La région Pays de la Loire a annoncé tronçonner son budget culture, amputé de 73%. C’est donc le cœur plein qu’on a fait la route pour Nantes, admirer un projet qui reflète bien l’âme de la ville : créative, malicieuse, un art engagé mais pas élitiste. Le Voyage en Hiver, c’est l’art qui prend la rue, c’est un Noël pas comme les autres, c’est Nantais.
Cela fait une semaine que les rues de Nantes sont parées d’œuvres d’art, arrivées en même temps que les marchés de Noël. On est loin des guirlandes en flocons rouge, blanc et vert, mais plutôt sur des créatures mystiques dans des tons violet, jaune, orange chatoyants, accrochées aux balcons. Des lumières ou bien des sons, comme ces cloches desquelles s’échappe un glas cosmique, psychédélique, grâce à un logiciel de traitement, des filtres et des réverbérations.
La Nuit Je Vois, des œuvres en ultra-vision
Deux angelots chatoyants nous accueillent de chaque côté de l’entrée du château des ducs de Bretagne. Lumineux, ils prennent les mêmes couleurs que les reproductions de moulures, de lanternes, de créatures accrochées aux balcons partout dans la ville. Du violet, du bleu, du jaune… Vincent Olinet a préféré ces tons chauds au vert-rouge-blanc obligatoire de Noël. « L’idée, c’était de partir sur une autre symbolique, explique l’artiste. De figurer ces lanternes, pas réalistes du tout, d’utiliser des couleurs plutôt improbables. Ce sont les couleurs qu’on ne voit pas, celles qu’on filme en caméra thermique, par exemple, j’ai appelé ça de l’ultra-vision. »
La Petite Maman Noël tranquille qui a rendu dingue Marion Maréchal Le Pen
Plus loin, derrière l’arrêt de tramway qui fait face à la place du Bouffay, on aperçoit une silhouette, en hauteur, sur une balançoire. La Petite Maman Noël est très réaliste. C’est sa deuxième année au Voyage en Hiver et sa créatrice, Virginie Barré, admet une petite ressemblance entre elles-deux.
« C’est une femme qui est plutôt petite, assez corpulente, elle a de belles formes, généreuses, elle a les cheveux lâchés. C’est une femme entre deux âges, je dirais qu’elle a la jolie cinquantaine. Elle nous sourit ». Virginie Barré décrit son œuvre en souriant, l’air tranquille, elle aussi. Elle pourrait paraitre inoffensive, cette Petite Maman Noël, et pourtant sa seule présence a déclenché les foudres d’une certaine Marion Maréchal Le Pen, fustigeant « une espèce de spectacle pseudo-artistique qui se veut une fête non plus aux racines chrétiennes mais une fête multiculturelle, inclusive et internationale » (effectivement, trois gros mots). Pascal Praud s’offusquait, affirmant « à Nantes, Noël n’est plus Noël ». Pourtant, ça sent le vin chaud et la cannelle dans le froid de l’hiver nantais, au pied de la Petite Maman Noël. Pour Virginie Barré, l’idée d’installer une figure féminine parmi les décorations de Noël ne semblait pourtant pas si audacieuse : « que la figure d’une mère Noël puisse choquer, agacer, j’étais à mille lieues d’imaginer ça. » Le Père Noël n’est pas nécessairement le seul héros des festivités, d’ailleurs, la Mère Noël sera peut-être, l’an prochain, avec ses filles…
Des sons de cloches en réverbérations : expérience auditive psychédélique
Où que l’on soit dans la ville, la journée est rythmée par de drôles de sons de cloches. On ne sait pas bien d’où ils viennent, s’ils sont réels. Par vagues, d’ouest en est, une succession de tintements préfigure une réplique plus ample, qui déferle comme l’onde de la marée. Des concertos se lancent à 13h13, 17h17, 18h18. Voilà que dans les douves du château, plusieurs cloches cuivrées semblent flotter. Soudain, elles se mettent à tinter d’une partition de plus en plus en écho, distordue, presque psychédélique. Derrière ce projet, l’artiste Dominique Blais : « L’idée, c’était d’utiliser un certain nombre des édifices religieux de la ville, de faire sonner les cloches, puis de jouer sur la réverbération, de duplication. » Ainsi, sur les ponts du bras de la Madeleine, au bord de la Loire, des systèmes d’amplification rejouent les cloches de la basilique Saint-Nicolas et de l’église Sainte-Croix (les deux solistes), en y appliquant un filtrage. « La Loire vient modifier les sons, les étirer. »
La chorale cool des 100 voix
Une fois les cloches disparues, ce sont des voix que l’on peut entendre, provenant de la cour du Château. Cent voix même, pour être très précise. C’est le nom de la chorale éphémère composée de professionnel‧les et d’amateur‧ices de Nantes. Les 100 voix retentissent tous les samedis, dans la ville. Une chorale de musiques actuelles qui va du funk, au punk en passant par la variété française (Blister in the Sun de Violent femme, Happy together des Turtles, Architecture in Helsinki avec Heart it Races ou encore Christmas in L.A. -comprenez, Loire-Atlantique). La cheffe de chœur, Jeanne Héraud, veut dépoussiérer l’image de la pratique chorale un peu vieillissante qui n’attirait plus grand monde. Les Nantais‧es peuvent réviser leurs classiques et venir chanter tous les samedis avec la chorale des 100 voix.
« La culture n’est pas une option »
Jean Blaise s’amuse à résumer la ville dans laquelle il oœuvreen tant qu’agitateur culturel depuis 40 ans en évoquant la statue qui trône place du Bouffay. Un homme se tient debout, un pied sur le socle de la statue, l’autre dans les airs. Le titre : « Nantes, le pas de côté. »
Amener la culture dans la rue, c’est le travail de sa vie. Il se souvient ses années à bosser dans des scènes nationales, « je me disais, on n’arrive pas à atteindre ce que voulait Malraux, quand il disait ‘la culture pour tous, dans les maisons de la culture’. On touchait 9% de la population et encore, quand on était bons. » Par définition, l’espace public, lui, appartient à tout le monde. « Alors on s’est dit qu’il fallait emmener l’art dans l’espace public. Ça a commencé avec Royal Deluxe, en 89. » Après les Allumées, la réouverture de la tour LU, le Voyage à Nantes a été créé en 2011, puis son édition hivernale il y a trois ans. « La culture n’est pas une option, ça traverse véritablement toute la vie de la ville », rappelle Jean Blaise.