Kévi Dona, un guide touristique parisien, s’est lancé il y a quelques années dans des visites guidées qui transmettent l’Histoire Noire de Paris, les personnalités et les luttes qui l’ont marquée. On l’a suivi dans une ballade sur la Rive Gauche…
Martiniquais, Kévi Donat s’est installé à Paris après être passé par Rennes. Guide depuis 15 ans à la capitale, il a créé un parcours de visite appelé le “Paris Noir Tour”, à partir d’un constat : les touristes parisiens ne connaissent pas l’histoire noire de la ville, qui l’a pourtant façonnée.
Kévi nous raconte qu’il y a quelques années, lors d’une visite guidée, un américain a pointé du doigt une photo d’Aimé Césaire, affichée sur le Panthéon, en demandant “who is this African-American ?” – “Qui est cet Africain-Américain”?. Aimé Césaire, écrivain et homme politique du XXe siècle, est en réalité martiniquais. Kévi Donat a réalisé qu’il fallait un lieu, un concept, une balade qui retrace ces personnalités, pour répondre à la curiosité insatisfaite, mais nécessaire, des visiteur·ices et habitant·es de Paris. C’est comme ça qu’il a créé la visite du Paris Noir, Rive Droite, Rive Gauche, et tout le long de la Seine.
Le Panthéon, symbole politique et lit d’Alexandre Dumas
À Paris, on commence la visite au Panthéon, près de l’appart d’Emily in Paris, mais loin de l’approche romantisée, blanche et stéréotypée de la série sur la capitale.
Monument préféré de Kévi, le Panthéon est en lui-même un symbole de liberté et d’émancipation : un temple dérobé à l’Église pour être confié à la République. C’est l’un des seuls monuments qui traite explicitement de la citoyenneté, des colonies, de l’esclavage à ses abolitions, en y accueillant la tombe de personnalités noires, ou des plaques dédiées. C’est le cas par exemple de l’artiste Joséphine Baker, du résistant Félix Éboué ou de l’écrivain Alexandre Dumas – qui contrairement à de nombreuses représentations médiatiques, était métis, descendant d’une esclave de la colonie de Saint-Domingue (actuelle Haïti).
La Sorbonne, hôte des intellectuel·les noir·es du XXe siècle
Lors de notre balade, on passe par la Sorbonne, université nichée dans le quartier très chic, étudiant et intellectuel du 5e arrondissement. “Il y a quelque chose je pense d’assez subversif à chercher une histoire noire de Paris, dans ce quartier, qui est un quartier intellectuel. Pour beaucoup de gens, y compris les parisiens, il ne peut pas y avoir d’histoire noire ici, puisque c’est le quartier des gens “intelligent””, explique notre guide.
Pourtant, des noms, il y en a plein. Kévi nous raconte les histoires du lieu, comme les débats d’étudiants venus des colonies françaises, ou la grande discussion en 1956 de plein d’intellectuels noirs du monde entier, le premier Congrès International des écrivain·es et artistes noir·es. Organisé par Alioune Diop, ce congrès a notamment réuni Aimé Césaire, Richard Wright, Maryse Condé et Frantz Fanon.
Si Kévi dénonce le manque (presque l’absence) de femmes de ces évènements intellectuels, il explique que c’est cependant la diversité d’origines, d’opinions et de cultures qui ont permis des débats riches et importants, dans cet espace qui promouvait la liberté intellectuelle.
“C’est comment d’être noir·e en France ?”
La visite guidée de Kévi passe par les beaux quartiers touristiques, comme par le Paris moins carte postale, Chateau Rouge, Barbès, la Goutte d’Or, qui ont aussi une histoire bien contemporaine.
Il souhaite répondre à la question qui interloquait aussi ses touristes américains : “C’est comment être noir·e en France ?”. Mais en tentant d’y répondre, il rigole en nous expliquant qu’il lui faudrait des années pour aborder cette question. Il explique en effet qu’il n’y a déjà pas “une” façon, comme il n’y a pas “un·e” noir·e. Son objectif, c’est surtout de re-dire et re-conter l’histoire un peu oubliée ou mise de côté, donner une manière différente d’appréhender la ville, et l’occasion de parler d’actualité.
L’histoire de l’esclavage colonial, une affaire de tous·tes
Après s’être arrêté·es au jardin du Luxembourg, où Kévi Donat nous raconte l’histoire des luttes et de la libération des noirs de l’esclavage colonial, on parle de ses interactions avec les touristes lors des balades. Il dit “au début (des visites guidées du Paris Noir), j’avais surtout des étudiant·es étasunien·nes des Black Studies” (études d’histoire, de sciences sociale et politiques noires). “Mais ça gagne en visibilité”, et donc en participant·es, avec de plus en plus de touristes qui s’intéressent à Paris, au sens large de son histoire.
Si vous en faites partie, le Paris Noir c’est tous les samedis en balade, en podcast et en librairie depuis ce matin !