« Pourquoi faire parler de soi, plutôt que de parler soi-même? », la chronique de Thomas Zribi.
Je voudrais revenir sur la manifestation de mardi dernier à Paris. Les images qui ont été le plus commentées par les syndicats, les politiques, et la presse, ont été celles des violences. 1200 blacks blocs, d’après le ministre de l’intérieur Gérard Colomb, qui ont cassé des magasins, brûlé des voitures, et ont jeté des projectiles sur les policiers. La gauche a dénoncé des casseurs qui placent au second plan le message de la manifestation. La droite a accusé le gouvernement de laxisme. Quant à l’extrême droite, elle demande la dissolution de ces milices d’extrême gauche, les black blocs donc. C’est l’occasion de revenir sur ce qu’est le black bloc, et surtout ce que ce n’est pas : une organisation structurée que l’on pourrait dissoudre comme par exemple des groupuscules d’extrême droite l’ont été par le passé.
Le black bloc n’est pas une organisation, ce n’est pas un groupe, une association, ou un parti politique. Il n’y a pas de chef ou de membres. Le black bloc c’est une méthode, une stratégie qui est utilisée un peu partout dans le monde dans des manifestations depuis une trentaine d’années.Ce qu’il faut savoir déjà, c’est que ce ne sont pas les blacks blocs qui se sont appelés eux-mêmes les blacks blocs.
Le terme vient de la police allemande qui surnommait ainsi les groupes d’anarchistes qui luttaient violemment contre l’évacuation de leurs squats, à Berlin, au début des années 80. Dans les années qui suivent, une méthode black bloc est mise au point, et se répand lors de nombreuses manifestations anti capitalistes. Cette méthode, je vous la résume. Le black bloc n’existe que pendant la manifestation : ni avant ni après. Les participants se retrouvent sur place, il n’y a pas de point de rendez-vous précis, tout le monde peut en faire partie.
Les blacks blocs viennent habillés en noir, une cagoule et des lunettes de protection dans le sac, pour les lacrymogènes. En général ils ne viennent pas armés : ils trouvent leurs projectiles dans la rue : des pavés, des bouteilles, des pierres, tout ce qui traine.S’ils s’habillent en noir pour attaquer, ils ont parfois des vêtements de couleur sur eux qu’ils enfilent juste après, pour se fondre dans la foule.
Ils visent des cibles bien spécifiques. D’un côté ce qu’ils considèrent comme des symboles du capitalisme : des banques, des assurances, des franchises de multinationales, des fast-foods par exemple. Des voitures de la mairie, des bâtiments administratifs. Et de l’autre côté ils s’attaquent à la police. Dans certaines manifestations, ce sont même eux qui chargent, en premier, les policiers. Depuis les années 90, cette méthode Blacks bloc a quitté l’Allemagne, et s’est exportée partout dans le monde : aux Etats-Unis, en Italie, en Grèce, en Suède, au Danemark, au Canada, au Brésil, en Égypte et beaucoup en France.
Chaque grand mouvement anti capitaliste attire les blacks blocs. La plupart du temps il n’y a que des dégâts matériels, mais il y a régulièrement des blessées, parmi les policiers et les manifestants. Certaines manifestations ont été dramatiques, en Allemagne en 2007 par exemple, on a compté plusieurs centaines de blessés des deux côtés. Plus grave encore à Gênes, en Italie, en 2001, alors que les black blocs visaient la police, un policier a tiré une balle dans la tête d’un manifestant, qui est mort sur le coup.
Qui compose les groupes de blacks blocs ?
Deux questions principales se posent. Tout d’abord, qui compose les groupes de blacks blocs ? C’est difficile à dire vu qu’ils se cachent, mais les chercheurs qui ont étudié le sujet affirment que contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, il n’y aurait pas que des hommes. Sur la centaine de personnes placées en garde à vue après la manifestation de ce mardi à Paris, par exemple, il y avait 2/3 d’hommes, et 1/3 de femmes. Ce sont souvent des jeunes de 15 à 30 ans, issus de tous les milieux sociaux. On trouve des lycéens, des étudiants, des salariés, des chômeurs, un peu de tout.
La deuxième question, sans doute la plus importante : que veulent les blacks blocs. Je vous rappelle qu’ils font en gros l’unanimité contre eux, à droite comme à gauche. Dans des messages diffusés sur les réseaux sociaux, ils expliquent que leur violence est bien moins grave que celle des États ou des multinationales. Et qu’elle permet de faire bouger les lignes quand les manifestations classiques ne servent plus à rien, et que les gouvernements s’en moquent. Ils veulent casser le système capitaliste dans son ensemble, les revendications ponctuelles ne les intéressent pas. Autre objectif : mettre à jour la brutalité de la police qui montre d’après eux son vrai visage lors des affrontements. Une critique un peu spéciale quand eux-mêmes assument des actions violentes.
Pourquoi vouloir faire parler de soi, plutôt que de parler soi-même
Enfin, il y a un rapport particulier aux médias. Ils souhaitent attirer la presse. Ils expliquent que s’il n’y pas de violence, les manifestations passent presque inaperçues. S’il y a de la casse, en revanche, la presse parle en mal du mouvement, mais en parle quand même, ce qui est mieux que rien d’après eux. C’est là que ça devient un peu plus dur à suivre selon moi : pourquoi vouloir faire parler de soi, plutôt que de parler soi-même. Par principe, ils refusent, ou alors c’est extrêmement rare, de s’exprimer dans les médias.
Pas de chef, pas de structure, pas de propos clair. C’est sans doute ce fonctionnement qui attire. Cette année, il y avait 400 blacks blocs de plus à Paris le 1er mai que l’année dernière.
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