L’expérience du film à la musique.
C’est un festival qui est en train de devenir une véritable institution, une des initiatives les plus pertinentes entourant les problématiques de la musique à l’écran. : F.A.M.E (Film and music expérience). Pour sa 3e édition, le festival revient plus éclectique et riche que jamais. La Gaîté lyrique acceuillera à nouveau une compétition de films étoffée, des premières internationales, des séances spéciales, des films rares, des rencontres avec les réalisateurs, des conférences et des concerts.
Du 10 au 13 Mars, ce sont une série de réflexions et de documentaires sur la musique qui se succèdent dont certains retiennent particulièrement notre attention.
A commencer par
Inside the Mind of Favela Funk, réalisé par Fleur Beemster et Elise Roodenburg
Une plongée dans le monde du Favela Funk, musique ouvertement pornographique issue des quartiers déshérités de Rio de Janeiro. Fleur Beemster et Elise Roodenburg abordent leur sujet frontalement, sans fausse pudeur, traduisant les paroles plus qu’explicites des chansons. Il n’est question ici que de sexe, dans sa forme la plus crue et la plus misogyne. À la rencontre, dans leur environnement quotidien, de musiciens, danseurs, managers ou simple fans, c’est surtout à travers le regard des filles que les réalisatrices abordent leur sujet. Comment trouvent-elles leur place dans ce déluge porno ? Quelle place reste-t-il à l’amour, dans ce monde de filles-mères, de revenge porn, et de femmes objets sexualisées à outrance ? Si certaines réagissent par la surenchère, en essayant de percer dans le milieu du funk par les mêmes armes que les hommes, d’autres s’interrogent et continuent à espérer l’amour dans un environnement dominé par les gangs, les armes et la drogue. Un film cru, direct, qui laisse parfois sonné par sa brutalité, mais qui pose un regard calme sur la situation, sans jugement moralisateur et reste à l’écoute de ses interlocuteurs, de leurs interrogations et de leurs aspirations. Un miroir implacable tendu à la société brésilienne, et à la vie brutale dans les favelas.
La Nuit de Julien Selleron
Portraits croisés de trois oiseaux de nuit parisiens. De fêtes d’appartement en bars de nuit, l’éternelrecommencement des dérives nocturnes, où l’on se réinvente, se cherche, s’oublie. Julien Selleron met en place un dispositif à la fois souple et radical, suivant caméra au poing ses protagonnistes à travers leurs nuits parisiennes. Derrière une porte, autour d’une table, au bout d’un fil de sms, on y croise des inconnusou des visages familiers, des appartements avec piscine pour bains de minuit, des fêtes qui n’existent pas, d’autres où l’on s’ennuie et que l’on quitte aussitôt, ou l’acteur porno et réalisateur HPG qui tente une performance maison. Mais la nuit est aussi le lieu d’un certain langage, et c’est ce qu’enregistre avec une redoutable précision Julien Selleron ces mots de la nuit, cette logorrhée nocturne, faite d’ivresse et de vantardise, d’introspection et de doutes, de séduction et de vannes. À travers ce film entièrement nocturne, c’est bien évidemment un portrait en coupe de la société contemporaine qui se dessine, ce sont les aspirations et les craintes des personnages qui s’expriment – la place que chacun se trouve, lesinterrogations sur la vie, les angoisses face à l’avenir. Et le statut particulier du jour qui se lève, promessed’espoir ou fin du rêve, renouveau éternel ou gueule de bois. Julien Selleron, d’abord assistant réalisateur de Chantal Akerman, Sébastien Lifschitz ou Gaspard Noé, devenu depuis réalisateur et chef opérateur, signe avec La Nuit son second long métrage documentaire, après Made in China (F.I.D Marseille, 2005).
Field Niggas de khalik allah
Le 10 novembre 1963, Malcom X, dans un discours resté célèbre, rappelait la distinction à ses yeuxfondamentale entre les esclaves des maisons et les esclaves des champs. D’un côté des “House Negros”dévoués à leurs maîtres, bénéficiant de privilèges. De l’autre des “Fields Negros” refusant toute allégeance et constituant des masses prêtes à se soulever pour mettre fin à tous les châtiments qu’elles subissaient. Le jeune photographe new-yorkais Khalik Allah a décidé de tendre son objectif vers les Field Niggas des temps modernes. Au coeur de Harlem, à l’angle de la 128ème Avenue et de Lexington Avenue, il a passé du temps avec les esclaves d’aujourd’hui : personnes sans domicile fixe, toxicomanes, dealers, prostituées, la plupart en prise avec une nouvelle drogue de synthèse (la Cannabinoid K2). Il les filme au plus près. Sous la lumière crue des néons et des enseignes, des visages se dévoilent. Des corps abîmés, des parcours cassés, des regards parfois vides. Loin des caricatures, loin des clichés qui dépeignent ce territoire telle une zone de non droit, Khalik Allah s’attache au contraire à la part d’humanité de cette société du pavé. Héritier de Bruce Davidson ou de Goya et de ses “monstres”, il encapsule avec son Reflex numérique une communauté humaine qu’on ne veut plus regarder en face. Loin d’esthétiser en slow motion ces êtres parfois déformés par l’existence, il en montre bien au contraire lalumière et la vérité, jusqu’à la crudité la plus nue. Un shoot intense.