Le cinéma le plus insolite de Paris ne relèvera probablement pas le rideau.
On aimerait que ça ne soit pas vrai, mais la Pagode a certainement fait sa dernière projection mardi 10 novembre dernier. L’unique cinéma du très chic 7ème arrondissement accueille dans un style japonais les plus fidèles disciples du cinéma d’auteur, dans deux somptueuses salles ornées de chandeliers dorés et de moulures improbables. Aussi insolite qu’élégant, on peut aussi, en attendant sa séance, boire un thé dans le jardin donnant sur la rue de Babylone et inscrit, depuis 1983, au monument historique. Autre privilège remarquable, un aimable vendeur en costume, muni d’une lampe torche, passait dans les rangs pour vendre quelques bonbons ou barres chocolatées.
Trop beau pour durer ? La propriétaire Elisabeth Dauchy accuse le gérant du cinéma, David Henochsberg, patron du réseau de salles indépendantes Etoile – Cinéma, de ne pas avoir payé le loyer depuis trois ans. Celui-ci rétorque que la Pagode nécessite de nombreux travaux de rénovation très onéreux, auxquels la propriétaire s’oppose. Après un procès de trois ans, c’est le gérant qui quitte les lieux, au plus grand désespoir des cinéphiles venus religieusement, mardi 10 novembre, assister à la supposée dernière séance.
Bien qu’Elisabeth Dauchy laisse espérer que la Pagode restera un cinéma, impossible pourtant de savoir quand les travaux auront lieu ni connaître la date d’une éventuelle réouverture. Rien ne nous permet d’imaginer ce que va devenir ce cinéma, qui par ailleurs, ne l’a pas toujours été.
Initialement, on n’allait pas à la Pagode mater un film mais faire la fête. Cette sombre et mystérieuse maison était un cadeau de François-Émile Morin, alors directeur du Bon Marché situé au début de la même rue de Babylone, à sa femme, en 1896. A l’époque, le japonisme était très en vogue et madame Morin y organisait des soirées mondaines, avant de quitter son mari pour son meilleur ami et associé, Jules Plassard. Les réceptions continueront malgré tout jusqu’à la fermeture de la salle, en 1927.
Il faut attendre 1931 pour que la Pagode ouvre ses portes au public et devienne un lieu précurseur du septième art, où l’on a pu assister à la première du Testament d’Orphée de Jean Cocteau en 1959 ou encore célébrer la nouvelle vague, avec la programmation des films de Truffaut, Rohmer et Rozier. Après 80 ans de cinéma, les fidèles attendent de savoir s’ils pourront à nouveau venir là-bas se faire une toile ou si, le 10 novembre 2015 fût définitivement le clap de fin.