Ça y est : le Centre Pompidou ferme ses portes au public. Avant cinq longues années de travaux, l’institution a choisi de tirer sa révérence en beauté. Les artistes du label Because et les équipes du musée ont uni leurs forces pour métamorphoser, durant quarante-huit heures, les huit étages de Beaubourg en un immense laboratoire d’expérimentations. À l’occasion des vingt ans du label, un line-up exceptionnel a enflammé les lieux pendant deux soirées consécutives. Et le samedi soir, surprise : Fred Again.. débarque à l’improviste avec la moitié de Daft Punk pour un b4b improvisé en compagnie de Pedro Winter et Erol Alkan, un moment qui restera gravé dans les mémoires.
Beaubourg : mi-musée, mi-club éphémère
Familles, quarantenaires branchés, nostalgiques de l’âge d’or de la French touch, amateurs de musique électronique, ou encore curieux de l’art contemporain et de l’histoire de Because se pressent dès le samedi à Beaubourg, devenu le temps de quelques heures à la fois musée et club-éphémère. Expériences immersives, installations, performances, conférences, showcases, roller disco (oui oui), projections cinématographiques : chacun y trouve son compte, d’autant plus que l’accès en journée est gratuit.
Le bâtiment, déjà vidé de ses collections en prévision des cinq années de fermeture pour rénovation (ça va être long), offre un décor exceptionnel : des espaces immenses, épurés, presque vides, avec ici et là quelques éléments de mobilier. Au deuxième étage, où se font face les installations sonores et visuelles de Thomas Bangalter et de Justice, subsistent encore les vestiges des anciens niveaux de la Bibliothèque publique d’information (BPI). Le contraste entre la grandeur des volumes et le vide laissé par les œuvres d’art créent ainsi un espace singulier, idéal pour des installations de grande envergure, où on se plaît étrangement à flâner.
La French Touch ou l’Art contemporain
Depuis le hall, le long couloir d’accès mène jusqu’à l’installation de Thomas Bangalter (CAMERA / MAN). Deux écrans en vis-à-vis, minimalistes, diffusent deux vidéos tournées à 19 ans d’écart, et nous plongent dans une ambiance presque méditative, pulsée par une bande sonore ambient. Le visiteur entre, se laisse porter, puis s’arrête, se retourne. Le silence initial, la latence de la matière visuelle et sonore, tout concourt à créer une expérience introspective qui interroge le destin de l’Homme à l’aune de l’avènement de l’intelligence artificielle.
Côté ambiance club, la queue s’étend : à l’entrée de l’étage de la BPI, tout à droite, une foule se masse pour assister au « faux-vrai » concert de Justice, baptisé sobrement IRIS AUGMENTED : A Space Opera by Justice (2019). Une véritable arène musicale où dialoguent spectacle visuel et performance sonore. Deux écrans immenses, disposés en miroir, projettent un live de Justice dont la puissance sonore recouvre l’espace, tandis que lasers et stroboscopes, parfaitement synchronisés, plongent le public dans une immersion totale. Résultat : un pari gagné pour “faire vivre Justice” autrement.
Entre concerts et déambulations
Le lieu, désormais transformé, change de visage au fil des heures. La nuit, les Escalators, baignés de néons rouges, deviennent un passage presque cinématographique : on monte, on descend, encore et encore, pour passer de l’installation de Thomas Bangalter à un concert de Christine and the Queens, ou simplement pour errer entre les étages, indécis face à la profusion de shows. Et des concerts, il y en a. Sébastien Tellier, Maureen, Midas the Jagaban, Shygirl, spill tab… toute la galaxie Because est là, épaulée par le label Ed Banger, qui présente aussi une exposition dédiée à sa collection de T-shirts et à l’univers visuel de son directeur artistique, So Me. Ensemble, ils assurent un flux continu de performances et de sensations musicales. Si bien que sur les terrasses, à tous les niveaux, certains ont trouvé un refuge pour fumer une cigarette, respirer l’air ou regarder la foule se précipiter.
Le hall principal achève de devenir un DJ-set gigantesque : surélevés, des DJs surplombent l’ancienne boutique de souvenirs, séparés du dance-floor par un grand écran lumineux. Les verres de vin à 5 € circulent et coulent à flot. La soirée est sur le point de monter d’un cran. Pour l’occasion, le Centre Pompidou s’est paré d’une scénographie hors-norme et d’une fosse monumentale, à la hauteur de cette dernière nuit de célébration.
Héritage, hommage, continuité : la boucle est bouclée
Le samedi soir, le line-up (de taille) affiche complet : c’est le label Ed Banger qui prend les commandes. Mayou Picchu ouvre la danse, suivie d’un vitaminé b2b entre Myd et Sofia Kourtesis, d’un set survolté de Pedro Winter et Erol Alkan et d’un closing signé Tatyana Jane, nouvelle recrue du crew Ed Banger, qui a fait vibrer les murs du centre pour les courageux – baskets crades, sueur dégoulinante et tâches de bières dispersées sur des t-shirts bien trop blancs pour l’évènement – restés danser jusqu’au dernier frisson de la nuit. Entre hommages aux pionniers de la French Touch et projections vers les sons de demain, la soirée tisse un pont entre deux époques et célèbre à la fois l’héritage et l’avenir de la musique électronique. Mais le meilleur reste à venir…
La réunion de Fred Again.. et Bangalter et une soirée devenue légende
Aux alentours de 2h40, l’ambiance atteint un nouveau palier : Fred Again.. surgit sur scène. La veille encore, il mixait à Lyon dans le cadre de son USB Tour — et le voir apparaître dans les entrailles de Beaubourg a l’effet d’une déflagration. À 2h50, le nom de Thomas Bangalter s’affiche sur les écrans géants derrière les platines. La foule se resserre, les cris montent, l’adrénaline sature l’air. Ce qui suit tient du mythe : un b4b à huit mains, aussi inattendu qu’historique entre Bangalter, Fred Again.., Erol Alkan et Pedro Winter. Quatre générations de la musique électronique réunies, le temps d’un instant suspendu. Bangalter glisse son edit de « Signatune » de DJ Mehdi, en hommage à son ami disparu. Un moment de grâce au cœur d’un musée qu’il avait côtoyé, à ses débuts, lors des soirées Armistice avec un certain Guy-Man. Des moments fondateurs pour ce qui deviendra l’un des duos les plus emblématiques de la musique électronique.
D’un coup, un extrait du JT d’Yves Mourousi, évoquant la création du centre et de son corolaire en recherche acoustique, l’IRCAM résonne dans la salle. Puis, ces mots extraits du discours de Jacques Chirac enveloppent le dancefloor. Une habile mise en abyme : le lieu qui ferme ses portes se raconte lui-même, juste avant de s’éteindre pour cinq ans. Bangalter lance « Contact ». La soirée trouve son souffle.
Vers 5h du matin — profitant du passage à l’heure d’hiver qui offre une heure de répit supplémentaire — retentit « The End » de Justice. Un final évocateur porté par Tatyana Jane et Pedro Winter, accompagnés de Kay The Prodigy, dans une communion totale.
La foule, lessivée mais exaltée, s’abandonne à ce dernier morceau comme à un adieu. Ou plutôt à un au revoir. À dans cinq ans le Centre Pompidou.

