Situs Inconnus
Tout le petit monde intellectuel français, se piquant un tant soit peu d’avant garde, se réfère aux situationnistes, mais personne ne sait exactement ce que voulait ce groupe révolutionnaire mégalomaniaque et confus?
Leur Chef GUY DEBORD, célèbre pour son pamphlet LA SOCIETE DU SPECTACLE, était tyrannique, capricieux, alcoolique, phallocrate, agressif, ingrat, paranoïaque, mais sa monomanie antisociale lui a servi de fer de lance.
Le livre de Andrew Hussey , » Guy Debord, la société du spectacle et son héritage punk » aux éditions Globe, est le pavé de 540 pages qui raconte TOUT Debord, par le menu, de son enfance jusqu’à ses moindres aventures, de 1931 à 1994.
Car sa jeunesse et sa vie explique la démarche SITUATIONNISTE.
Ainsi son enfance aux Buttes Chaumont ou il prend le goût du vieux Paris poétique et tranquille, ses allées, bistrots et parcs . La mort de son grand père, puis de son père ( !) vont faire basculer cette famille de petits commerçants dans la précarité.
Enfin sa mère, Paulette, une coquette qui ne pense qu’à plaire, et Manou la grand mère, qui va le garder quand sa mère vit une aventure. Il souffre des frasques de sa mère, elle va avoir deux autres enfants, changer d’homme…
Séjour sur la côte, sa mère se remarie avec un notaire et devient bourgeoise… Survient la guerre, lycée, études …et après tous ces flottements , Guy Debord remonte à Paris. Déjà, il se méfie de la société , cruelle et hypocrite, il déteste la famille et le travail aliénant. ( il obtient de rester à Paris avec une petite pension )
Paris après guerre, c’est le Jazz, la Butte, Saint Germain, les cafés et surtout pour lui la bohème, les copains et un certain ISIDORE ISOU, artiste révolutionnaire roumain réfugié depuis 1945, et qui a lancé le mouvement LETTRISTE .
Avec Gabriel Pommerand, François Dufrêne, Maurice Lemaitre, Gil Wolman et Jean Louis Brau, la bande lettriste et leur chef ISOU, Debord va être formé à la polémique et aux actions à scandales, tracts, manifs, farces et provocations diverses.
Debord n’attendait qu’une direction pour se révolter, comploter, lutter par tous les moyens contre un monde qu’il méprise. Sauf que le LETTRISME est un mouvement culturel et artistique, qui veut la fin des rituels bourgeois, prône la poésie des mots, des syllabes, la rénovation de toutes les disciplines.
Isou théorise parfaitement sa démarche d’avant garde dans la lignée des DADAISTES, publie avec ses amis des ouvrages sur un art METAGRAPHIQUE, afin de dépasser avec des lettres et des signes les arts plastiques, mais aussi le roman.
Puis ce sera un film à Cannes en 1951: » Traité de bave et d’éternité », écran quasi blanc rayé , et montage de sons aléatoires de bruits, afin de dénoncer le mensonge du cinéma !( Cocteau leur obtient un »prix des spectateurs d’avant garde !! »)
Le LETTRISME va être vraiment la rampe de lancement du SITUATIONNISME.
Car Debord, plus politique qu’artiste, va créer l’ « Internationale Lettriste « afin de développer le mouvement et répandre les idées en Europe.
Car on ne comprend le Situationnisme, qu’avec la rampe de lancement Lettriste !
Debord constitue sa propre bande, prend contact avec un groupe néerlandais dont le peintre Asger Jorn ( groupe COBRA= Copenhague, Bruxelles, Amsterdam) et commence à se différencier des lettristes, écrit beaucoup.
Bien que communisants, ils déclarent comme slogan « Ne travaillez jamais » et lance leur projet libertaire et hédoniste « vivre sans temps mort et jouir sans entraves ».
Après toutes sortes d’analyses critiques sur la société, bien des rencontres et des lectures (et les «emprunts »qui vont avec), ils lance la PSYCHOGEOGRAPHIE : système de dérives et ballades en ville, visions poétiques des bas quartiers et mise en SITUATION des individus, propre à rêver, imaginer , et faire de sa vie une œuvre d’Art ! ( inspiré de » Saint Ghetto des prêts ». Oeuvre lettriste de Pomerand. 1950
La bande Debord hante sans trêve les troquets – entre deux tracts, déclarations, interpellations, et scandales dans les expositions et autres cocktails, mais aussi revues gratuites : internationale lettriste puis POTLATCH… Ils se saoulent de gros rouge et aussi d’un peu de haschish, draguant les filles et revendiquant l’amour libre, et la DERIVE créatrice.
Debord provoque une rupture brutale avec Isou (vers 1953), puis proclame l’INTERNATIONALE SITUATIONNISTE, au cours d’une réunion conférence en 1957 en Italie, entouré de toute une bande d’artistes en révolte. ( Asger Jorn, Michèle Bernstein, Attila Kotany, Gallizio, Wyckaert, Mohamed Dahou, Mension…)
Il sort le « Rapport sur la construction de Situations », crée un comité de Psychogeographie à Londres avec Ralph Rumney. Les idées se multiplient, prises dans tous les mouvements d’avant-garde et même chez les PEUPLES PRIMITIFS, pour « changer le monde », sortir du malheur et des aliénations historiques, prônant le bouleversement de la vie quotidienne…
Se réapproprier le réel dans tous les domaines, dépasser l’Art. Pour ce projet mégalomaniaque d’une petite bande , ils vont tout utiliser : slogans, graffitis, tracts, publications, éditions, mais aussi plaisanteries et détournement. Des bandes dessinées avec des textes politiques dans les bulles, une carte de France avec le nom de toutes les villes algériennes à la place des noms français ( guerre d’Algérie)
Ils crachent sur le Saint Germain de Boris Vian et Juliette Greco , bon pour les touristes, ils agressent Chaplin débarqué à Paris comme le producteur qui a fait fortune sur la compassion du public envers les clochards…
Le tout dans un langage de bureau politique stalinien !
Puis de scission en exclusion, le dictateur Debord va virer tous ses lieutenants, à part sa femme Michèle Bernstein ou le belge Raoul Vanegeim, arrivé plus tard et auteur du« Traité de savoir vivre à l’égard des jeunes générations », autre bible Situ.
Mais il sait aussi se faire beaucoup d’alliés comme le peintre à succès Yves Klein, des éditeurs, des écrivains, des professeurs, des mécènes, comme le producteur de cinéma GERARD LEBOVICI qui financera 3 de ses films et l’éditera dans ses éditions CHAMP LIBRE, et des femmes.. Il fait feu de tout bois !
A partir d’une petite bande de quasi délinquants, alcoolisés ou raides , ils ont réussi à faire parler d’eux, à exister sur le plan intellectuel et théorique, messagers d’une nouvelle idéologie, agressivement opposée à toute autorité ou plan étatique.
Ils font partie des artisans de MAI 68, avec les groupuscules staliniens, trotskystes, léninistes, maoïstes, guevaristes et bien d’autres officines syndicales , étudiantes ou communisantes. La renommée des SITUS est plus grande à l’étranger qu’en France.
Un mythe qui part dans tous les sens, enragé et CONTRE TOUT ce qui fait nos sociétés, surtout en attaquant l’inattaquable : le Spectacle, Art et Cinéma compris !
Ce courant d’idées suicidaire et destructeur et la suractivité de Debord jusqu’aux années 80 va en faire, malgré les tombereaux de haine et de jalousie qu’il a charrié, Une sorte de secret initiatique romantique pour intellos refoulés.
Toutes les archives seront acquises par la bibliothèque nationale de France.
_ GUY DEBORD , la société du spectacle et son héritage Punk. Andrew Hussey
éditions Globe ( l’école des loisirs) . 540 pages . 24 euros
_ La revue gratuite qui fit suite à l’internationale lettriste : revue POTLATCH . ( de 1956 à 1958 ). Poche. Folio . Gallimard .
_ Voir les photos de Van der Elsken .