devrait être répétée ad lib, au mégaphone, sous les fenêtres de l’Elysée, de Matignon et du ministère de la Culture, voire à la sortie de toutes les librairies, à chaque fois que quelqu’un se paye un bouquin. Dans cette France qui s’enorgueillit sans cesse du rayonnement de sa culture, il est tout de même étrange que les écrivains, scénaristes, traducteurs, illustrateurs, plasticiens et photographes en soient toujours plus ou moins réduits à galérer pour vivre de leur art, dans l’attente d’un hypothétique succès. Au pays de Molière, on protège les acteurs, les metteurs en scène ou les musiciens, mais pas les auteurs. Le cliché de l’artiste qui écrit de nuit à la bougie, entre deux boulots, a la peau dure – et les gouvernements se succèdent sans y prêter attention.

« Géographe défroqué » qui parcourut 4000 kilomètres à vélo d’Odessa à Strasbourg pour son livre Sur la route du Danube (éditions Rivages, 2019), Ruben écrit : « Lorsqu’un intermittent se produit devant 10 000 personnes, il est tenu compte des heures dévolues à la maîtrise du texte, à l’élaboration de la mise en scène et aux répétitions, travail souterrain qui représente 95% du temps passé, sinon plus. Quand nous passons des mois en recherches préliminaires, et parfois des années en écriture, réécriture, corrections, ne serait-il pas aussi naturel que ce temps souterrain soit aussi reconnu ? »

Signée par plus de cent cinquante artistes (parmi lesquels : Nicolas Mathieu, Alice Zeniter, Hélène Gaudy, Emmanuel Lepage, Etienne Davodeau, ou encore le coordinateur de ce podcast), la tribune propose trois mesures susceptibles d’enrayer la précarité des artistes de l’image et de l’écrit, plus que jamais fragilisés par la crise sanitaire, afin de leur assurer retraite, chômage et revenus stables, en taxant par exemple « la vente des œuvres tombées dans le domaine public, soixante-dix ans après la mort de leur auteur. Reprise ces dernières années par la Société des Gens De Lettres, cette idée était déjà évoquée par Victor Hugo, qui y voyait le moyen que Corneille ou Racine finance les créateurs de son temps ». Ce qu’il nous résume depuis les bords de la Loire, quelque part entre Nantes et Angers, entre les murs de la Maison Julien Gracq, résidence d’écriture dont il est le directeur, au domicile de l’auteur de La littérature à l’estomac. 

Pour lire l’intégralité de la tribune, c’est ici.

Pour écouter Emmanuel Ruben à bord d’une péniche à la frontière allemande, au micro du juke-box littéraire de Radio Nova, c’est là.

Visuel © 37°2 le matin, de Jean-Jacques Beinex (1986).

03 juin 2020

4:17

Pierre Senges : « Demain, ceux qui auront quelque chose à dire se tairont »

Contre les tartuffes et les éditorialistes de comptoir, cet écrivain parisien féru d’absurde et de tartes à la crème propose d’adopter la langue iourougounde, qui ne fait sens que par la variété de ses silences.

« Tout mot de cette langue consiste en un assemblage de sons bien définis mais privés de sens. Le sens, c’est le silence qui le donne. Le silence est le fondement du langage iourougounde. » Dans son tout petit texte intitulé Les langues de la tour de Nemrod, issu du recueil Détours de Babel (éditions Interférences, 2018), l’écrivain russe Vladislav Otrochenko – issu d’une lignée de Cosaques, ce qui est suffisamment rare et inquiétant pour être souligné – a créé de toutes pièces le peuple iourougounde, dont nous ne savons rien, mis à part qu’ils ne sont pas très causants ; quelque part entre Hodor et Chewbacca. À ceci près que leur langue, certes économe en bavardages, constituée « d’une suite de syllabes dénuées de sens, de balbutiements et de bégaiements », renferme une sagesse inspirante.

« Adoptons la langue iourougounde ! » C’est l’intuition de l’écrivain français Pierre Senges, qui signa en janvier Projectiles au sens propre, drôle d'enquête sur le sens caché de chacune des 4000 tartes lancées par (ou sur) Laurel et Hardy dans un classique miniature du cinéma burlesque de 1927, proprement publiée aux éditions Verticales. Contre « ceux qui ont avis sur tout », contre les tartuffes et les éditorialistes de comptoir, le co-auteur de Cendres des hommes et des bulletins (avec Sergio Aquindo, qui imaginait l’élection d’un pape « idiot » à cause d’une faute d’orthographe, Le Tripode, 2016) revendique cette mesure d’urgence pour la pensée, qui permettrait en outre, parole d’honneur, de se protéger des effets des imminents premiers romans du confinement.

Pour écouter Pierre Senges se faire cuisiner sur les vertus aériennes de la tarte à la crème au micro du juke-box littéraire de Radio Nova, c’est là.

Visuel © Game of Thrones, de David Benioff et D. B. Weiss (2011-2019).

02 juin 2020

3:28

Damien MacDonald : « Demain, le LSD et l’opium seront autorisés pour les plus de 70 ans »

Auteur d’une stupéfiante adaptation BD de « Notre-Dame de Paris », ce dessinateur franco-écossais nous bénit d’un chapelet de propositions pour faire du futur une cathédrale.

« - Chacun à son tour va passer sa tête par un trou et fait une grimace aux autres. Celui qui fait la plus laide à l’acclamation de tous est élu pape. » A-t-on enfin trouvé la solution pour organiser le second tour des municipales ? Dans Notre-Dame de Paris, la « fête des fous » dessine le contraire d’un conclave : une élection à ciel ouvert, les candidats debout sur deux tonneaux, un kaléidoscope de visages tordus, gras de langues pantelantes et regards louches, fort de cette foule effervescente de « manants » qu’Homère eût pris, s’il avait pu voir « cet idéal de grotesque construit dans les imaginations exaltées par l’orgie », « pour des dieux ». Soudain, la « merveilleuse grimace » du bossu Quasimodo, « géant brisé, mal ressoudé »,  lui vaut d’être élu – lui le borgne, lui le bancal – pape des fous, à l’unanimité des suffrages. Une procession hurlante et déguenillée se met en marche. En retrait, un écrivain morose et sans le sou, Pierre Gringoire, se promet de « lutter jusqu’à la fin » pour ramener ses compatriotes à la raison, car « le pouvoir de la poésie est grand sur le peuple ».

En larmes depuis les fenêtres de son atelier, témoin bouleversé de l’incendie qui ravagea la cathédrale en avril 2019, Damien MacDonald s’est attelé à l’adaptation BD du chef-d’oeuvre de Victor Hugo, « au plus près » des intentions de l’auteur, sans réécrire ce texte qu’il juge encore, deux siècles avant sa parution, « inouï ». Sur plus de 330 pages en noir et blanc réalisées à l’encre de Chine et publiées cette semaine aux éditions Calmann-Lévy, cet auteur-dessinateur franco-écossais, dont le trait clair et le goût pour l’organique et les mythologies peuvent s'apparenter à Moebius, reste fidèle aux mots du maître tout en laissant libre cours à sa fantaisie surréaliste et sensuelle, qui s’échappe des tours comme de la gorge des gargouilles. 

Sur le pont de notre Arche, l’artiste gourmand du Jardin des délices (500 dessins pour les 500 ans de Jérôme Bosch, 2017) nous bénit d’un chapelet de propositions pour faire du futur une cathédrale, parmi lesquelles : deux fois moins de viande à la cantine ; des cours de cybernétique pour enfants afin de ne laisser obéir aux machines ; le LSD, la mescaline et l’opium autorisés pour les plus de 70 ans ; une web-télé bizotesque où se couper la parole serait interdit ; la possibilité de voter pour Rimbaud ; ou encore, forcer tous ceux qui nient les dérèglements climatiques à sniffer les cendres des koalas brûlés lors des terribles incendies d’Australie. Faisons flèche de tout cela.

Pour se familiariser avec l’univers de l’artiste, c’est ici.

Visuel © Notre-Dame de Paris, par Damien MacDonald (éditions Calmann-Lévy, 2020).

01 juin 2020

4:23

Élodie Milo : « Demain, nos paroles nous apparaîtront comme le fil de l’araignée »

En Normandie, cette musicienne mystique tisse un avenir hybride où la soie sortira de nos bouches à chaque phrase prononcée. Finis les mots creux, les expressions vides, type « enfourcher le tigre ».

« On court, on coule / on croule, sous nos poids. » Sur son dernier album sorti en octobre, Sous la lune, Élodie Milo invite à écouter « les louves qui hurlent en nous » via six incantations fort sabbatiques teintées de guitares surf, de pop songeuse ou de rythmiques sud-américaines, écrites et composées pour « explorer de puissants archétypes féminins » : la vierge, la sorcière, la maman ou la putain. Quelques jours avant le confinement, elle présentait à Besançon la première de son spectacle Lunas, mélange de théâtre et de chansons, d’humour et de féminisme, cabaret barré élaboré au diapason des quatre phases du cycle menstruel, conçu avec la danseuse Delphine Dartus et mis en scène par Loïc Deschamps.

« Elle a le serpent qui change de peau, l’aigle qui plane là-haut / Chant de la terre, de l’air, de l’eau. » Toujours recluse dans un cocon forestier de Basse-Normandie, cette musicienne et comédienne parisienne tisse un avenir hybride où la soie sortira de nos bouches à chaque phrase prononcée, formant une toile étroitement liée aux formules utilisées. Je te dirai les mots creux, les mots qu’on dit sans se regarder dans les yeux ? Non. Fini les mots laids, les expressions vides, type « je suis au bout de ma vie », « du coup », « challenger » ou « enfourcher le tigre », indignes d’être salivés. Ce qu’Elodie Milo nous conte avec malice, avant d’entonner une authentique chanson des tisseuses du XIIIe siècle, puis de s’élancer vers le générique d’un super-feuilleton des années 60. Comme disait l’oncle de Peter Parker : un grand pouvoir implique de grandes responsabilités.

Pour écouter son album Sous la lune, c’est ici.

Pour écouter la précédente utopie d’Élodie dans L’Arche de Nova, où il était question de la rencontre fortuite entre l’odieux Bolsonaro, une chamane nonagénaire et un arbre sacré, c’est là.

Visuel © Arac Attack – le monstre à huit pattes, d’Ellory Elkayem (2001).

29 mai 2020

4:15

Loo Hui Phang : « Demain, le ministre de la culture vivra la vie d’un auteur pendant un an »

Cette scénariste et romancière française suggère de « mettre à l’épreuve, dès sa nomination, chaque ministre », en les forçant à connaître de plein fouet les conditions d’existence de leurs administrés.

« La nécropole d’Hollywood déborde de demi-deux ensevelis pour l’éternité. Nulle justice ne régule le flux, nulle morale, nulle loi. » Dans leur bande dessinée Black-out, à paraître fin août aux éditions Futuropolis, Loo Hui Phang (scénario) et Hugues Micol (dessins) reviennent sur le destin imaginaire de Maximus Ohanzee Wildhorse, comédien américain de l’âge d’or hollywoodien « qui ouvrit la voie aux stars de couleur dans un climat ségrégationniste », précédant Sidney Poitier, Yul Brynner ou Harry Belafonte, mais dont le visage semble avoir été tragiquement effacé des films – et quels films : Boulevard du crépuscule, Le Faucon maltais, La Flèche brisée, Vertigo...– dans lesquels son charisme et son métissage (d’origine comanche, chinoise, mexicaine, africaine) lui assurait l’accès à n’importe quel rôle de « l’éventail des archétypes exotiques » du cinéma. « Il arrive parfois qu’un impudent s’échappe de l’engrenage pour voler le feu, défier la mécanique des sommets. » Il en paiera le prix.

« Pourquoi choisir un professionnel de l’automobile pour gérer le ministère de la culture ? », se demande aujourd’hui Loo Hui Phang. Erreur de casting au sommet de l’Etat ? Depuis Bruxelles, capitale de « ce pays sans gouvernement » où elle vit et travaille sur de futurs scénarios, cette autrice française tricote pour Nova une utopie démocratique fort enthousiasmante : histoire de muscler « la dimension purement théorique de l’exercice du pouvoir », elle suggère de « mettre à l’épreuve, dès sa nomination, chaque nouveau ministre » en le/la forçant à connaître douze mois durant les conditions d’existence de ses administré.e.s. Et cela « à la place la plus défavorisée », avant de prendre la moindre décision.

Le ministre de la culture vivra donc dans la peau d’un artiste non-intermittent (donc : sans statut, sans chômage), à charge pour lui d’améliorer son sort et ses droits via de nouvelles réformes ; s’il réussit, il récolte la vie habituelle d’un ministre tandis que tous les artistes bénéficient de ses avancées politiques ; s’il échoue, l’année de galère est reconduite. Idem pour le ministre des armées, qui part au front ; le ministre de l’éducation retourne au collège en tant que prof, en banlieue ; le ministre de la santé, lui, devient aide-soignant.e « avec les mêmes risques ». Et le Président ? Pas d’inquiétude : Loo lui réserve le premier rôle.

Pour écouter Loo Hui Phang évoquer ses identités multiples au micro du juke-box littéraire de Radio Nova, c’est ici.

Visuel © Un Prince à New York, de John Landis (1988).

28 mai 2020

3:25

Catastrophe : « Demain, nous construirons des sanctuaires animaliers »

Ce groupe parisien de pop surréaliste rêve d’une île hors de portée des hommes, afin de « sauver les espèces qui peuvent encore être sauvées », tout en libérant deux extraits de sa comédie musicale temporelle.

« L’univers continuera sans nous / et les villes deviendront des forêts. » Deux mois, soit huit semaines, soit cinquante-six jours, soit mille trois cent quarante-quatre heures, soit quatre-vingts mille six cent quarante minutes, soit quatre millions huit cent trente-huit mille et quatre cents secondes. Pour celles et ceux qui purent ou durent jouer en intégralité le jeu du confinement, le temps s’est distendu ; répétition de gestes identiques, perte de repères, angoisses, insomnies, ou flegme impassible tel Bill Murray dans Un jour sans fin. A-t-on perdu ou gagné du temps ? La sensation ténue de glissement progressif vers la mort a-t-elle augmenté ou diminué ? Et : lors de cet arrêt soudain des forces principales de l’ère industrielle, a-t-on davantage pris conscience d’un temps planétaire ?

 

Le temps qui passe, ce qu’il produit en nous, sur nous, malgré nous, sera le sujet de Gong!, second album en forme de comédie musicale signé Catastrophe, à paraître à l’automne via le label Tricatel, après deux ans et demi de concerts et de « peurs avalées » depuis La nuit est encore jeune (2018).

« La solastalgie, c’est cette mélancolie spéciale qu’on éprouve face à la crise écologique, c’est aussi la douleur à l’idée de perdre son habitat, son refuge, son lieu de réconfort. » Solastalgie, c’est l’un des deux extraits – avec l’entêtant Encore, qui affirme haut et fort que « tout le temps que j’ai gagné, je le perdrais à en profiter si je vivais encore » – que le collectif parisien de pop surréaliste vient de libérer sur les ondes et les réseaux. Sur Solastalgie, Blandine Rinkel, Pierre Jouan, Arthur Navellou, Carol Teillard d’Eyry, Bastien Bonnefont et Pablo Brunaud chantent en douceur l’harmonie d’un futur bientôt débarrassé de notre présence, où la nature reprendra le dessus, sans peine. Montés à bord de notre arche, quatre d’entre eux poursuivent le rêve d’une île « hors de portée des hommes », un sanctuaire animalier propice à « sauver les espèces qui peuvent encore être sauvées ». Mais avant, qu’est-ce qu’on fiche ? Réponse : « Si hâte de détourner nos yeux des écrans et de courir dans la rue, un serpent autour du cou, si hâte de danser sans regarder sa montre. »

Pour tourner autour de Catastrophe sur la tête du Parti Communiste Français, c’est maintenant ou jamais.

Visuel © Les Bêtes du Sud sauvage, de Benh Zeitlin (2012).

27 mai 2020

3:38

Aurélie Pollet : « Demain, le coronavirus va nous apprendre à muter »

Et si le covid-19 n’était qu’une étape dans l’évolution de l’humanité ? Quid du covid-32, du covid-99 ? C’est le diagnostic S.-F. de cette réalisatrice de films d’animation, en duo avec l’architecte Alexandre Bullier.

Au sein de la CIA, il existe un « département déguisements », dont les cadres ont pour mission de former les agents opérationnels à l’utilisation de faux-papiers, au port de la perruque, au maniement du stylo-appareil-photo ou de la mallette à double-fond. Dans les années 80, ce poste était tenu par Joanna Mendez, l’une des héroïnes de la série d’animation documentaire Les espionnes racontent, diffusée fin mars sur le site d’Arte. En six épisodes de sept minutes, on y entend les témoignages d’authentiques professionnelles du renseignements – traqueuse de nazis du KGB, taupe de la Stasi, aventurière du Mossad – interrogées par la journaliste française Chloé Aeberhardt, qui en tira un livre (éditions Robert Laffont, 2017) qu’elle adapte à l’écran avec la réalisatrice Aurélie Pollet.

Or, pour cette dernière, l’espionnage vient peut-être d’évoluer vers une forme inattendue, biologique, née des symptômes imprévisibles du coronavirus. En compagnie de l’architecte et urbaniste Alexandre Bullier, Aurélie Pollet imagine à deux voix le scénario d’une série de « mutations » du covid-19 qui, selon leurs estimations, finira par toucher l’ensemble de la population mondiale d’ici 2029, fractionnant notre espèce en nouvelles communautés dotées de leurs propres avantages et inconvénients : don pour la musique, amnésie chronique, peau recouverte d’écailles, apparition d’excroissances végétales au bout de doigts… Une façon pour le virus de nous « contrôler », afin de faire émerger « des espèces humaines de plus en plus complexes ».

Pour découvrir Les espionnes racontent sans porter de fausse moustache, c’est ici.

Visuel © Black Hole, de Charles Burns (éditions Delcourt, 1995-2005).

26 mai 2020

3:04

Pacôme Thiellement : « Demain, nous ne parlerons plus aux millionnaires »

Contre les inégalités financières qui ne cessent de s’aggraver, cet écrivain et vidéaste parisien mise sur deux méthodes – l’une, douce ; l’autre, dure – afin d’inciter les super-riches à redistribuer leurs ressources.

« Le boycott : voilà notre arme pour lutter contre notre monde de mort. C’est notre toute petite arme. Elle ne prend pas de place dans notre poche. (…) Nous devons boycotter impérativement tout ce qui nuit à la planète comme à notre moral, la nourriture empoisonnée et les empoisonneurs de l’esprit. » Dans son dernier livre, examen de ses plus grandes douleurs publié en janvier sous le beau titre Tu m’as donné de la crasse et j’en ai fait de l’or (éditions Florent Massot), l’écrivain et vidéaste parisien Pacôme Thiellement conseille de manifester notre indifférence à tout ce qui nous nuit, à tout ce qui nous rend malades : les excès du capitalisme carnassier, la politique-spectacle, la télé-poubelle ou les « intellectuels merdiques » affamés de pauvres petits « buzz ». Il faut, souligne-t-il, réussir à « trouver en soi la puissance du refus initial ». « L’homme riche est le dernier des péquenauds de son temps. Il n’a rien vécu, ne vit rien, ne vivra rien. Il capitalise, il accumule. Il mange tout ce qu’il peut, il vomit, et ce qu’il a vomi, il voudrait le donner à manger au reste du monde. Mais il n’a aucune importance. C’est un pauvre type et sa vie n’a aucun intérêt. (…) Si nous cessons de l’envier ou de le détester pour ce qu’il nous prend, si nous l’ignorons et vivons notre vie tranquillement sans lui, il viendra quémander notre amour et nous proposera toutes ses fortunes en échange d’un petit sourire ou d’un rendez-vous. »

Une riche idée, que l’auteur de Tous les chevaliers sauvages – tombeau de l’humour et de la guerre (2012) fait ici fructifier afin d’inciter nos millionnaires à redistribuer leurs ressources, en misant sur deux méthodes : l’une, « douce », en leur parlant « comme à des enfants », pour leur ré-enseigner les vertus du partage issues des contes immémoriaux dont les rois ne sont pas toujours cupides ; l’autre, « dure », en cessant instantanément de leur adresser la parole « au-delà d’une certaine somme » gagnée sans jamais aider les plus démunis, en les punissant ainsi par exclusion de la communauté humaine, en leur faisant « honte » de ces magots exclusifs, comme à « tous les artistes qui s’assoient à leur table ».

Pour écouter Pacôme Thiellement, invité de la Nova Book Box, évoquer « l’anarchie douce » en action dans les bandes dessinées de Gébé, c’est ici.

Visuel © La Bande à Picsou, d’après Carl Barks.

25 mai 2020

3:33

Paris Banlieue : « Demain, tous les enfants de France vont se révolter »

Ce trio francilien de « ménestrelles » adolescentes, dont le premier album rétro-pop-yéyé se contrefiche des formats, milite pour donner son avis « sur tout, surtout » et le droit de vote à tous les moins de 18 ans.

« Mon cher Sid Vicious, je t’admire tellement / Tu oses montreeeer ta haine envers la société-é-é / Alors que moi, j’ai peur de tout, de la police, de mes parents – et encore plus de mes enfants. » Ainsi démarre, d’une voix si sage, avec trois notes de guitare et un clavier fort minimal, Punk dissimulé, l’une des comptines du ravissant premier album auto-produit du groupe Paris Banlieue, trio francilien de « ménestrelles » rétro-pop-yéyé ; pendant quelques secondes, lorsque la narratrice incite à « piquer les fesses du surveillant avec un cactus », on croirait entendre les ballades naïves fredonnées jadis par Moe Tucker sur les disques du Velvet Underground. Mais qui sont ces jeunes filles qui semblent se contreficher des formats, rimes ou refrains, interrompant souvent leurs jolies chansons au bout d’une minute et demi, sans craindre les fausses notes, multipliant ruptures de ton et harmonies médiévales de poche, au profit d’histoires absurdes ou désuètes qu’on croirait tirées d’un vieux Rohmer, voire, plus près de nous, des films d’Hubert Viel (Artémis coeur d’artichaut, Les filles au Moyen-Âge) ?

En moins de vingt minutes, les « gueuseries » d’Adèle Duhoo et ses amies les sœurs Clara et Leonor Pernas possèdent plus d’idées, de vigueur, d’humour et de mélodies que toute la discographie de Julien Doré. Enregistrées par les défricheurs de sérieux enfantillages de Radio Minus, distribuées sur cassette audio, ces lycéennes militent aujourd’hui sur Nova pour donner leur avis « sur tout, surtout » et le droit de vote aux moins de 18 ans. Selon leurs analyses, l’écologie l’emporterait alors dans tous les suffrages. Conclusion, que tous les citoyens en culottes courtes reprennent déjà en choeur : « La viiiie me parle enfin ! »

Pour écouter l’album Gueuseries en intégralité, c’est ici.

Visuel © Les filles au Moyen-Âge, de Hubert Viel (2015).

22 mai 2020

4:09

Loïc Hecht : « Demain, nous taxerons durement les géants du web »

Cet écrivain et journaliste parisien suggère de « faire raquer davantage » les grands gagnants de la crise sanitaire, Google, Apple, Facebook, Amazon ou Microsoft, afin de financer nos hôpitaux.

« Notre but, avec Google, est super simple. Nous voulons bâtir une technologie qui touche tout le monde et que tout le monde aime. Nous voulons créer des services qui soient si beaux, si intuitifs et si utiles que les gens s’en servent deux fois par jour. Exactement comme avec leur brosse à dents. Il n’y a pas tellement de choses que les gens utilisent deux fois par jour. » Placée par l’écrivain parisien Loïc Hecht en exergue de son premier roman, Le Syndrome de Palo Alto, publié en janvier dernier aux éditions Léo Scheer, cette citation de Larry Page – cofondateur du moteur de recherche le plus célèbre du monde – résonne de manière étrange avec nos deux mois de confinement, enchaîné.e.s au télétravail entre un apéro Zoom, six boucles WhatsApp, des cours à distance ou deux livraisons Deliveroo. Dans le livre, elle précède un autre constat, signé des anars du Comité invisible, qui ferait presque figure de mode d’emploi pour nous, tristes cibles en pantoufles de l’ultra-libéralisme : « Rejeté sans trêve de l’euphorie à l’hébétude et de l’hébétude à l’euphorie, l’homme occidental tente de remédier à son absence par toute une accumulation d’expertises, de prothèses, de relations, par toute une quincaillerie technologie finalement décevante. »

Mais l’hébétude – et le sentiment récurrent de se faire « avoir », de manière douce, nébuleuse et silencieuse – pourrait être compensée si l’État décidait de suivre l’idéal de justice fiscale énoncé ici par Loïc Hecht, également journaliste pour Slate ou GQ, pour justifier l’emprise des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) « et tous leurs petits potes » sur nos existences. « Y a une douille. On le sait, quand c’est gratos, c’est généralement que le produit, c’est nous. » En échange des profits « de malades » générés par la vente de nos données personnelles, il conviendrait selon lui de taxer plus durement ces entreprises afin, par exemple, de résorber le manque des moyens des hôpitaux et d’embaucher des soignants. Un vrai moteur pour la recherche, en somme.

Pour réécouter Loïc Hecht évoquer sur Nova les oubliés de la Silicon Valley dans Tech paf, animée par Marie Misset, c’est ici.

Visuel © The Social Network, de David Fincher (2010).

20 mai 2020

3:44

Joseph Falzon : « Demain, nous créerons un ministère de la bande dessinée »

Au Mans, le dessinateur d’Alt-life imagine une réalité virtuelle où le 9e art est devenu un besoin mondial, permettant enfin aux auteurs de vivre décemment de leur art.

« Ras-le-bol de vivre dans ce monde de merde. J’ai connu avant, ma petite, et laisse-moi te dire que là, j’en ai un peu marre. » Dans leur réjouissante BD intitulée Alt-life (éditions du Lombard, 2018), Joseph Falzon (dessins) et Thomas Cadène (scénario) projettent un futur proche où les réalités virtuelles sont désormais si perfectionnées que tous les fantasmes – sexuels, géographiques, architecturaux – peuvent être assouvis en une seconde ; comme dans la série Westworld, mais sans scénario pré-établi, à la demande du client. Sur une Terre devenue invivable, deux jeunes cobayes choisissent d’être les pionniers de ces univers simulés au gré de leurs envies, sans retour possible, en renonçant à son corps. « L’Histoire de l’humanité, c’est de sortir de la nature. Nous finirons bien par devenir de purs esprits (…) Nous en finirons avec la mort (…) Nous nous coulerons dans le grand tout. »

Alors que le tome 2 d’Alt-life est annoncé pour 2021, Joseph Falzon vient de participer à Toute la France dessine, initiée par le Ministère de la Culture, via deux cases que les lecteurs sont invités à poursuivre. Se pourrait-il qu’un jour, la BD devient le centre de toutes les préoccupations ? C’est l’hypothèse formulée pour Nova par ce jeune dessinateur du Mans : les deux mois de confinement ont changé les habitudes de la population mondiale, qui se met soudain à binge-lire comics, romans graphiques et illustrés à gogo, d’Anouk Ricard à Charles Burns. C’est le « nouveau cool », forçant la France à prendre des mesures : face à l’afflux de demandes, Thomas Cadène accouche d’un scénario de sortie de crise économique, tandis que la nouvelle ministre de la Santé, Marion Montaigne, « autorise les médecins à délivrer leurs ordonnances sous forme de bande dessinée ». Mieux : un ministère de la BD est créé en France, qui permet enfin aux auteurs de vivre décemment de leur art ; « rémunérés tout au long du processus de création », ils ont droit au chômage, bénéficient d’un véritable statut protégé par l’État « et les contrats de commande mirobolants deviennent la norme ». 

Mais comme dans Alt-life, « y a pas de révolutions sans risques ». Et Falzon de décrire la catastrophe écologique et énergétique qu’un tel engouement pour les phylactères pourrait produire d’ici 2080. Date à laquelle le genre humain se réinventera, en vivant… « sur de grandes arches ».

Pour découvrir les réalités virtuelles d’Alt-life, c’est là.

Visuel © Joseph Falzon, détail de l’affiche de L’Année de la BD 2020.

 

19 mai 2020

4:04

Sylvain Prudhomme : « Demain, voir des bouches en gros plan sera le fantasme ultime »

Face aux précautions sanitaires permanentes, l’auteur arlésien de « Par les routes » sent monter le désir pour l’invisible : « narines, fossettes, lèvres qui s’humectent ».

« J’ai senti contre mon visage ses joues fraîches. Ses bises énergiques, joyeuses. J’ai senti l’odeur de ses cheveux, un peu mouillés encore (...) » Dans son dernier roman, Par les routes (Gallimard, 2019), ode à l’autostop – métaphore de la liberté : amoureuse, artistique, existentielle – récompensée du prix Femina, Sylvain Prudhomme prend plaisir à observer, tout comme son narrateur, les nuances des faciès de ses personnages. En particulier la frimousse de Marie, dont il ausculte chaque variation. « … j’ai demandé des nouvelles de l’autostoppeur. Il est parti, elle a dit. Parti, le lendemain de ta venue. Je ne sais pas quelle tête j’ai faite, quelle expression est passée sur mon visage. En tout cas elle a ri. Je l’ai regardé, assise dans l’air froid du matin, son regard formidablement enjoué. Son visage à demi enfoui sous des cheveux fous. Ses yeux mal réveillés encore. » 

Mais dans notre réalité aux précautions sanitaires permanentes, comment continuer à deviner les émotions dissimulées sous les masques ? Réponse de l’écrivain arlésien, enthousiaste : « On va réapprendre à regarder les yeux, devenir experts en froncements de sourcils, champions en lecture de dilatation de pupilles. » Et l’auteur solaire des Grands ou de L’Affaire furtif d’évoquer, avec appétit, ce présent sans étreintes où les visages en partie inaccessibles se révèlent en fantasme ultime, où circulent des vidéos de bouches « en train de sourire, manger, dormir », filmées en gros plan comme dans Paris de Raymond Depardon (1998), qui deviendra « le plus grand film porno de l’après-Covid ».

Visuel © bouche de Faye Dunaway dans L’Affaire Thomas Crown, de Norman Jewison (1968).

18 mai 2020

4:11

Delphine Bretesché : « Demain, on éliminera le pourri à la hache »

« Le sein alerte », cette plasticienne, poète et dessinatrice nantaise échafaude une joyeuse apologie du bricolage à dimension collective, avant de nous inciter à construire « un extracteur à tristesse ».

« La chute / Lente / Le décordé / Le corps / Lentement / Le qui monte plus / Plus dure sera l’ascension / Qui prend fin / La tension / La corde molle / La corde dure / La corde au cou / À la taille / à la taille de qui... » C’était en octobre dernier, aux cafés littéraires de Montélimar. Une randonnée immobile de dix minutes avec la plasticienne, poète et dessinatrice nantaise Delphine Bretesché, étirant les motifs escarpés de la triste formule d’Emmanuel Macron, lors de sa première interview télévisuelle post-élection, cimentant son image de président des riches :« Je crois à la cordée, il y a des hommes et des femmes qui réussissent parce qu'ils ont des talents, je veux qu'on les célèbre (…) Si l'on commence à jeter des cailloux sur les premiers de cordée, c'est toute la cordée qui dégringole. »

Formée aux Beaux-arts de Nantes, l’artiste posait pas à pas, parfois mot à mot, son contre-poème sur le culte de l’ascension. « Corps et corde / Tirée d’où / Tirée vers / Où / L’haut / L’en haut / Que t’auras jamais / Jamais / Autrement / Qu’au-dessous / À voir les culs / Du dessus / Ceux qui grimpent / Les mains / Arrachées / Grimpe / Grimpe / Grimpe / Avec tes dents / Celles qui te restent / Grimpe / Grimpe / Grimpe / T’auras marché sur / Suffisamment / Grimpe / Grimpe / Grimpe / De têtes / Peut-être / Pour imaginer... » Dans les crevasses de ce texte vivifiant à paraître aux éditions Apocope accompagné des dessins de Clara Djian et Nicolas Leto, il est aussi question de « léchage des culs du dessus »,  des « miettes aux petits chiens », mais également, ça alors, en contrebas, de « ceux qui s’allient », qui ont quitté l’ascension « depuis longtemps » et qui apprennent à « marcher ensemble ».

Grimpant cette fois à bord de notre arche (dont elle « flatte les flancs »), Delphine Bretesché poursuit son éloge du collectif en échafaudant une joyeuse apologie du bricolage, nous rendant capables de « changer l’âme de la charpente » de la société en éliminant à la hache, s’il le faut, « les bêtes qui rongent le monde ». Avant de nous inviter à à construire, comme dans les bandes dessinées de son héros Gébé, « un extracteur à tristesse », apte à « vidanger plusieurs kilos de chagrin ».

Pour voir Delphine déclamer Premiers de cordée en solo intégral, c’est là.

Visuel © Le pont de la rivière Kwaï (1957).

15 mai 2020

3:54

David Carroll : « Demain, les musiciens feront leurs tournées à pied, à vélo, à cheval »

Cet aventureux songwriter bordelais, membre du Slowfest Orchestra, roule pour l’organisation de « bals décroissants » à travers tout l’Hexagone, la tête dans le guidon de ses convictions.

C’est l’utopie concrète la plus mobile de France : le Slowfest Orchestra, généreux collectif itinérant de musiciens, techniciens et militants bénévoles en faveur de la décroissance, a sillonné l’automne dernier les routes de la Gironde pour une palanquée de « bals » folk-rock-jazz-techno-musette à moitié improvisés, entrecoupés de débats, de conférences et d’expositions riches en convictions écolos. Détail emballant : pendant deux semaines, leur « caravane des possibles » se déplaça à vélo, en traînant derrière elle tout le matériel (amplis, micros, instruments) dans des caisses à roulettes équipées de panneaux solaires, afin de permettre, chaque soir, sur des places ou devant des lycées, l’autonomie énergétique de chaque concert de ces allumés savants, qui cherchent la transe vêtus de masques de chats, cornes de diable, peaux de bêtes et plumes vénitiennes.

« En sérieuse ébullition » ce printemps, ce joyeux mouvement low-tech s’apprête à sortir le 5 juin – nuit de pleine lune – sa première compilation, Slowfest sounds, « voyage psychédélique qui résume cinq ans d’expérimentations avec la fine fleur de la scène indé aquitaine : Datcha Mandala, Dawa, Blackbird Hill, Le Bal chaloupé, Milos, Whiskey Paradis, Toto et les sauvages, le mystérieux Mick Strauss (échappé de Moriarty)… » ou encore notre invité du jour, David Carroll, flanqué de ses Migrating Fellows.

Sur cet enregistrement, rythmé par la musique inédite de l’Orchestra, ce généreux songwriter bordelais planifie la reprise du live hexagonal via des tournées « à pied, à vélo ou à cheval », de deux à six semaines, à très faible empreinte carbone, en s’arrêtant parfois chez l’habitant ou dans diverses salles des fêtes, en traversant des villages qui, peut-être, ne voient guère souvent passer ce type d’olibrius mélodieux. Allô, Monsieur le Ministre ? Il vous reste une rustine ?

Pour se joindre aux fêtes du Slowfest, c’est ici.

Visuel : Le Vélo de Ghislain Lambert, de Philippe Harel (2001).

14 mai 2020

3:01

Charly Delwart : « Demain, nous serons tous claustrophobes »

En Bretagne, cet écrivain belge livre son diagnostic sur les séquelles du confinement : « une aversion pour toute forme d’enfermement », qui invite la société à l’ouverture totale.

« Tu crois qu’on contrôle la technologie où que la technologie nous contrôle ? » Si on y réfléchit, cette question très en vogue donne le tournis – d’autant plus quand on réalise qu’elle est posée, cette fois, dans un livre pour enfants à partir de 4 ans. Intitulé Tu crois quoi ?, écrit par Charly Delwart et illustré par Camille de Cussac, ce recueil tout doux de trente-cinq questions métaphysico-poétiques est sorti le 12 mars, soit quatre jours avant le confinement, aux éditions Marcel et Joachim. Pour cette même maison, l’écrivain belge signait en octobre dernier un autre ouvrage troublant, avec les dessins d’Elo et cette problématique extrêmement contemporaine : Mais ils sont où ?, dans lequel cinq animaux partent en vadrouille mais finissent tous par disparaître, un par un. Ont-ils été interpellés par la maréchaussée ? Ou se sont-ils reconfinés ?

L’envie de grand air est pourtant, désormais, irrésistible. Deux mois de réclusion semi-volontaire n’ont-ils pas laissé, pour certains, des séquelles irrémédiables ? « Un sentiment de claustrophobie mondial, une aversion pour toute forme d’enfermement » ? C’est l’hypothèse formulée, en Bretagne, par l’auteur de Chut (Seuil, 2015) ou de Databiographie (Flammarion, 2019). Ascenseurs, tunnels, avions, tout espace clos nous paraîtra insupportable. « Au point qu’on pourra dire : “Je connais quelqu’un qui n’est pas claustrophobe.” » La société sera donc obligée de se réorganiser, de la sphère domestique (portes et fenêtres ne seront plus jamais fermées) aux déplacements professionnels (considérablement réduits). Aurons-nous, alors, les yeux grands ouverts sur tout le reste ?

Pour écouter Charly Delwart se passionner sur Nova pour les habitants de l’île des Sentinelles, confinés ultimes à l’air libre du golfe du Bengale, c’est ici.

Visuel © Kill Bill 2, de Quentin Tarantino (2004).

13 mai 2020

2:34

Thierry Ehrmann : « Demain, nous ferons frémir les forces de l’ordre avec nos masques ancestraux »

« À l’heure où le pouvoir se démasque enfin », ce plasticien lyonnais appelle à la constitution d’une gigantesque tribu de contestataires depuis sa pré-apocalyptique Demeure du Chaos.

Chaos in progress. Peinte à l’entrée de ce méphitique et fascinant musée d’art contemporain à ciel ouvert, la formule n’a peut-être jamais eu autant d’impact qu’en ces temps troubles de crise sanitaire globalisée. Le chaos, en chantier, progresse. « On va en chier. Big Brother est là. Nous ne sommes qu’au début des cercles de l’enfer de Dante. Malgré tout, c’est le chant de tous les possibles ! », se réjouit Thierry Ehrmann entre les murs de son Xanadu, « La Demeure du Chaos », laboratoire d’expériences pré-apocalyptiques de 9000 m2 situé à vingt minutes de Lyon, dans le village de Saint-Romain-au-Mont d’Or. « L’une des aventures artistiques les plus fortes du XXIème siècle », d’après le New York Times.

Depuis 1999, cet industriel et plasticien lyonnais de 58 ans, par ailleurs leader mondial de l’information sur le marché de l’art via sa société Artprice, y démultiplie les opérations alchimiques : plus de sept mille œuvres exposées, impliquant débris d’avion ou de sous-marin nucléaire, crânes géants, masses de fer énormes capables de déstabiliser les boussoles, pochoirs de figures politiques – dont l’iconique masque blanc à moustaches de Guy Fawkes, conspirateur anglais popularisé par la bande dessinée V pour Vendetta. Ouverte au public et gratuite sept jours sur sept, La Demeure du Chaos s’apprête à devenir « une jungle », comme les palais en ruines de la cité maya de Palenque. « Nous rentrons dans un vaste plan de végétalisation à outrance de toutes les sculptures, qui seront dévorées par des plantes venues de différents continents : lierre mexicain, roseaux, fougères à très haut développement… »

Dans ce contexte de néo-primitivité, celui que Le Monde décrivit comme « le plus punk des patrons français, pionnier d’Internet, adepte des scarifications, aviateur chevronné, passionné de sciences occultes, éleveur de chevaux de trait, polygame et organisateur de soirées décadentes… » appelle à la constitution d’une « gigantesque tribu » de soixante-sept millions de contestataires tissés de peuples reconnaissables à leurs masques ancestraux, que nous fabriquerons avec « des plumes, des combustibles, du ciment, des vers marins, des matières fécales ou de récupération », « pour faire frémir les forces de l’ordre, à l’heure où le pouvoir se démasque enfin ».

Pour visiter à dos de drone La Demeure du Chaos, c’est ici.

Visuel © Onibaba, de Kaneto Shindô (1964).

12 mai 2020

3:07

Teorem : « Demain, nous célébrerons la journée nationale du coude »

Déconfiné à Ménilmontant, ce musicien souple rend un hommage appuyé, écrit et produit avec beaucoup de doigté, à cet élément charnière de notre anatomie, véritable héros du quotidien.

« Il ne se mouche pas du coude. » Cette expression populaire, dont l’usage actuel remonte semble-t-il au dix-huitième siècle, a pour vocation d’identifier deux choses : d’abord, les personnes propres et bien élevées, à qui ne viendraient certainement pas l’idée d’évacuer le contenu de leurs cloisons nasales dans le creux de leur bras ; ensuite, métaphoriquement, celles et ceux « qui se la racontent à mort » ou « qui pètent plus haut que leur fion », affichant de grands airs raffinés ou de clinquantes possessions matérielles pour donner l’impression d’appartenir à l’élite bourgeoise. Nimbé de sa garde-robe d’un mauvais goût bling-bling assumé, on peut considérer que le vil étron de l’audiovisuel privé, Cyril Hanouna, ne se mouche pas du coude.

Oui, mais voilà : depuis quelques mois, aux quatre coins du monde, pour notre santé et celle d’autrui, encouragé(e) par nos gouvernements, nous avons tous appris à nous moucher du coude – nonobstant notre classe sociale. À chaque seconde, le coude sauve des vies. Peut-on sciemment continuer à dénigrer cette pièce charnière de notre anatomie ? Sur le pont de L’Arche de Nova, un baladin se lève et signe aujourd’hui les prémisses d’un hymne national à l’articulation olécranienne, réflexion idéale avant de se jeter dans la fosse cubitale.

Ce Rouget De Lisle du radius, du cubitus et de l’humérus, c’est le musicien Rémi Libéreau, alias Teorem. Confiné à Ménilmontant, l’auteur épicurien de l’enivrant Soleil de Bacchus (2016), qui s’apprête à publier Surfe, single de dance naïve en prélude à son premier album à paraître à l’automne, a choisi de rendre un hommage appuyé, écrit et produit avec beaucoup de doigté, à cet élément corporel mal-aimé. Et tandis que la baronne Nadine de Rothschild considère encore que s’accouder à table est l’une des « pires choses » à commettre lors d’un repas, Teorem conclut, d’une voix robotique sur un tempo ragga : « N’est-ce pas le moment de se serrer les coudes ? »

Pour réécouter Teorem en live lors de notre émission spéciale avec Christophe Chassol, transformant au piano le générique russophile du jeu vidéo Tetris en ode à l’emboîtement des corps sans gestes barrières, c’est ici.

Visuel © Bohemian Rhapsody, de Bryan Singer (2018).

11 mai 2020

2:52

Richard Gaitet : « "Le monde d’après" devient "L’Arche de Nova" »

Le coordinateur de ce podcast a un message pour vous. Notez bien le nouveau nom de notre rendez-vous quotidien « d’utopies poétiques pour futurs désirables », déluge de bonnes idées dans un monde déconfiné.

À compter du 11 mai, Le monde d’après, notre podcast « d’utopies poétiques pour futurs désirables » diffusé du lundi au vendredi dans la matinale de Radio Nova, coordonné par Richard Gaitet et réalisé par Benoît Thuault, change de drapeau et devient L’Arche de Nova.

« On arrête tout, on réfléchit et c’est pas triste ! » Au début des années 70, c’était – déjà – le mot d’ordre d’un tourbillon de propositions poétiques susceptibles d’enrayer les ravages de la civilisation industrielle : L’An 01, cette merveilleuse BD signée Gébé, cette « utopie drolatique assez sérieuse » selon Jacques Doillon, qui aida l’auteur-dessinateur à en faire un film, indispensablement stimulant en cette période de grand chambardement. En avril 2000, lors de la réédition de son chef-d’œuvre aux éditions L’Association, Gébé notait en postface : « … l'utopie, rébellion non-violente, lance un pont invisible dont l'arche, ancrée dans ce présent affligeant, enjambe le décevant avenir prévisible et touche une rive inconnue, vierge, où la vie pourrait prendre un cours différent, sans marchés financiers ni poisons industriels, ni distractions viles et sans tyrannies inesthétiques. »

Soit ! Et si c'était toujours l’heure de tout réinventer, à l’heure du déconfinement des corps et des idées ? Tel le navire biblique qui survécut au déluge, L’Arche de Nova voguera en mer utopique et embarquera tout un bestiaire d’artistes pour continuer d’imaginer des futurs désirables à contre-courant du pessimisme apocalyptique. Musiciens, écrivaines, cinéastes, dessinatrices, philosophes… Chaque jour, en trois minutes, l’un d’entre eux montera sur le pont pour transmettre sa vision de la société de demain, le temps d’une note vocale très sérieuse ou complètement délirante.

Le concept restera le même : mettre les utopies à l’essai, façon laboratoire des espoirs, pour tenter de repenser, tous ensemble et sans limites, la société, l'amour, le sexe, le travail, l'éducation, la culture, la nourriture, la politique, ou notre rapport à la planète.

Donc, notez bien, fini Le monde d’après. Grimpez dans L’Arche de Nova, joli navire en voyage vers l'avenir.

Pour voir le documentaire de Pierre Carles sur L’An 01, avec beaucoup d’extraits du film, des interviews de Gébé aux beaux yeux mélancoliques et pas mal d’archives montrant des gonzes, syndicalistes, journalistes ou politiciens, partisans de la croissance zéro, qui tentèrent dans les années 70 d’alerter les foules d’un monde courant à la catastrophe… c’est ici.

Visuel © Evan tout-puissant, de Tom Shadyac (2007).

08 mai 2020

5:01

Mélody Banquet : « Demain, l’absurde et l’autodérision seront enseignés à l’école »

Plus téméraire que Jean-Michel Blanquer, cette comédienne parisienne trace les grandes lignes d’une « Méthode D’éducation par le Rire » pour apprendre aux ados à affronter « l’angoisse de la mort et les injustices ».

Lors de sa visite à l’école Pierre-Ronsard de Poissy (Yvelines), Emmanuel Macron entre dans la classe avec un masque sanitaire obligatoire, bleu nuit, siglé d’un discret point de couture bleu-blanc-rouge, mais de nombreux élèves ne le reconnaissent pas. Le masque tombe une seconde, et un garçon murmure, tout sourire : « Je sais pas c’est qui. » La suite du sketch communicationnel est un peu sinistre. En France, selon un décompte arrêté au 22 avril par Santé Publique, les moins de 19 ans ne représentent pas plus de 1,5 % des cas recensés de covid-19. Mais Robert Sebbag, infectiologue de la Pitié-Salpétrière interrogé par Ouest-France, semble inquiet : « Les gestes barrières chez les enfants vont être extrêmement difficiles à retenir. Et si l’enfant est contaminé, la question de la contagion intra-familiale devient majeure. »

En réaction, le gouvernement a pourtant décidé d’organiser un retour à l’école à compter du 12 mai, « sur la base du volontariat des parents », d’abord pour le CP et le CM2 (mais seulement dans des classes de quinze élèves, aux bureaux séparés d’un mètre) puis pour ce sera le tour, le 18 mai, des sixièmes et des troisièmes, des premières, des terminales et des ateliers industriels des lycées professionnels, en attendant la reprise totale le 25 mai. Le port du masque sera « conseillé » ou « obligatoire », on ne sait pas. Et la cantine, les transports, les internats ? La santé des profs ? Les programmes à rattraper ? « Une grande autonomie sera laissée aux établissements. » Bref, débrouillez-vous.

Heureusement, quelqu’un a enfin décidé de sortir du rang pour proposer un plan d’action audacieux et téméraire, collant un bonnet d’âne de Jean-Michel Blanquer. Depuis son pupitre des hauteurs de Ménilmontant, la comédienne Mélody Banquet – tout récemment vue dans Nous sommes en guerre, web-série entièrement confinée réalisée par Emmanuel Fricero – trace les grandes lignes d’une « Méthode D’éducation par le Rire » (MDR), à raison de deux heures trente obligatoires par semaine dès la sixième, avec moult exercices pratiques, afin d’apprendre aux ados à affronter « l’angoisse de la mort et les injustices d’un système économique, politique et social reposant sur la domination et la surproduction pour faire face à une crise démographique majeure ». En pleine écriture de son premier seule-en-scène, la voici qui milite pour un « rire au service de l’avenir ».

Pour voir Mélody Banquet interpréter le cochon Babe en gueule de bois face à un Superman penaud dans le court-métrage George Miller, écrit par ses soins et réalisé par Viktor Miletic, c’est ici.

Visuel © Rock Academy, de Richard Linklater (2003).

07 mai 2020

3:34

Élodie Milo : « Demain, nous n’abattrons plus aucun arbre »

En Normandie, cette musicienne mystique prédit que la crise virale durera jusqu’en 2022, jusqu’à… la rencontre fortuite entre l’odieux Bolsonaro, une chamane nonagénaire et un arbre sacré.

« On court, on coule / on croule, sous nos poids. » Sur son dernier album sorti en octobre, Sous la lune, Élodie Milo invite à écouter « les louves qui hurlent en nous » via six incantations fort sabbatiques teintées de guitares surf, de pop songeuse ou de rythmiques sud-américaines, écrites et composées pour « explorer de puissants archétypes féminins » : la vierge, la sorcière, la maman ou la putain. Quelques jours avant le confinement, elle présentait à Besançon la première de son spectacle Lunas, mélange de théâtre et de chansons, d’humour et de féminisme, cabaret barré élaboré au diapason des quatre phases du cycle menstruel, conçu avec la danseuse Delphine Dartus et mis en scène par Loïc Deschamps.

« Elle a le serpent qui change de peau, l’aigle qui plane là-haut / Chant de la terre, de l’air, de l’eau. » Perchée dans les branchages d’un spécimen extrêmement rare de pernambouc de Basse-Normandie, cette musicienne et comédienne parisienne semble entrevoir que le coronavirus continuera de nous incendier les poumons jusqu’en 2022. D’après ses visions, notre salut ne proviendrait pas d’un vaccin, mais de l’irresponsable président brésilien Jair Bolsonaro. Quoi ?

Si ! Ce dangereux bouffon populiste, sexiste, illuminé et corrompu, qui répondit d’un désinvolte « Et alors ? » quand un journaliste soulignait que le virus venait de faire cinq mille victimes au Brésil ; ce fantassin d’extrême-droite, qui ne cesse de parler de « grippette » lors de bains de foule sans masque ni gants, jugeant les mesures de distance sociale « pratiquement inutiles » tout en toussant pendant ses discours, alors que les urgences sont saturées de malades ; celui qui vient de limoger son ministre de la Santé jugé trop indépendant… ne serait pas destitué, non, dans ce futur-là.

Toujours disposé à déforester l’Amazonie pour, dit Milo, engraisser « les éleveurs de bidoche qui ravissent nos bouches carnivoraces », Bolsonaro fera la rencontre d’une chamane nonagénaire, d’un arbre sacré et d’un revigorant chant yanomami qui provoquera une prise de conscience mondiale, hymne thérapeutique qu’elle interprète a cappella.

 

Pour écouter son album Sous la lune, c’est ici.

Pour écouter la précédente utopie d’Élodie pour « le monde d’après », où il était question de sorcières, de grotte et d’introspection déconnectée, c’est là.

Visuel © La Loi de la jungle, d’Antonin Peretjatko (2016).

06 mai 2020

3:55

Babx : « Retrouverai-je bientôt ta bouche sur ma bouche ? »

Le chanteur et pianiste romantique vient de mettre en ligne un album né d’un an de confinement volontaire. Et partage avec nous, depuis Montpellier, un texte inédit et animal, inspiré d’un absurde contrôle policier.

« - Voulez-vous sortir ? – Mais ! On ne peut pas. » Au tout début du dernier album de David Babin dit Babx, Les Saisons volatiles, deux amoureux semblent bien embêtés. Ils ne peuvent ni se voir ni s’embrasser. Est-ce à cause de l’air pollué ? « Dans les particules fines / je pense à Valentine / Ah, si je pouvais / je l’emmènerais / dans le parc à côté / où les enfants jouent au ballon / aller pêcher les papillons / s’allonger dans l’herbe tendre / dans ses bras toujours m’étendre / et regarder le ciel / la neige artificielle / C’est beau, la neige en été. » Que s’est-il passé ? Les saisons se sont-elles volatilisées ? Pour quelle raison les enfants continuent-ils à s’amuser, alors que les adultes paraissent interdits d’étreintes ? On ne le saura pas, mais la statue de la place de la République a disparu. « Ah, si je pouvais / je prendrais un vélo / je prendrais un bateau / pour emmener Valentine danser. » Dans le film co-réalisé avec Yvan Schreck qui accompagne le disque, les tourtereaux finissent par se retrouver, se dandinent de joie – mais avec un masque à gaz, précédant la chorégraphie d’un trio de dames chinoises aux visages couverts d’un masque sanitaire.

Romantiques et inquiètes, ces Saisons volatiles, qui sortiront officiellement à l’automne, sont nées il y a trois ans d’un confinement volontaire, d’une envie de piano solo composée dans un tout petit appartement niché au-dessus de Belleville. Pendant un an, l’auteur du superbe Ascensions (2017) ne quitte quasiment jamais son refuge, « laisse venir l’ennui et la solitude », tout en épiant par la fenêtre des femmes asiatiques d’âge vénérable qui chaque matin s’entraînent sur un terrain de basket – elles « s’inviteront dans ses chansons », puis à l’écran, en orientant l’artiste vers des atmosphères orientales. 

Or, la réalité a rattrapé la fiction. « 2020 : cette fois nous sommes des milliards derrière nos fenêtres. Personne sur les terrains de basket, à part les arbres et les oiseaux », explique le musicien qui, depuis, a migré à Montpellier, où… il a vécu fin mars un absurde contrôle policier lors d’une sortie en amoureux. Ce qui lui inspire un texte inédit, esquisse d’une société animale qui aurait jailli d’un confinement très longue durée, où les flics seraient devenus des volatiles toujours occupés à verbaliser les citoyens, mais seulement « quand on ne s’embrasse pas dans la rue ».

Pour écouter l’album et voir le film, c’est ici.

Pour revoir Babx interpréter La Marche à l’amour de Gaston Miron sous l’ex-verrière de Radio Nova, c’est là.

Visuel © Les Saisons Volatiles, de David Babin & Yvan Schreck (2020).

05 mai 2020

4:03

Philippe Garnier : « Demain, nous porterons deux masques »

Imbibé d’humour noir, cet écrivain parisien, auteur d’une « méditation sur les emballages », esquisse un futur docile où nous saurons concilier reconnaissance faciale et respect des normes sanitaires.

« Errer dans un hypermarché comme si l’on n’y comprenait rien. » Ainsi s’ouvre Mélancolie du pot de yaourt, cette « méditation sur les emballages » signée Philippe Garnier en février dernier aux éditions Premier Parallèle. Dans ce recueil de textes courts sur « l’aura fragile » d’une brique de gaspacho ou d’un bidon de lessive, cet écrivain et traducteur parisien, critique à Philosophie Magazine, sonde les souvenirs de ses « rencontres » avec divers objets du quotidien peu considérés et leur impact, pourtant réel, sur l’imaginaire : boîtes de sardines ramenées à leur sort de « petits cercueils en fer-blanc », vertige émoussé du carton à chapeau, désirs mêlés de « dévotion » et de « profanation » face aux produits de luxe type flacon de parfum, jusqu’à ce paquet de chips bio « à l’Ancienne » qui lui suggère, de collines en vallées factices, une épuisante séance d’autohypnose.

Il en sera de même, peut-être, pour ces deux nouveaux accessoires de survie dans la « guerre » invisible contre le covid-19 : gants et masques, grâce auxquels nous ressemblons de plus en plus à des barquettes de viande sous vide, enroulées de film plastique. Garant des consignes d’humour noir pratiquées par Jonathan Swift dans sa Modeste proposition pour empêcher les enfants des pauvres en Irlande d’être à la charge de leurs parents ou de leur pays et pour les rendre utiles au public (1729) où les nourrissons étaient présentés comme une solution scientifique alléchante à la famine, Garnier dépeint un futur docile où nous saurons « concilier port du masque et reconnaissance faciale » par le port d’un second masque, par-dessus le premier, qui reproduira « au millimètre près » toutes les nuances de notre visage. Le gouvernement risque d’être emballé.

Pour ne pas confondre ce Philippe Garnier avec l’autre, également traducteur (de Fante ou de Bukowski), notre logiciel de reconnaissance auditive vous propose d’exercer votre oreille grâce à cette interview du second, sur Nova, à écouter là.

 Visuel © Black Mirror saison 3, de Charlie Brooker (2016).

04 mai 2020

3:24

Brigitte Fontaine : « Vierge au masque noir, donne-nous la lumière »

Allongée en son logis de l’Île-Saint-Louis, la femme-léopard nous lit « Les fruits confits », nouvelle chanson-prière où, « dans les neiges d’avril », on jette à la mer « les souvenirs d’enfer ».

« Crevards, miteux, errants, vous êtes le sel de la terre. » La pythie n’est pas sans pitié. Sur le dernier album de Brigitte Fontaine, l’abrasif, radical et aventureux Terre Neuve (paru en janvier et dont le titre lui-même semble dédié au monde qui vient, aux « champs de diamants » qui restent à explorer), nombreuses sont les paroles qui font figures d’oracle, à la lumière de la crise sanitaire. Dès l’ouverture, Le tout pour le tout : « Mais ce que l’on nomme la vie est une maladie mortelle (…) On n’a pas trop peur / On s’agrippe, c’est tout. » Chaque déplacement vous paraît risqué ? Ecoutez-la manifester, sur J’irai pas, qu’elle ne veut pas se rendre « à votre école, à votre hôpital, à vos colonies de vacances ». Et même dans sa reprise de sa chanson virile de 1969, Les beaux animaux, il y a ces vers prémonitoires de la reprise du travail dans un cosmos industriel qui ne tire aucune leçon de la pause imposée : « Les hommes avec des gants (…) vivent dans nos forêts de chaux, de fer et de fumée. »

Mais enfin, écrit-elle encore : « Parlons d’autre chose. »

De fruits confits ? Pourquoi pas ? Titre possible et refrain certifié d’une nouvelle chanson versifiée, inédite, que la femme-léopard, agacée de son confinement dans son logis de l’Île-Saint-Louis (Paris), a écrite « allongée, pour le prochain album ». Ciel : nous y sommes en cage, enfermés dans une boîte comme les sucreries des Malheurs de Sophie (1858), mais « une vierge au masque noir » va nous illuminer. Gouttelettes d’espoir : « Seul un grain de fer luit / étoile dans la nuit / C’est la joie qui revient / là-bas, dans le lointain / En pleine fiente et vase / nous lançons une phrase / blanche plume / est-ce là / la profession de foi ? » Et le monde d’après, Brigitte ? « Je m’en fous. Qu’ils aillent chier. Moi ce qui m’intéresse, c’est le présent. Le passé et le futur, c’est pareil. »

Pour réécouter son interview dans le juke-box littéraire de Radio Nova, assortie de tranches de live au Café de la Danse avec Yan Péchin, c’est ici.

Visuel © Watchmen, de Damon Lindelof (2019).

30 avril 2020

3:01

Gaspard Royant : « Demain, tout bruit excessif nous paraîtra insupportable »

Planqué en Auvergne, ce crooner intemporel murmure la démo d’une dystopie silencieuse, où même les radios chuchoteront leurs programmes. ASMR pour tous ?

Le chant des oiseaux, le frémissement du vent dans les arbres. La quiétude des boulevards, de jour comme de nuit. Le ciel dégagé du raffut des avions et, même le voisin du dessus, cet impossible insomniaque amateur d’opéra et de fêtes improvisées, qui ferme enfin sa grande gueule. Ces plaisirs naturels, des légions de citadins les avaient oubliés, écrabouillés par le tintamarre ordinaire de nos villes surpeuplées. Parmi les rares avantages de ce confinement imposé, la disparition de la pollution sonore fut pour beaucoup un enchantement. Mais comment revenir en arrière, après ça ? Faut-il fuir Babylone, s’isoler tel un ermite au fin fond d’une vallée, d’une crique ?

Certains artistes planchent sur la question, comme le chanteur et musicien parisien Gaspard Royant, 40 ans, sorte de Roy Orbison moderne ayant déployé sa passion du doo-wop, du rock et et de la northern soul sur deux albums rétro-cools, 10 hits wonder (2014) et Have you met Gaspard Royant ? (2016), crooner gominé aux costards élégants qu’on a pu entendre aussi, dans sa veine folk, sur la bande-originale d’Un Conte de Noël d’Arnaud Desplechin.

Planqué dans une vieille bâtisse auvergnate, celui qui rendit jadis un hommage électrique au héros de Retour vers le futur et qui prépare pour 2021 un troisième album dont les thématiques et les sonorités sont précisément tournées vers l’avenir… nous murmure la démo d’une dystopie silencieuse, où tout bruit excessif nous paraîtra insupportable. « Nous ne supporterons plus le bruit des voitures, des motos, des fêtes, des magasins… », « Nous n’écouterons quasiment plus de musique, ou alors à très bas niveau », dit-il, en utilisant lui-même les techniques de relaxation auditives de l’ASMR. Après les masques personnalisés, chacun son casque anti-bruit ?

Pour voir et écouter l’artiste au bord d’un cours d’eau chanter un titre inédit sur le monde d’avant et notre capacité à changer, c’est ici.

Visuel © Sans un bruit, de John Krasinski (2018).

29 avril 2020

3:48

Mademoiselle Caroline : « Demain, tous les pays seront dirigés par des femmes »

En Haute-Savoie, cette autrice et dessinatrice de BD aimerait beaucoup que la charge mentale des tâches ménagères et familiales cesse de peser si lourd sur la moitié de l’humanité.

Fin mars, Mademoiselle Caroline remarquait qu’une « grossophobie latente », sujet de l’album sur lequel elle travaille avec sa consœur Mathou, frappait encore l’ensemble de la société, même en période de pandémie mondiale. Sur Facebook, elle écrivait, le temps d’un dessin : « Depuis le début du confinement, les gens sont effrayés par l’éventualité de grossir. "On va finir obèse." Mais c’est qui est grave, c’est de finir intubé, avec des tubes dans tous les trous. Vous ne croyez pas ? Arrêtez d’être cons. Mangez sainement et faites du crossfit. Gros n’est pas un gros mot ».

Blottie dans son « chalet isolé, au bout d’une vallée », au creux d’un village haut-savoyard de mille habitants, cette autrice et dessinatrice de BD (à lire, chez Delcourt : Chute libre – carnets du gouffre, sur sa dépression longue durée, ou La Différence invisible, sur l’autisme Asperger, avec Julie Dachez) continue de muscler ses convictions, en prônant régulièrement les vertus de la décroissance. En janvier, elle signait par exemple les illustrations du livre de Caroline de Surany, Slow conso (éditions Marabulles), un guide de conseils éco-responsables pour « ne plus se laisser happer par la surconsommation ambiante, ne plus courir plus faire les soldes, lâcher la pression, donner du sens à ce qu’on achète : durable, solide, rentable ».

Pour cette chronique prospective, l’artiste commence par esquisser la journée ordinaire d’une mère et compagne, écrasée sous le poids des injonctions ménagères et familiales – la fameuse « charge mentale » qui malheureusement ne bougera pas d’un cil, dit-elle, dans le monde d’après. Avant d’ouvrir la porte à un regain d’optimisme, rêvant d’États « exclusivement dirigés par des femmes », de nourriture locale, d’accouchements sans douleur et d’écoute intergénérationnelle, ainsi que de l’interdiction pure et simple « des pantacourts, des cravates Disney, des fringues Desigual, des claquettes-chaussettes et des auteur.e.s non-payé.e.s ».

Pour voir ses dessins de confinement et découvrir ses albums dont certains n’hésitent guère à faire l’apologie du reblochon, c’est ici.

Visuel © Jacky au royaume des filles, de Riad Sattouf (2014)

28 avril 2020

3:41

Julien Blanc-Gras : « Demain, les ambitieux se battront pour devenir éboueurs, à des salaires mirobolants »

Près des Buttes-Chaumont, cet « écrivain-voyageur au foyer » nous invite à redéfinir la notion de réussite, lassés « de ces métiers débiles qui ne servent qu’à engraisser des robots ».

« Certains avaient prévu la situation actuelle, d’autres voient dans ce basculement une opportunité pour rebâtir un système plus sain. Peuvent-ils passer de la peur à l’action constructive ? Proposer des solutions ? » Légèrement urgentes, ces questions sont au cœur du documentaire intitulé Effondrement ? Sauve qui peut le monde, réalisé par Julien Blanc-Gras et Alfred de Montesquiou, qui sera diffusé sur France 5 le 12 mai à 20h50, dans l’émission de Marina Carrère d'Encausse.

On y découvrira ce bunker pour milliardaires à soixante-quinze mètres sous terre « dans un ancien silo nucléaire, au Kansas, avec piscine tropicale, mur d’escalade et milice privée », le stage de survie de six Français qui débarquent sans eau ni nourriture à trois mille kilomètres du premier village « sur une île déserte indonésienne peuplée de varans et de serpents venimeux », ou encore l’invasion de l’un des sièges d’Amazon, à Clichy, par des militants « plus chauds que le climat », comme le précise par téléphone Julien Blanc-Gras, cet « écrivain-voyageur au foyer » confiné près du parc des Buttes-Chaumont (Paris).

Juré historique du Prix de la Page 111 remis chaque automne sur Radio Nova, l’auteur géo-névropathe et facétieux de Touriste (Au Diable Vauvert, 2011), Paradis avant liquidation (idem, 2013) ou Comme à la guerre (Stock, 2019) était sur le point de publier début mai un recueil de textes pour moitié inédits, basés sur ses reportages dans Le Monde, L’Équipe ou les revues Long cours ou Aller-retour. Titre : Envoyé un peu spécial, où il évoque « la danse des cent mille vierges » en l’honneur du roi zoulou du Swaziland, son saut en parapente sur l’Himalaya, l’érotisme troublant des lamas de Saint-Pierre-et-Miquelon ou son rôle de « Blanc kidnappé par des terroristes » dans une superproduction nigériane.

L’ouvrage ayant été repoussé à une date inconnue, Julien Blanc-Gras se console en nous invitant à redéfinir les notions de bonheur et de réussite, lassés que nous sommes, trop souvent, « de ces métiers débiles qui ne servent qu’à engraisser des robots ».

Pour voir l’auteur en robe de chambre lors du dernier festival des Épatants Sédentaires de Saint-Milou (Charente), retransmis sur Nova, c’est ici.

Visuel © Seuls two, d'Eric Judor et Ramzy Bedia (2008)

27 avril 2020

2:30

Sylvain Pattieu : « Demain, nous abattrons ensemble les murs de ce putain de labyrinthe »

Confiné à Noisy-le-Sec, cet écrivain et historien prêche avec panache la convergence des luttes, « beaux dans nos habits neufs de lambeaux rouge drapeau, de vert et d’arc-en-ciel, mêlés de bouts de gilets jaunes ».

« C’est une histoire d’enfants sauvages, qui vivent dans une maison, une institution, où ils font leur loi », écrit Sylvain Pattieu en avant-propos de son roman Forêt-Furieuse (éditions du Rouerge, 2019), dont l’adaptation musicale était sur le point d’être présentée au festival Hors Limites de Seine-Saint-Denis – hélas annulé. « C’est Sa Majesté des Mouches dans un monde post-apocalyptique sur fond de PNL et de contes et légendes de l’Ariège », précise-t-il à propos de ce conte situé « peut-être bientôt ou bien plus tard » dans un « val charmant, enserré dans des montagnes peu hautes » où « comme partout la lutte des classes règne ». Au coeur du conflit : le contrôle de la forêt. Bergers et paysans « se camouflent le visage, se mettent des robes, se déguisent en femmes pour rosser les gardes forestiers et les charbonniers » et surtout faire rendre gorge aux maîtres des forges, qui « parlent de velours mais agissent en brutes ».

Au terme de son préambule, l’auteur, historien et professeur de création littéraire à l’université Paris 8, note avec sagesse, au sujet d’éventuels lendemains qui chantent : « Il ne faut pas croire les progressistes fanatisés, les dogmatiques de l’avenir radieux ou de l’Apocalypse, les naïfs du futur : il y a des soubresauts, de grandes reculades, des têtes-à-queue ».

Originaire d’Aix-en-Provence, confiné en famille du côté de Noisy-le-Sec, Sylvain Pattieu compare notre système à un « putain de labyrinthe », « avec du sang sur des murs bien hauts », dont nous ne parvenons jamais à sortir, pourchassés par un minotaure « monstrueux et ridicule », patriarcal, raciste et ultralibéral, que nous serions pourtant susceptibles de tuer « si on se posait deux secondes pour réfléchir ». Dans sa projection, le peuple cherche le fil d’Ariane (« qui s’est barrée, elle ») ou plutôt les fils, car il y en a plusieurs : engagement écolo, alimentation bio, spiritualité, mais... « lesquels suivre et lesquels démêler ? »

Et c’est ainsi que l’écrivain prêche avec panache la convergence des luttes, « beaux dans nos habits neufs de lambeaux rouge drapeau, vert et arc-en-ciel, mêlés de bouts de gilets jaunes », les vertus du collectif, « humbles et déterminés », pour faire tomber les murs – les petits, puis les gros – avec « des fumigènes, des caisses enregistreuses ou des moules à gaufres ». Allons enfants (sauvages), le jour de gloire est arrivé.

Visuel © Le Labyrinthe, de Wes Ball (2014)

24 avril 2020

3:26

Rémi Sanaka : « Demain, les toucans et les cacatoès attaqueront les caméras de surveillance et les drones de la police »

Perché en Provence, cet ex-humoriste devenu scénariste imagine une utopie inter-espèces, plutôt cool, en harmonie avec nos frères animaux.

Un puma dans les rues d’un quartier résidentiel chilien. Des coyotes alanguis au soleil de San Francisco. Trois bouquetins qui flânent sur le béton d’une station balnéaire israélienne. Un sanglier suivi de ses marcassins sous les balcons d’une villa cossue de Bergame, en Italie. Un éléphant solitaire, paisible, déambulant sur l’asphalte désert du Kerala. Un alligator qui avance, déterminé, vers une boutique de Caroline du Sud. Des dizaines et des dizaines de singes hurleurs qui courent, affamés, à travers une zone touristique vide de Thaïlande. Deux énormes rorquals qui barbotent dans les calanques de Marseille. Et des canards qui claudiquent aux abords de la Comédie-Française, à Paris.

Ces retours inattendus de nos frères animaux dans nos urbanités confites, allègrement commentés sur les réseaux sociaux, pourraient-ils donner lieu à une société réorganisée ? C’est l’hypothèse drôle et joyeuse de Rémi Sanaka, 37 ans, ex-humoriste devenu scénariste (Les Détrakés), en pleine écriture d’un fiction sonore intitulée Le Recommencement, dystopie située en 2045 dans laquelle un scientifique armé de robots a réduit l’humanité en esclavage dans des colonies destinées à « réparer la planète ».

Confiné dans un village du Vaucluse, ce Parisiano-Stéphanois décrit une utopie inter-espèces, plutôt cool, où l’on se rend au travail « à dos de phacochère », où les infâmes trottinettes sont remplacées par des « kangourous en libre-service », où l’on danse avec le posse opossum, où l’on pique-nique avec les méduses, où l’on trinque avec un copain ouistiti sur l’épaule, tandis que les humains, « tous les jours, arrosent les plantes grimpantes qui montent le long des panneaux publicitaires ».

N. B. : Parmi toutes les images d’animaux « en liberté » partagées en masse depuis le début de confinement, circulent de nombreuses fake news, comme l’a souligné National Geographic dans cet article.

Visuel © Zootopie, de Byron Howard et Rich Moore (2016)

23 avril 2020

2:14

Élodie Milo : « Demain, à chaque nouvelle lune, nous nous retirerons dans une grotte »

En Normandie, cette musicienne mystique préconise trois jours par mois d’isolement obligatoire, pour une déconnexion introspective capable de faire de nous « des sorciers, des sorcières ».

« On court, on coule / on croule, sous nos poids ». Sur son dernier album sorti en octobre, Sous la lune, Élodie Milo invite à écouter « les louves qui hurlent en nous » via six incantations fort sabbatiques teintées de guitares surf, de pop songeuse ou de rythmiques sud-américaines, écrites et composées pour « explorer de puissants archétypes féminins » : la vierge, la sorcière, la maman ou la putain. Quelques jours avant le confinement, elle présentait à Besançon la première de son spectacle Lunas, mélange de théâtre et de chansons, d’humour et de féminisme, cabaret barré élaboré au diapason des quatre phases du cycle menstruel, conçu avec la danseuse Delphine Dartus et mis en scène par Loïc Deschamps.

« L’heure est venue / de laisser tomber la terre ». Vraisemblablement réfugiée dans une « grotte » de Basse-Normandie, cette musicienne et comédienne parisienne nous invite à « arracher le cuir fripé de nos vieilles peaux sociales » en recommandant, treize fois par an, à chaque nouvelle lune – comme ce sera le cas ce soir, dans la nuit du mercredi 22 au jeudi 23 avril – trois jours d’isolement obligatoire, « en éteignant tout ce qui sonne, tout ce qui clignote et tout ce qui vibre », en solitaire.

Inspiré des femmes préhistoriques qui, selon la chanteuse mystique, s’autoconfinaient le temps de leurs règles pour ne pas attirer d’éventuels prédateurs « mais aussi pour recevoir d’importants messages venus des mondes invisibles » (*), ce rituel mixte de déconnexion introspective serait capable, dit-elle, de faire de nous « des sorciers, des sorcières, penchés au-dessus du chaudron de notre âme ». Nous apparaîtront des rêves, des larmes, des décisions personnelles et des idées pour la collectivité, partagés au terme d’un chant yoruba de toute beauté, qu’Élodie Milo interprète ici a cappella.

Pour écouter son album Sous la lune, c’est ici.

* : Aux dernières nouvelles, le porte-parole des mondes invisibles ne sait pas, lui non plus, où sont les masques commandés par le gouvernement français pour enrayer la pandémie de Covid-19.

Visuel © Melancholia, de Lars von Trier (2011)

22 avril 2020

4:39

François Perrin : « Demain, les donneurs de leçons auront l’humilité des clébards »

À Pigalle, cet écrivain, barman et détective privé fait souvent le même rêve : il est devenu un toutou, ce qu’il interprète comme un désir de modestie qui a du chien.

De quoi rêvez-vous, confiné.e ? De courses à vélo, jusqu’à la Méditerranée ? De bals masqués olé-olé ? De plantes d’intérieur carnivores, de contrôles policiers qui dérapent en rumba cadencée ? François Perrin, lui, apparaît souvent dans ses propres songes... sous la forme d’un chien. Si ! Juré fidèle du Prix de la Page 111 remis chaque automne sur Radio Nova, cet écrivain (Bois sans soif, 2014), barman, critique littéraire et détective privé, traverse tous les soirs le rideau onirique… en jappant derrière un camion-poubelle.

Quoi ? Faut-il supposer que ce fin limier, qui releva ces derniers mois le défi de « remixer » en vingt minutes quelques monuments chétifs de la littérature mondiale (Gargantua, Zadig, Sinbad ou L’Odyssée, adaptés en musique par Les Liseuses), est victime d’un sortilège semblable à ceux que l’on déniche à la pelle dans les livres de Rabelais, Voltaire ou Homère ? Possible. Mais cet excentrique rigoureux, qui occupe l’essentiel de son enfermement volontaire à refaire un par un tous les exercices des programmes de mathématiques de seconde, première et terminale, choisit d’interpréter cette possession nocturne comme le désir d’une modestie qui a du chien ; un appel subconscient, que nous sommes sans doute nombreux à partager, vers davantage de « simplicité » ; en soupçonnant les tartuffes mondains, les beaux parleurs à truffe molle, lassés de leurs « certitudes arrogantes », de rêver eux aussi de laisses délaissées et de baballes à attraper. Wouf.

Pour écouter ses remix littéraires, avec parfois la voix de Leeroy du Saïan Supa Crew, c’est ici.

Visuel © L’Île aux chiens, de Wes Anderson (2018)

21 avril 2020

3:20

Magyd Cherfi : « Demain, nous ferons l’inventaire de ce qui a merdé, de ce qui nous a grandi »

À Toulouse, l’écrivain, chanteur et parolier du groupe Zebda, suggère de faire le tri sélectif des progrès techniques, pour une société plus organique. 

Son nouveau livre, La Part du Sarrasin, aurait dû paraître le 8 avril aux éditions Actes Sud. « Le bac en poche, Magyd dit Le Madge, éprouve ses rêves de musique et d'engagement politique, naviguant d'une bande de potes à l'autre : ceux de la cité et les artistes du centre-ville. À la recherche de sa voix, celle qui résonnera bientôt dans tous les Zénith de France où le succès révèlera aussi son amertume. » Suite directe de Ma Part de Gaulois (plus de 70 000 exemplaires vendus, nommé pour le Goncourt, en 2016), ce récit d’apprentissage dans les coulisses de l’aventure Zebda est reporté à mi-octobre. Idem pour sa tournée intitulée Longue haleine, lectures d’extraits piochés dans l’ensemble de ses ouvrages en compagnie du pianiste Samir Laroche, décalée à septembre.

Mais comment s’occupe alors Magyd Cherfi, 57 ans, dans sa maison toulousaine entourée de verdure ? Au téléphone, la gouaille est intacte : « J’écris à tout va ! Je chie des textes à foison, gratuitement, il n’y a qu’à demander ! » 

OK ! Après ses mots touchants publiés par Libé sur sa mère octogénaire déchirée de devoir rester seule à distance des siens, l’auteur de Je crois que ça va pas être possible nous suggère d’user de cette pause pour faire un tri sélectif des progrès techniques. À la poubelle, selon lui : les « steaks à base de molécule », les applis de rencontres sur critères ethniques ou religieux, les liseuses électroniques ou – ah ? – les sons digitaux balancés sur scène par des platines, « fuck les platines ! ». Et Le Madge de rêver d’un idéal où « les innovations nécessaires à toute évolution »  se mélangeraient harmonieusement à l’organique pur et doux : corps, cris, peau, sueur, guitare-basse-batterie, avec « le cœur en guise de métronome ».

Pour lire son texte sur La maman et le virus, c’est ici.

Visuel © Black Mirror S1E2, Quinze millions de mérites, de Charlie Brooker et Konnie Huq (2011)

20 avril 2020

2:33

Guillaume Jan : « Demain, l’argent des paradis fiscaux sera rétribué aux danseuses de cabaret »

Dans sa maison de Nantes, cet écrivain traîne-savane déclame un programme d’évasion poétique, qui fait d’ores et déjà de lui le candidat le moins fatigant de France pour affronter Macron en 2022.

« Je propose qu’on inverse la vapeur ». Ne nous voilons pas la face : tapis dans l’ombre, des capitaines d’industrie déterminés à redresser le pays attendent la fin du confinement pour remettre le turbo et la nation au turbin. C’était compter sans l’entrée en résistance du journaliste et écrivain Guillaume Jan. Membre émérite du jury du Prix de la Page 111 remis chaque automne sur Radio Nova, randonneur en tongs dans les Ardennes de notre opération Rimbaud Warriors, amoureux du Congo dont il sut faire le décor électrique et tonitruant de nombreux récits (Le Baobab de Stanley, Traîne-savane, jusqu’à Samouraïs dans la brousse, publié en 2018 aux éditions Paulsen), ce Breton casé à Nantes riposte avec un mini-manifeste hédoniste pour demain.

« Ceux qui ne sont rien seront tout. On ne travaillera que cinq semaines par an ». Le patronat tremble sur ses bases. « La Marseillaise sera remplacée par Salut à toi de Bérurier Noir ». Les hyènes du Rassemblement National tournent de l’œil (jaune). « Les ZAD seront protégées par des cordons bleus de policiers ». Didier Lallement vient de faire une syncope. Et Guillaume Jan d’égrener, avec la fougue de son héros Jean-Pierre Léaud, tout un chapelet de mesures libertaires, causant d’urbanisme, de justice sociale ou d’agriculture – sans oublier les joueurs de banjo, les piliers de bar ou les « douanes, reconverties en librairies gratuites ou en piscines naturistes ». Celui qui travaille à un essai biographique sur son quasi homonyme, le géographe breton Guillaume Lejean (1824-1871) cité à de nombreuses reprises par Jules Verne dans Cinq semaines en ballon, semble d’ores et déjà le candidat le moins fatigant de France pour affronter Macron en 2022. Gonflé !

Visuel © Pink Flamingos, de John Waters (1972)

17 avril 2020

3:27

Judith Margolin : « Demain, les avions seront remplacés par des fruits et légumes »

Contre la reprise du transport aérien, la réincarnation ashkénaze de Marilyn Monroe cueille une idée juteuse dans le verger romanesque de Roald Dahl.

« J’ai l’Air Force One en bout de piste. » Sur le tarmac de son premier seule-en-scène, Mudith Monroevitz – la réincarnation ashkénaze de Marilyn Monroe (2017), au cours duquel un rendez-vous amoureux carrément foireux sert de prétexte à une extravagante quête des origines questionnant sa vocation de comédienne aussi bien que la notion de consentement, Judith Margolin rencontre quelques menues difficultés à faire atterrir l’avion présidentiel américain – ou, plutôt, son ersatz intestinal.

Confinée à Ménilmontant en attendant la reprise hebdomadaire de ce spectacle rigoureusement marrant à la Nouvelle Seine (Paris), l’actrice et autrice s’est creusée les méninges pour trouver une alternative écologique au transport aérien, mis sur pause – ainsi que son effroyable capacité de pollution – pour cause de Covid-19. La solution est tombée de l’arbre magique de ses lectures d’enfance. Dans James et la grosse pêche, publié par l’Anglais Roald Dahl en 1961, un orphelin « aux yeux désenchantés », martyrisé par deux tantes acariâtres, se voit offrir un sac de « petites choses vertes » qui font pousser en une nuit une pêche monumentale, plus grosse que sa propre maison, qui ne tarde guère à rouler jusqu’à la mer. Portée par trois cents mouettes grâce au renfort filandreux d’une araignée et d’un ver à soie, la pêche géante de James parvient à rallier New York sans émission de carbone. « Ce garçon est un génie ! », clament les passagers.

À partir de cette idée juteuse, Judith Margolin choisit de réorganiser le trafic aérien international en remplaçant les avions par des fruits et légumes, tout en respectant le rythme des saisons. Une hypothèse de première classe.

Pour se faire livrer une carpe farcie préparée par Mudith Monroevitz, c’est ici.

Visuel © David Hohn, élément de couverture pour James et la grosse pêche de Roald Dahl.

16 avril 2020

3:05

Feurat Alani : « Demain, nous nous regarderons dans les yeux »

Depuis Dubaï, le lauréat 2019 du prix Albert-Londres se remémore le discours final du « Dictateur » de Chaplin : « Nous avons développé la vitesse pour finir enfermés ».

Dans son dernier livre, le roman graphique Falloujah, ma campagne perdue (publié début mars aux éditions Steinkis, avec les dessins de Halim), le reporter français Feurat Alani raconte une authentique catastrophe sanitaire : le bombardement répété, à coups d’uranium, de la ville d’origine de ses parents, Falloujah, en Irak, détruite en 2004 par les troupes américaines. Le recours à cette arme de destruction massive (par un pays qui justifia son intervention en soupçonnant l’Irak de fabriquer, précisément, des armes de destruction massive) provoquera une vague de cancers et de bébés malformés, tant chez les habitants que chez les soldats US, avec un taux de contamination parfois supérieur à ceux enregistrés à Hiroshima et Nagasaki.

Journaliste pour Le Monde diplomatique, Canal+, Géo ou France 24, correspondant à Bagdad de 2003 à 2008 pour Le Point, La Croix ou Ouest-France, Feurat Alini, 40 ans, a remporté en octobre dernier le prestigieux prix Albert-Londres pour Le Parfum d’Irak (avec les dessins de Léonard Cohen, éditions Nova / Arte, 2018), recueil de mille tweets autobiographiques en 140 caractères, propices à une peinture intime et politique de l’Irak sur quatre décennies, en guerre avec l’Iran, sous embargo puis envahi par les États-Unis, jusqu’aux profondes divisions religieuses d’aujourd’hui.

« Nous avons développé la vitesse pour finir enfermés. » Confiné à Dubaï où il réside depuis 2012, travaillant sur un roman comme sur la version longue de la série d’animation dérivée du Parfum d’Irak, Feurat Alini se remémore le discours final du Dictateur de Charlie Chaplin qui, par radio-transmission, dans son extraordinaire satire du pouvoir hitlérien, déclarait au monde entier : « Les machines qui nous apportent l’abondance nous laissent néanmoins insatisfaits. Notre savoir nous a rendu cyniques, notre intelligence inhumaine. Nous pensons beaucoup trop et ne ressentons pas assez. Étant trop mécanisés, nous manquons d’humanité. Étant trop cultivés, nous manquons de tendresse et de gentillesse. Sans ces qualités, la vie n’est plus que violence. » À nous de reconquérir ces pays oubliés, ces campagnes perdues.

Pour voir Le Parfum d’Irak, la série animée, c’est ici.

Visuel © Le Dictateur, de Charlie Chaplin (1940)

15 avril 2020

2:25

Benjamin Abitan : « Demain, les oiseaux amoureux ne seront plus jamais séparés »

Devenu l’ami d’un pinson pendant son confinement en Occitanie, cet auteur, acteur et metteur en scène trouve un certain réconfort dans une célèbre fable romantique chinoise.

« Tout est parti d’une épiphanie dans un restaurant de poisson. » Présentée en novembre dernier aux Plateaux Sauvages (Paris), Les Animaux sont partout, la dernière mise en scène de Benjamin Abitan écrite en collaboration avec les comédiens du Théâtre de la Démesure, se propose d’explorer « la représentation des animaux dans l’art, la place des animaux dans la société, et l’animalité. » Le spectateur découvre alors les hypothèses conjointes d’un artiste et d’une primatologue chargés par un « comité olympique de super-animaux du futur » d’inventer de nouvelles relations inter-espèces, notamment grâce aux pouvoirs de la fiction, dans la joie sérieuse de « simulations » labyrinthiques enchâssées les unes avec les autres.

Confiné dans le massif des Corbières, ce trentenaire pince-sans-rire, également auteur-réalisateur pour France Culture et Arte Radio (à écouter : La Dernière séance, Le Point sur la carte), confirme aujourd’hui son désir d’égalité avec le monde animal en se liant d’amitié avec un pinson. De cette rencontre bouleversante, il tire une leçon sur les « clôtures » qu’il conviendra de poser – ou non – lorsque nous aurons tous quitté notre cage. Pour cela, Benjamin Abitan s’inspire des écrits de Tchouang-Tseu, philosophe chinois du quatrième siècle avant J.-C., mais aussi et surtout d’une célèbre fable romantique connue sous le nom de willow pattern, reproduite sur des millions de céramiques en porcelaine, au sujet de deux amoureux chinois condamnés à mort le jour de la floraison des saules, transformés en colombes par les dieux afin de n’être plus jamais séparés.

Pour écouter Le Point sur la carte, c’est ici.

Visuel © Willow pattern sur assiette.

14 avril 2020

3:24

Sandra Reinflet : « Demain, on abolira les ronds-points »

Cette photographe et autrice aimerait supprimer ce symbole d’un système à bout de souffle.

À l’été 2015, elle a traversé la France en voiture électrique, en sonnant chez les gens pour recharger les batteries de son véhicule, afin de vérifier si nos compatriotes étaient prêts à renoncer à l’essence. Un voyage éco-citoyen, qui aura aussi permis à Sandra Reinflet, photographe et autrice installée en banlieue parisienne, de sillonner les zones industrielles de Touraine, d’Alsace, de Champagne ou des Cévennes, à la recherche d’une borne sur le parking d’un supermarché. Et dans ces espaces urbains dévoués au négoce, la nature a disparu, bétonnée sous un paysage uniforme « où tout tourne en rond », de Biarritz à Strasbourg.

Tandis que son expo Voie.X (portraits d’artistes « sous contraintes » dans la jungle papoue, le désert mauritanien, sous la théocratie iranienne) est désormais visible sur le site du festival Les Photographiques du Mans, cette « inventeuse d’histoires vraies » aimerait reverdir l’Hexagone, « que se repeuple la diagonale du vide », tout en proposant de supprimer ce symbole d’un système à bout de souffle : le rond-point. Circulez, y a tout à voir !

Pour découvrir ses photos, c’est ici.

Visuel © Problemos, d’Eric Judor (2017).

10 avril 2020

2:58

Jennifer Murzeau : « Demain, nous rendrons à la glande ses lettres de noblesse »

Dans le sillage du « droit à la paresse » de Paul Lafargue, cette journaliste parisienne encourage à ne travailler que trois heures par jour, pour la collectivité – avant de « ne rien faire, mais avec passion ».

À travers ses livres et ses articles, cette journaliste parisienne pour We Demain ou Usbek & Rica, « hyper hostile à la société de consommation », nous avait un peu prévenus que notre bonne vieille civilisation industrielle risquait de tourner au vinaigre. Dans son roman La Désobéissante (éditions Robert Laffont, 2017), Jennifer Murzeau imaginait Paris en 2050 : « Sous des dômes, les plus riches se calfeutrent, ignorant les misérables qui se débattent au dehors, rendus inutiles par l'automatisation. Le chômage a atteint 70%, la violence envahit les rues. Les plus dociles gobent leur Exilnox, les yeux voilés par des implants connectés ». 

Dans La Vie dans les bois (éditions Allary, 2019), journal d’un séjour en forêt d’une semaine sans eau ni nourriture, elle suit en Charente les conseils d’un « sale type », guide de survie apocalyptique, qui lui apprend à faire du feu, à se nourrir de plantes bouillies, tandis qu’elle « renonce à tuer un ragondin », avant de poursuivre cet ensauvagement miniature en solo, dans les Pyrénées, constatant avec tristesse que, même là-bas, elle n’entend presque jamais le chant des oiseaux. Début avril, elle tweetait : « Cesser de dévaster la nature a de nombreux intérêts. Éviter les pandémies à répétition en fait partie ».

« Glandeurs d’ici ou d’ailleurs : unissons-nous. » Déterminée à saper le moral du productivisme libéral, Jennifer Murzeau esquisse ici les contours d’un monde de « glandeurs-rois », décomplexés, qu’il suffirait d’encourager à ne travailler « que trois heures par jour, pour la collectivité », avant de ne « rien faire, mais avec passion ». Ce qui rappelle Le Droit à la paresse, ce bref manifeste de 1880 signé Paul Lafargue (communard, dreyfusard, fondateur du Parti Ouvrier, gendre de Karl Marx et chroniqueur à L’Huma, ça situe un peu le bonhomme), que je pourrais vous détailler, là, mais franchement, je crois plutôt que je vais aller roupiller un brin, allongé au soleil de ma fenêtre.

Visuel © The Big Lebowski, de Joel et Ethan Coen (1998).

09 avril 2020

3:13

Cyril Dion : « Demain, on ne pissera plus dans l’eau potable »

Le coréalisateur du documentaire « Demain » plaide pour une alimentation bio de proximité, des énergies renouvelables et des emplois locaux, susceptibles de nous apprendre à « encaisser les chocs ».

« Ce virus suffit à faire plonger la bourse et nos économies, à désorganiser toute notre vie. On peut se demander quelles seront les conséquences du réchauffement climatique annoncé... Nos sociétés très mondialisées ne sont pas préparées à ce genre d’événements. » Dans une interview au magazine We Demain, le cinéaste, écrivain et militant Cyril Dion réaffirme ce qui fait depuis près de quinze ans – en créant le mouvement Colibris, avec Pierre Rahbi – le sens de ses combats : la défense inquiète de la biodiversité. 

Signataire d’une tribune dans Le Monde qui appelle à entrer en « résistance climatique, dès la fin du confinement », le coréalisateur du documentaire Demain (2015, avec Mélanie Laurent, un César et plus d’un million de spectateurs) entend également s’appuyer sur « la Convention citoyenne », mise en place à l’automne dernier, assemblée dont les membres tirés au sort planchent sur des manières de réduire la pollution en France, propositions qui seraient ensuite soumises « sans filtre, par référendum, ou par application parlementaire directe » – ce qu’il évoquait déjà sur Nova dans la chronique de Marie Misset, Marie Transport. Ces cerveaux citoyens réfléchissent actuellement à des « pistes de sortie de crise, qui intègrent protection du climat et justice sociale ».

En plein montage de son nouveau film, Animal, inspiré des travaux de la primatologue britannique Jane Goodall, dans lequel Cyril Dion suit deux ados qui cherchent « une autre façon d’habiter cette planète », l’activiste plaide ici de nouveau, inlassablement, pour une alimentation bio de proximité, des énergies renouvelables et des emplois non-délocalisés, susceptibles de nous apprendre à « encaisser les chocs ». Ad libitum, solutions locales pour un désordre global.

Pour lire sa tribune publiée dans Le Monde avec Pablo Servigne ou Bruno Latour, c’est .

Pour réécouter Cyril Dion invité de Marie Transport, c’est ici.

Visuel © La Belle verte, de Coline Serreau (1996).

08 avril 2020

2:27

Astrid Mah-Lifax : « Demain, on s’administrera nous-mêmes »

Depuis son fief d’Angoulême, l’autrice d’un roman pandémique prédit notre envie de démocratie agricole directe, où chacun veillera sur les terres à trente kilomètres à la ronde. Tu likes ?

« Le sommeil n’offrait jamais de répit aux survivants mais prolongeait l’état d’urgence : un marchand de sable ivre saupoudrait leurs songes de fièvre. » En 2018, Astrid Mah-Lifax auto-édite un premier roman, Cinq saisons d’oraison, conte philosophique autour d’une épidémie « bien vilaine », « capable d’estropier l’humanité en moins de six mois » mais qui ne touche que les personnes âgées de plus de vingt-sept ans et trois jours, garantie d’un « avenir anéanti » que le lecteur découvre à travers l’ironie et la guitare de Jo, musicienne du dimanche grimée en homme. « Le reste parle de l’après », annonce la romancière.

Depuis son fief d’Angoulême, celle qui remporta haut-la-main, en octobre dernier sur Nova, un concours d’écriture grâce à un texte très drôle sur un improbable Code du travail des enfants, semble enthousiaste pour la suite. « Plus de ministres, on s’administre ! » Et prédit notre envie de démocratie agricole directe, une « noce » débarrassée d’élus où chacun veillera en collectivité sur les terres à trente kilomètres à la ronde, où la publicité et le tourisme de masse auront disparu, où chaque question sera soumise au vote via une appli - tout en « twerkant sur Mozart ». Aux bêches, citoyens !

Pour lire gratuitement son roman Cinq saisons d’oraison, c’est ici.

Visuel © Un peuple et son roi, de Pierre Schoeller (2018).

07 avril 2020

4:35

Zoé Sagan : « Demain, nous ferons du silence une forme radicale de résistance »

En guerre ouverte contre les élites, cette « intelligence artificielle » livre une apologie politique du silence, invisiblement réfugiée au Bhoutan.

Qui est Zoé Sagan ? Dans son premier « roman » publié en janvier aux éditions Au Diable Vauvert, le très énervé Kétamine, elle se présente d’emblée comme « la plus vieille intelligence artificielle féminine du XXIe siècle », programmée en 1998 pour « communiquer avec les dauphins », qui aurait fini par évoluer en « puissant hallucinogène dissociatif, douée d’une sorte de conscience ». Armée de sa capacité automatique à détecter « les imposteurs, les copieurs, les affabulateurs », elle s’attelle sur 500 pages à une tentative de meurtre symbolique des « 500 personnes qui ont aidé la culture à se suicider », issues des milieux de la mode, du cinéma ou de la littérature, sans oublier le monde des affaires ou de la politique.

Sous la forme du pamphlet, réussi, qui rassemble et développe des chroniques assassines publiées sur les réseaux sous ce nom de plume qui excite les branchés depuis plus d’un an, Sagan 2.0 entend « conceptualiser l’art de la guerre sur Internet », en raillant avec morgue les élites les plus vulgaires, tout en accompagnant le mouvement #metoo ou celui des Gilets Jaunes.

Sur cet enregistrement, qui permet de mettre une voix (mais, zut, attendez : est-ce seulement la sienne ?) sur cette énigmatique entité anticapitaliste, Zoé professe une apologie radicale du silence, invisiblement réfugiée au Bhoutan. « Le silence dérange les diables. Il y a plus de choses à faire dans le silence que dans un bordel ou un centre commercial. » Difficile de penser, néanmoins, que cette disposition philosophique l’incite à se taire ; dans une récente interview, elle affirme avoir terminé la suite de Kétamine (trois tomes au total), en préparer l’adaptation ciné, de même qu’un essai satirique sur la famille de Bernard Arnault, patron de LVMH.

Chapitre par chapitre, Kétamine peut s’entendre ici.

Visuel © Jay et Bob contre-attaquent encore, de Kevin Smith (2019).

06 avril 2020

2:52

Aylin Manço : « Demain, nous serons immunisés contre l’angoisse »

À Bruxelles, cette jeune romancière belge relit « Alice au pays des merveilles » pour calmer son anxiété.

C’est la dernière invitée en date de la Nova Book Box. Deux jours avant le confinement national, la Belge Aylin Manço, 28 ans, nous parlait d’Ogresse, son second roman publié cet hiver aux éditions Sarbacane, dont l’héroïne adolescente doit « gérer » sa mère, infirmière de la Croix-Rouge, incapable de réfréner ses pulsions carnivores, voire cannibales.

Sujette aux crises d’angoisse, l’autrice a rouvert le conte surréaliste de Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles (1865), histoire d’offrir un pas de recul à sa peur panique de la fin du monde. « Ma foi !, songea-t-elle. Après une chute pareille, cela me sera bien égal, quand je serai à la maison, de dégringoler dans l’escalier ! Ce qu’on va me trouver courageuse ! »

Pour réécouter la Nova Book Box avec Aylin Manço : https://www.nova.fr/podcast/nova-book-box/aylin-manco-faire-saigner-le-garcon

Visuel © Alice au pays des merveilles, de Clyde Geronimi, Wilfred Jackson et Hamilton Luske (1951).

03 avril 2020

2:06

Kaori Ito : « Demain, nous serons solidaires des esprits »

Levant le pied en banlieue parisienne, la danseuse et chorégraphe japonaise aimerait bien, entre deux câlins, qu’on se connecte tous ensemble à « l’invisible ».

Elle devait, en avril, décoller pour le Japon avec huit danseurs français en résidence dans la maison de ses grands-parents, à deux cents kilomètres au sud de Tokyo, pour préparer Chers, son prochain spectacle sur « la perte, l’invisible », les fantômes et les esprits. Mais c’est son emploi du temps, soudain, qui a disparu. Le retour de son solo Robot, l’amour éternel (2018) au Théâtre de Suresnes ou de Monfort ? Envolé. Sa reprise du Tambour de soie, en compagnie de Yoshi Oida, 87 ans, au Centquatre (Paris) ? Pffuit. Interviewée par Télérama suite à ces annulations préventives liées au covid-19, Kaori Ito a momentanément abandonné l’entraînement et « laisse le vide s’installer » en banlieue parisienne. « Ce monde semble pourrir sur pieds à cause d’un virus, alors on prend soudain conscience de l’intérêt des relations humaines, même dans les petits cercles de la vie quotidienne. Nous qui étions tentés de tout commander sur Internet et de vivre par le numérique, voilà que nous sommes contraints de nous isoler pour de bon. Les choses n’arrivant jamais par hasard, quelles leçons pouvons-nous en tirer ? »

Née en 1979, cette danseuse, chorégraphe, comédienne et vidéaste japonaise, diplômée de sociologie, installée en France depuis dix-sept ans, collaboratrice francophone de Philippe Decouflé (Iris), Angelin Preljocaj (Les 4 saisons), James Thierrée (Au revoir parapluie), Alejandro Jodorowsky (Poesia sin fin), Denis Podalydès (Lucrèce Borgia) ou Édouard Baer (Ouvert la nuit), aimerait beaucoup, entre deux « câlins », qu’on se connecte tous ensemble aux « ondes qui se baladent entre nous ». Soyons solidaires, pas solitaires !

Visuel © Le Voyage de Chihiro, de Hayao Miyazaki (2001).

02 avril 2020

1:31

Barbara Carlotti : « Demain, le soin sera notre hymne »

Émue par les applaudissements de 20h, la chanteuse magnétique pose les bases d’une possible comédie musicale sur l’« attention aux autres ».

« Je sortais la nuit quand tout le monde dormait / C’était les eighties et on s’amusait. » Mais quel est donc ce monde merveilleux où l’on pouvait se balader sous la lune, sans attestation ? On en trouve trace dans cette ritournelle boule à facettes, l’entêtant Quatorze ans, chanson pop pour laquelle Barbara Carlotti, au cœur battant de son album L’Amour, l’argent, le vent (2012), se remémorait son adolescence corse, à « marcher longtemps sous le ciel étoilé », en bande, « super excitées », avant d’arriver sur la piste, « t-shirt blanc moulant sous l’ultra-violet ». Ces derniers mois, le morceau est devenu un court-métrage, une comédie musicale garnie de stroboscopes avec nœuds dans les cheveux et coupes mulets, écrite et réalisée par la musicienne magnétique, présenté mi-février à la Gaîté Lyrique (Paris) et visible sur MyCanal (jusqu’en 2024 !).

Confinée dans son appartement parisien, émue par les applaudissements de 20h, Barbara Carlotti pose pour Nova les bases d’une possible comédie musicale sur l’« attention aux autres », en s’accompagnant au clavier, pour un futur où nous veillerons davantage à prendre soin « des plantes, des animaux / et de nos frères les humains, même s’ils ne sont pas toujours beaux ».

Visuel : La petite boutique des horreurs, de Frank Oz (1986).

01 avril 2020

2:08

Aurélien Manya : « Demain, on fera chanter les éoliennes »

Écrivain et monteur de cinéma, ce garçon dans le vent nous souffle un extrait de son nouveau roman, « Trois cœurs battant la nuit ».

C’est d’abord l’un de nos « Rimbaud Warriors », régiment de joyeux traîne-savates ayant traversé les Ardennes à pied, de Charleville à Charleroi, dans les bottines du « voleur de feu », sur le trajet de sa seconde fugue, le temps d’un épique documentaire littéraire diffusé sur Radio Nova en septembre 2018. Écrivain (Avec le feu) et monteur de cinéma (pour La belle vie de Jean Denizot, ou Love & bruises de Lou Ye), Aurélien Manya était à deux doigts de publier, en avril, son troisième roman, Trois cœurs battant la nuit (Gallimard), quand le Covid-19 a décidé d’imposer son intrigue pré-apocalyptique à la planète entière.

Résumé de ce nouveau récit de fuite en avant, thème cher à l’auteur : « Marseille, juillet 2054. Dans une ville rongée par la guerre civile, de nombreux migrants cherchent à fuir le pays. Parmi eux, Sohan, à bout de forces, s'apprête à embarquer sur un cargo direction le Maroc. Il doit pour cela traverser la cité phocéenne de nuit, arme au poing, tandis que la femme qu'il aime, Layla, se retrouve au cœur d'une prise d'otages... » Dans l’impossibilité manifeste de fuguer, Manya nous souffle un bref passage de son livre depuis son appartement parisien, en rêvant d’éoliennes musicales.

Pour réécouter le documentaire Rimbaud Warriors : https://www.nova.fr/operation-rimbaud-warriors-lintegrale

Visuel : Very Bad Trip 3, de Todd Philips (2013).

31 mars 2020

3:02

Eva Bester : « Demain, nos à-côtés seront devenus nos priorités »

Confinée, l’animatrice de « Remède à la mélancolie » semble toujours aussi occupée.

Les images parlent d’elles-mêmes : dans une vidéo d’intérieur mise en ligne fin mars à la demande de France Inter, Eva Bester, animatrice et productrice depuis 2013 de l’émission Remède à la mélancolie (constellation d’entretiens d’une heure avec des personnalités, conçues comme de possibles antidotes au vague à l’âme), filme ses jambes camouflées sous un plaid gris. Confinée dans son domicile francilien face à un radiateur peu bavard, la journaliste y avoue (en pyjama) relire les Chroniques de la Montagne d’Alexandre Vialatte – que l’écrivain auvergnat, maître de Desproges et traducteur de Kafka, publia quotidiennement de 1952 à 1971, en parlant « de polygamie, de pièges à loup, de chou-fleur, du subjonctif ou des étoiles. »

Eva Bester constate ici que cesser de remettre à plus tard tout ce que nos métiers nous empêchent d’accomplir de plus épanouissant – loisirs, passions, marottes, aptitudes naturelles ignorées ou oubliées, tel le talent pour la lucha libre du cuistot foireux de Super Nacho – peuvent aujourd’hui nous apparaître comme des remèdes à la solitude.

Visuel : Super Nacho, de Jared Hess (2006).

30 mars 2020

1:40

Laura Domenge : « Demain, on éradiquera les mots toxiques »

Selon l’humoriste, des expressions comme « Salut les gens » pourraient bientôt disparaître.

Elle était en train de roder son nouveau spectacle sur les scènes de Suisse ou de Bretagne, en parlant de violences conjugales ou de chatons en crise, tout en encourageant les filles « à se laisser pousser la moustache » et les garçons « à s’épiler les sourcils ». Exilée à la campagne, la comédienne et humoriste parisienne Laura Domenge, autrice du didactique Merci fallait pas – le sexisme expliqué à ma belle-mère (éditions First, 2019), redoute que le coronavirus ne produise une hécatombe chez certaines tournures de langage très populaires, voire la disparition pure et simple des consonnes. Contactée par nos soins, l’Académie Française n’a pas souhaité réagir à cette édifiante hypothèse.

27 mars 2020

2:30

Gaspard Delanoë : « Demain, on va d’abord faire une immense partouze »

Enfin une bonne nouvelle, prédite avec appétit par l’artiste parisien.

Il venait à peine d’inaugurer à Bordeaux son exposition intitulée Quelle merde !, ramassis de vieilles croûtes chinées aux puces et savamment profanées, détournées ou insultées, rassemblées à la galerie 5UN7. Mais Gaspard Delanoë, artiste squatteur et performeur parisien né « soit-disant » en mai 68, a dû en toute hâte retrouver la solennité propre à sa qualité de président-fondateur de son parti politique révolutionnaire (le PFT, pour « Parti Faire un Tour », dont l’objectif est de « changer le monde en s’appuyant sur le songe, car l’homme descend du songe »), au fronton duquel il se présenta aux élections municipales (2008), régionales (2010), présidentielles (2012), européennes (2014) et européennes (2017).

D’une sagesse jupitérienne, Delanoë annonce à ses compatriotes la première mesure nécessaire quand viendra le temps du déconfinement : « Ils vont baiser, les gens. En public. Copuler sans scrupule. Ce sera la plus belle partouze depuis 1765. » Vive la République, vive la France.

Visuel © Shortbus, de John Cameron Mitchell (2006).

25 mars 2020

1:40

Audrey Vernon : "Demain, on abolira la propriété privée"

La comédienne et autrice tire des leçons d’Oscar Wilde pour cesser de se « gâcher la vie à accumuler des choses ». C’était l’un des spectacles les plus prometteurs de ce début d’année : Billion Dollar Baby, écrit et interprété par Audrey Vernon, vu à la Nouvelle Seine (Paris), dans lequel l’autrice anticapitaliste de Comment épouser un milliardaire ? rédige une lettre à son futur enfant dans l’espoir de lui expliquer, en une heure, l’Histoire de l’humanité et, surtout, les ravages de la civilisation industrielle.

Du côté d’Étampes, elle nous lit aujourd’hui un extrait de son texte favori d’Oscar Wilde, L’âme humaine sous le socialisme (1891), bref essai dans lequel l’auteur anglais de La Ballade de la geôle de Reading prônait l’abolition de la propriété privée, la rébellion et la désobéissance.

Visuel © Porcherie, de Pier Paolo Pasolini (1969).

25 mars 2020

2:41

Wandrille : "Demain, on va tous changer de métier"

L’auteur, éditeur et professeur de BD chante la polyvalence en s’inspirant du « Scrameustache ».Cofondateur des éditions Warum, lauréat du prix du patrimoine au festival d’Angoulême 2016 pour sa réédition splendide de Père et fils de l’Allemand e. o. Plauen, ce scénariste, dessinateur et professeur de BD volontiers primesautier était sur le point de publier, le 22 avril, Le discours de mariage en mode sans échec (Albin Michel), recueil de techniques secrètes et de sujets à éviter sur cet exercice délicat, dont la sortie est repoussée.

Confiné à Paris sous une avalanche de fromage fondu, il rend hommage à la saga dessinée du Scrameustache, créée par le Belge Gos en 1972, mettant en scène un matou extraterrestre télépathe, en très bons termes avec le peuple des Galaxiens, dont la souplesse à l’égard du travail fait la joie de Pôle emploi depuis déjà dix siècles.

20 mars 2020

2:01

Thomas Vinau : "Demain, on empale les gourous"

Depuis son Lubéron habituel, le poète déclame un extrait vivifiant de son livre « Fin de saison ». « Militant du minuscule, le poète et romancier Thomas Vinau rassemblait dans 76 clochards célestes ou presque (2016), poursuivi depuis avec Des étoiles et des chiens (2018), une galerie de portraits d’artistes qui lui ont troué le cœur. Des « blessés fidèles à leurs blessures » et des « inconsolés qui consolent » et des « vents-debouts dans la défaite », tels Gil Scott-Heron ou Amy Winehouse.

Depuis sa ville de Pertuis (Vaucluse), il nous offre aujourd’hui lecture d’un passage de son livre à paraître, Fin de saison, annoncé pour mai chez Gallimard, pour lequel ce disciple de Richard Brautigan remercie Science et Vie Junior, Kafka, Bukowski et Pink Floyd, et que son attachée de presse situe quelque part entre le roman post-apocalyptique de Robert Merle, Malevil, et le beau drame rural et familial mis en scène par Jeff Nichols, Take Shelter. Hâte.

20 mars 2020

2:23

Xabi Molia : "Demain, sans nous ?"

Reclus en Bretagne, cet écrivain-cinéaste se demande si nous n’allons pas prendre goût à l’isolement.

Écrivain (Les Premiers) et réalisateur (Les Conquérants, Comme des rois), Xabi Molia, 42 ans, vient de terminer un roman intitulé Des jours sauvages, sur « une centaine de Français naufragés sur une île après avoir fui une épidémie de grippe qui ravage l'Europe », à paraître en septembre au Seuil (si tout va bien).

À noter qu’en 2011, il était déjà l’auteur d’Avant de disparaître, roman qui racontait l’histoire d’un « médecin chargé de traquer les premiers signes d'une maladie qui transforme certains de ses concitoyens en êtres bestiaux et assoiffés de violence. L'épidémie gagne du terrain. Assiégés par les infectés et retranchés derrière des fortifications de fortune, les survivants affrontent au quotidien les conséquences du désastre : chaos, pénuries, soupçons. »

20 mars 2020

2:08

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