Un polar nordique qui carbure à l’humour à froid : Refroidis est décapant.
Nils Dickman est un homme qui aime que tout aille droit. Jusque dans son boulot de conducteur de chasse-neige qu’il exécute consciencieusement : expulser sur le côté tout ce qui est lisse, qui empêche de voir au loin.
Lorsque son fils est tué, Nils n’est pas tant en rogne à cause de ce deuil mais parce qu’il découvre que son rejeton lui n’allait pas très droit, traficotait avec un clan de dealers. Ce gars très propre sur lui, à la limite du citoyen modèle, va se transformer en papy vengeur, descendant les uns après les autres, les truands, décimant leur ordre hiérarchique. Jusqu’à remonter à leur boss, Le Comte. Il est à la tête d’un empire de la drogue, mais surtout pas si éloigné de Nils, par son caractère méthodique, ou par un maitrise de soi assez glaçante. Surtout quand il s’agit de trucider des gens.
A chaque mort, un carton à l’écran façon R.I.P. Ils s’accumulent lorsque la mafia serbe entre en piste. Ce n’est rien de dire que le film d’Hans Peter Moland est nourri par un humour à froid, d’un noir des plus contrastant avec l’environnement (un bled perdu de Norvège enneigée) rutilant de blanc.
Refroidis tire à vue sur les usages du pays, ne racontant au travers de cette croisade sanglante rien moins que la crainte du changement, les angoisses d’un pays replié sur lui-même, voyant d’un mauvais oeil la montée de l’immigration. Un trait plus discret que l’hécatombe, mais présent en filigrane via les conversatios entre malfrats qui jasent sur ce qui se passe dans les pays étrangers ou sur des endroits plus voisins, comme les pays de l’Est, traités de « Singes au service de l’Europe« . La vraie cible de Moland est ce conservatisme galopant qui semble étouffer certains pays nordiques ces temps-ci.
On pourra aussi y voir les traces du roman noir nordique, cette école qui essaime depuis le triomphe des Millenium. Refroidis y emprunte le ton de sévère réquisitoire contre l’époque et ses moeurs sociales ou politiques délètère, mais le saupoudre donc d’un humour acerbe, tranchant. Notamment dans les dialogues qui n’auraient pas déparé chez les Coen voire chez Tarantino.
Ils sont d’autant plus percutants qu’énoncés par des acteurs qui savent jouer de solennité. Stellan Skaarsgard (à force de le voir chez Von Trier ou faire le pitre à l’arrière-plan de blockbusters comme les Thor ou Pirates des Caraïbes, même si vous ne savez pas prononcer son nom, vous connaissez sa trogne) ou Bruno Ganz (l’acteur allemand marmoréen emblématique de Wim Wenders ) contribuent autant à l’aspect loufoque du film se lançant des horreurs tout en restant drapés dans une impeccable dignité.
Ce sens du l’incongru brigue peu à peu, aussi, une forme de mélancolie, à force de voir ses deux pépés gagnés par la lassitude, se rendant bien compte de l’absurde de la situation, mais aussi qu’ils ne peuvent pas la freiner, qu’elle ira jusqu’au bout. Le décompte des morts (et pas seulement celles provoquées par Nils) n’est qu’un compte à rebours vers une morale grinçante, jusqu’au sens que finit par prendre le nom de son personnage principal -oui, Dickman a la même signification en argot anglais qu’en norvégien : couillon.
On en reviendra donc à la comparaison avec le cinéma des Coën. Comme si les pleines glacées de Norvège n’étaient pas si éloignées de celles du Minnesota de Fargo. A la différence près que si les auteurs de No country for old men ont pris depuis quelques films une facheuse tendance au sardonique, à enfoncer leurs personnages, Moland, éprouve malgré tout de la compassion pour Nils. Refroidis y gagne son ton de fable sombre mais pas curieusement chaleureuse.