Été 1980, les platines surchauffent et New York résonne au son du reggae de Bob Marley. Stevie Wonder, de son vrai nom Stevland Hardaway Morris, aveugle de naissance, mais “voyant” la musique en couleurs sort Hotter Than July après un été caniculaire.
Quelques mois, plus tôt, il essuyait l’échec de l’album Journey Through the Secret Life of Plants, bande-son d’un documentaire basé sur un livre ésotérique à propos de la sensibilité des plantes et l’un des tout premiers albums enregistrés en numérique. Avec Hotter Than July, Stevie Wonder retrouve un format plus direct : mi-manifeste politique, mi-déclaration d’amour au groove, ce disque marque son entrée fracassante dans la nouvelle décennie, entre ferveur estivale et lutte pour l’égalité raciale.
Le titre de l’album vient d’ailleurs des paroles d’ouverture de son premier single, Master Blaster (Jammin’), et de la vague de chaleur qui a embrasé la planète. La canicule avait quitté le pays quelques jours avant la sortie d’Hotter Than July, comme pour laisser place à un disque taillé dans la sueur et le feu.
De l’enfant prodige au maître du groove
Découvert à l’âge de 11 ans par Ronnie White des Miracles, signé chez Motown en 1961, Wonder est déjà un prodige. Des débuts fulgurants dans ce label dans lequel il affine son art et élargit ses horizons musicaux. Son exploration créative des années 70 l’a rapproché de Bob Marley, qu’il rejoindra parfois sur scène. Cette amitié irrigue Master Blaster, hymne solaire et politique qui célèbre Marley tout en rappelant que « le monde est plein de problèmes », faisant référence à la guerre d’indépendance du Zimbabwe.
L’album s’ouvre sur un cri dans Did I Hear You Say You Love Me. Un hurlement lointain suivi par un groove irrésistible de guitare et de basse, caractéristique de la joie et la musicalité innées de Wonder. Tout au long de l’album, Wonder enregistre lui-même la plupart des claviers, épaississant les textures grâce à un Yamaha CS-80 et un synthé Moog.
Une dualité musicale
Hotter Than July nous offre deux mouvements musicaux : d’un côté la fête brûlante avec Master Blaster (Jamming) et All I Do, de l’autre la réflexion, avec la ballade au piano Lately ou Happy Birthday, écrite pour que l’anniversaire de Martin Luther King Jr. devienne jour férié national ce qui arrivera plus tard, en 1986 promulgué en 83 par Ronald Reagan.
Cette ambivalence se reflète jusqu’à l’emballage du disque. En couverture, Stevie Wonder rayonne, souriant, perlé de sueur et ivre de soleil. À l’intérieur, un portrait de Martin Luther King Jr., entouré de clichés d’émeutes et de brutalité policière. Tout cela accompagné d’un appel à la reconnaissance nationale du King’s Day. Une mise en scène qui rappelle que la ferveur musicale de Wonder porte aussi un message de lutte et de mémoire.
Le message social se prolonge dans Cash in your face, qui dénonce la discrimination raciale mettant en scène un propriétaire refusant de louer à un homme noir malgré ses ressources. Et même dans les morceaux plus légers, l’activisme civique affleure.
Récompensé disque de platine aux États-Unis et premier album de Wonder certifié platine au Royaume-Uni, Hotter Than July reste un jalon majeur : un souffle d’été qui allie groove incandescent, engagement politique et virtuosité technologique, toujours aussi vibrant plus de quarante ans plus tard.

