Les anachronistes de la soul

Il y a des sonorités que l’on associe à une époque précise, des styles qui collent avec une ère culturelle définie.

La soul appartient à cette catégorie, et tout ce qui vient après les années 80 est désigné comme du nu-soul, du r’n’b ou du hip-hop. Comme s’il était impossible de perpétuer cet héritage musical sans en faire autre chose. Pourtant il y a une écurie qui a su faire revivre la soul sans la dénaturer : Daptone Records et avant cela Desco Records – deux labels fondés par Gabriel Roth. 

Chez Daptone Records, on trouve des emblèmes de la soul vintage actuelle comme Sharon Jones & The Dap Kings, The Budos Band, Charles Bradley et Menahan Street Band, gages de qualité et d’engagement s’il en est.

Et ce sont eux qui publient aujourd’hui l’anthologie consacrée aux Poets of Rhythm. Qui sont ces artistes au nom et à l’identité troubles ? Car on pourrait, à l’oreille, croire qu’il s’agit d’un groupe tout droit sorti de l’Amérique des années 1970. Et pourtant, ils sont allemands et surtout, ils ont commis leurs plus belles œuvres entre 1992 et 2003.

Rappelons-le : les années 1990 sont celles d’un rock alternatif, grunge et garage et d’un hip-hop à mi-chemin entre la funk, la soul et le jazz. Et l’Allemagne de cette époque, c’est celle du krautrock, du rock planant, de la New Wave et la pop toute synthétisée.

Alors comment ces 7 jeunes hommes sont-ils parvenus à s’extraire des tendances pour produire un son typiquement soul, fort d’une voix si chaleureuse et d’instrus fidèlement funk ? D’abord en étant liés par une passion pour la funk américaine des années 70, évidemment. George Clinton est cité en héros, son empire avec les Parliaments comme un horizon artistique et culturel. Puis ils découvrent la voix de James Brown, la basse de Bootsy Collins et l’idée même de fonder un groupe germe avec la découverte des JB’s – l’ensemble instrumental derrière le Godfather of Soul. 

Cette nostalgie date du début des années 1990 et les amène tout droit à voyager aux Etats-Unis pour un voyage initiatique de New-York à la Nouvelle Orléans. Sur les pas de. En 1993, c’est le premier album – Practice what you preach. Pour d’obscurs litiges commerciaux, ils ne sont plus autorisés à utiliser leur nom et deviennent les Bus People Express, les Organized Raw Funk, les Dynamic Soundmakers, The Woo Woo’s, les Bo Baral’s Excursionists, Karl Hector & The Funk-Pilots, The Mercy Sluts, The Mighty Continentals, Neo-Hip-Hot-Kiddies Community, The New Process, The Pan-Atlantics, The Polyversal Souls, Soul Sliders, ou encore Soul-Saints Orchestra.

Bref – appelons les Poets of Rhythm, car c’est finalement ce qu’ils sont, finissent par croiser la route de Desco Records et de Gabriel Roth. Ce musicien, monteur et créateur du futur label Daptones s’y connait mais n’accepte pas immédiatement leur second album. Il faut attendre le projet Quannum Projects de DJ Shadow pour que le disque prenne vie et que le groupe touche, enfin, une audience bien plus large.

Nous sommes alors en 2003, année où l’anthologie s’arrête ; les Poets of Rhythm sont encore des précurseurs, car la soul ne connait pas le revival qui la réhabilitera pleinement à la fin des années 2000. Mais leur génie est justement de ne pas se contenter d’être vintage avant l’heure, car ils sont résolument tournés vers ce qui se fait de neuf. D’où la collaboration avec DJ Shadow, l’intégration de sonorités subtilement modernes et de technique de boucles et de sample qui font de leur soul un pont parfait entre les années 70 et les années 2000. 

L’avantage de cette anthologie est de retracer une aventure humaine, artistique et musicale que seuls les initiés semblaient connaître jusque ici. De titre en titre on avance, en même tant que les Poets of Rhythm se trouvent. Ni passéiste ni moderniste, le groupe tire un peu le meilleur de toutes les époques qu’il traverse et cite en référence. 

On vous laisse découvrir toute cette histoire et cette soul vibrante dans l’excellente anthologie : The Poets of Rhythm, « Anthology 1992-2003 », sortie chez Daptone Records.