Des Bradford, apocopé en Brad, on connaît quelques-uns. Bradford Cox, de Deerhunter ; Brad Dourif, Pitt ou Dillman au cinéma. Mais aussi Brad Mehldau, pianiste jazz américain qui offrira le jeudi 13 mars, dans le bel écrin boisé de l’Auditorium de l’Opéra National de Bordeaux, un hommage vibrant à Gabriel Fauré.
Donc, Mehldau et Fauré. Soyons méthodiques, et commençons par le premier nommé.
Croisé au piano, auprès d’Elliott Smith, dans l’épisode-pilote du Jon Brion Show filmé par Paul Thomas Anderson, interprète du « Blame it on my youth » entendu chez Kubrick, mais aussi pour des B.O d’Eastwood, Wim Wenders ou Yvan Attal, Brad Mehldau est un maître du contrepoint. Mélodies main droite, harmonies main gauche, le tout tressé, tissé aux fibres, fusionné. Une dextérité instrumentale mise au service d’un répertoire éclectique capable – en solo, en duo, en trio – de s’aventurer dans le jazz, dans le pop-rock ou dans le classique, avec le même enthousiasme, la même précision.
Aussi à l’aise pour reprendre les Beatles que pour passer son Bach avec mention très bien (ce qui lui ferait, au-delà du small talk sur la pluie et le beau temps, un sujet de discussion tout trouvé avec Nicolas Godin d’Air, qui s’était fendu du même exercice), Brad Mehldau n’est pas un perdreau né de la dernière averse, ou un vil bélître étiqueté « produit de l’année ». Mais un musicien doué, très doué, dans l’improvisation, le mouvement et le palimpseste, en plus d’être un trait d’union capable de mettre d’accord les fans de Keith Jarrett et de David Bowie, les fondu.es de Bill Evans comme les zélotes du prog-rock, celleux qui demandent à l’envi « aimez-vous Brahms ? » comme celleux qui ne jurent que par Radiohead.
Ces présentations faites, que jouera-t-il là ? Du Fauré, bien sûr ; mais qu’est-ce donc ?
Outre qu’il s’agit sans doute de l’Appaméen le plus fameux (ce qui nous permet de glisser là le gentilé accolé à la ville de Pamiers, en Ariège), Gabriel Fauré est un pianiste, un organiste, un compositeur post-romantique, élève, émule et successeur de Saint-Saëns. Fin mélodiste, d’une régularité métronomique, ses Valses-Caprices, ses Barcarolles, son Horizon Chimérique, ses Masques et Bergamasques et autres Romances sans paroles sont une alliance de classicisme impeccable et de détails audacieux. Une oeuvre riche, dans laquelle Mehldau piochera un panachage de nocturnes, d’adagios et de compositions inspirées, à pleines touches, par les différentes périodes et manières fauréennes.
De quoi entendre, ou réentendre, d’une autre oreille les partitions pour piano selon Fauré. Pour un avant-goût, écoutez ce disque. Quant à celleux qui veulent apprécier toute la, toutes les dimensions de ce récital étourdissant, de cette balade en Fauré, farandole de croches sans anicroche, rendez-vous est pris, non pas sur l’astéroïde 8685, mais à l’Auditorium – et tant mieux, c’est plus facile d’y aller.
« Après Fauré », de Brad Mehldau, le jeudi 13 mars @ Auditorium de l’ONB (Bordeaux).