En Irlande ou au Maroc, on est toujours rattrapé par le bled.
Demandez à n’importe quel journaliste cinéma quelle est sa pire crainte professionnelle et il y a de grandes chances qu’il vous réponde : de devoir interviewer un acteur ou un réalisateur irlandais pur jus, tant leur accent est généralement aussi épais qu’une pinte de Guinness. La culture irlandaise n’est pourtant pas de la petite bière, c’est même un ancestral sujet de discorde nationale. Il est remis au goût du jour par Kneecap, surprenant film revisitant la genèse de l’authentique et éponyme groupe de rap, formé par deux jeunes branleurs dont un fils d’un militant de l’IRA parti dans le maquis de la clandestinité. Ils reprennent sa lutte en s’affichant défenseurs d’une langue gaélique bannie par les anglais. En termes d’identité de cinéma, Kneecap serait à l’Irlande ce que Trainspotting fut à l’Ecosse, ou Snatch à l’Angleterre : un film revendiquant sa part de morgue fanfaronne un peu punk dans son esprit de provoc ou son envie de péter les rotules des règles narratives, à la fois désinvolte et politique, cash et ludique. Mais totalement dédié à son humeur de révolte émeutière face à l’engourdissement conservateur. Même ceux dont les oreilles seraient écorchées par les sonorités du gaélique auront de quoi se retrouver dans les tribulations potaches de ces deux zozos insoumis appliquant une gouailleuse théorie du chaos pour décrasser les esprits.
Il y a aussi un père dans Sur la route de papa. Mais surtout un fils, issu de l’immigration qui a profité de l’ascenseur social pour déserter la cité. Devenu architecte, mais surtout un « beurgeois », il va devoir renouer avec ses racines quand le voilà forcé d’accompagner sa mère pour des vacances au bled en embarquant au passage épouse et enfants. Sur le papier, Sur la route de Papa semblait nouveau rejeton des comédies « marseillaises « façon Les Segpa ou Sous écrous, ne serait-ce que par la présence de Redouane Bougheraba en tête d’affiche. Une fausse route quand ce roadtrip familial prend pas mal de déviations pour s’écarter d’une écriture feignante et des habituels quiproquos de théâtre de boulevard néo-fokloriques. Si Sur la route de papa, roule parfois au même diesel que la Renault 21 break où s’entasse cette famille, elle sait sortir de son coffre une valise de résilience pour raconter autrement l’immigration, exprimer avec une inattendue franchise ses conflits de génération comme de loyauté, faire une mise à jour des questions d’assimilation culturelle et sociale. Dans une période rendue électrique par l’instrumentalisation politico-médiatique de ces sujets identitaires, que Sur la route de papa trouve le verbe pour se faire complément réconciliateur n’est pas la moindre de ces qualités.
Kneecap, Sur la route de Papa. En salles le 18 juin