Et si le cinéma d’horreur entrait enfin dans un nouvel âge d’or ? Bien sur, il faut faire le tri dans la pléthore de films censé rassasier l’appétit d’un public friand de frissons qui s’est grandement renouvelé ces dernières années, mais dans le lot, les nouvelles perles brillent d’éclats plus noirs que d’habitude. Nouveaux venus dans ce qu’on appelle désormais l’ «elevated horror », films poussant particulièrement loin les curseurs des séquences chocs ou de scénarios psychologiques, les frères Philippou s’étaient fait remarquer avec La main, relecture grinçante des films de fantômes. Il y était déjà question en sous-main de deuil et de culpabilité. Ces motifs sont encore plus présents dans Subsitution. Un frère et une sœur y sont placés chez une famille d’accueil de moins en moins accueillante, quand sa responsable s’évertue à mettre de plus en plus de distance entre les deux orphelins. Sans compter un autre enfant placé, qui semble séquestré. Il y aura bien sur un plan tordu derrière tout ça, il reste moins diabolique que celui des réalisateurs, disséminant une vision ultra-doloriste de l’amour parental. Bien plus que des séquences éprouvantes, brisant certains tabous de cinéma dans leur jusqu’au-boutisme, c’est cette vision aussi désespérée que poignante de la cellule familiale en totale dévoration par la solitude et le chagrin qui fait mal dans Substitution.
Gangs of Taïwan investit lui aussi le cinéma de genre pour un regard nihiliste. La violence avec laquelle des bandes d’adolescents rackettent des commerçants n’est rien face au portrait d’un Taïwan en 2019, pour un regard sur l’expansion chinoise menaçant, après Hong Kong, de prendre le pouvoir sur cette île. Le parcours de Zhong-An, un ado plongeur dans un restaurant le jour, membre d’un gang la nuit exsude la visible colère d’un réalisateur envers la situation de Taïwan fragilisé par la pression de Xi Jinping. Gangs of Taïwan exprimant le point de rupture actuelle entre une démocratie qui a culturellement intégré la non-confrontation et une Chine de plus en plus menaçante. Signée Keff, cette saga s’essaie à un équilibre entre bouillonnement rageur et rogne rentrée autour de Zhong-An, personnage mutique alors que pris dans un conflit de loyauté. Formellement marqué par l’héritage des maîtres du néo-polar hong-kongais des années 90, notamment Johnnie To, ce récit des mutations voire de la gangrène d’un capitalisme galopant, Gangs of Taïwan reste, en dépit de sa peinture d’une société sombrant dans l’avidité, un film d’appel à la rébellion chez la jeune génération taïwanaise au moment où le Parlement en place semble sur le point de capituler face à la Chine. Donc un film aussi militant que courageux.
Substitution X Gangs of Taïwan. En salles le 30 juillet

