Pour réinventer notre rapport à la nature, nous faudrait-il… un séisme, comme dans l’ultime album inachevé du maître manga Jirô Taniguchi ? C’est l’hypothèse de Sophie Wilhelm, libraire à Bonneville (Haute-Savoie).
« Un jour… une autre forêt apparut. D’un vert profond. La région fut ébranlée par un séisme de magnitude 6 qui entraîna tant de mouvements de terrain… qu’une faille s’ouvrit. » C’est l’histoire d’un môme japonais de 10 ans, Wataru, contraint de s’installer à la campagne car son père l’a quitté et que sa mère n’en peut plus. Son grand-père lui dit de ne pas s’inquiéter : « La montagne te consolera. » Et le petit bonhomme en larmes… entend des murmures. Ceux des arbres, des insectes, des oiseaux, des rivières, qui s’adressent à lui comme à un membre de la famille.
La lecture de La Forêt millénaire, sur lequel travaillait le maître mangaka Jirô Taniguchi juste avant sa mort, en 2017, à 69 ans, est un bonheur et un regret. Bonheur mélancolique d’arpenter les collines et les sous-bois de ce conte écolo publié aux éditions Rue de Sèvres dans un somptueux format à l’italienne, dans lequel le dessinateur shintoïste raffiné de L’Orme du Caucase, de Quartier Lointain et du Sommet des Dieux s’affranchit des codes du manga pour embrasser pleinement la liberté graphique et narrative de ses homologues européens. Regret éternel de n’avoir, pour toujours, que ce seul premier tome inachevé (cinq étaient prévus) riche de tant de promesses, certes accompagné d’entretiens sur la genèse de cette œuvre posthume et de très beaux extraits de ses carnets de croquis.
Jusqu’à la réouverture complète de leur boutique, L’Arche de Nova donne la parole à des libraires qui cueillent dans leurs rayons leur vision d’un futur désirable. Cette semaine, c’est au tour de Lettres Libres, librairie généraliste située au 25 place de l’Hôtel de Ville à Bonneville (Haute-Savoie), représentée par sa gérante Sophie Wilhelm. Elle a choisi cet album de bande dessinée, une « respiration » qui lui inspire « quelque chose de très encourageant pour la suite, après le chaos de ces moments étranges et anxiogènes que nous vivons ». En 2015, Taniguchi déclarait : « Je veux représenter le vivant dans ce qu’il a de beau, de fragile et de précieux. Depuis le tsunami et l’accident nucléaire de Fukushima, en 2011, nous sommes davantage préoccupés par l’environnement. Mais l’être humain oublie si vite, si facilement… C’est pourquoi je désire continuer à créer des histoires qui donnent une place fondamentale à la nature. Pour éviter que cette prise de conscience ne disparaisse des mémoires. »
Pour cueillir les ouvrages de Lettres Libres : https://www.chez-mon-libraire.fr/
Image : La Forêt millénaire, de Jirô Taniguchi (éditions Rue de Sèvres, 2017).