Au Fespam, la rumba congolaise a fait vibrer Brazzaville en célébrant celles qui l’ont façonnée. Un hommage puissant aux femmes qui ont transformé cette musique en arme d’émancipation.
À Brazzaville, la rumba se glisse partout. Dans les taxis bringuebalants, dans les cafés, dans les conversations. C’est notamment elle qui a fait vibrer le Fespam, le plus grand festival panafricain de musique, du 20 au 27 juillet.
C’est au Canal Olympia de Brazzaville que nous faisons un arrêt, pour la projection de Rumba congolaise, les héroïnes, un documentaire signé Yamina Benguigui. Cette fois, ce ne sont pas les hommes qui mènent la cadence. Ce sont les femmes. Celles dont l’histoire a trop souvent gommé le nom, celles dont les refrains portaient pourtant la rage, la tendresse, la mémoire d’un peuple. Un film qui redonne toute leur place aux femmes de la rumba, longtemps reléguées au second plan d’un patrimoine classé à l’UNESCO depuis 2021.
Dans la salle, le silence est habité. Les archives font revivre celles qu’on avait rendues invisibles : Mbilia Bel, Barbara Kanam, Faya Tess, les sœurs Mayoundou… Leurs visages défilent, leurs voix racontent, sans nostalgie mais avec force. Dans un pays où la musique a toujours été un refuge, la rumba s’est aussi imposée comme un outil d’émancipation. La chanteuse Barbara Kanam le rappelle : “On ne peut pas parler de l’émancipation des femmes congolaises sans la rumba”. Un historien cité dans le film ajoute d’ailleurs que “faire la fête, c’est un acte révolutionnaire, subversif. ”
Mais cette liberté a un prix. Mbilia Bel, l’une des figures majeures de la rumba, raconte sans détours que “la musique aime la liberté. Si on veut faire carrière, faire des musiques, devenir une star, on ne peut plus faire la popote de son homme.” Elle révèle aussi avoir passé 42 ans de carrière “sans toucher de royalties, sans aucun droit sur [ses] morceaux”. Aujourd’hui, elle rêve de créer une école de musique réservée aux filles, pour leur apprendre à se protéger et “ne pas se faire avoir ”.
Pour les jeunes générations, la rumba n’a rien perdu de sa force. La slameuse Mariusca Moukengue, 31 ans, en témoigne : “La rumba, c’est notre quotidien, notre identité. On l’écoute dans tous les coins de la maison et du quartier. Cet art est viscéral.”
Un festival qui bat au rythme de l’histoire
À la sortie de la projection, le Fespam se poursuit dans les rues de Brazzaville. Les scènes s’enchaînent, les générations se croisent, les voix se répondent d’une rive à l’autre du fleuve Congo. Cette année, plus que jamais, le festival a placé les femmes au centre. Le documentaire de Yamina Benguigui a ouvert une brèche. Et derrière chaque chanson, chaque refrain repris en chœur, on devine un combat pour exister, pour créer, pour durer.
Brazzaville chante fort. Elle chante ses héroïnes. Et cette fois, personne ne pourra plus les faire taire.

