Si on l’oublie parfois lorsqu’on fait l’inventaire des forces vives du Nouvel Hollywood, Robert Altman fut indéniablement un réalisateur à part. Slalomant entre classiques maintes fois laurés (M*A*S*H, Le Privé, Short Cuts, etc.), films expérimentaux et crochets improbables (le Popeye de Disney), laissant une grande liberté de jeu à ses acteurs dont il privilégiait l’expression et les interactions au corsetage d’une intrigue trop bien ficelée, sa filmographie mérite largement un petit arrêt sur image.
Tiens, justement … Images. On pourrait commencer par celui-là, l’un des films sous-estimés de son auteur. En 1972, Altman en a un peu sa claque des studios : il file en Irlande avec une équipe réduite et autofinance un long-métrage influencé par l’avant-garde européenne.
Parallèle pas du tout innocent, le personnage principal, Cathryn (Susannah York, qui ramassera un prix d’interprétation à Cannes en passant), suit le même parcours : hop, direction la campagne de la verte Érin, histoire de souffler un chouia, de mettre les choses au point dans son couple, de s’éloigner du harcèlement en ligne (téléphonique) dont elle est victime et de ses hallucinations qui la rendent limite nervous breakdown. Sauf que ça ne va pas vraiment marcher comme sur le dépliant touristique.
Variation sur les thèmes de la double personnalité et de la perte de repères, Images travaille l’intime et la subjectivité sur un mode inhabituel pour Altman. Les dialogues y sont plutôt rares et l’ambiance coudoie volontiers avec Nicholas Roeg et Polanski. Quant à la musique, c’est la partition de John Williams (pas encore l’apanage de la doublette Lucas/Spielberg) qui vient instiller l’angoisse sur chaque centimètre-carré de la pellicule.
Dans cette atmosphère inquiétante, Cathryn perd les pédales et bascule à la vitesse de Romain Bardet dévalant le col d’Allos, tiraillée entre le merveilleux de l’enfance, avec ses licornes et ses féeries (son métier est d’écrire des livres pour les bambins), et une frustration sexuelle autrement plus vivace et tranchante.
Le résultat : ça fait boum au fusil, bing au couteau, vroum à la bagnole, conséquence d’un puzzle mental en miettes, dont quelques pièces sont allées se planquer sous les meubles, à la faveur des jeux sur les reflets, les flous et les profondeurs de plans.
Après The Witch Who Came From the Sea en novembre, Black Moon en décembre et Maniac en janvier, il semble bien qu’on tient comme un fil directeur pour la collection automne-hiver 18-19 des désormais incontournables « séances mensuelles du troisième type » de Monoquini : le dérèglement généralisé de la psyché, la contamination mutuelle du rêve et du réel, qui poussent la confusion vers une dimension incroyable, celle du cauchemar vécu les yeux ouverts.
À chacun ses « Bloody Sundays », dirons-nous – Irlande 72′ oblige.
Lune Noire : Images, de Robert Altman (1972), le dimanche 3 février à 20h45 au Cinéma Utopia