Veille de 1ᵉʳ mai, on pense aux pavés arrachés à chaque manifestation. On profite de l’occasion pour vous parler de ce patrimoine de l’indignation – et de l’insurrection.
Les Parisiens n’aiment pas trop passer sur les rues pavées à vélo ou en talon. Mais pendant les manifs, elles sont pas mal appréciées. Pour preuve : après chaque manifestation, des agents de propreté de la ville sont mobilisés spécialement pour remettre en place les pavés. Les résidents de notre beau pays de la guillotine arrachent les pavés pour les faire projectiles, signes de leur colère. C’est un vrai patrimoine ! Alors quand ils ont tous disparu Rue Lepic à Montmartre il y a quelques semaines pour se faire remplacer par un bitume tout gris, les cœurs parisiens ont directement crié au scandale.
Les tweets s’indignent depuis sur X de cet “horrible bitume”, demandant où sont passés les pavés historiques. Rage et colère de Paris, un début d’incendie d’opinion suffisamment prometteur pour que la Mairie de Paris doive l’éteindre en garantissant que les pavés seront remis. Elle assure et rassure : ce seront les mêmes pavés que ceux qui ont été enlevés.
Une tradition française aussi vieille que la baguette
Preuve qu’on y tient à nos pavés patrimoniaux ! Ce n’était pas gagné : aujourd’hui révolutionnaires, c’est d’abord le gouvernement qui a mis les pavés dans les mains du peuple. À l’origine, ils ont été installés pour assainir les rues de la capitale, remplacer la boue puante de la terre battue par un truc un peu plus propre. Puis au XIXe siècle, ils sont devenus un enjeu d’ordre dans les rues : les préfets et les architectes (comme le célèbre Haussmann, préfet et architecte sous Napoléon III) souhaitaient construire une ville propre, aérée, saine… et contrôlée. Le pavé répondait au souverain. Donc, quand les citoyens s’en emparent dans la révolte, la symbolique politique qui l’entoure se renverse.
Le jet de pavé est un sport insurrectionnel qui ne date ainsi pas de mai 1968. Les communards, à la fin du XIXe siècle, jetaient déjà des pavés contre les forces de l’ordre. Il y a même eu un journal baptisé “Le Pavé” qui publiait en 1868. 100 ans donc avant les révoltes étudiantes de 1968, 150 ans avant les Gilets Jaunes. On continue de perpétuer la tradition, et probablement que demain, jour de la Fête du Travail, les pavés seront arrachés lors du traditionnel cortège qui l’accompagne.
Le jet de pavé, un sport national qui devient business
Dès le lendemain de la Commune de Paris (1870-1871), des morceaux de barricades étaient vendus aux touristes, en souvenir de cette révolution sanglante.
On n’a pas tant changé finalement, puisque qu’on continue aussi cette tradition : une entreprise parisienne lancée par une jeune citadine a fait de la revente de pavé son business. Elle propose des pavés à 60 euros de l’unité, achetés aux chantiers de la Mairie de Paris. Certains sont même recouverts à la feuille d’or, ce qui rentabilise bien les pavés à 8 centimes d’origine puisque les prix montent à 150 euros la pièce. Quand la révolution s’embourgeoise…