La “Haskell Free Library and Opera House” est debout depuis 1904. C’est un lieu où on lit, où on discute, et où on traverse les frontières (littéralement). La Bibliothèque est posée à cheval sur la frontière Etats-Unis/Canada et devient ces dernières semaines un lieu symbolique des ping-pongs nord américains.
L’histoire de ce bâtiment en brique est politico-poétique. La particularité de cette bibliothèque, installée dans le petit village frontalier d’Haskell il y a maintenant 121 ans, s’observe très clairement si vous prenez une vue satellite. C’est quoi, ce trait qui traverse littéralement la librairie-opéra ?
C’est bien le trait officiel qui délimite la frontière entre les États-Unis et le Canada. Et ce n’est pas un hasard : elle a été érigée ici volontairement, pour questionner (voir bousiller) l’idée même de frontière. À l’intérieur, entre les étagères de livres, un ruban noir matérialise très concrètement cette limite bafouée par le lieu. Le ruban traverse aussi l’opéra, si précisément que vous pouvez assister à une pièce de théâtre ou une performance poétique, assis sur un fauteuil, avec une fesse dans chacun des deux pays différents.
Une frontière plus tendue
Depuis la réinvestiture de D. Trump à la présidence des États-Unis, les valeurs du lieu sont piétinées à coup de chaussure de golf. Il a d’abord annoncé que l’entrée principale de la bibliothèque, située dans le Vermont, serait prochainement fermée aux Canadiens et Canadiennes. Il se justifie en abordant la lutte contre le trafic illégal, le lieu permettant de faire passer de la drogue. Même s’il y a bien eu en 2018 une centaine d’armes à poing transférée d’une frontière à une autre par la bibliothèque, on ne compte pas de preuves à ce jour de tel trafic. Toujours est-il qu’une interdiction d’entrée a été mise en vigueur aussitôt, avec un poste frontière à passer obligatoire pour tout canadien.ne qui voudrait entrer lire dans sa bibliothèque préférée.
Le mois dernier, la secrétaire américaine à la Sécurité intérieure, Kristi Noem, a sauté par-dessus le ruban noir qui matérialise la frontière en rendant visite au lieu. À ce moment, elle a lancé « 51e État ! » en référence à la fixation que fait Donald Trump sur l’annexion du Canada. Depuis plusieurs semaines, des journalistes et défenseur·euses du lieu se présentent en réponse au deux entrées de la bibliothèque.
Point de rencontre de familles séparées par les visas
C’est Martha Stewart Haskell qui doit se retourner dans sa tombe. Cette philanthrope canadienne a financé la création du lieu, avec le rêve de créer un lieu de culture et d’art où les deux peuples voisins pourraient construire ensemble les générations futures. Le lieu reposant aujourd’hui principalement sur des bénévoles, il a évolué dans le sens de ces valeurs. Le journal The Guardian raconte même que la bibliothèque a servi quelques décennies plus tard de point de rencontre pour des familles séparées à cause d’histoires de visas. En 2018, des Iraniens interdits de voyager aux États-Unis ont pu embrasser leurs proches entre les piles de livres….
La bibliothèque fait appel aux dons, et espère que la présence des défenseur·euses continuera.