Mercredi, sur une des scènes du Printemps de Bourges, le compositeur Edouard Ferlet rendait hommage à l’impro culte du pianiste Keith Jarrett, l’année des 50 ans du Köln Concert. L’hommage a été créatif, original et technologique.
En novembre 1975, il y a presque 50 ans, le pianiste Keith Jarrett sortait ce qui est aujourd’hui son plus grand succès : l’album live du Köln Concert. C’est l’un des albums les plus écoutés de l’histoire du jazz, avec 4 millions d’exemplaires vendus.
Le live fut enregistré à l’Opéra de Cologne le 24 janvier 1975, en Allemagne, lors d’un concert qui n’aurait même pas dû avoir lieu. Tout commence quand Keith Jarrett arrive à l’Opéra, épuisé, et découvre un piano défectueux. Il n’a pas du tout envie de jouer. L’organisatrice finit par le convaincre, et le voilà sur scène, décidant que rien ne se passera comme prévu. Les premières notes sont cultes : un “sol” qui monte au “ré”, descend à “do” puis à “sol” et remonte au “la”… C’est en fait la sonnerie d’appel des spectacles de l’Opéra de Cologne. Après ces notes amusantes, l’auditoire assistait à ce qui reste encore un grand moment de musique.
Naît ainsi un concert en improvisation magistrale… que personne ne filmera. L’absence d’images nourrit le mythe et rend l’enregistrement plus mystique encore.
50 ans après, un piano sous IA dialogue avec Keith Jarrett
Mercredi 16 avril, sur l’une des scènes du Festival du Printemps de Bourges, un autre grand moment s’est joué. Sur la scène du conservatoire, trônaient deux pianos : un piano droit et un quart-de-queue. Derrière eux, au sol, une structure lumineuse en arc de cercle. On attend impatiemment l’artiste, mais la musique commence sans lui, et peu à peu, on réalise que les touches du piano droit bougent seules, comme si un être invisible donnait le concert.
L’étrange sortilège s’explique : le piano est en réalité mécanisé par un dispositif d’intelligence artificielle, nourri du travail d’une application. Celle-ci est un fruit scientifique de l’IRCAM, l’Institut de recherche et coordination acoustique et musique, mais aussi du laboratoire de sciences informatiques du groupe Sony. Et toute cette manigance poétique et impressionnante est née sur une idée du Printemps de Bourges Crédit Mutuel, dans l’esprit d’Edouard Ferlet, qui bientôt arrive sur la scène, s’installe au piano à queue pour dialoguer avec ce piano IA.
Plus Ferlet est créatif, plus le piano-IA l’est aussi
Sur scène, Edouard Ferlet crée un dialogue entre les deux pianos, prouvant que l’intelligence artificielle peut être un outil artistique passionnant. La performance raconte un peu le Köln concert, il y a des bouts du solo de Keith Jarrett de 1975, des séquences préétablies et des improvisations d’Edouard Ferlet. Chaque fois, le piano-IA répond, et plus le compositeur est inventif, par exemple en allant frotter ou taper les cordes de son piano, plus le piano sans pianiste l’est aussi.
Edouard Ferlet n’en est pas à son coup d’essai et a déjà repoussé les limites de l’improvisation. Il avait déjà joué avec une intelligence artificielle en 2022, avec qui il collaborait sur un même clavier pour son disque PIANOÏD.
Elles se font rares, les belles nouvelles concernant l’intelligence artificielle et la création artistique.