Peintre de quartiers populaires et de violences modernes, Guillaume Bresson expose au château de Versailles devant les immenses tableaux d’Horace Vernet qui exaltent la conquête coloniale. Le dialogue est fascinant.
Ça vous frappe tout de suite : il y a quelque chose qui cloche. D’abord, il faut monter les marches de l’immense château de Versailles, parmi les dorures, les moulures, sous les plafonds interminables, pour enfin pousser la porte de la salle Afrique du château. Là, les peintures s’étalent sur chaque face des gigantesques murs. Ce sont des scènes de guerres, de violence, signées Horace Vernet, mais pas n’importe quelles violences : tous les tableaux exaltent la colonisation française en Algérie et au Maroc. Ce qui frappe, c’est que devant ces tableaux immenses (je me répète mais l’un d’eux fait quand même 21 mètres de long !) trônent des blocs de béton, sur lesquels sont accrochés des peintures tout à fait différentes : celles de Guillaume Bresson. Face à la violence coloniale, voilà la violence des rues et la violence sociale. Dans des tableaux ultra-réalistes, aux allures de photographies, se racontent des bagarres dans des parkings éclairés aux néons, des scènes d’émeutes modernes, des corps aux muscles tendus, des panoramas de misère comme celui des tentes sous un pont de Los Angeles, ou une fête foraine sous la grisaille picarde. C’est la vraie vie.
Des gens en baskets pour remplacer les vieux héros
La vie de Guillaume Bresson notamment. S’il peint les quartiers, c’est qu’il en vient, du côté de Toulouse. Il a beaucoup bougé puis a fini son adolescence dans le quartier de Rangueil. Ce sont ses copains de là-bas, surtout, avec qui il faisait du graff, du break, écoutait Lunatic et la Mafia K’1 Fry, qu’il a peint en arrivant aux Beaux-Arts. Là-bas, il se sent toujours ovni. La peinture figurative, c’est plutôt ringard pour l’époque. Il n’y a pas encore de Rackajoo et autres Issy Wood. Il travaille son style, sa méthode. Pour peindre la vraie vie, Guillaume Bresson a besoin de temps et de pratique des corps. Bien qu’ils aient l’air de photos instantanées, chaque tableau lui prend entre 6 et 8 mois de travail. Au son du rap de son adolescence, il orchestre des séances avec des modèles photographiés. Ensuite, il compose, comme une peinture historique, des scènes grandioses.
Puisqu’ils entourent les tableaux de Guillaume Bresson, les tableaux de glorification coloniale deviennent des pièces à conviction, des preuves. La salle a été ouverte au public spécialement pour l’occasion, les peintures coloniales sont d’habitudes camouflées par de grandes cimaises. « Venir mettre mes tableaux dans ce décor c’est aussi les ancrer dans une généalogie historique » s’amuse Guillaume Bresson. Il met les quartiers sur la carte, enfin sur la frise chronologique : « j’ai l’idée de faire entrer dans le champ de la représentation picturale des corps et des lieux qui d’habitude ne sont pas représentés ». À la place des grands héros mythologiques ou des militaires glorifiés, ce sont des corps anonymes, invisibilisés et pas moins beaux, grands, dignes, que Guillaume Bresson passe des mois à peaufiner. La périphérie s’impose au centre.
Pas la même violence
Dans cette salle où deux violences se font face, on se demande si ses peintures ne risquent pas non plus de glorifier une autre forme de violence. « Venant de la culture hip-hop des années 90, en banlieue, nos références ciné (Fight Club, La Haine) et le rap, la violence est valorisée, le masculinisme aussi. Quand j’ai fait ces scènes de poses avec eux, naturellement on a fait des scènes de violences. » Pour lui, cela dit quelque chose du déterminisme et du conditionnement, « la façon de voir la violence au travers du regard de la bourgeoisie culturelle parisienne, c’est pas la même que quand on est dans un quartier et qu’on la produit. » Il parle de ses personnages qui se marrent dans les scènes de violence, il y a du jeu, et une ambivalence. C’est la vraie vie.
« Un statut différent »
Guillaume Bresson est un transfuge, il voit bien qu’il a eu « un statut différent » en partant du quartier, « ça m’a permis de partir plus loin, j’étais quasiment le seul blanc, je suis le seul qui aie pu partir à Paris faire les Beaux-Arts, rien que d’avoir l’idée de faire ça… » D’ailleurs, peu de ses modèles ont vu les tableaux, « il y a une espèce de barrière invisible et malgré les efforts les lieux d’arts restent quand même assez inaccessibles. » Alors, vous qui nous lisez, allez au musée ! De préférence à cette expo, dans les salles Afrique du Château de Versailles, la rétrospective Guillaume Bresson est ouverte jusqu’au 25 mai.