Faut-il souffrir pour etre célèbre ou belle ? Oui, jurent les sorties de la semaine.
Avec Quentin Dupieux, on ne sait jamais vraiment où on met les pieds. Depuis ses débuts de réalisateur, il en a même fait une sorte de règle d’or, en prônant l’absurde plus que le rationnel. Quitte à parfois pousser cette logique du non-sens à son extrême en la prenant à rebours pour des films plus explicites et limpides que les autres. L’accident de piano est de cette gamme. Ici pas de concept barré ni de récit surréalistes. Ce nouvel opus est probablement ce que Dupieux a fait de plus proche de la réalité. Normal quand il s’empare du phénomène le plus irréel de l’époque, celui des influenceurs. Le portrait d’une star de Tiktok et d’Instagram, pour ses vidéos à la Jackass n’est pourtant l’occasion de faire le procès des utilisateurs réseaux sociaux, mais celui d’un nouvel avènement de l’individualisme.
Magaloche, la youtubeuse célébrée pour ses tentatives d’automutilation, doit son succès à une insensibilité totale à la douleur ? Dupieux la filme dans un monde devenu insensible aux autres, où l’empathie n’existe plus. Alors autant régresser vers des fonctions basiques, voire animales, d’un assistant vassalisé à des followers de plus en plus intrusifs ou une journaliste en quête de scoop. Mais surtout Magaloche elle-même, incroyable composition d’Adèle Exarchopoulos, grognant plus qu’elle ne communique, transformée en odieuse boule de nerfs, gueulant sur tout le monde. Pour autant, L’accident de piano joue bien plus sur les graves que les aigus, quand derrière l’apparence d’une folie douce généralisée, sa petite musique grinçante n’est pas que celle d’un cinéaste interrogeant la fonction des artistes envers leur public. C’est aussi celle d’un réalisateur interloqué jusqu’au désarroi par une époque ou le relationnel a encore plus perdu les pédales que ses films.
À sa manière, The ugly stepsister règle aussi son compte à l’ère du paraître et du surmoi. Cette relecture de Cendrillon, venue de Norvège, enfile crinolines et cour royale autour de la rivalité entre trois demi-sœurs pour faire succomber un prince afin de maintenir le rang social de la famille. Ici pas de marraine, ni de citrouille qui se transforme en carrosse, mais un médecin aux prémices de la chirurgie esthétique, tapant du burin, des tenailles et de l’aiguille pour refaire nez, dentition et lifting. Sans oublier un mémorable régime amaigrissant à base de ver solitaire.
Et pendant que le rose bonbon de cette course pour être la plus belle au bal des débutantes dégouline en rouge gore, The ugly stepsister vire surtout à une réjouissante noirceur quand tout ce qui restait derrière le rideau de la bienséance dans les contes de fées, de l’arrivisme social à la lubricité, remonte ici à la surface pour mieux exprimer la putréfaction morale des injonctions d’hier et d’aujourd’hui, faites aux femmes. L’adage « Il faut souffrir pour être belle », tambouriné tout au long de ce jeu de massacre rigolard, étant appliqué de la manière la plus sadique qui soit dans cette fable épidermique à en faire dresser les poils sur les bras.
L’accident de piano x The ugly stepsister. En salles le 2 juillet