Dès cet automne, les étudiant·es de l’Université de Yale pourront s’asseoir en amphi’ pour recevoir des cours de Bad Bunny. Sortez les Bristols, on revient sur l’essentiel.
Comme nous, vous vous trémoussez certainement sur Weltita, qui tourne dans la playlist de Radio Nova. L’album entier « Debí tirar más fotos« , (« J’aurais dû prendre plus de photos ») sorti le 5 janvier dernier, a fait le tour du monde. Il est même passé à la première place des ventes en France. Mais Bad Bunny est bien plus qu’une machine à hits (même si il est aussi une machine à hits). Et le fait qu’il soit si visible, en tant que personnage public, a déjà eu un impact sur la société, à en croire son introduction dans le cursus scolaire de l’université de Yale. À l’automne prochain, les étudiantes et étudiants pourront suivre le module « Bad Bunny: Musical Aesthetics and Politics », traduisez « Bad Bunny : Esthétiques Musicales et Politiques. »
Au programme : reggaeton, héritages portoricains, identités…
C’est le professeur d’études américaines et migrations Albert Laguna qui a eu l’idée du module de cours. Il raconte au Yale Daily News qu’en écoutant l’album, il a pensé que “chaque morceau ouvrait une porte vers des sujets de société qui me touchent profondément”. La thématique de ses origines et de la colonisation traverse toute l’œuvre de l’artiste aux origines portoricaines. Ça commence dès les toutes premières notes de la première track de l’album, « NUEVAYoL » (au programme du cours d’Albert Laguna) : un sample de “Un Verano en Nueva York”, succès international de la salsa portoricaine des années 1970 (en espagnol, “un été à New York”).
Dans le morceau, notre Benito Antonio Martínez Ocasio (aka Bad Bunny) chante : “Comment ça, Bad Bunny va-t-il devenir le roi de la Pop, avec Reggaeton et Dembow ?” Le Dembow, c’est un style musical un peu dérivé du Reggaeton, et la réponse est oui, Bad Bunny est bel et bien une mégastar. Ses deux dates parisiennes à la Défense Arena en Juillet 2026 ont fait sold out en quelques minutes seulement, avec des listes d’attentes de centaines de milliers de personnes.
« Un queso sin queso » : La sensation de perdre l’identité portoricaine
Bad Bunny a refusé, pour des raisons politiques, de produire un seul concert aux États-Unis lors de sa tournée mondiale. Son album a véritablement résonné sur son île natale, plongée dans une crise fiscla,e sociale, politique depuis 2006, et qui se sent dépossédée de son identité nationale.
À la sortie, le disque est accompagné d’un court métrage (que l’on vous met juste au dessous). Un vieux monsieur nous y vante le Porto Rico d’autrefois, puis nous emmène à travers des rues où l’on parle un anglais très USA, jusqu’à un comptoir où une serveuse américaine lui propose « a cheeseless quesito », un feuilleté au fromage sans fromage », et un menu très américanisant, pour une addition bien salée. Une absurdité mise en scène qui montre bien comme la population portoricaine se sent dépossédée.
Les États-Uniens investissent dans l’immobilier, implantent leurs entreprises à Porto-Rico et transforment ainsi des quartiers entiers. La gentrification, la corruption, le mauvais fonctionnement des institutions poussent beaucoup de portoricain.es à partir construire leur vie ailleurs. L’ancien gouverneur Ricardo Rosselló parlait même d’un bel avenir avec un « Porto Rico sans Portoricains » ( il a ensuite dû démissionner, notamment en raison de propos homophobes et sexistes).
“L’album joue sur la nostalgie d’un Porto Rico d’autrefois, et interroge cette notion d’identité portoricaine face à cette dépossession non seulement physique, mais aussi culturelle”, explique l’historien Jorell A. Meléndez Badillo, qui a rédigé les notes historiques qu’on voit sur les visuels des morceaux de l’album. Dans son livre « Puerto Rico, a national History », il retrace l’histoire de Porto Rico depuis les sociétés précolombiennes jusqu’à Bad Bunny lui-même, en mettant en lumière les communautés historiquement marginalisées : mouvements ouvriers, féministes, LGBTQ+. Il s’agit de comprendre le présent grâce à l’histoire, et aussi d’imaginer des futurs possibles, et c’est aussi la démarche de l’album de Bad Bunny.
L’album a ainsi non seulement éduqué le monde sur l’histoire et les problématiques actuelles de Porto-Rico, mais il a aussi été un refuge pour les natifs. C’est tout cet impact de l’existence même de Bad Bunny dans le paysage public, notamment les questions de migrations, d’identités et d’esthétique musicale, qui seront explorées par les étudiant·es de Yale.
Avant lui : Beyoncé, Taylor Swift et Aya Nakamura dans les Universités
L’Université suit de près l’impact des mégastars de la pop sur la société. En ce moment, il y a même des cours sur Beyoncé, dans le module intitulé « Beyoncé fait l’histoire : histoire, culture, théorie et politique de la tradition radicale noire à travers la musique« . L’ENS (École Normale Supérieure) déjà avait organisé un séminaire sur la chanteuse. L’Université Harvard avait quant à elle choisi l’année dernière d’intégrer Taylor Swift au programme scolaire.
Dans notre douce France aussi, les études sociologiques de star évoluent. En 2015, 250 étudiants de l’université de Paris-Sud avaient eu à commenter une citation de Booba pendant un partiel d’ »Introduction à la Gestion et aux Sciences de l’Organisation« , ce qui avait enflammé la toile de polémiques sur la place des figures de la musique populaire à l’Université. Plus récemment, en octobre dernier, l’Université Rennes 2 a instauré un module sur Aya Nakamura : l’artiste incarne une chanson française et un langage en constante évolution.
Alors ne sous-estimons pas l’impact des mégastars de la musique sur notre société. parfois, il suffit que quelqu’un existe, soit visible, pour qu’il change le monde, au moins un petit peu.