La nouvelle a été annoncée le premier avril, et pourtant c’est bien vrai : Jean Lassalle va fouler les planches pour un one-man-show, quelque mois après celui de Dupond Moretti. À l’Assemblée Nationale, à Matignon, à la Maison-Blanche ou à la présidence de l’Ukraine, on voit les frontières se brouiller entre la société politique et la société du spectacle, théâtrale et instagrammable.
Il est de moins en moins rare de voir débarquer en politique des personnages bien loin des bots de l’ENA. Trump depuis la télé, sa ministre de l’Éducation sort de la célèbre fédération américaine de catch, pendant que le président ukrainien Zelenski avait captivé l’Ukraine sur grand écran et qu’un ancien champion de MMA se présente aux présidentielles en Irlande. Tous, toutes passent des projecteurs à une scène politique qui, il faut le dire, est un genre de spectacle. Les politiques sont un peu des intermittent·es avec des cravates : capter l’attention de l’auditoire, posture, voix, image et punchlines… Depuis l’Agora de la Grèce Antique, où les citoyens débattaient, votaient, faisaient politique… jusqu’à l’agora de TikTok et ses codes bien à elle.
Un one-man-show de Jean Lassalle, par Jean Lassalle
En France, on n’est pas en reste non plus. Après le one-man-show de l’ancien garde des Sceaux Eric Dupond–Moretti, en janvier dernier, l’ancien premier ministre Gabriel Attal a joué son propre rôle dans la série Askip sur France Télévision. En voilà un de plus, et son nom va vous surprendre (comme disent si bien les titres racoleurs) : Jean Lassalle se met aussi au one-man-show. L’ancien député des Pyrénées-Atlantiques et ancien candidat à l’élection présidentielle va monter sur scène à Paris, au théâtre de la tour Eiffel en octobre 2025.
Il a sorti l’info le premier avril, et nous ne sommes pas les seul·es à avoir d’abord cru à une farce, mais l’info a été confirmée quelques jours plus tard. Le spectacle s’appelle « Jean dans la salle : mes anecdotes d’une vie » et retrace depuis la naissance de ce bébé de 4 kilos 9, jusqu’à la politique, en passant par ses galères à l’école. Ce spectacle est l’archétype parfait d’un enjeu plus large : la perméabilité du monde de la politique et de celui du spectacle.
Le nouveau Théâtre du Palais-Bourbon
A l’Assemblée Nationale, nos députés jouent le jeu : ils se provoquent, ils s’interpellent, ils crient. En tout cas, c’est ce qu’analyse un rapport publié en janvier par l’Observatoire du Bien-Être (OBE). En utilisant l’intelligence artificielle, trois économistes (Yann Algan, Thomas Renault, Hugo Subtil) ont étudié près de deux millions de discours prononcés à l’Assemblée entre 2007 et 2024. L’enquête s’intitule « La fièvre parlementaire : ce monde où l’on catche ! » et on y trouve l’idée d’une « assemblée-spectacle » : en 2014, 22% des discours appartenaient au registre émotionnel plutôt qu’argumentaire. Entre 2022 et 2024, c’est 40%. On lit que le registre émotionnel est plutôt négatif, avec des interventions de député·es qui ne visent plus à proposer et développer des réflexions, mais à “attaquer des ennemis”. Pour les partis du RN et de la FI, la colère représente même 75% de la rhétorique. Les économistes parlent de “conflictualité surjouée”, on peut y comprendre qu’exagérer la colère que peuvent ressentir les citoyen·nes serait un moyen de les amener à adhérer au discours. À l’heure où les vues, les likes et les partages ont un impact, un enjeu considérable, il est utile de rendre ses discours percutants et instagrammables.
L’assemblée nationale, un “studio d’enregistrement”
Il n’y a non plus une mais deux séances de questions aux gouvernements depuis quelques mois. Peut-être par ce que les vraies questions sont minoritaires ? Toujours selon cette étude, la majorité des interventions étant désormais des interruptions de parole et critiques. L’étude aborde ce sujet en qualifiant l’Assemblée de “studio d’enregistrement pour réseaux sociaux”, avec un formatage des interventions à 150 mots, l’équivalent d’une minute. C’est le format idéal pour un post sur TikTok ou Instagram. Les député·es sont réthoriques dans leurs questions, réflexions et présentations, ne s’adressant plus à leurs collègues mais aux followers. Selon les trois économistes de l’étude, le but est d’”exciter les émotions des followers”. Il est sûrement aussi d’en attraper par un story telling humanisant ou une glamourisation des acteurs politiques.
L’Agora des réseaux sociaux
On lit dans l’étude que “tout se passe comme si les codes des réseaux sociaux avaient contaminé le coeur même de la démocratie représentative”. En effet, presque tous les acteurs politiques ont leur compte Instagram. Depuis 2017 et l’arrivée de Macron à l’Élysée, on reçoit dans notre téléphone une nouvelle génération de politiques, qui adoptent les codes des réseaux pour capter l’attention des jeunes. On peut par exemple trouver E. Macron présentant des “FAQ” (frequently asked questions, ou foire aux questions) sur son compte Instragram, concept principalement utilisé par des influenceur·euses. Pendant les législatives de 2024, Tik Tok regorgeait de montages vidéos de discours passés au ralenti sur musique épique ou sensuelle, avec ajouts de cœurs explosant au milieu de centaines d’étoiles… Ces vidéos qu’on appelle des « edits » ont un rôle : glamouriser des politiques ; d’extrême-droite d’abord (nombre de jeunes ont ainsi voté Bardella aux européennes « parce qu’il est stylé »), avant que les jeunes partisans du Nouveau Front Populaire n’imitent la tendance pour faire connaître leurs figures.
La mise en scène politique ne se joue donc plus dans l’Agora, sauf si elle est instagrammable. Alors est-ce que le théâtre gronde comme un symptôme des indignations grandissantes légitimes d’un monde en crise ? Ou est-ce que tout ça est une trump-isation mortifère ? Ça, ce n’est ni l’IA ni Jean Lassalle qui nous le diront.