Au Kazakhstan, le cinéma résiste au cruel ordre du monde avec panache et mélancolie. Les deux, tout aussi somptueux.
Le titre du film d’Adlikhan Yerzhanov dira forcément quelque chose aux littéraires. Il est extrait de L’étranger (« Devant cette nuit chargée de signes et d’étoiles, je m’ouvrais pour la première fois à la tendre indifférence du monde. De l’éprouver si pareil à moi, si fraternel enfin, j’ai senti que j’avais été heureux, et que je l’étais encore »). A vrai dire, c’est plus à William Shakespeare qu’Albert Camus qu’on envisageait comme référence, La tendre indifférence du monde et ses deux tourtereaux faisant face à une hostilité générale rappelant son éternel Roméo et Juliette. Le lien avec l’écrivain français, dont l’humanisme contrarié aura été au centre de ses romans se fait cependant de plus en plus probant.
Saltanat, jeune femme forcée à se marier pour éponger les dettes familiales et Kuandyk son amoureux transi depuis l’enfance vont découvrir au gré de leur périple vers la ville que la cruauté du monde est telle que le seul moyen de la supporter est de finir par l’accepter. Ce terrible aquoibonisme est renforcé par un regard sans concessions sur le Kazakhstan. Yerzhanov y voit un pays ou la corruption est devenue la norme, l’autorité aux mains de gangsters et leurs multiples trafics d’influences. Et pourtant c’est encore et toujours la lumière que cherche, veut entretenir malgré tout le réalisateur. Que ce soit celle de paysages ruraux ensoleillés comme celle du sourire de Kuandyk, sorte de colosse débonnaire, indéboulonnablement optimiste. Saltanat a aussi quelque chose de radieux : une sorte d’irréductible fierté. Yerzhanov en a fait une femme de tête jusque dans le choix de lui faire porter, quasiment tout au long du film, une flamboyante robe rouge qui embrase l’écran où d’employer pour ce rôle dans une production indépendante, Dinara Baktybayeva, une des rares stars du cinéma commercial kazakh.
Ce casting ayant quelque chose d’ironique quand on sait que les films de Yerzhanov – à ce jour, celui-ci y compris même s’il a représenté le Kazakhstan au dernier festival de Cannes – n’ont jamais été diffusés en salles dans son pays. On pourra aussi y voir une forme de résistance désenchantée, la même que celle qui baigne les cinémas de Jim Jarmusch ou Takeshi Kitano, auxquels La tendre indifférence du monde fait beaucoup penser, que ce soit par une apparence zen traversée par des zébrures de noirceur ou de violence sèche, cette combinaison d’humour à froid et de mélancolie. Et surtout ces plans somptueux, aussi beaux que crève-cœur quand ils persistent à chercher envers et contre tout, la poésie, la beauté et la pureté des choses là où tout pousse au renoncement et à la soumission.
En salles le 24 octobre.
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