Omid J. refuse d’assister à la destruction de l’histoire culturelle d’Afghanistan par le régime taliban. Depuis sa chambre, à San Francisco, cet anonyme parcourt chaque recoin d’Internet à la recherche d’archives audiovisuelles afghanes (presque) oubliées. Omid J. garde tout, numérise, diffuse et c’est beau ! Un homme face à l’obscurantisme.
Un homme seul, dans une chambre de San Francisco, contre le régime des talibans. Omid J., dit Omid Vinyls, est un collectionneur afghan-américain qui veut sauver l’histoire culturelle de l’Afghanistan. Alors, chaque soir, en rentrant de son travail, Omid J. farfouine l’immensité d’Internet en quête de… tout. Émissions de télé, radios, cassettes en tous genres, vinyles, vidéo… La liste peut continuer encore longtemps. Obstinément, il numérise, archive, diffuse et surtout, rassemble. Des années passées à rassembler les sons, les souvenirs et les images qui ont défini son pays, pour finalement les partager sur Instagram ou YouTube. Des trésors qui risquent aujourd’hui d’être détruits à jamais par le régime taliban au pouvoir.
« J’étais fasciné par les sons, même si je ne les comprenais pas complètement »
Depuis qu’il a entrepris ses travaux herculéens, Omid J. refuse de révéler son nom complet, pour ne pas mettre en danger ses proches encore installés en Afghanistan. Pas étonnant : c’est la famille de l’archiviste qui a profondément influencé son projet. Dans les colonnes de son portrait réalisé par New Lines Magazine, Omid J. raconte en quoi son grand-père fut déterminant dans son lien avec les archives cinématographiques, radiophoniques et télévisuelles afghanes : “C’était un poète de langue pachto. Je garde encore le souvenir de ces soirées passées avec lui, qui me demandait de prendre une cassette, de la mettre en marche pour l’écouter. J’avais 4 ou 5 ans et j’étais fasciné par les sons, même si je ne les comprenais pas complètement”.
Cette musique, c’était celle des fêtes, et des mariages, transmises par des artistes tels qu’Ahmad Zahir, légende de la musique des années 70 et idole de Omid J. La culture des K7 était hyper présente à l’époque, notamment grâce au travail des studios afghans qui en produisaient à la chaîne. L’arrivée des communistes en Afghanistan, en 1978, a mis un terme à la popularité du support. Celleux qui ont fui ont emmené leurs K7 avec eux.
Le retour du régime taliban et l’héritage culturel afghan en péril
À la naissance d’Omid J., en 1995, la Guerre soviétique d’Afghanistan était terminée depuis 6 ans, et les talibans étaient au contrôle du pays. Fin 2001, les États-Unis envahissent l’Afghanistan, qu’ils occupent pendant deux décennies. Le retour des talibans au pouvoir en 2021 constitue un tournant. L’interprétation stricte de la loi islamique par le régime taliban met en péril les pratiques culturelles et les expressions artistiques du pays. Jugée “immoral”, la musique est purement et simplement interdite. Les écoles de musique ferment toutes et les femmes ne peuvent plus chanter. Plus personne n’entend jouer la rubab, cet instrument typique fabriqué à partir de bois de mûrier séché collecté dans le désert, parfois incrusté de nacre et joué lors de célébrations.
Le travail d’archiviste d’Omid J. prend donc une urgence inédite. Ce dernier est sûr : « à un moment donné, [les talibans] s’attaqueront à l’héritage culturel de l’Afghanistan. […] Ils ont appris à cacher des choses, et cette fois, ils ne feront pas les mêmes erreurs. C’est terrifiant. Ils sont d’une intelligence tordue, et ils savent exactement comment tout détruire”.
Archiver pour les générations futures
Heureusement, même face à un régime tout entier, personne n’est vraiment seul sur Internet. Depuis quelque temps, Omid J. raconte avoir créé un réseau international de collectionneurs appartenant à la diaspora afghane, particulièrement en Iran et en Allemagne, sur lequel il peut s’appuyer pour dénicher de nouvelles découvertes obscures… Et comme ces trésors culturels sont trop précieux pour ne pas être partagés, l’archiviste vient de lancer, avec le DJ Taīz Nawab, Anaristan Saaz, un label indépendant destiné à rééditer ces musiques sorties de l’oubli. À long terme, l’objectif d’Omid J. serait de créer un musée en ligne en impliquant d’archivistes acharnés, pour “rendre ces ressources accessibles aux générations futures”.