Deux films noirs dont l’esthétique se répond.
LES RAPACES ( Greed). D’ Erich Von Stroheim (1924)
EN QUATRIEME VITESSE ( Kiss me deadly) de Robert Aldrich(1955) D’après Mickey Spillane
A trente ans d’écart, deux chefs-d’œuvre du film noir semblent se répondre, en symétriques opposés : la fresque étirée de Von Stroheim sur l’âme humaine avide et sauvage , et le polar d’Aldrich ultra speedé, meurtrier et violent, se terminant sur une apocalypse.
Mais les deux films, tirés de romans connus, débouchent sur la même conclusion: l’être humain prêt à tout pour l’argent, le pouvoir ou tout autre miroir aux alouettes, pourvu que ça brille.
Avant d’être l’acteur européen incarnant l’officier prussien à monocle et mentonnière, le viennois Erich Von Stroheim fut un réalisateur hollywoodien renommé et unique, talentueux et mégalomane.
Après bien des péripéties sur ses premiers films, souvent censurés et coupés (comme « la veuve joyeuse » ou il dépeint décadence, fétichisme, dégénérescence et obsession), il est viré de la Universal et aussitôt engagé par la MGM, il propose au studio ce projet « greed » , c’est à dire « avidité » et traduit par « les rapaces ».
C’est un drame, mais il y a violence, meurtre, descente aux enfers et règlements de compte au fond de la « death valley », désert impitoyable, donc pour moi c’est un polar baroque qui se finit en western.
La vraie version de Stroheim durait huit heures ! Record pour un film muet, avec une psychologie très poussée et des détails d’une exactitude maniaque, tourné exactement sur les lieux indiqués par le roman.
Avec ce film, c’est la fin des réalisateurs moghuls tout puissants à la Griffith, auxquels Hollywood ne refusait rien. L’époque des producteurs et des grands studios arrive… Et les rapaces se verront réduit à 3 heures 40 par Stroheim, puis à 2 heures 20 par les studios.
Grande saga de l’âme humaine, les rapaces débute comme une vie semi rurale de pionniers, avant de gravir les marches du drame une à une, puis de sombrer dans un expressionisme de film noir et de terminer encore plus tragiquement sous un soleil écrasant et des images presque surexposées, brûlées par la lumière et la passion.
Trente ans plus tard, Robert Aldrich lui aussi un réalisateur fort et en vogue avec « Bronco apache » et « Vera Cruz » propose un film impossible. Une histoire sombre, violente, invraisemblable.
Le héros facho et macho de Mickey Spillane, Mike Hammer, doit servir à Aldrich de caricature du Mac Carthisme, mais le film devient vite un policier à la hache, très expressionniste, pathétique, avec femmes sensuelles et action non stop.
Cadrages fort, marqués, presque toujours de nuit…La photo de Ernest Laszlo reste un modèle d’efficacité et de vigueur. On compare le film à « La dame de Shangai » d’Orson Welles : noir, sensuel et énigmatique, avec une fin inoubliable.
« Les rapaces » sont un modèle de symphonie lente et angoissante, mais sans pitié, qui fera date et laissera une version culte malgré les coupes, et « en quatrième vitesse » va aussi marquer les esprits et laisser un objet ramassé et explosif comme une grenade, dans la mémoire du cinéma.
Si vous aimez les incendies et les explosions…
Réedition DVD :
_ »Les rapaces » (Greed) de Eric Von Stroheim. 1924
Coffret avec bonus, making of, cartes postales, bandes annonces etc. Distribué par Bach films
_ « En quatrième vitesse » (Kiss me Deadly) de Robert Aldrich. 1954 DVD MGM .Distribution Darkstar