Pendant trois jours, le Kappa Futur Festival a transformé une ville post-industrielle en utopie électronique. On était à Turin pour cette 12e édition incandescente, on vous raconte.
Avant même le premier kick, le lieu vous met une claque. Le Parco Dora, c’est l’anti-festival champêtre. À la place des arbres, des piliers d’acier rouillé. À la place de la verdure, du béton griffé. Une ancienne aciérie transformée en scène ouverte, traversée de structures monumentales, de street art, de rampes de skate et de silos fantomatiques. Une esthétique Mad Max adoucie par les sourires et l’énergie solaire des festivaliers.
Sous ce ciel de métal, six scènes surgissent, chacune avec son identité, son public, son énergie. Tandis que la main stage domine le paysage sous sa cathédrale post-apocalyptique, d’autres sont illuminées d’écrans géants, et d’autres sont plus intimistes, plus aérées. Le passé industriel de Turin accueille le futur de la fête. C’est brutal, mais c’est beau. Il est difficile de vous résumer 3 jours de fêtes où plus de 120 artistes se sont échangés les platines, alors on vous a sélectionné nos 10 moments les plus marquants.
Folamour ouvre le bal
Vendredi, 16h30. Le soleil tape fort sur l’acier de la scène principale, et Folamour débarque, sourire vissé et — évidemment — un bob. Le lyonnais, figure de proue de la house feel good et patron du label FHUO, ouvre le bal avec une sélection généreuse, sucrée, irrésistiblement dansante. On entend du disco filtré, des samples vocaux qui évoquent les étés sans fin. Parfait pour entamer ce beau week-end. Son set ne révolutionne rien, mais il incarne tout ce qu’on attend d’un début de festival : joie, beaux visuels et énergie contagieuse.
Dixon : élégance et deep house à l’allemande
Direction la scène Voyager et ses visuels monumentaux. Pilier de la scène berlinoise et cofondateur du label Innervisions, Dixon est une référence mondiale en matière de deep house. Son style, de la techno allemande dans sa version la plus sophistiquée. Pas de drops spectaculaires, pas de cris : juste une tension permanente, un fil rouge qu’il tire sans jamais le casser. Sa maîtrise est absolue, presque intimidante. Pourtant, la foule se laisse happer, dans un tunnel mental aux textures profondes. Pas d’excès, juste la précision millimétrée d’un mec qui connaît la gravité, mais préfère jouer avec l’apesanteur.
Soulwax en live
Les frères Dewaele, aussi connus pour leur alias 2manydjs, se sont fait connaître sous le nom Soulwax avec leur album Much Against Everyone’s Advice, leur projet live électro-rock. Au programme : guitares trafiquées, batteries en feu (oui, il y a un s à “batteries” car il y en avait 3), synthés analogiques au bord de l’implosion. C’est du live avec une intensité de concert rock et une esthétique dancefloor post-rave. Soulwax livre un set musclé, tendu, vibrant. Ça saute, ça pogote presque, ça transpire dur. Une heure plus tard, on est rincés, mais rincés de la meilleure des façons.
Margharit’house avec DJ Tennis
Des rooftops aux pizzerias, le Kappa sort du Parco Dora pour infuser Turin de son énergie, grâce à une série de 15 side events disséminés dans toute la ville. Pendant que la plupart digèrent encore la soirée de la veille, une trentaine d’initiés s’agglutinent dans une pizzeria du centre-ville. Derrière les platines posées entre un comptoir en marbre et un four à bois : DJ Tennis, café à la main, entame son deuxième set du week-end. Producteur éclectique et fondateur du label Life and Death, c’est une figure respectée de la scène techno/house alternative. Il balance un set lent, presque timide, comme si les murs de faïence avaient besoin d’un échauffement. Dehors, il fait déjà 30°. Dedans, ça commence à bouger tranquillement. Le surréalisme à l’italienne.
Nina Kraviz, furie sur la Voyager
Il est 23h, la scène Voyager vibre comme un vaisseau spatial. Nina Kraviz surgit dans une aura bleue, regard perçant. Dentiste de formation et icône techno depuis plus d’une décennie, la Russe est l’une des DJs les plus captivantes du circuit. Une figure de la techno désormais contestée puisqu’au moment du début des hostilités entre la Russie et l’Ukraine, elle n’avait souhaité prendre position ni pour l’agressé, ni pour l’agresseur, politique du ni ni qui lui avait valu une certaine forme d’hostilité de part et d’autre. Sur scène, elle enchaîne des tracks acides, des montées vertigineuses, des cuts millimétrés. C’est dur, sec, précis. Mais jamais froid. Nina joue avec la tension, lâche des moments de grâce au milieu de la fureur. Elle tient la foule comme un chef d’orchestre. Un closing de soirée qui laisse les jambes flinguées et les esprits ailleurs.
Octo Octa b2b Octo Octa
DJ et productrice new-yorkaise, Octo Octa est connue pour ses sets mêlant breakbeat et house old-school. Militante de la cause queer et fondatrice d’une plateforme dédiée à promouvoir la diversité, on peut la croiser au détour d’un disquaire underground ou derrière des platines, toujours accompagnée de sa fidèle Éris Drew. Mais aujourd’hui, le b2b annoncé n’aura pas lieu : Éris Drew est absente. On ne se laisse pas abattre pour autant, la sélector Octo Octa prend le relais avec calme et sérénité. Derrière ses platines, elle enlève ses chaussures, sort ses meilleurs vinyles et déroule un set construit avec soin, entre deep house progressive et breakbeats finement choisis. Ça monte tranquillement, puis ça explose sur la fin avec des titres break d’une efficacité folle. Clairement notre coup de cœur du week-end. La preuve que même en solo, on peut créer une alchimie collective.
Floating Points, cosmogonie sensible
Producteur britannique touche-à-tout, Floating Points s’est illustré aussi bien en club qu’auprès d’orchestres symphoniques — notamment avec son album culte Promises avec Pharoah Sanders. Imaginez une nébuleuse sonore qui se déploie lentement. Des nappes synthétiques, une rythmique aérienne, des pulsations douces comme des battements de cœur. Floating Points livre un live méditatif, quasi mystique. Il manipule ses machines comme un herboriste des fréquences. Et puis il y a ce détail : sur scène, deux plasticiennes font du VJing en direct, à partir de peinture liquide et d’un microscope. On assiste à une œuvre vivante, minuscule et monumentale à la fois. La musique, les images, les émotions : tout fusionne.
Tatyana Jane, avalanche de kicks
Tatyana Jane a livré sur la scène Nova un set habité. Portée par ses racines camerounaises et un sens du broken rhythm bien à elle, elle a sculpté un moment suspendu dans le flux constant du festival. Entre pulsations spirituelles et textures futuristes, la nouvelle recrue Ed Banger a offert un moment bien bass, bien saccadé. Elle glisse même un remix bien senti de Théodora entre deux bombes clubbing. Et le public la suit, bouche bée. Un nom à retenir, vite, et à suivre pour de belles choses à l’autonome…
Peggy Gou, en star
DJ sud-coréenne à la renommée mondiale, Peggy Gou oscille entre house euphorique, pop élégante et enchaîne les tubes depuis son morceau « It Makes You Forget (Itgehane) ». Peggy Gou a ce truc, elle arrive, et tout le monde se redresse. Il y a de la mode dans sa musique, mais aussi une sincérité qui désarme. Elle mixe ce qu’elle aime, ce que le public aime, ce que les DJ aiment en secret (de nombreux noms de la prog étaient là pour assister à ce spectacle). C’est fluide, coloré, accessible. Ce n’est pas underground, ce n’est plus vraiment niche, mais c’est jubilatoire. Et puis, bon, ce sample de Kylie Minogue remixé en house coréenne, c’était irrésistible.
Caribou, closing de cœur
Scientifique de formation et producteur canadien, Caribou (aka Dan Snaith) est une figure majeure de l’électronique, entre downtempo psyché et hymnes de festival. Dernier soir, dernière montée. Sur la scène Nova, Caribou arrive tout en douceur, comme une vague lente. Il enchaîne ses classiques avec une grâce tranquille : voies aériennes, boucles et percussions moelleuses. Le public est suspendu à ses titres et aux visuels hypnotiques, comme à un fil invisible. Et puis ça explose. On saute, on crie, on se prend dans les bras. Un closing à l’image de ce beau festival, tout simplement.
Il y a des festivals qu’on oublie. Et puis il y a le Kappa Futur Festival. Parce qu’il ne ressemble à rien d’autre. Parce qu’il fait danser des gens du monde entier dans un décor de fin du monde. Parce qu’il célèbre autant l’avant-garde que les classiques. Parce qu’il donne envie d’aimer fort, même en pleine techno. Le Kappa, c’est l’idée que le futur est déjà là.

