Marcel L’herbier futuriste du cinéma.
Réalisé en 1923, ce film exceptionnel ressort en version restaurée chez Lobster Film avec l’aide de CNC et de la maison Hermes. Il fallait ça pour ce monument méconnu du cinéma d’avant-garde français.
D’abord, ce film nous rince la tête des excès d’aujourd’hui : 3D, effets et autres montages à la mitrailleuse, rythme halluciné des blockbusters américains schizos.
Là, lenteur et plan-séquences semblent au ralenti, et exercent un effet hypnotique.
Ce long opéra muet est dotée d’une musique moderne allant de percussions et bruits jusqu’à une sorte de Jazz cool et sinueux. D’après Darius Milhaud, un certain Aidje Tafial a enregistré cette bande son hors du temps, un siècle après Fernand léger au décor, Robert Mallet Stevens aux architectures et intérieurs, Paul Poiret aux costumes et aussi Jean Lurçat , Pierre Chareau, René Lalique aux meubles et objets… Marcel L’Herbier est allé chercher les stars de son époque .
Toutes ces énergies finissent par se sentir : chaque plan est une architecture, chaque cadrage une photo ou un tableau moderniste, chaque lumière ou détail contribue à étonner, éloigner de la réalité… Enfin les teintes rouge, bleu, et or-sepia achèvent cette étrange symphonie qui alterne entre le rétro absolu et des fulgurances que l’on n’atteint plus aujourd’hui.
L’époque, suite au cubisme, au futurisme, au suprématisme était obsédée par la pureté, l’absolu, le maximum des formes et des idées. Un modernisme violent exacerbé, caricatural fait de géométrie et de dynamisme.
La science avait fait péter les têtes avec la « Fée Electricité », le téléphone, mais aussi la radio, et surtout les radiations du Radium naissant, que l’on allait utiliser comme peinture, laque et crème lumineuse et qui allait faire beaucoup de victimes !
(Pierre et Marie Curie furent aussi irradiés)
Mais les poètes, stylistes et artistes crurent à la science magique, au super pouvoir de la technique, mélangée à une bonne dose d’occultisme, de superstitions et d’exaltation devant la chimie, la médecine, les ondes, le « mesmérisme » !
Et le scénario de l’Inhumaine est imbibé de cette passion scientifico-magique : on y voit même de la « télévision », nommée comme telle, et le rêve de la radio mondialisée , le grand voyage des sons et des images !
Il s’agit vraiment d’une direction de pensée que le monde a effleuré puis quasiment abandonné . Un regard anachronique ou raffinement, décadence et science font un ménage à trois paradoxal.
Un idéalisme tourné vers la beauté et la rédemption de nos vices par les découvertes scientifiques ! Las science peut purifier le monde, lui enlever ses lourdeurs, le débarrasser de ses erreurs, arracher les êtres au péché par un véritable ré-enchantement de la nature domestiquée.
Une architecture moderne de béton et de verre, des bolides, des avions, des dirigeables, de nouveaux traitements miracles de radiologie… On croirait un manifeste des futuristes italiens vantant le progrès, la vitesse, les mégalopoles.
Partout dans le monde, cette foi dans le progrès va donner des œuvres peintes, sculptées, photographiées et filmées. Ce sera Fritz Lang, Murnau, Chaplin, tous fascinés par les villes illuminées, les paquebots et la vitesse, les inventions.
Des hommes gominés en smoking et des garçonnes emplumées avec fume cigarettes dans des intérieurs noir et blanc, aux reflets argentés, éclairés par des néons en forme d’éclair, rêvant de modernisme effréné, d’ omnipotence des techniques, dans un monde devenu éthéré, c’est aussi ça « L’Inhumaine »
Marcel L’Herbier a vraiment projeté mentalement, puis sur pellicule, un futur esthétisant et sans limite qui n’a pas vraiment eu lieu , mais qui fascine encore.
Coffret avec un Blue Ray et 2 DVD . + un livret illustré avec historique .
Lobster Film . Environ 19 euros)