Envoyées à la cour royale anglaise ou observées par un fantôme, les familles sont dans de beaux draps…
« God Save The Tuche » : un exercice pataphysique singulier
Et si ce qui rendait populaire une comédie tenait de ses anomalies ? Sur le papier Les Tuche ne rentre dans aucune case, et pourtant depuis 2011 et aujourd’hui cinq films, la famille la plus décalée du cinéma français est désormais devenue une sorte de doudou du public. Peut-être parce qu’elle a un effet rassurant sur une société de plus en plus clivée. Les Tuche, eux, font toujours bloc, gardent un regard très ouvert sur l’extérieur. Ils pourraient bien même être devenus une famille modèle d’intégration, quand on y trouve un couple qui reste soudé, une grand-mère qu’on ne met pas à l’Ehpad, un fils homosexuel ou une fille mère célibataire d’un enfant métis, sans que cela ne pose aucun problème. Les Tuche c’est à la fois l’esprit Bidochon et le bon sens progressiste dans un contexte fantasque. Cette fois-ci, les voici partis à la rencontre de la famille royale anglaise dans un cinquième opus qui, mine de rien, bouscule certaines règles. God Save The Tuche, pousse en effet le curseur un peu plus loin, la chronique bienveillante de la France profonde s’ouvrant plus pleinement à des gags exogènes donnant visa aux univers des Monty Python, Nuls ou Robins des Bois (l’implication plus conséquente d’un Jean-Paul Rouve, ici devant et derrière la caméra ainsi qu’à l’écriture, expliquant peut-être cela). De quoi propulser God Save The Tuche vers un ton encore plus particulier où le fil rouge d’une intrigue n’a plus aucune importance, le récit se faisant roue libre, ravi de faire des sorties de route, d’expérimenter parfois jusqu’à l’épuisement, des vannes et situations toujours plus absurdes ou enfantines. Là où le volet précédent se perdait à essayer avec trop sérieux de raconter quelque chose autour de l’esprit de Noël, celui-ci s’assume comme pur exercice pataphysique au service d’une poésie du loufoque aussi hilarante que ronge-cerveau. À ce niveau de singularité, on peut même commencer à parler de French Tuche.
« Présence » : cette fois, c’est le point du vu du fantôme
La touche Steven Soderbergh tient, elle aussi, à l’envie de sortir des clous. Depuis Sexe Mensonges et Vidéo, le réalisateur américain n’a jamais cessé de contourner, désosser les codes narratifs ou de production pour des films aux airs de prototype. Avec Présence, il s’attaque au film de fantômes pour en renverser les proportions : le point de vue unique sera celui d’un spectre qui observe l’installation d’une famille dans une maison. Sans révolutionner le principe de la caméra subjective, cette idée de mise en scène immersive est brillamment orchestrée au point d’embobiner le spectateur qui ne se rend pas compte du leurre : Présence exprime avant tout une famille disloquée, aux membres de plus en plus éloignés les uns des autres, rassemblés uniquement par une maison aux fondations plus solides que les leurs. Décevant pour ceux qui s’attendraient donc à un pur film d’épouvante, Présence sait cependant faire parcourir un véritable frisson : celui d’une inattendue mélancolie en assurant que les vertus rassurantes du Home Sweet Home cher aux américains sont devenues fantomatiques, ne peuvent plus protéger les cellules familiales des barreaux d’une crise de civilisation.
God Save The Tuche, Présence. En salles le 5 février.