Le Dico des Filles : le livre à rayer de sa liste de Noël.
En essayant de nourrir notre esprit en surfant sur les vagues d’internet, nous sommes tombées sur un article des Vendredis Intellos consacré à un certain Dico des Filles, 2014.
Avec un titre pareil, une couverture pleine de papillons et de fleurs rouges, un typo un peu racoleuse, on s’attend à une énième encyclopédie destinée aux adolescentes. Généralement, si ces livres ne sont pas toujours de qualité, ils sont plutôt inoffensifs, confinés dans leur incapacité à comprendre réellement les questions que se posent les jeunes filles d’aujourd’hui.
Et bien, ce livre a le mérite de se distinguer de tous les autres. Mais s’il brille, c’est plutôt par son obscurantisme, par ses définitions rétrogrades, sexistes, moralisantes, pétries d’une volonté de rappeler à la jeunesse que la place de la femme est … dans les années 50.
Tout y passe : le sexe, l’avortement, l’homosexualité, les fringues, le rapport avec les garçons. Et chaque fois, la rédaction trouve le moyen de tenter d’inculquer à ses jeunes lectrices une vision de la femme que l’on croirait sortie d’un manuel poussiéreux des années 50. La femme en herbe y apprend, grâce à des conseils pop et une mise en page qui attire l’oeil, la soumission, les valeurs morales, à prendre soin d’elle et de son apparence dès son plus jeune âge.
C’est-à-dire dès 10 ans. En fouinant sur leur site, nous sommes tombés sur leur rubrique « Question / Réponse ». Evidemment, il est inutile de préciser que tout est faux dans ce jeu – en revanche, il est éclairant de se rappeler que les questions viennent aussi de la rédaction.
Accrochez-vous, ce n’est que le début d’une longue descente en enfer.
L’avortement, parlons-en.
« Si la loi permet cet acte, elle ne le rend pas pour autant juste ou moral. L’avortement reste un acte grave qui pose des questions sur la valeur que l’on donne à la vie humaine » p.107.
« Les autorités morales et les grandes familles religieuses ont leur mot à dire dans cette affaire, parce que c’est leur rôle d’énoncer des principes destinés à guider l’action humaine. Toutes sont en général très attachées au principe du respect de la vie humaine. Pour les croyants, la vie humaine est considérée comme le plus précieux des dons de Dieu. Nul ne peut en disposer. C’est pourquoi les chrétiens, notamment, condamnent très rigoureusement le recours à l’avortement. »
Ne parlons pas du fait que les seules autorités religieuses et morales citées en exemple soient celles des Chrétiens. Parlons plutôt de cette confrontation entre le légal et le légitime, en rappelant que la loi de notre république laïcisée n’est pas nécessairement moralement bonne et juste. C’est-à-dire qu’elle ne peut donc servir de modèle. C’est évidemment le type de réflexion qu’une jeune fille de 12 ans a lorsqu’elle pense à sa grossesse non-désirée.
Et cela continue, quand on parle d’homosexualité par exemple.
« Une personne ne se réduit pas à sa sexualité, et les homosexuels, comme toute personne, ont besoin d’amour, d’amitié, de reconnaissance. Comme tout individu, les personnes homosexuelles ont des qualités et des défauts, elles ne sont ni pires ni meilleures. Elles ont une vie étudiante, professionnelle, des loisirs, des amis, des projets, qui ne tiennent pas à leur orientation sexuelle et ne les distinguent pas des hétérosexuels.«
Ravies d’apprendre que « les homosexuels sont des personnes comme les autres ». Certes, mais pas question pour autant d’évoquer la sexualité des ces autres, d’intégrer dans les descriptions du couple d’autres modèles que le traditionnel couple hétéro. Il ne faut pas non plus pervertir ces jeunes esprits.
« Parce que votre âge est celui des désirs confus et des sentiments troubles, et qu’il en est de même pour vos amies, apprenez à garder la bonne distance. L’intimité entre amies s’arrête aux limites de la pudeur. Évitez de dormir dans le même lit ou de prendre des douches ensemble afin de ne pas vous retrouver dans une situation gênante », peut-on lire avant.
En même temps, ils sont bien sympas de prévenir ces jeunes filles des possibles errances dans lesquelles elles pourraient sombrer :
« C’est vrai qu’il existe des couples homosexuels stables. Mais souvent, les relations sont éphémères, instables et les homosexuels ont du mal à se projeter dans l’avenir ».
Soupir.
Vous pensiez être arrivés au bout de vos peines ? Attendez de voir leur vision de la femme – qui est réduite à sa condition sexuelle (c’est-à-dire, en leurs termes, à celle qui comblera un homme). Voilà ce que l’on peut lire comme autre conseil à propos des rencontres entre les garçons et les filles :
« Ce caractère sexuel, cette sexualité, marque toutes les relations humaines. Les humains ne sont jamais de purs esprits, ils sont toujours des femmes ou des hommes, avec un corps et un esprit marqués par le sexe auquel ils appartiennent. Vous ne pouvez pas vous empêcher d’être une fille, de réagir comme une fille, de vous comporter comme une fille … notamment en présence des garçons ! Vous savez bien qu’un garçon et une fille qui sont amis, une homme et une femme qui se côtoient, qui travaillent ensemble ne peuvent pas faire comme s’ils n’était pas lui, un homme et elle, une femme. »
Et qu’est-ce qu’une fille exactement, cher Dico ? Sans s’appuyer sur quelconque données scientifiques, on y apprend que les filles sont douées pour « l’intuition et la finesse », alors que les garçons pour la « clarté et la concision« .
« On peut facilement remarquer que les filles s’expriment davantage que les garçons sur ce qu’elles sont et ce qu’elles vivent. Elles parlent entre elles de leur sentiment, alors que les garçons partagent plutôt projets et actions. Elles sont capables de faire plusieurs choses à la fois, alors que les garçons, dit-on, préfèrent se consacrer à une seule tâche. » p.231
Pour le Dico des Filles, ces différences sont bien sûr innées, et on ne peut absolument rien y changer :
« Sous prétexte de détruire les caricatures, certains en arrivent à vouloir ranger tout le monde dans la même case. On est tous égaux, donc, on serait censés être tous pareils. Mais non ! Une fille ce n’est pas un garçon, et vice versa: quel intérêt y a-t-il à mettre tout le monde au même format? » p.232
« A quoi bon se donner du mal pour développer ses talents, si l’on n’en tire aucun bénéfice? » p.205
Ainsi, ce bouquin supposé aider les jeunes filles à s’émanciper, les enferme dans les stéréotypes de genre, à l’origine de nombreuses inégalités. Voilà les filles, cessez d’aspirer aux métiers d’ingénieurs ou de scientifiques, vous n’êtes pas douées pour ça ! Prenez plutôt soin de votre corps pour plaire à ces messieurs :
« En France, l’usage veut qu’on s’épile. Les gens seraient choqués de vous voir avec des poils sous les aisselles: c’est supposé être très laid. En fait, cela peut donner l’impression qu’une femme ne prend pas soin d’elle ou pire, qu’elle est sale. » p.356
Et surtout, pendant l’acte sexuel, ne réclamez pas d’orgasmes, de grâce !
» L’homme éprouve du plaisir par le mouvement de va-et-vient qu’il exerce et qui aboutit naturellement, après un temps plus ou moins long, à l’éjaculation qui termine l’acte sexuel. » p.416
« L’important c’est de bien comprendre que l’orgasme n’est que le sommet du plaisir. Cela veut dire qu’avant d’atteindre ce sommet, il y a déjà du plaisir. Plaisir du corps bien sûr, mais aussi plaisir du coeur quand on fait l’amour… avec amour. Ces plaisirs-là sont tout aussi importants que l’orgasme, qui est très intense, certes, mais aussi très éphémère. […] Dans la réalité faire l’amour avec amour, c’est plus que du plaisir, c’est du bonheur, même sans orgasme! » p.352
En somme, sous la prétention de livre éducatif, ce livre véhicule une vision sexiste et hétéronormative de la société et de la sexualité. Et que l’on comprend pourquoi il est édité chez Fleurus, « maison d’édition d’inspiration catholique » peut-on lire sur Wikipédia.
On vous conseille évidemment de ne pas lire cet ouvrage, de ne pas l’offrir à votre jeune nièce, mais d’aller plutôt lire l’article que Mediapart lui a consacré.