Adapter Stephen King ou un obscur roman néerlandais n’est pas une chose facile. En faire des très denses portraits de groupe encore moins.
Life of Chuck, de Stephen King à Mike Flanagan
On s’est peut-être trompé sur Stephen King. Depuis bientôt cinquante ans, l’auteur de Carrie, Shining, Ça et autres brouettes de best-sellers en ont fait un grand nom de la littérature fantastique, mais si on creuse un peu, derrière l’imaginaire cauchemardesque, c’est essentiellement un esprit, certes inquiet, mais humaniste qui émane de ses textes. Peu de cinéastes l’ayant adapté sont allés dans ce sens. Jusque-là, ça se comptait sur les doigts de la main parmi une pléthore de films. Il y avait Stand by me et son regard sur l’innocence adolescente ou Dead Zone et son medium malgré lui essayant d’empêcher une 3ᵉ guerre mondiale. On pourra désormais y rajouter Life of Chuck. À partir d’une des plus courtes nouvelles de King, Mike Flanagan extrait la douceur plutôt que l’horreur.
Le récit d’une apocalypse en cours, perturbée par l’apparition de messages célébrant un certain Chuck mue en réflexion sur le sens de la vie, mais surtout sur un appel à outrepasser ses peurs pour pouvoir pleinement s’accomplir. À l’écrit cela infusait dans une chronologie éclatée, à l’écran, c’est un carnet de route s’attardant sur plus de détails pour signifier l’importance de petits gestes. Flanagan amplifiant la part cosmique de ce carpe diem, culminant dans une extraordinaire scène de danse ou un comptable ordinaire décide de se lâcher. Life of Chuck émerveille dans ce type de moments d’immense pureté. En atteste une voix-off qui demandera « Que peuvent apporter des réponses supplémentaires si l’on vit des bons moments ? ». Soit le signe que cette fable existentielle est parfaite puisqu’elle n’a même plus besoin de philosopher.
« A Normal Family », une immersion noire et ironique dans les strates d’un foyer sud-coréen
A Normal family carbure, lui, aux questionnements. L’immersion dans les strates d’une famille sud-coréenne invite les notions de morale et d’éthique à la table de deux frères. L’un est avocat qui a pour client un homme qui a causé un accident plongeant une gamine dans le coma dont s’occupe l’autre qui est chirurgien. Un dilemme renforcé par crime provoqué en commun par leurs enfants respectifs. Faut-il les dénoncer et le remettre à la justice ou dissimuler les faits pour ne pas ruiner des vies qu’ils passeraient en prison ?
A la base de cette histoire, il y avait un roman néerlandais. Adapté au contexte sud-coréen, il devient impressionnante vision en coupe de cette société, du rapport de classe comme machine à déclassement, à la pression pesant sur les adolescents. Le tout figé dans des rituels sociaux spécifiques, véritable carcan social se fissurant un peu plus à chaque séquence. Noir et ironique à la manière d’un Chabrol des grandes heures, jusque dans ce titre acerbe, A normal family joue sa parti de ping-pong d’échanges cruels entre les deux frères, où chacun va connaître de redoutables revers, avant que le terrain du film ne s’élargisse au pourrissement non pas d’un modèle familial mais d’une société redoutable quand la normalité y devient celle d’un individualisme destructeur au point d’avoir évacué toute empathie.
Life of Chuck, A normal family en salles le 11 juin.