En 1929, les surréalistes remodelaient le planisphère selon leurs goûts, leurs marottes, leurs passions. L’île de Pâques et la Nouvelle-Guinée prenaient d’énormes proportions, la Russie soviétique ridiculisait une Europe rabougrie, quand les États-Unis (à l’exception de l’Alaska et des îles Hawaii) disparaissaient tout bonnement de la carte, attribuée à Éluard.
Si l’on s’avisait, par jeu, d’accomplir le même exercice, il n’y a pas besoin d’être grand clerc pour savoir que le Brésil s’étalerait largement sur notre carte. En jaune Ipanema ou Sertão, en vert Amazonie, en bleu Atlantique ; couleurs avivées par quantité de films, de disques, de bouquins, de créations, d’icônes évidentes et de références pointues, bref les mille et une pièces brasileiras s’amoncelant sur les parois, coins et recoins d’un musée imaginaire, aux collections régulièrement achalandées.
Cette affinité brésilienne, l’Opéra National de Bordeaux la partage. Et lui dédie tout un programme, décliné sur plusieurs soirées.
Ça commencera le 27 mars au Rocher de Palmer, avec un brin de samba. Ç’aurait dû être celle du violoncelliste carioca Jaques Morelenbaum, mais celui-ci a dû – hélas – déclarer forfait pour raisons de santé. Cela dit, on n’y perdra aucunement au change, car c’est une autre native de Rio, en l’occurence Flavia Coelho, qui se pointera accompagnée du guitariste Lucas Santtana. Et ne vous y trompez pas : le concert aura beau être largement acoustique, l’ambiance ne restera pas au ras des fougères. Bossa, reggae, jazz-funk et MPB : de quoi chalouper sans se louper, emporté.e.s par l’énergie de la première et l’habileté du second, paire d’as prête à mettre au tapis toutes les morosités éventuelles avec leur jeu irrésistible.
Le lendemain, un grand bal brésilien requerra, si vous voulez, votre participation. Vous pourrez y apprendre quelques pas de forró, de quoi se mettre au joyeux diapason de cette soirée, histoire d’entrer dans la danse, sous les ors du Grand Théâtre.
Non loin de là, le 29 mars, l’Auditorium viendra quant à lui calmer le tempo. Docteur en philosophie, vêtu de blanc comme le sont les adeptes du candomblé, Tigana Santana suivra, guitare en bandoulière, le fil d’Ariane et les cordes nylon tissant fibre à fibre les partitions de la musica popular brasileira, allant des mélopées folk aux percussions bahianaises, de la rumeur des blocos aux racines bantoues.
Exemple : ce « Partes de Mim » pas si loin d’autres âmes curieuses et inspirées, comme François & The Atlas Mountains ou les splendeurs d’un Brian Eno sur la face B de Before and After Science.
On laisse passer quelques jours, jusqu’au 3 avril, où ce sera carnaval au Grand Théâtre et à l’Auditorium, là encore. Un « Brasil Carnavalesco » choral, d’abord, où des dizaines d’enfants entonneront joyeusement des mélodies signées Aylton Escobar (Sabiá, coração de uma viola), Fred Natalino (Medley Carnavalesco) et Marcos Leite (Aquarela do Brasil). Et puis, c’est sous le soleil, non de Satan (tant pis pour Bernanos et Pialat), mais de l’orchestre, oui, « Sous le soleil de l’orchestre », qu’on se dorera pilule et tympan, le temps d’un concert symphonique, placé sous la direction de la cheffe colombienne Ana María Patiño-Osorio, qui fêtera sa première à la baguette de l’ONB.
Au programme, notamment : le « Boeuf sur le toit » de Darius Milhaud, pièce à l’origine écrite pour un spectacle chorégraphique sur un argument de Cocteau, une fantaisie surréaliste s’inspirant très largement d’un thème brésilien (la chanson « O boi no telhado »). Mais aussi les « Impressioni Brasiliane » d’Ottorino Respinghi, les « Bachianas Brasileiras n°7 » d’Heitor Villa-Lobos. Et enfin, por último, mas não menos importante, la très passionnée « Nuit dans les jardins d’Espagne, pour piano et orchestre« de Manuel De Falla.
Et pour mettre un point d’orgue étincelant à ce beau programme, retour à l’Auditorium, le dimanche venu (le dimanche 6 avril, pour être précis) pour des « Brasilidades » de première volée. Un concert matinal, dominical, qui agitera avec l’élégance et la légèreté qui sied l’éventail des musiques instrumentales brésiliennes, qu’elles fussent classiques ou plutôt bossa, folk tropicaliste aussi, avec dans le répertoire choisi quelques ondoyantes compositions de Vinicius de Moraes ou du somptueux Clube da Esquina cher à Milton Nascimento et Lô Borges.
Contrairement au héros de Macounaima, voilà une semaine qui ne manquera pas de caractère, tout en nous donnant l’occasion d’ajouter à notre (et à votre) collection quelques émerveillements musicaux, à ranger auprès d’Astrud Gilberto, Rogê, Gilberto Gil, Seu Jorge, Tim Maia, Diogo Strausz, Rodrigo & Philippi, Os Mutantes, Gal Costa, Jorge Ben, Arthur Verocai, Marcos Valle, Quarteto em Cy, Rodrigo Amarante, Merchant, Tim Bernardes, Joao Selva, et tutti quanti.
Temps mort Brésil de l’ONB @ Grand Théâtre, Auditorium, Rocher de Palmer, etc. (Bordeaux, Cenon).