C’est la rentrée pour tout le monde, y compris l’incontournable festival dédié aux « autres » cinémas…
Est-il encore besoin de rappeler à quel point L’étrange festival est une fondamentale bouffée d’air ? Depuis 19 ans, cette manifestation s’évertue à aller fouiller en dehors des sentiers battus, marcher en dehors des clous pour présenter non pas un, mais des cinémas différents, ceux qui réfutent le formatage des formes et des sujets, ceux qui osent la transgression dans une époque où la production mainstream persiste à se peletonner dans des propos ou une morale propres sur eux.
Ne pas se fourvoyer pour autant, si L’étrange festival est riches en films trash, séries B (ou Z) réexhumées, exubérances en tous genres, sa fonction n’est pas (seulement) de proposer des séances défoulatoires et bon enfant, ni de satisfaire un public venue s’encanailler ou en quête de sensations fortes. Au gré des années, c’est quelque chose de bien plus important que ces plaisirs -non négligeables en soi- qui s’est échafaudé : une manière de contredire les histoires officielles du cinéma, de rappeler l’absolue importance de ses marges pour sa bonne tenue.
En ramenant à l’avant plan des films, genres et cinéastes qui ont souvent été parqués dans l’ombre, ou honnis, en ne s’interdisant rien (ou presque), faisant fi des barrières culturelles et surtout en laissant le libre arbitre à ses spectateurs de placer un jugement moral ou non sur ce qu’ils voient, L’étrange festival fait oeuvre de résistance, voire de manifeste politique crucial dans une époque où l’ouverture d’esprit ne cesse de se rétrécir. Soit un bastion précieux, que ce soit pour ne pas oublier que le cinéma s’est aussi construit dans ses à-côtés. Ne dérogeant pas à ce crédo, cette 19e édition affiche un menu gargantuesque. Petit tour d’horizon :
Inédits et avant-premieres
Sous l’apparence d’une collection de curiosités, c’est bien un état des lieux du monde (et du cinéma) qui se profile. Notamment avec des nouvelles d’une Amérique vacillante, entre une famille partagée entre dévoration religieuse et cannibalisme (We are what we are), une autre qui se décompose à coups de flingues plus qu’elle ne se recompose (Blue ruins) et une dernière qui prend des chemins lynchiens (The rambler). Même le regard de biais de Quentin Dupieux sur la police locale (Wrong cops) fait rire jaune.
Le reste du monde ne va pas beaucoup mieux : corruption jusqu’à l’os en inde (Ugly, nouveau film d’Anurag Kashyap – Gangs of Wasseypur– trèèèèèèès loin des rites bollywoodiens) ou en Russie (The Major, fantastique polar, à la fois sur les traces du Carpenter d’Assaut et du James Gray de La nuit nous appartient), bavures redoutables en Israël (Big bad wolves). L’allemagne réécrit un catéchisme à coups de tatanes dans la gueule (Tore Tantzt et son Jesus Freak prêt à tout endurer puisque c’est la volonté de Dieu) …
Même à distance (Europa report et son groupe d’astronautes qui se déchirent sur une lune de Jupiter), la tendance est au noir… Voire à l’apocalypse, si on en juge par l’aussi phénoménal que noir segment de V/H/S 2 signé Gareth Evans (The raid)… La solution? Peut-être prendre des champignons comme les troufions médiévaux d’A field in England, le nouveau Ben Wheatley (Kill List) qui grimpe très haut niveau hallucinations : on jurerait y voir une résurréction du cinéma frénétique et psychédélique de Ken Russell.
Cartes Blanches
Albert Dupontel profitera de la sortie de sa nouvelle (et très chouette) comédie, 9 mois ferme -en salles le 16 octobre- pour venir présenter une poignée de films de son choix. Et démontrer une cinéphilie aussi variée que de bon goût (La chienne de Renoir, All That Jazz de Bob Fosse et les deux pièces maitresses que sont Folies de femmes d’Erich Von Stroheim et Elmer Gantry, le Charlatan de Richard Brooks). Que des cinéastes classiques en apparences, mais dont Dupontel a choisi les oeuvres parmi les plus singulières). Sans oublier l’ahurissant Mystery of leaping fish, court métrage de 1916 où Douglas Fairbanks joue un privé déchainé (au nom plus qu’évocateur : Coke Ennyday) s’enfilant des kilos de poudres pour mener son enquête.
Si certains des films choisis (The widower, Freak Orlando, Wesley Willis’s joy rides) par Jello Biafra (leader des Dead Kennedys) sont inconnus de nos services, au vu de ceux que l’on connait (Passeport pour l’enfer, bouleversante chronique du sort des Boat people, Les 5000 doigts du Dr T, alternative frappadingue au Magicien d’Oz qui annonçait trente avant, l’univers de Tim Burton ), on lui fait confiance…
Focus Stephen Sayadian
Peut-être la section incontournable de cette édition. On a longtemps connu Stephen Sayadian, un ancien directeur artistique de Larry Flynt, sous le pseudo de Rinse dream, concepteur d’un dyptique porno majeur: Café Flesh et Night Dreams. Le premier, réalisé au tout début des années 80, se déroulait dans un monde divisé en deux catégories suite à une irradiation : les « négatifs » qui ne pouvaient plus baiser sous peine de tomber malades et les « Positifs » qui eux pouvaient. Les premiers allant voir les seconds se produire dans un cabaret pour réduire leurs frustration. rien qu’en ayant prophétisé les années Sida, Cafe flesh décroche la mâchoire. Les autres films de Sayadian (Night dreams mais aussi son fantastique Dr Caligari, fausse-suite du classique du cinéma expressionniste allemands) nécéssiteront pas mal de kleenex. Autant pour s’essuyer l’entrejambes que les yeux, qui seront éblouis par un incroyable sens du surréalisme et du baroque.
Hommages
On reconnaitra dans le choix d’avoir invité Martine Beswick et Caroline Munro, la volonté de l’équipe de L’Etrange festival de ne pas se fier aux à priori. Sur le papier Beswick et Munro sont des scream-queens, ces potiches au physique de bombasses qui ne faisaient que passer dans des séries B. La réalité est bien plus complexe, surtout en ce qui concerne Beswick, dont il faut oublier les deux apparitions en James Bond Girl (ne cherchez pas, c’est dans Opération Tonnerre et Bons baisers de russie) ou en femme préhistorique en bikini de peau de bête dans 2 millions d’années avant J.C, pour se souvenir que sa filmographie est truffée de grands films malades de la Hammer ou de westerns spaghettis politisés. Une piqure de rappel se fera avec les projections de Dr Jekyll et Sister Hyde, version transgenre, avant même quelle terme n’existe, du classique de R.L Stevenson et El Chuncho, fantastique spaghetti zapatiste faisant le triste bilan de la révolution mexicaine.
Le cas Munro est sans doute plus problématique, vu ses rôles de Pin-up, mais elle présentera tout de même des films marquants et cultissimes que ce soit l’effrayant Maniac ou Star Crash le rip-off italien de Star Wars. Et ne manquera sans doute pas d’anecdotes croustillantes à leur sujet…
On pourrait encore passer des heures à vanter les mérites des autres sections de cette édition: les Nuits – Une consacrée aux Bad Girls avec deux raretés japonaises (009-1 et Boulevard des chattes sauvages) sommets de culture pop inédits en France, l’autre à Divine, l’égérie de John Waters, où l’on verra le très attachant docu I am Divine– les documentaires (ne pas manquer That’s sexploitation, évocation d’un genre plus dense qu’olé-olé), mais ce serait vous empêcher de vous ruer sur la billeterie – les séances de L’étrange festival sont aussi légendaires pour leurs contenu que pour leur capacité à être très rapidement sold out.
Vite, vite, il n’y aura pas de places pour tout le monde…
Au Forum des Images, du 5 au 15 septembre.