L’histoire de deux points de bascule de l’Histoire, des années 1960 franco-algériennes à une Roumanie de 1989
Le Nouvel An qui n’est jamais arrivé : une Roumanie en cocotte-minute
Au moment où les régimes autocratiques se réimposent sur la carte mondiale, rien ne vaut une piqure de rappel de l’histoire récente. Par exemple celle de la Roumanie quelques heures avant la chute de Ceausescu à une poignée de jours du passage à 1990. Le pays est encore à la botte du « Conducator » mais commence à trouver des cailloux dans sa chaussure. Ce Nouvel An qui n’est jamais arrivé superpose six personnages entre peur de la répression et envie de libertés. D’une actrice forcée de participer à un show de la télé d’état à un ouvrier dont le fils a demandé comme cadeau dans sa lettre au père noël la mort de Ceausescu, tous sont au désespoir, mais prêts à se lancer dans un geste quasi-kamikaze de défiance du pouvoir. Cette envie de changement se propage aujourd’hui dans un film réfutant le cinéma roumain officiel qui suffoque depuis longtemps dans des travers auteurisants, laissant infuser dans un filmage figé ses allégories. Ce Nouvel An qui n’est jamais arrivé est bien plus frontal, faisant monter une pression de cocotte-minute en multipliant les tonalités, de la comédie grinçante au suspense. Plus il avance, plus ce film choral sait faire gronder l’histoire collective d’un pays par celles plus petites, plus intimes. Depuis ce Noël 1989, Ceausescu est tombé, mais la Roumanie a encore du mal à se relever. Que les récits d’un début de révolution populaire passent désormais par celle d’un cinéma renonçant à son hiératisme pour être plus accessible est un bon signe…
Le Joli Mai de la fin de la guerre
Hasard des sorties, en parallèle de celle de Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé, réapparaît un autre film sur une période annonçant une bascule fondamentale. En 1962, Chris Marker se balade dans un Paris où résonne la fin de la guerre d’Algérie, dans un premier temps micro-trottoirs enregistrant les réactions des parisiens sur ce soulagement, Le Joli Mai s’empare aussi d’un autre moment, de cinéma celui-ci, en incorporant les débuts de la Nouvelle Vague. Marker et son équipe réduite, tournent pour la première fois en son direct, captant ainsi la voix d’une rue, qui détonne soixante-trois ans plus tard, par sa spontanéïté mais aussi dans la possibilité de s’exprimer pleinement, dans des plans-séquences qui tiennent aujourd’hui de la science-fiction tant les débats actuels sont privés de nuances ou de respirations. D’anecdotes hilarantes en prise concrètes avec une nouvelle réalité sociale, Le Joli Mai devient fascinant témoin d’une France en cours de transformation, pour une agora intemporelle où il est déjà question d’urbanisation, de lutte des classes, coût de la vie ou même de crise du logement et de féminisme. Trace concrète de l’ébullition des années 60, ce documentaire particulièrement vivant prend aujourd’hui bien plus que ceux d’un air du temps, le pouls d’une Histoire qui continue à se faire aujourd’hui.
Ce Nouvel An qui n’est jamais arrivé, Le Joli Mai. En salles le 30 avril