Les bringueurs meurent, les noceurs pleurent.
Pierre de Régnier (1898-1943) devrait être le fils de Marie de Heredia, fille du poète symboliste José Maria De Heredia (elle-même poète sous le nom de Gérard d’Houville), et de Henri de Régnier, poète, romancier et bientôt académicien. Sauf qu’il est en réalité le fils naturel de PIERRE LOUYS, amant principal de sa mère, et auteur scandaleux de chroniques, romans, traités sur les maisons closes et les prostituées de 7 à 77 ans !
Ce fils de… va devenir un des plus grands noceurs de Paris et y laisser son héritage et sa santé. Mais en passant, il nous laisse aussi « CHRONIQUES d’UN PATACHON » séries d’articles sur ses nuits. Un peu ce qu’un Basile de Koch (groupe Jalons) faisait dans Voici (groupe people), mais en moins misérable, grâce aux restes de grande vie mondaine que la capitale prodiguait encore.
1930-1935 est la période : ce n’est plus la belle époque de 1900, encore qu’il en reste des traces sur les hippodromes et dans les salles de jeux, ce n’est plus les années folles d’après-guerre : 1920-1929, car la crise boursière de 1929 a frappé le monde. Mais les petits malins comme Pierre de Régnier et ses amis continuent de vouloir profiter jusqu’ à la dernière miette de cette SOCIETY (la jet set d’alors, en transatlantiques et train couchettes).
Le résultat est partagé et Henri de Régnier ne cesse, entre deux description de bringues, de maudire ce demi-monde, qui court d’un lieu à l’autre sans répit, et termine ses nuits épuisé et meurtri. Car le parcours du combattant branché de l’époque est olympique : du Boeuf sur le toit (déclinant) au Moulin Rouge , de Maxim’s (immuable) à la Michodière , des grands hôtels aux hippodromes et aussi le circuit : Paris, Deauville, La Baule, Cannes, Le Lido !
Il ridiculise les sports d’hiver naissants qui ne servent qu’à se déguiser en Alpin ou en Lapon, refuse les week-ends assommants à faire de la route, des valises et des sacs, et surtout les mêmes gens partout qui se retrouvent et se « regardent vieillir » et même « décrépir »…
Les taxis de nuit le ramènent chaque soir ivre, car son adresse est connue, il claque tout son argent et plus…Mais ne peut se passer d’ « être là », il adore Paris, les lieux et les fêtes où « il faut se montrer ».
Mais il décrit quand même les prouesses du vrai peuple de Paris à gâter cette ultime faune, ces dernières fortunes insouciantes : des décors incroyables (tout argenté ou avec de vrais arbres), des musiciens ( Jazz noir Fox trot ou Tango, mais aussi du Latino ), de danseuses inouïes (Josephine Baker et consort) et des tailleurs, couturiers, et surtout des restaurateurs chez lesquels le faisan et la truffe sont banals.
Le résultat fut une hécatombe de portefeuilles et de santés.
Pierre de Régnier succomba à 43 ans à ses excès, comme SCOTT FITZGERALD qui, après ces grandes années de vie mondaine se décrivait comme une assiette ébréchée, inutilisable.
Reste donc ces artisans de Paris et de France qui, des halles aux grandes avenues ont véritablement mis en scène, imaginé des lieux, des ambiances, des personnages ( Kiki de Montparnasse) , des numéros, des revues raffinées, avec les meilleures boissons et les menus les plus fous… Que ces blasés mangeaient sans faim. ( et sans fin )
Finalement il y a une morale dans cette débauche, et une justice au milieu de ces désordres et de ces fossés de société.
_ CHRONIQUES d’UN PATACHON . Paris 1930-1935 .
par Pierre DE REGNIER . éditions La Table Ronde. 390 P .19 euros