Le 8 octobre 1980, les Talking Heads, emmenés par Tina Weymouth, Jerry Harrison, Chris Frantz, David Byrne et Brian Eno sortent l’album qui marquera véritablement le début de la décennie. Un condensé d’une multitude d’influences musicales — de l’Afrobeat de Fela Kuti, en passant par le Funk et le Rock — aux arrangements ingénieux et au groove obsédant. Indémodable, « Remain In light » est un album… tout simplement culte !
Brian Eno, catalyseur du son Talking Heads
À la fin des années 1970, les Talking Heads font une rencontre décisive : celle de Brian Eno. Son influence sur la direction artistique de Remain in Light sera déterminante. C’est au cours de leur première tournée européenne — portée par le succès de Psycho Killer — qu’Eno découvre le groupe lors d’un concert à Londres, en 1977. Impressionné par leur son et leur énergie, il se rapproche rapidement de David Byrne. Peu après, il décide de produire leur deuxième album, enrichissant le son jusque-là minimaliste du groupe et mettant en avant leurs influences issues de la musique noire.
Avec Remain in Light, Eno pose les bases d’une fusion psychédélique inédite : afro-funk, électro, ambient, musique tribale, rock, soul, new wave et punk. Une alchimie radicale pour l’époque, portée par une frénésie créative et des expérimentations techniques encore inégalées.
Ce sera pourtant sa dernière véritable production pour les Talking Heads, même s’il participera ensuite au double live The Name of This Band Is Talking Heads en tant qu’assistant ingénieur du son.
Improvisation et innovations : les coulisses d’un son culte
Après une période de travail séparé (Byrne collaborant déjà avec Eno sur un autre projet), Chris Frantz et Tina Weymouth proposent de reformer le groupe pour improviser ensemble.
Entourés de plusieurs musiciens — notamment des percussionnistes — les Talking Heads passent alors de longues heures à jammer en studio, pour renouer avec la création collective. Ces sessions d’improvisation deviendront la base des morceaux de Remain in Light.
Séduit par les démos instrumentales, Eno replonge dans l’aventure. Sa démarche expérimentale transforme ces jams enregistrés aux studios Compass Point, aux Bahamas (avant des retouches à New York), en nouvelles structures sonores.
Dans Once in a Lifetime, par exemple, la célèbre ligne de guitare — souvent attribuée à Adrian Belew, ancien musicien de Frank Zappa — et d’autres textures naissent d’un usage intensif des delays. Byrne lui-même manipule parfois ces effets numériques pour créer des solos atypiques, où la guitare devient texture plutôt que mélodie.
Le groupe joue les mêmes motifs à répétition, introduisant de subtiles variations — particulièrement dans Houses in Motion, Crosseyed and Painless ou The Great Curve.
Les boucles sont ensuite découpées et assemblées en post-production, créant une alchimie hypnotique. Cette rigueur d’exécution, inspirée des Oblique Strategies d’Eno (cartes incitant à l’expérimentation), est l’une des clés du son unique de l’album.
Côté écriture, Byrne traverse une période de doute. L’inspiration lui manque, jusqu’à ce qu’il change d’approche : muni d’un magnétophone, il improvise des phrases, sons et onomatopées, laissant le sens émerger du flux verbal. Certaines expressions — comme « The Heat Goes On » — proviennent d’éléments trouvés au hasard, souvent des titres de journaux lus avec Eno. Ce processus instinctif ancre profondément la symbiose entre paroles et musique.
Un live mythique
Remain in Light se révèle aussi sur scène. En concert, la complexité de l’album devient un torrent rythmique qui emporte le public dès les premières notes. L’enregistrement du 18 décembre 1980 à Rome en est la preuve : la puissance collective du groupe y atteint un sommet.
Pour recréer la richesse sonore de l’album, les quatre membres s’entourent d’un ensemble élargi : Adrian Belew à la guitare, Bernie Worrell (de Funkadelic) aux claviers, Busta Jones à la basse, Steve Scales aux percussions et Dolette McDonald aux chœurs.
À neuf sur scène, les Talking Heads livrent un spectacle à la fois dansant, précis et visionnaire. Une expérience totale, entre euphorie rythmique et chaos maîtrisé, reflétant la confusion de Byrne face à un monde saturé d’informations et de technologie.
Un album toujours moderne
C’est l’ensemble — le fond, la forme, la démarche et le résultat — qui fait de Remain in Light une œuvre culte, toujours éclatante de modernité quarante-cinq ans après sa sortie.
Vendu à plus d’un million d’exemplaires, l’album a profondément marqué la musique alternative, électronique et le rock expérimental, notamment par son approche rythmique novatrice fondée sur les polyrhythmes, les boucles et les textures sonores.
En 2017, il a été inscrit au National Recording Registry de la Library of Congress pour sa « valeur culturelle, historique ou esthétique » exceptionnelle.

