S’il ne fut pas le plus aimable des réalisateurs (le dos d’Ellen Burstyn peut en témoigner), William Friedkin est une évidente référence du septième art, incarnant tout un pan du cinéma américain, de L’Exorciste à Sorcerer, de Bug aux Garçons de la bande.
Eh bien, figurez-vous que, preuve de la richesse de sa filmographie, ce n’est aucun de ces longs-métrages qui sera à l’honneur ce jeudi 11 avril au Cinéma Jean-Eustache, qui a préféré dégainer deux autres films cultes de celui qu’on surnomme parfois « Hurricane Billy ». East Coast, West Coast : il n’y aura pas de jaloux dans ce programme résolument orienté polar 80s.
Cap à l’ouest à l’heure du goûter, où au son de Wang Chung la collation promet d’être agitée. Car si la Cité des Anges a ses charmes, elle se révèle également paranoïaque et surchauffée tout au long du viscéral Police Fédérale Los Angeles (alias, pour les puristes de la VO, To Live and Die in L.A, et c’est déjà plus explicite). Deux flics du LAPD y sombrent dans la corruption, confronté au bad guy Willem Dafoe, qui connait là l’un de ses premiers rôles principaux.
Mais surtout, il y a cette course-poursuite haletante, grande spécialité de Friedkin (est-il besoin de rappeler French Connection ?) ; une course-poursuite qui a nécessité six semaines de tournage et fait exploser le budget – ce qui expliquera peut-être les difficultés ultérieures de Billy l’ouragan à financer ses projets. Mais ça valait le coup, tant elle a contribué à faire de ce film un long-métrage culte, de ceux que l’on ressort avec plaisir lorsqu’il s’agit d’avoir le cul collé au fauteuil pendant deux heures.
À la nuit tombée, le diptyque filera ensuite en 1980 dans la ville qui, selon l’expression, ne dort jamais – et jamais cette périphrase n’aura été aussi dans le ton qu’avec le film Cruising (ou La Chasse pour les accros de la VF).
Suite à l’échec retentissant de Sorcerer, son adaptation de Clouzot broyée au box-office par Star Wars (actant le triomphe de l’ère blockbuster), ce serait mal connaître Friedkin que de croire qu’il lèvera le pied sur son goût pour la controverse. Le Chicagoan décide au contraire de river sa semelle au plancher, sans crainte des radars. Doigt d’honneur adressé à la toute-puissante Commission de classification (qui hésitera pendant deux mois avant de finalement l’absoudre d’une possible interdiction aux moins de 18 ans), Cruising prend le chemin des clubs gays et des backrooms SM.
Adaptation de bouquin (le Cruising de Gerald Walker) infusé de faits divers réels, cette infiltration dans l’underground cuir et latex sous couvert d’enquête policière n’a pas fait que des heureux, quel que soit le camp (les assos homosexuelles sont notamment montées au créneau, sur le tournage même). Un film « shot by both sides », comme dirait Howard Devoto.
Le film sera même schlassé de l’intérieur à sa sortie : Al Pacino renie Cruising, tandis que Friedkin évoque au sujet de son acteur principal une « erreur de casting ». Bilan de la chamaillerie : torts partagés. Presque quarante ans (eh oui !) après sa sortie en salles, Cruising s’affirme toujours aussi trouble, interlope et saisissant. C’est noir, cru, sans concession, et Pacino, impliqué à 101% malgré des relations orageuses avec Friedkin, y campe l’un de ses meilleurs rôles – lui dont la filmo est pourtant l’une des plus maousses toutes catégories confondues.
Vous l’aurez compris, on n’a pas affaire ici à ces polars bon teint avec des méchant.e.s très méchant.e.s et des gentil.le.s qui sauvent l’orphelin.e en détresse. Le manichéisme, très peu pour Friedkin, qui préfère l’ambiguïté et la confusion des rôles. Comme il l’affirme lui-même : « Si je suis capable d’identifier clairement un gentil et un méchant dans mon film, c’est que j’ai raté mon travail ». Et là, c’est très réussi.
Bref, de la belle oeuvre sur pellicule, agrémentée d’une conférence en guise d’entracte, que Nova Bordeaux vous permet de découvrir (ou de redécouvrir une nouvelle fois – il n’y en aura jamais une de trop), sans débourser la moindre piécette. Hop, direction le mot de passe Nova Aime pour ce retour aux racines du mal (dixit le sous-titre de l’évènement) placardé sur les écrans de Pessac. Et, s’il vous plait, veuillez laisser les flingues là où ils sont.