Si vous marchiez à Nantes, ces derniers jours, il n’est pas impossible que vous aperceviez dans la nuit des cerfs luminescents, une muse chatoyante qui s’est échappée de son monument, des chimères et un mouflon disparu… Des effluves magenta, cyan, doré dans le ciel. Le Voyage en Hiver a commencé.
Qui pense qu’il n’y a pas grand-chose à faire à Nantes en hiver n’y a jamais mis un pied. En pleine effervescence du festival Culture Bar Bars (qui, comme son nom l’indique, peuple les bars de culture, de concerts), Nova a arpenté la ville et ses lumières, dans tous les sens du terme. La quatrième édition du Voyage en Hiver a commencé et les œuvres sont partout dans la ville.
Il y a le marché de Noël traditionnel et l’Autre Marché, il y a le sapin de la place Graslin et les cerfs, les chimères, les muses luminescentes perchées aux balcons, il y a le manège déjanté de la place du Bouffay, baptisé « Les carottes sont cuites », une chorale qui chante Madcon, Nino Ferrer ou les Turtles devant les musées et les théâtres. Il y a des cloches cosmiques qui dessinent un chemin merveilleux autour des bâtiments importants de la ville.
Le Voyage en Hiver, c’est un projet qui reflète bien l’âme de Nantes, laisser l’art prendre la rue, l’offrir à tout le monde, remplir les musées d’expositions captivantes (« Sous la pluie » au musée d’art, « Dans les plis des cartes » au Lieu Unique, « À coeur ouvert » au Musée Dobrée, la programmation du Théâtre Mixte qui rouvre pour l’occasion). « Nantes, c’est presque une femme, assez rock, très jeune, en tout cas jeune d’esprit », s’amuse Sophie Lévy, la directrice du Voyage à Nantes, successeure de l’agitateur Jean Blaise. « Une femme qui s’appuie sur son histoire, mais qui accepte de considérer que les créateurs contemporains ont le droit de réinterpréter cette histoire. Ils le font avec beaucoup d’attention aux symboles de la ville, et beaucoup de créativité. »
La nuit je vois : chimères
Il faut lever les yeux au crépuscule pour apercevoir les créatures comme cette chimère inspirée du décor de la façade du Muséum d’Histoire Naturelle, une création imaginaire sur un lieu de savoir, qui a titillé la curiosité de l’artiste Vincent Olinet. Il en a fait une installation du parcours lumineux de la ville qui s’appelle « La nuit je vois ».
Des figures disparues reviennent en fantômes lumineux
Sur les grands théâtres, il n’est pas rare d’apercevoir 9 muses. Thalie pour le théâtre, Erato pour la poésie, Calliope pour l’épopée, Euterpe pour la musique, Polymnie pour la philosophie, Clio la muse de l’histoire, Melpomène de la tragédie, Terpsichore pour la danse et Uranie, muse de l’astronomie et l’astrologie. Mais à Nantes, Uranie n’a jamais trôné sur le théâtre, et les historiens ne savent pas avec certitude pourquoi. Vincent Olinet fait revivre cette muse chaque hiver, comme un joli fantôme luminescent coloré, accoudé au balcon de l’immeuble en face du Théâtre, à regarder ses sœurs.
Une autre figure renait grâce à ces illuminations : l’un des deux mouflons qui trônaient dans le Jardin des Plantes de Nantes avant la 2de guerre mondiale. Les statues gigantesques de 3,50 m de haut ont été fondues, pour récupérer leur métal. « On ne les connaissait plus qu’à travers les cartes postales » explique Irène Gillardot, de la Direction du Patrimoine et de l’Archéologie de Nantes. L’un de ces mouflons renait, paré de nouvelles couleurs, au cœur du marché de Noël.
Des lumières et des sons : les cloches cosmiques dans la ville
La visite continue, guidée par le glas mystique des cloches du dispositif de Dominique Blais « À flot d’airain ». Des cloches desquelles s’échappe un glas cosmique, psychédélique, grâce à un logiciel de traitement, des filtres et des réverbérations. Le son roule le long de l’eau, ricoche entre les clochers, serpente les bâtiments. Comme le parcours de Vincent Olinet, celui-ci n’est pas nouveau mais se renouvelle. Le chemin change, il suit l’Erdre, et l’artiste Françoise Pétrovitch a construit une cloche supplémentaire en provenance de l’Abbaye royale de Fontevraud. Chaque jour, des tintements, puis une marée sonore glissent dans la ville. Des concertos retentissent à 13h13, 17h17 et 18h18.
Un an après les coupes budgétaires
Il y a un an, nous arrivions à Nantes pour naviguer dans le Voyage en Hiver, juste après l’annonce de la région des Pays de la Loire, qui coupait 73% de son budget culturel. « La culture n’est pas une option, ça traverse véritablement toute la vie de la ville », nous rappelait Jean Blaise. Un an plus tard, Sophie Lévy nous dit que le Voyage à Nantes est moins impacté que de plus petites structures qui ont dû licensier, réduire la programmation… « Ça impacte plutôt les budget d’entretien des œuvres en dehors du territoire nantais » nous explique-t-elle ajoutant qu’on « ne mesure pas encore tous les effets de cette brutale irruption d’une coupe aussi gigantesque. Des artistes décident de faire autre chose, des acteurs culturels changent de métier, des structures disparaissent. Tout cela s’est cousu lentement, patiemment, ça s’est décousu brutalement. »
Alors pour défendre la culture, vous pourriez aller profiter de tout ce qu’elle offre, à Nantes et ailleurs. Le programme détaillé du Voyage en Hiver est à retrouver ici.

