Les écrits sur l’art du Français aux Éditions Lignes.
Georges Bataille ne reculait devant rien. Il abordait tous les sujets à fond, avec sa vision extrême du monde, son attirance pour les abimes, les crises, son observation des passions… et même du mal.
L’art, quête de l’impossible, de la folie, de la cruauté
Avec l’art, il propose la quête de l’impossible, la représentation de la folie, de la cruauté et aussi et surtout, de la part d’ombre qui est en nous. C’est pourquoi il cite l’Espagne, comme le pays qui a refusé (à l’époque) l’industrialisation, la modernité, mais surtout un peuple qui est resté accroché à ses racines, agrippé à son tempérament fiévreux, angoissé… jusque dans ses fêtes, ses chants, ses danses.
De Goya, le peintre qui a su passer des portraits royaux inquiétants, aux scènes de massacre, il nous apprend qu’il fréquentait à Madrid une jeunesse fière et insolente, sorte de dandys populaires (comme nos Incroyables et Merveilleuses de la révolution ou nos Zazous de 1940), jouant les « Senoritos », appelés Majo et Maja (les mignons ?) Son tableau d’une Maja, habillée et nue, serait un hommage… Et la preuve qu’il échappait à l’art de cour officiel, et au palais.
Bataille : corrida et flamenco
Puis il définit la corrida comme un art de l’impossible, tout en grâce et tension, ou rôde la mort, comme une quête suprême, attendue et horrible. Art absolument cruel, ou le sang peut jaillir de l’armure dorée du demi – dieu torero à tout instant (il a assisté au pire).
Avec le flamenco, il nous explique le « Duende », mot mystérieux pour définir le rythme, la fièvre, la grâce, l’inspiration… En réalité une sorte de feu follet, petit démon du génie et du désordre, issu des marécages et des abysses, qui enflamme les êtres, là où il passe, libérant corps et esprit (et à ce moment-là, le flamenco était interdit par Franco !)
Il élargit la célèbre grande toile « Guernica » de Picasso, comme écho au massacre de la guerre dans toute l’Europe (et le monde !), peinture de l’excès dans tous les sens, il dit : « un cortège de vie à outrance, déballant le contenu impossible des choses. »
Mais Georges Bataille parle aussi des peintures préhistoriques, et de Lascaux : il y voit le pas humain décisif ou l’homme – animal finit par représenter au fond des grottes des taureaux, chevaux, bisons…En majesté !.. et plus seulement comme animaux à capter, par la magie de la représentation, pour les chasser, les dominer (il va jusqu’à parler de chasseurs honteux, admirant plus l’animal que l’homme, très peu représenté…)
Tel le « Duende » qu’il traque comme un sorcier, il saute d’un art à un autre, comme s’il était un initié de tous les secrets. Il trouve dans des parchemins du Moyen-Age, dans des Codex précolombiens, les mêmes signes de sadisme, de magie et de beauté que dans les mythes grecs, de Prométhée à Dionysos.
Il évoque le rapport secret de Van Gogh avec le soleil, astre hypnotique et dangereux, pouvant conduire à la transe et à l’automutilation (comme les sâdhus en Inde qui le fixent, jusqu’à en perdre la vue) ! Et c’est avec ses petits textes, sans limites ni frontières, qu’il réussit à approcher les arcanes de la création, enfouies en nous, ne jaillissant que par la force sombre des contradictions et des obsessions souterraines.
L’art, le moment où l’être humain accepte ses drames
L’art véritable n’est pas la simple représentation laborieuse (qu’il qualifie d’images de calendrier) mais bien le moment où l’être humain accepte ses drames, ses horreurs, ses forces obscures , et s’arrange pour les faire apparaître au grand jour, d’un coup de pinceau, de hanche ou d’épée, conscient des enjeux terribles de la vie.
Bataille. Courts écrits sur l’art. Éditions Lignes. 250 pages. 19 euros (chez le même éditeur, de nombreux écrits de Georges Bataille).
Visuel : (c) Éditions Lignes